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entre didactique et communication

1.4. De ce que la médiation fait aux questions d’environnement

1.4.7 Rationalités et valeurs dans les communications

Comme le précise Babou (1999), cerner le concept de rationalité92 peut permettre de constituer une grille de lecture de situations de communications. Babou montre que le concept de rationalité s’est émancipé progressivement de la foi, puis de la raison philosophique au XIXe siècle, et enfin des sciences et des techniques au XXe siècle, avec la critique de la dimension prétendument universelle de la rationalité. La rationalité est devenue alors sociale : elle intègre des valeurs et elle est susceptible de créer une mobilisation sociale. Pour l’auteur, la publicisation moderne des sciences et de leurs pratiques s’accompagne d’un exercice collectif et institutionnalisé de la raison. Les rationalités s’expriment donc dans les situations de communication à propos de sciences.

La vision positiviste de la rationalité scientifique est associée à la pensée cartésienne et à sa méthode analytique. J’ai évoqué l’incapacité à saisir la complexité des questions d’environnement dans le cadre de cette pensée analytique et quantitative. Avec cette vision, c’est une image particulière du rapport de l’homme au « réel » qui se construit. D’après Borkenau (1985) cité par Babou (1999, p. 76) :

La science de Galilée, Descartes, Pascal, et Newton a pour caractéristique commune d'être mathématique. […] cela même les sépare profondément de la grande majorité des systèmes de la Nature créés par la Renaissance. La philosophie naturelle de la Renaissance est " qualitative ", autrement dit, elle traite les qualités sensibles comme les faits ultimes de la nature et étudie leurs rapports. La science du XVIIe siècle, au contraire, est " quantitative ", c'est-à-dire, qu'elle s'efforce avec succès de réduire les qualités sensibles telles que la dureté, le poids, le son, la lumière, etc., à de simples quantités, et de décrire la transformation de ces quantités en des formules mathématiques.

Dans son glossaire thématique, Lavelle (2006, p.276) définit la rationalité comme une

modalité de la raison en ceci qu’elle n’est pas à proprement parler une faculté de l’esprit mais plutôt une caractéristique des productions de l’esprit. Lavelle développe sa définition en

ces termes :

La rationalité est une norme de validité des connaissances et des actions, des discours et des jugements qui, par l’exigence de démonstration, d’argumentation et de justification […] fonctionne comme un critère de démarcation des points de vue dont les auteurs aspirent à reconnaître leur légitimité par autrui. Lavelle (2006).

Cette définition renforce l’idée que toute production discursive, qu’elle soit médiatique ou didactique, mobilise des formes de rationalités, notamment lorsqu’il s’agit de communiquer autour de controverses. La rationalité caractérise et émerge du discours.

92

La rationalité scientifique est généralement considérée comme une procédure (méthode, moyens) mise en

Kant, cité par Lavelle (2006), propose l’existence de deux champs distincts de rationalités : le champ de la rationalité théorique (la cognition, la science, la croyance) et le champ de la rationalité pratique (l’action, la morale, le désir). Ainsi, à propos d’une catastrophe météorologique, il peut être rationnel de croire en la possibilité de son existence du point de vue de la rationalité théorique, mais il peut être également rationnel de croire en la possibilité de l’éviter, dans le cadre de la rationalité pratique. On se détache donc des partisans de la vision scientifique du monde selon laquelle les sciences auraient le monopole du rationnel.

Habermas (1987, cité par Lavelle, 2006) précise que les situations de communication peuvent permettre d’explorer des conflits de rationalités, voire de les dépasser. Si l’on considère les controverses médiatisées comme des situations de communication dans lesquelles s’affrontent différents points de vue et donc des conflits de rationalités, je propose donc qu’à travers l’analyse les débats qui accompagnent des controverses socioscientifiques, il est possible d’identifier des rationalités, porteuses de valeurs et d’idéologie. Selon Babou (1999), des valeurs sont actualisées dans des situations de communication et leur évolution est décelable au cours du temps :

On peut proposer l'exemple simpliste suivant pour fixer les idées : si l'on considère le corpus des westerns hollywoodiens des années cinquante, on peut penser qu'ils légitiment une idéologie de la suprématie de l'homme blanc sur les indiens. L'axiologie des catégories " bons cowboys " vs " mauvais indiens ", constituerait, par sa répétition systématique dans le discours cinématographique de ces années-là, la marque de cette idéologie. Plus tard, certains westerns apparaîtront, qui inverseront les valeurs attribuées à l'axiologie qui deviendra " bons indiens " vs " mauvais cowboys ". On peut penser que cette inversion des valeurs […] instaure une idéologie de la culpabilité américaine face au génocide indien.

