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Comme le rappelle Veyret (2004), le rôle des associations écologistes militantes dans l’engagement politique en faveur de l’environnement est perceptible dès les années 1970. Les plus puissantes d’entre elles, WWF et Greenpeace, ont rapidement eu la capacité d’intervenir à différentes échelles, de l’action locale à l’action globale. Leur engagement se construit par des réseaux d’alliance avec les scientifiques et les politiques. Comme dans le cadre de la conférence de Rio en 1992, ces alliances sont négociées autour d’intérêts partagés.

Dans le parcours que je propose à présent, il ne s’agit pas d’être exhaustif42 et de recenser toutes les associations écologistes qui s’engagent autour de la question climatique. Mais à travers quelques exemples, je veux souligner le caractère homogène de l’engagement, à travers des alliances entre représentants de la société civile, scientifiques et politiques. Autour d’un message consensuel, l’objectif commun devient la sensibilisation et la mobilisation socio-politique, à travers une grande diversité d’opérations de communication.

3.3.1 Les campagnes de WWF

On pourrait souligner la présence de WWF aux côtés du président Chirac en 2002 lors de son discours en faveur du développement durable. Il évoquera l’empreinte écologique, outil de modélisation largement médiatisé par la fondation écologiste dans les années quatre-vingt-dix et au début des années deux mille. Cet outil propose un moyen d’estimer la pression exercée par les activités humaines sur leur environnement, en termes de planète consommée43.

En 2006, WWF Suisse publiera la bande dessinée La migration des Ibanes en partenariat avec la Fondation Polaire Internationale et l’université de Genève. L’objectif est toujours le même : sensibiliser les lecteurs, selon une approche globale et dans une perspective de développement durable, aux enjeux liés aux changements climatiques et à la gestion de l'environnement. La même année, WWF lancera également la plus grande campagne de son histoire sur le thème climat et l’énergie : PowerSwitch ! / Changeons de

Courant ! On trouvera des approches similaires avec Greenpeace, mais plus discrètes dans le

rapprochement avec le gouvernement français.

3.3.2 Les campagnes de Greenpeace

Directement en lien avec la question climatique, il faut noter la diversité des opérations d’alliance de Greenpeace pour sensibiliser et mobiliser. On peut citer la publication de la bande dessinée Dessins pour le climat (2005)44 ou encore le rapport d’expertise

42

Il aurait fallu également parler du Réseau Action Climat-France spécialisé sur le thème de l’effet de serre et du changement climatique. Ce réseau est la version française d’un réseau mondial d’ONG concernées par les changements climatiques, le "Climate Action Network". Le CAN comprend plus de 350 associations sur les cinq continents.

43 Selon Piguet et Blanc (2009), la méthode est aujourd’hui controversée, notamment parce qu’elle induirait en erreur sur la nature et la gravité des problèmes écologiques, par manque de transparence et en confondant des données relevant de plusieurs défis écologiques distincts.

44 Une dizaine de dessinateurs ont répondu à l’appel de Greenpeace dans le cadre de l’opération Dessins pour le

Changements climatiques : quels impacts en France ? (2005). Dans ce dernier cas,

l’engagement dans le rapport de certains membres français du GIEC (Jean Jouzel et Hervé Le Treut) retient mon attention. Ces scientifiques préciseront l’enjeu de cette alliance en terme de sensibilisation sociale et de mobilisation politique :

La sensibilité aux enjeux [d’une approche régionale du changement climatique] explique l’enthousiasme avec lequel les chercheurs contactés, en France et à l’étranger, ont répondu à la sollicitation de Greenpeace. Cet enthousiasme se traduit par un ensemble d’articles de grande qualité qui nous permet déjà de mieux cerner comment notre pays risque d’être affecté par le réchauffement climatique lié aux activités humaines. Au nom de cette communauté (scientifique), nous remercions Greenpeace d’avoir pris cette initiative qui devrait contribuer à une meilleure prise de conscience des risques climatiques et de l’urgence de la mise en œuvre de mesures visant à la maîtrise de l’effet de serre (Jouzel et Le Treut, Greenpeace, 2005).

