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Lors de la première conférence mondiale sur le climat organisée à Genève en 1979 par l’Organisation météorologique mondiale, les scientifiques signalent que l’action de l’homme sur le climat pourrait nuire au bien-être de l’humanité. La question des risques climatiques est officiellement posée sur la table des négociations politiques.

En 1987, le rapport Brundtland de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement repose la question des risques climatiques. C’est le Programme des nations unies pour l’environnement (créé en 1972), en relation avec l’organisation météorologique mondiale qui décide alors de se pencher sérieusement sur les conséquences possibles des activités humaines sur les changements climatiques. Le groupe d’expertise intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est créé en 1988 à Genève.

Le GIEC a remis des rapports d’expertise en 1990, 1995, 2001 et 2007. Au fil des années, chaque publication va s’attacher à montrer que la responsabilité de l’homme dans l’évolution des climats est de plus en plus probable. Des efforts d’engagements politiques internationaux plus ou moins marquants ont accompagné ces publications.

En 1992, afin d’établir un cadre juridique valable au plan international (Veyret, 2004), dans le cadre de la Conférence de Rio, furent rédigées et ouvertes à la signature deux conventions des Nations Unies : une sur la biodiversité et l’autre sur les changements climatiques. Cette dernière reconnaît que le système climatique est une ressource partagée dont la stabilité peut

être affectée par les émissions industrielles de gaz carbonique ainsi que les autres gaz pièges à chaleur28. La convention assigne aux pays industrialisés le primat de la lutte contre ce phénomène. Les gouvernements s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à coopérer pour s’adapter aux impacts des changements climatiques, par principe de précaution29. La convention entrera en vigueur en 1994. C’est à cette époque que le gouvernement français créera la Mission interministérielle sur l’effet de serre.

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Article 2 de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques : L'objectif ultime de la présente

Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d'atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s'adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d'une manière durable.

29 Article 3 de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques : Quand il y a risque de

En 1997, lors de la troisième conférence des Parties de la convention, le protocole de Kyoto est mis en place pour renforcer l’engagement des pays signataires à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les objectifs sont à présent légalement chiffrés et contraignants. Des négociations pour la ratification sont difficiles et certains pays, particulièrement émetteurs de gaz à effet de serre, ne le signeront que tardivement. Les États-Unis30 et l’Australie, dont les émissions de CO2 par habitant sont les plus fortes, n’ont toujours pas ratifié le protocole.

Les controverses portent sur le fait que les engagements adoptés ne permettraient de réduire la hausse de la température globale que de 3% à l’horizon 2050. Le mécanisme de développement économique propre qui incite les pays pollueurs réduisant leurs émissions à investir dans les pays en voie de développement, par un mécanisme de crédit carbone, est redouté. Il pourrait favoriser les pays industrialisés et les pays en voie de développement qui ont déjà un impact climatique fort en terme d’émission de gaz à effet de serre. Pour Frédéric Durand (2005), le protocole risquerait également de devenir le promoteur du nucléaire (à faible émission de dioxyde de carbone) et de la reforestation d’espèces à croissance rapide (considérées comme des puits à carbone).

Malgré ces controverses, en 2002, lors du Sommet du développement durable à Johannesburg, la ratification du protocole se fait pressante dans les négociations. Le protocole entrera en vigueur en février 2005 après la ratification par la Russie en 2004. Mais ce qui soulève le plus de discussions, c’est l’acceptabilité socio-économique et politique pour chaque pays de mesures réglementaires globales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

3.1.1 Les contraintes juridiques de Kyoto redoutées

L’imputabilité des perturbations climatiques aux activités humaines est source de controverses pour au moins trois raisons. L’expertise scientifique remet en cause les activités humaines industrielles et le modèle de développement actuel. Elle pointe la responsabilité de certains pays pollueurs, sur la base d’une estimation de leur émission de gaz à effet de serre

pour différer l'adoption de telles mesures, étant entendu que les politiques et mesures qu'appellent les changements climatiques requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir des avantages globaux au coût le plus bas possible.