L’analyse de Chavez (2003) permet d’identifier la diversité des systèmes de valeurs liée aux questions d’environnement :

Il existe des systèmes de valeurs qui sont qualifiés d'éthiques particulières de l'environnement […] l'éthique de l'environnement peut être comprise comme l'ensemble des " valeurs " (principes à la base de l'action) qui guident notre relation à l'environnement et qui font partie de l'ensemble de croyances, mythes et représentations de notre culture. Il s'agit dans ce cas de l'éthique de l'environnement comme un code, implicite ou explicite, qui guide notre relation avec l'environnement. […] L'éthique de l'environnement est le processus de réflexion et d'analyse au sujet de notre relation à l'environnement et au sujet d'autres manières de se mettre en relation avec lui.

Pour Chavez (2003), dans le cadre de la rationalité scientifique positiviste occidentale, où les sciences et les technologies sont des formes culturelles particulièrement valorisées, notre relation à l'environnement est guidée par la conception anthropocentriste des relations entre les êtres humains et la nature. Cette représentation amène à une idée instrumentale de

connaissance) attestée par un public (l'intersubjectivité possible permettant la construction des faits) (Babou,

l'environnement. Les sciences et les technologies ont alors comme mission fondamentale de comprendre les phénomènes de l'univers pour nous aider à mieux nous servir de l’environnement. Comme le précise Descartes dans son Discours de la méthode (1637), l’homme est comme maître et possesseur de la nature.

A l'intérieur de la culture occidentale, d'autres éthiques de l'environnement coexistent. Le tableau de Chavez (2003)93 propose une synthèse de quatre formes principales d’éthique de l'environnement : la conception anthropocentriste, les droits de animaux, la conception

biocentriste et la conception écocentriste :

Conception anthropocentriste

Droits de animaux

Conception biocentriste

Conception écocentriste

93 Tableau élaboré par Chavez à partir de auteurs suivants : Beauchamp, 1991, 1993; Beauchamp et Harvey, 1987; Callicot, 1989, 2001; Des Jardins, 1995; De Vido, 1993; Dower, 1989; Duhamel, 1996; Goffi, 1999; Jonas, 2000; Larrère, 1997,1999; Prades, 1995; Sauvé et Villemagne, 2002.

Certains auteurs, comme la géographe Veyret (2004), ne distinguent que trois conceptions des relations de l’homme à son environnement. La conception anthropocentriste considère que la protection est justifiée par l'utilité de la nature pour l'homme auquel elle

fournit des ressources et un cadre de vie […]. En considérant la réversibilité ou l'irréversibilité des actions anthropiques, il devient donc nécessaire de gérer l'incertitude, ce qui implique de mettre en pratique le principe de précaution. La conception écocentriste met

plutôt l’accent sur la protection de la nature94. Enfin, à partir de l’analyse de l’émergence du

concept de développement durable, Veyret (2004) considère l’existence d’une troisième éthique de l’environnement, intermédiaire entre les deux précédentes : cette éthique se fonde sur des valeurs comme l’équité, la solidarité, la responsabilité, la sécurité, la temporalité

nécessaire pour assurer un développement soutenable de l’humanité.

Peretti-Watel et Hammer (2006) s’intéressent également à l’éthique des relations de l’homme à la nature. Ces auteurs se réfèrent à Catton et Dunlapp (1978) qui estiment que deux conceptions, qualifiées de paradigme, peuvent expliquer les craintes écologiques des individus : d’une part le paradigme de l’exception humaine (anthropocentriste, optimiste et techniciste) qui postule la supériorité de l’homme sur la nature et la possibilité pour l’humanité de modeler la nature à volonté ; et d’autre part, le paradigme écologique dans lequel on considère que l’homme peut causer de graves déséquilibres à la nature et n’a pas plus de droits que les autres espèces vivantes.

Sur la question de la responsabilité de l’homme dans l’évolution climatique, on peut penser que ces différentes éthiques de l’environnement vont se manifester dans le cadre de situations de communication autour de controverses.