Le rapprochement opéré par l’ONG s’inscrit donc dans une demande d’expertise scientifique, légitimant en retour l’action de l’ONG. Le directeur général de Greenpeace France exprime les enjeux de cette demande avec des termes qui ressemblent fortement à ceux exprimés par la fondation WWF et la fondation Nicolas Hulot :

Mobiliser les citoyens et pousser les décideurs à prendre des mesures courageuses dès aujourd’hui pour prévenir une catastrophe future est difficile tant que les effets locaux du réchauffement global demeurent incertains et mal connus. Greenpeace a donc jugé opportun de solliciter les meilleurs experts français et internationaux afin de faire le point des connaissances sur les menaces climatiques qui pèsent sur notre pays (Greenpeace, 2005).

Greenpeace France lancera d’ailleurs une vaste campagne de sensibilisation reprenant largement le message des scientifiques. On peut signaler l’opération It’s not too late sur la Tour Eiffel le 29 janvier 2007, au moment de la Conférence de Paris sur les changements climatiques ; la campagne Solar Generation destinée à sensibiliser les étudiants au problème du réchauffement climatique, en les incitant à réduire leur impact individuel sur le climat, en les mobilisant collectivement autour des énergies renouvelables et des économies d'énergies, sur leur campus, mais aussi au niveau national et international.

Bande dessinée Dessins pour le climat (2005)

Opération It’s not too late (janvier 2007)

Opération Spencer Tunick (août 2007)

En août 2007, Greenpeace s’associe à Spencer Tunick, connu pour ses photographies de foules nues dans des lieux publics. Il s’agit d’attirer l’attention des publics sur la fonte des glaciers. Six cents hommes et femmes poseront dévêtus, à une altitude de 2 300 mètres, sur le glacier suisse d’Aletsch, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Selon les experts du climat, il aurait reculé de près de 115 mètres entre 2005 et 2006. Le photographe américain affirme que ses photos doivent émouvoir le spectateur. Il doit se sentir touché dans son

existence d’individu. Pour Karine Gavand, responsable de la campagne Climat de Greenpeace

France, cette mise en scène symbolise la vulnérabilité des glaciers en train de fondre :

Avec l’environnement, c’est aussi l’homme qui est menacé par les changements climatiques. L’œuvre de Spencer Tunick doit nous mettre en garde : l’artiste nous montre à quel point l’avenir de l’homme est lié à celui de la planète et nous rappelle qu’il est urgent d’agir.

L’approche symbolique et sensible qui caractérise les opérations de Greenpeace sert encore une fois le même projet : susciter l’engagement politique et citoyen.

3.3.3 Les campagnes de Yann Arthus-Bertrand

En octobre 2006, on pourrait aussi évoquer la mobilisation de la fondation GoodPlanet du photographe Yann Arthus Bertrand autour du film d’Al Gore Une vérité qui dérange. Elu membre de l’Académie des Beaux-Arts le 31 mai 2006, il insistera auprès de Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, pour que le film soit diffusé aux parlementaires et à suivi d’un débat pour les sensibiliser. Sa fondation GoodPlanet sera présente au même moment sur les écrans de France Télévisions avec la diffusion des documentaires Vue du ciel, dès la rentrée scolaire 2006. Je retiendrai son intervention en novembre 2006 dans l’émission

Arrêt sur Images (France 5) Au secours les médias, la planète meurt ! Il présentera sa vision

de la médiation des risques climatiques : le message doit être consensuel et alarmiste, face à l’ennemi invisible et pour ne pas semer un doute démobilisateur dans les esprits citoyens. J’en reparlerai dans le cadre de son incursion dans le milieu scolaire en 2006 et 2007, avec la distribution d’expositions photographiques destinées à accompagner l’éducation pour un développement durable.

3.3.4 Les campagnes de Nicolas Hulot

Dès novembre 2006, la fondation Nicolas Hulot sera particulièrement visible médiatiquement dans le cadre de son projet d’accompagnement de la campagne présidentielle autour d’un Pacte écologique. Les statuts de cet ONG créé en 1990 par l’animateur de télévision Nicolas Hulot révèlent une engagement autour de trois thématiques: la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité (espèces végétales et animales), et la protection de l’eau. Ses objectifs sont éducatifs, scientifiques et culturels, au service du patrimoine naturel de l’humanité :

La Fondation participe à la diffusion des connaissances sur l’état écologique de notre planète et met en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour convaincre le plus grand nombre de la nécessité de passer à l’acte afin de freiner l’impact des activités humaines. Il s’agit pour la Fondation de contribuer aux changements des comportements afin d’aller vers une nouvelle forme de société et de culture basée sur un développement durable (site Internet de la Fondation Nicolas Hulot).