30 En 2000, le président Bush a tenté de justifier sa décision de retrait des États-Unis en argumentant que les conclusions du GIEC ne constituaient pas une base scientifique fiable pour de tels engagements politiques. Pourtant, l’évaluation qu’il demande à l’Académie des sciences des États-Unis (Climate Change Science : an

analysis of some key questions, Washington, National Academy Press, 2001) confirmera le bien-fondé des

inquiétudes sur le renforcement anthropique de l’effet de serre, auquel les États-Unis contribueraient à 25% en 2000.

par habitant. Elle souligne enfin la vulnérabilité de certains états face aux évolutions environnementales prévues : les états les moins pollueurs seront les premiers touchés31. C’est, selon le GIEC, en périphérie du monde industrialisé que se trouvent les régions les plus vulnérables aux changements climatiques, ayant par ailleurs une contribution minime dans le réchauffement climatique. Pour les experts du GIEC, il faut donc intégrer dans les politiques climatiques des enjeux d’équité, de solidarité, et de développement durable face aux prévisions d’évolution climatique.

Comme signalé précédemment, les réorientations énergétiques nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre vont conduire des nations aux intérêts divergents à tenter une déconstruction des fondements scientifiques de l’expertise officielle32, en soulignant son caractère controversé (Hourcade, 1993). Les motivations socio-politiques sont donc diverses, selon les contextes nationaux.

En 1992, dans le cadre de la conférence de Rio, les États-Unis, dont les modes de consommation sont énergivores, semblent hostiles à la proposition d’écotaxes de la communauté européenne. Ils avancent la proposition de permis d’émissions négociables qui sera à l’origine du mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto (1997). Autour d’un courant antinataliste américain, on évoque également la responsabilité démographique des pays en voie de développement. Des scientifiques de ces pays se lanceront alors dans le calcul de la dette naturelle historique que les pays industrialisés pollueurs ont contracté vis-à-vis des pays du sud. La réaction des pays les plus vulnérables33 pèsera à chaque réunion de la Conférence des Parties de la Convention cadre sur les

31 Dans le troisième rapport d’expertise à l’attention des décideurs (TAR, 2001), le GIEC soulignait également cette vulnérabilité. Selon ce rapport, les perturbations les plus importantes auront lieu dans les pays tropicaux. Après l’expansion thermique, la fonte des glaciers et des calottes glacières devraient être l’une des principales causes de l’élévation du niveau de la mer au cours du XXIe siècle.

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Ces opérations de déconstruction s’intensifieront avec la mise en place de protocole de Kyoto dès 2005. Au Canada, en octobre 2006, 61 climatologues sceptiques demanderont au gouvernement d’organiser des auditions

impartiales et ouvertes aux publics sur les fondements scientifiques de l’expertise alarmiste du GIEC. Ils

rappellent qu’il y a trente ans, beaucoup des scientifiques du GIEC croyaient que le monde était au milieu d’une

phase de refroidissement catastrophique. Cette expertise, sous une forme consensuelle, est utilisée par des

activistes pour convaincre les publics. Les sceptiques demandent un débat pour entendre les avis d’experts des

deux camps de la communauté des climatologues, avant de s’engager dans le protocole de Kyoto. Ils

reconnaissent que l’engagement pour l’environnement est respectable mais que consacrer des fonds à arrêter les

changements climatiques serait irrationnel (Lettre au Premier ministre canadien publiée par l’organisation Friends of Science : 61 prominent international scientists call for an open climate science review of Kyoto).

changements climatiques. Lors de la neuvième Conférence des Parties à Milan, le représentant de la délégation officielle de Micronésie, expliquera : nous sommes les premiers

à être tués par le changement climatique. L’alliance des 43 états insulaires (Alliance of Small

Island States, AOSIS), créée en 1994, demande l’accélération des déblocages de fonds destinés à aider les pays vulnérables à se protéger des impacts du réchauffement global. Aux antipodes, les Inuits du Canada, d’Alaska, du Groenland et de Russie rejoignent les mêmes préoccupations.

Malgré les négociations politiques difficiles, les déclarations des scientifiques experts sont progressivement institutionnalisées, sous une forme consensuelle : elle désigne les activités humaines comme responsables d’une modification de la composition de l’atmosphère terrestre à l’origine d’un risque climatique, en accord avec le modèle de l’effet de serre. Les conséquences environnementales et géopolitiques seraient alors alarmantes.

