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Le contexte institutionnel du dispositif de production et de recherche recherche

Enseignement de la question climatique et Éducation au développement durable :

1.1. Le contexte institutionnel du dispositif de production et de recherche recherche

En 2004, l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) met en place un projet d’accompagnement de la généralisation de l’éducation au développement durable. Je propose ici de rappeler les grandes lignes de ce projet, afin de pouvoir établir le contexte dans lequel a été menée cette expérimentation.

1.1.1 Transférer des informations scientifiques fiables et actualisées

En juillet 2003, Naoum Salamé, directeur adjoint de l’équipe de recherche en technologie éducative de l’INRP, propose à Michel Ricard, responsable du plan national de généralisation

de l’éducation au développement durable (EDD), la mise en place d’un dispositif de transfert vers l’enseignement d’approches des problèmes complexes qui font appel simultanément aux

connaissances et méthodes des disciplines scientifiques et à celles des sciences humaines et sociales (Salamé, courrier interne, juillet 2003). Ce dispositif d’ingénierie didactique mobilise

des équipes d’enseignants associés à l’INRP. Il devrait pouvoir accompagner des opérations de formation des personnels dans la perspective de généralisation de l’éducation au développement durable.

L’objectif est de mettre à la disposition des enseignants et des élèves des informations

fiables, rassemblées sous la forme de base de données permettant l’actualisation des connaissances (Salamé, courrier interne, juillet 2003). Dès son origine, la proposition de

Salamé s’inscrit donc dans l’optique d’une transmission de connaissances scientifiques fiables et actualisés, et dans le déficit model (page 129). La question de la fiabilité laisse supposer que certaines informations disponibles sur ces problèmes complexes ne seraient pas dignes de confiance. Salamé envisage également la mise en œuvre d’enquêtes (dont celle de Boyer et Pommier, 2005), afin d’apporter des éclairages sociologiques, didactiques et pédagogiques pour l’opération développement durable (Salamé, courrier interne, juillet 2003).

Dès septembre 2003, Michel Ricard accepte la participation de l’INRP à l’amélioration de l’éducation à l’environnement et au développement durable en milieu scolaire108. Dans sa lettre de mission, Ricard rappelle que le projet éducatif national en faveur du développement durable doit permettre l’acquisition progressive et cohérente […] d’une culture de l’environnement et du développement durable et le développement des comportements

appropriés à tous les échelons de la société […] (Ricard, lettre de mission INRP, septembre

2003). A première vue, les deux objectifs de l’éducation au développement durable sont ainsi explicités : assurer une transmission contrôlée de connaissances et développer des comportements citoyens écoresponsables.

La mission INRP commence à la rentrée scolaire 2004. Salamé me charge alors de coordonner les travaux de deux équipes pluridisciplinaires de quatre enseignants, dans les académies de Grenoble et de Lyon.

108 Au même moment, pour l’année 2003-2004, l’inspection générale et la direction de l’enseignement scolaire lancent une série d’expérimentations pédagogiques dans dix académies françaises afin d’identifier les difficultés de l’approche pluridisciplinaire et partenariale.

1.1.2 Le lancement d’équipes d’enseignants sur les changements

climatiques

En septembre 2004, Salamé définit le travail attendu par chaque équipe d’enseignants associés. Au total huit enseignants du secondaire sont recrutés, sur recommandations des inspecteurs pédagogiques régionaux. Ils seront rémunérés chacun pour un total de 72 heures supplémentaires annuelles. Les disciplines scolaires représentées sont les sciences de la vie et de la terre (SVT), les sciences physiques et chimiques (SPC), les sciences économiques et sociales (SES) et l’histoire géographie (HG)109.

Le choix de la thématique des changements climatiques s’explique par la place de ce thème dans les discours politiques du développement durable mais également par le fait qu’elle se rapproche de ma formation universitaire en sciences de la Terre et de ma mission précédente à l’École normale supérieure de Lyon110.