Le comité de veille de la fondation est créé en 2000. 24 scientifiques et experts du monde universitaire sont présents, reconnus pour leurs compétences en matière d’environnement et

d’écologie. La fonction de ce comité est d’épauler par ses compétences les prises de position de la Fondation et de son président. Il contribue donc à la légitimation scientifique de l’action

de la Fondation. En retour, on peut penser que l’engagement des scientifiques dans la fondation leur apporte une forme de reconnaissance socio-politique mais également de visibilité médiatique. Je reviendrai sur la place de cette association dans le cadre des recommandations qu’elle fera dans le Pacte écologique (2006) pour l’éducation à l’environnement et au développement durable.

Durant la conférence de Paris en février 2007, Nicolas Hulot prendra la parole à côté des ministres, des chefs d’état et des scientifiques comme l’économiste Stern ou le paléoanthropologue Coppens, réunis pour l’occasion. Il proposera de redonner du sens au

progrès et signalera que l’urgence n’est plus à la connaissance45 mais à l’action immédiate,

partagée, coordonnée (Hulot, 2007).

3.3.5 Le réseau Alliance pour la planète

Il est intéressant de signaler la tendance des associations écologistes à se regrouper en super-réseaux. Elles cherchent ainsi à augmenter leur visibilité sociale et politique et l’efficacité de leurs actions, comme le montre l’engagement du réseau d’associations Alliance

pour la Planète, créé en mars 2006, autour de la question climatique :

Nous ne pouvons plus nous voiler la face, le diagnostic de la communauté scientifique est clair : la situation environnementale de la Terre est désastreuse, et les dégâts causés à la planète touchent en premier lieu les plus démunis […] Face aux enjeux planétaires : notre seuil d’efficacité est atteint […] Nous avons la possibilité mais aussi le devoir de nous rassembler pour agir plus efficacement, face à la toute puissance des lobbies économiques […], à l’inertie du monde politique et des autres institutions qui acceptent de sacrifier notre futur pour des intérêts catégoriels à court terme. Ensemble, nous représentons une force citoyenne capable d’inverser la tendance, d’inventer et de construire un nouveau pouvoir et un autre avenir. (Extrait du Manifeste de l’Alliance pour la planète,

2006).

Ce réseau, dont les associations précédemment citées font partie, organisera l’opération 5 minutes de répit pour la planète, avec un effet d’agenda clairement revendiqué, à quelques mois de l'élection présidentielle française (mai 2007) et un jour avant la publication du quatrième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution des climats (le 2 février 2007). L’objectif de l’opération est la visibilité médiatique :

Tout le monde éteint ses veilles et lumières le 1er février 2007 entre 19h55 et 20h00. Il ne s’agit pas d’économiser 5 minutes d’électricité uniquement ce jour-là, mais d’attirer l’attention des citoyens, des médias et des décideurs sur le gaspillage d’énergie et l’urgence de passer à l’action ! 5 minutes de répit pour la planète : ça ne prend pas longtemps, ça ne coûte rien, et ça montrera aux candidats à la Présidentielle que le changement climatique est un sujet qui doit peser dans le débat politique. Pourquoi le 1er février ? Car le lendemain sortira, à Paris, le nouveau rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) des Nations Unis. Cet événement aura lieu en France : il ne faut pas laisser passer cette occasion de braquer les projecteurs sur l’urgence de la situation climatique mondiale. (Extrait du message électronique diffusé

par Alliance pour la planète).

Cette opération s’est appuyée sur une stratégie de communication fondée sur la diffusion de tracts au format électronique, en utilisant le vaste réseau d’adresses électroniques des

45 Cette remarque fera d’ailleurs dire à Jean Jouzel, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace : j’entends dire

par exemple que maintenant que l’on sait que le climat va se réchauffer, nous n’avons plus besoin de recherches sur le sujet. Alors qu’elles sont plus nécessaires que jamais ! […] On ne peut pas se contenter de recherche technologique : la connaissance n’est pas restreinte à l’innovation (Journal du CNRS n°226 de novembre 2008).

membres adhérents aux associations d’Alliance pour la planète. Dès le lendemain, les journaux télévisés parleront de cette opération et des controverses soulevées sur son efficacité en terme de réduction de la consommation énergétique.

Au final, il faut donc signaler le caractère homogène du récit de ces différentes ONG, reprenant le récit politique lié à l’expertise officielle. La visibilité sociale des ONG leur permet d’espérer contribuer à la mobilisation socio-politique par des effets d’agenda et par la construction de réseaux d’alliance.