En 2002, le président Chirac déclarera lors du sommet de la Terre à Johannesburg que le protocole de Kyoto (1997) doit être ratifié et appliqué par tous les pays du monde, dans le cadre de la menace de tragédie planétaire que constitue le changement climatique, engagé du

fait de l’activité humaine : il n’est plus temps de jouer chacun pour soi. Au-delà de l’appel à

la solidarité, à la responsabilité et à l’équité, le message sur les risques climatiques va progressivement intégrer le discours politique en faveur du développement durable.

3.1.2 Développement durable et changements climatiques (1970-2001)

Malgré les déclarations d’intention durant les conférences pour l’environnement et le développement, malgré les rapports du Club de Rome34 annonçant un effondrement de la civilisation industrielle dans le courant de XXIe siècle, peu de changements sociaux sont perceptibles, depuis les années 1970.

Dans les années 1980 émerge le concept d’éco-développement comme une réponse négociée entre crises socio-économiques et préoccupations environnementales. Pour certains décideurs, le concept est irritant car il porte en lui une critique du libéralisme économique (Sauvé, 2000 et Veyret, 2004). Les travaux du rapport Brundtland (Our common future, 1987)

33 Le président Chirac (2002) lors de la conférence de Johannesburg pour le développement durable fera d’ailleurs une mention spéciale pour les pays insulaires menacés par le réchauffement climatique.

34 Le Club de Rome est un groupe de réflexion international composé de scientifiques, d’hommes d’affaires et de politiques. Il dénonce dans les années 1970 les méfaits de l’industrialisation et de l’urbanisation. En 1970, le Club demande à une équipe du Massachusetts Institute of Technology une étude pour préciser les dangers

proposent de ne pas condamner le développement mais de le penser de manière soutenable et équitable, en réconciliant les préoccupations sociales, économiques et environnementales. L’enjeu pour Brundtland est de mettre un terme à l’une des principales caractéristiques du modèle actuel de développement : l’effrayante montée des inégalités qu’il génère (Pierre, 2006).

Le concept de développement durable est alors introduit : pour assurer un développement soutenable, équitable et durable, il faut garantir la satisfaction des besoins humains, pour le présent et pour l’avenir. Cet objectif anthropocentriste suppose que les capacités de l’environnement naturel à répondre à ces besoins ne doivent pas être compromis. On évoque ainsi la question de la responsabilité intergénérationnelle. En 1991, l’Union internationale pour la conservation de la nature, le Programme des nations unies pour l’environnement et l’ONG World Wide Fund for Nature (WWF) introduisent dans la définition du développement durable les préoccupations écocentristes : le développement durable doit conduire à améliorer la qualité de vie de l’homme tout en prenant en compte les

écosystèmes (Caring for the Earth : a strategy for sustainable living, UICN, PNUE, WWF,

1991).

C’est probablement dans ce contexte que la question d’un développement durable insère progressivement les messages du GIEC : la prise en compte des risques climatiques

dans les programmes de développement mis en oeuvre au plan national et international peut favoriser le progrès de l’équité et du développement durable tout en atténuant la vulnérabilité au changement climatique (Groupe de travail II, GIEC, 2001).

En dépit des alertes environnementales exprimées par les scientifiques dès les années 1970, et les propositions de limitation de la croissance formulées par le Club de Rome, peu de changements socio-économiques et politiques se produiront. Ainsi, dans les années 1990, un modèle d’éco-développement prend forme à l’échelle internationale et deviendra le modèle du développement durable. L’idée qu’on peut maintenir et même renforcer l’idéologie du progrès et le développement économique, notamment par l’innovation, amène de nombreux acteurs à se rallier à la cause environnementale. Les sciences occupent alors une place très particulière : elles sont à la base de l’expertise qui justifie le projet politico-économique et sont enrôlées dans le projet comme productrice d’innovations au service du développement durable.

écologiques de la croissance économique et démographique mondiale. Cette étude, connue sous le nom de rapport Meadows, sera publiée en 1972 sous le titre Limits to Growth.

3.1.3 Une place négociée pour les sciences

Durant la conférence de Rio (1992), les positions anthropocentristes défendues par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vont affronter les positions défendues par les ONG écologistes. Certains écologistes vont d’ailleurs s’en prendre aux progrès scientifiques (Hourcade, 1995) : ils mettent l’accent sur les risques environnementaux liées aux développements des technosciences. Pour ces écologistes, les sciences sont menaçantes et méritent d’être considérées avec prudence. Les progrès scientifiques et techniques doivent être questionnés. Les scientifiques, pour qui les sciences sont éclairantes (établissant les diagnostics) et agissantes (développant des applications techniques nouvelles) 35 mèneront alors une offensive contre les risques idéologiques d’un récit écologique qui s’opposerait au progrès scientifique et technique, et nuirait au développement scientifique et social. Certains d’entre eux rédigeront l’appel d’Heidelberg, adressée le 14 avril 1992 aux chefs d’états et aux gouvernements présents lors de la conférence de Rio.