Salamé propose que les enseignants se penchent sur le transfert des connaissances produites par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Étant donné la composition pluridisciplinaire des équipes, avec la présence d’enseignants de sciences humaines et sociales, Salamé centre l’activité didactique sur les rapports d’expertise des groupes II et III du GIEC (2001), évoquant les mesures d’adaptation et d’atténuation face

aux changements climatiques.

1.1.3 Les premières réactions des enseignants

Cette proposition mettra en difficulté les enseignants des équipes INRP 2004-2006 pour les raisons suivantes. En se référant directement à des contenus élaborés par le monde de la recherche scientifique, la consigne se déconnecte des pratiques enseignantes fondées sur la mise en œuvre de programmes d’enseignement disciplinaire. Le niveau de lecture scientifique

109 Les huit enseignants sont répartis dans sept établissements différents dans les académies de Grenoble et de Lyon. Deux enseignants exercent en collège alors que les six autres sont en activité dans des lycées. J’ai rapidement pensé que cette structure dispersée, indépendamment de ma volonté, était un facteur de difficultés pour le travail collaboratif des enseignants autour d’un même projet.

110

J’avais développée, de 1999 à 2003, à proximité d’un laboratoire de recherche de l’École normale supérieure de Lyon, un site de ressources scientifiques pour l’enseignement secondaire des sciences du climat, à partir d’un partenariat avec une centaine de chercheurs (Réforme 2000 de l’enseignement scientifique en lycée, Urgelli, 2005). Pour cette raison, durant la durée totale du projet à l’INRP (2004-2007), une demande administrative pressante de développement de partenariats scientifiques sera formulée afin de faciliter l’identification de ressources pour l’enseignement, de valider officiellement les contenus des productions des enseignants et de leur donner une visibilité institutionnelle plus large.

que supposent les rapports du GIEC mais également la difficulté à inscrire le thème dans les programmes disciplinaires sont les deux difficultés signalées par les enseignants.

Durant l’année 2004-2005, des discussions au sein des équipes porteront sur le sens de ce projet. Elles m’obligeront à redéfinir les consignes en prenant en compte les difficultés d’interprétation des enseignants. Dès février 2005, je propose à Salamé de modifier la thématique afin de permettre aux enseignants de développer des ressources scientifiques pour l’enseignement en intégrant leurs préoccupations didactiques. Il fallait que le thème permette à chaque enseignant de trouver sa place dans le projet, en prenant en compte son attachement disciplinaire111. Les enseignants de sciences physiques et chimiques de Grenoble (SPC-Grenoble et SPC-Lyon) proposent ainsi de prendre la question climatique sous l’angle énergétique, en s’intéressant aux technologies permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le thème des travaux didactiques, pour la rentrée de septembre 2005 deviendra

Changement climatique, énergie et développement durable. Pour les deux enseignants de

sciences économiques et sociales, il faut laisser ouverte la possibilité de s’inscrire en position critique vis-à-vis du modèle de développement durable. Les discussions lors de la seconde année de travail (2005-2006) conduiront ainsi à redéfinir le thème sous l’appellation Climat,

énergie et développement. Thème de l’année 2004-2005 (septembre 2004) Thème de l’année 2005-2006 (septembre 2005) Thème de l’année 2006-2007 (septembre 2006) Mesures d’atténuation et d’adaptation face aux changements

climatiques

Changement climatique, énergie et développement durable

Climat, énergie et développement

Évolution du thème de travail didactique, durant les trois années scolaires de l’expérimentation INRP.

Avec les mêmes équipes d’enseignants pour l’année 2005-2006, les consignes de Salamé restent pourtant les mêmes : produire des bases de connaissances scientifiques en relation avec les rapports d’expertise du GIEC (2001) sur les mesures d’atténuation et d’adaptation face aux risques climatiques. La définition administrative et officielle du projet didactique de l’INRP (Salamé, 2005) montre le recours à l’énumération de nombreux problèmes inter-reliés pour justifier la place éclairante des sciences et la nécessité d’un enseignement scientifique pour une éducation au développement durable :

[…] les problèmes climatiques, démographiques, industriels et sanitaires qui affectent la planète, liés à des évolutions naturelles, induits par les activités humaines, prévisibles ou exceptionnels nécessitent des éclairages scientifiques pour expliquer et prévenir des phénomènes complexes dont les origines et

111 On appellera dans cette étude attachement disciplinaire d’un enseignant, ses représentations et ses pratiques de sa discipline d’enseignement.

les solutions mettent en jeu des intérêts politiques économiques, culturels. L’éducation qui ne peut ignorer ces débats […] se trouve ainsi confrontée à des savoirs qui relèvent de la science en marche

(Salamé, 2005).