L’idéologie du progrès scientifique et technique ne sera pas politiquement remise en cause et les débats porteront plutôt sur le principe de précaution, sur l’encadrement éthique et citoyen des sciences et sur la direction à donner à la recherche au service du développement durable. Les négociations aux sujets des sciences menaçantes aboutiront au chapitre 31 de l’Agenda 2136 (Communauté scientifique et technique, domaines d’activité) : il s’agit de définir la place des sciences dans le processus de décision. Leur fonction éclairante et agissante est reconnue, tout en déclarant nécessaire l’ouverture de l’expertise aux citoyens pour des échanges de points de vue. Il s’agit également de définir ensemble les effets bénéfiques des sciences et de se prévenir de leurs effets menaçants. L’objectif est d’accroître l’acceptabilité des sciences. Le chapitre 31 définit également un nécessaire espace de liberté et d’autonomie des sciences pour leur permettre de fonctionner, tout en recommandant l’adoption de codes d’éthique et de pratiques. Par ailleurs le partage des informations scientifiques doit permettre de mettre les connaissances produites par les sciences au service du développement durable. Le discours à propos des sciences est donc contradictoire : il s’agit de garantir l’autonomie des sciences tout en les encadrant et en les mettant au service du

35 Je reprends ici la terminologie du rapport Coppens (2003) dans le cadre de la préparation de la Charte de l’environnement : les sciences éclairantes et les agissantes contribuent à l’expertise environnementale.

36 L’Agenda 21 est le plan d’action internationale pour le XXIe siècle et pour le développement durable, établi à la conférence de Rio, en 1992. Pour en savoir plus, consultez le site : http://www.un.org/ (consulté en octobre 2009).

développement durable (Chapitre 35 de l’Agenda 21 : la science au service d’un

développement durable).

A l’échelle nationale, en 2002, le président Chirac précisera qu’il est tant de mettre les

avancées des sciences et des techniques au service du développement durable, dans le respect du principe de précaution. La recherche doit permettre de nouveaux modes de production et

de consommation.

3.1.4 Un regard optimiste sur un message alarmiste

A Rio, le plan d’action pour le XXIe siècle précisera également l’engagement des états dans la mise en place d’une politique de développement durable. Il inspira largement les propositions politiques françaises au sujet de l’environnement, de l’information, de l’éducation et de la recherche au service du développement durable.

Pour Zaccaï (2009), l’année 1992 est une date charnière. L’environnementalisme est réinterprété par le développement durable comme un appel à la mobilisation mondiale autour d’objectifs sociaux et environnementaux, dont le défi climatique, mais également autour de valeurs comme la solidarité, la responsabilité et l’équité. Pourtant, les besoins humains et les difficultés de développement persistent. Le mouvement de décroissance propose de descendre

du train et d’en prendre un autre dans la direction opposée (Latouche, cité par Duval, 2005).

Pour les défenseurs de la politique du développement durable, il faut porter un regard optimiste sur le message alarmiste37. C’est d’ailleurs cette formule que l’on pourrait reprendre comme clés de lecture des discours de politiques climatiques, qui sont souvent des discours de politiques énergétiques pour un développement durable (voir par exemple les discours de Chirac, 2005 ou encore de Sarkozy, 2007).

En 2002, le président Chirac propose au Sommet de Johannesburg que la France mette en place le plan d’action politique de Rio (1992) et qu’elle se soumette à l’évaluation de la Commission du développement durable de l’ONU. La question climatique justifie à présent le projet de développement durable, que certains considèrent comme un projet

politico-économique mondial axé sur le développement continu (Girault et Sauvé, 2008).

37 Pour reprendre l’expression d’Olivier Godard dans son article dans la revue Futuribles d’octobre 2007, qui analyse le rapport de l’économiste Stern, un an après sa publication.

3.2. Climat et politique nationale de développement durable