Pour lever la difficulté de lecture des rapports du GIEC, je propose aux enseignants de réaliser une veille scientifique individuelle afin d’identifier des ressources faisant selon eux l’actualité de la question climatique. Cette veille consistera le plus souvent à signaler collectivement une information Internet en relation avec notre thème de travail. Ces informations seront placées dans la rubrique Actualités du site d’accompagnement de l’éducation au développement durable de l’INRP (site EEDD Climat, référence en ligne : http://acces.inrp.fr/eedd/climat).

A chaque identification d’une ressource médiatique, j’ai proposé aux enseignants d’élaborer une mise au point scientifique pour leurs collègues des autres disciplines et si possible une mise en scène pédagogique, pour tenter de transformer la ressource en opportunité d’enseignement. Au regard des productions réalisées par les enseignants sur la période 2004-2006, force est de constater que la veille médiatique a conduit essentiellement à la réalisation de revues de presse. Par ailleurs, les collaborations pluridisciplinaires autour du thème socioscientifique n’ont pas été effectives durant les deux premières années du projet INRP (2004-2005 et 2005-2006), comme le montrent le document de synthèse des productions didactiques réalisées (voir les annexes page 360).

1.1.4 Les productions des enseignants des équipes 2004-2006

Le bilan des productions des équipes 2004-2006 est présenté en annexe (page 360). L’ensemble est disponible sur le site EEDD Climat de l’INRP.

Même si les enseignants ont fait l’effort d’identifier dans leurs travaux des pistes de croisement pluridisciplinaire, leurs travaux sont essentiellement de nature disciplinaire et en relation avec les contenus et les pratiques existants. Des articles et des fiches documentaires disciplinaires ont été produits pour répondre à la demande de production de mises au point

scientifique et de bases de connaissances pour accompagner les enseignants dans l’éducation

au développement durable.

Quelques grilles de relecture des programmes disciplinaires sont proposées par les enseignants de SVT et de SES, afin d’identifier des points d’ancrage entre l’existant et le programme d’éducation au développement durable.

Dans les propositions pédagogiques des enseignants, on retrouve l’ensemble des constats sur les pratiques évoqués par les inspecteurs généraux Bonhoure et Hagnerelle dans leurs

rapports (2003 et 2004) : les mises en scène pédagogiques sont parfois inscrites dans les temps d’enseignement disciplinaire mais le plus souvent dans les temps d’enseignement de pédagogie active, pour plus de souplesse vis-à-vis de la programmation nationale des contenus d’enseignement disciplinaire112. Dans les productions des enseignants sur la période 2004-2006, on retrouve les difficultés d’organisation d’approches pluridisciplinaires relevées dans l’enquête de Boyer et Pommier (2005). Réalisée auprès d’une quarantaine d’enseignants du secondaire, les enquêtés signalaient alors la nécessité d’être formé au travail collaboratif et à la gestion de débats en classe, notamment autour de questions controversées, mobilisant des valeurs.

Devant ces constats et au terme de deux années d’expérimentation, dès la fin de la deuxième année scolaire (2005-2006), j’ai pris la décision de définir un nouveau contrat de travail avec deux nouvelles équipes d’enseignants. C’est dans le cadre de ce second projet INRP que se situe l’analyse socio-didactique qui suit. Voici les grandes lignes de la situation expérimentale fabriquée pour explorer les formes d’engagement des enseignants dans le traitement de controverses médiatisées sur les risques climatiques mais également dans l’éducation au développement durable.