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Sur le modèle des conférences de consensus du Danemark, de la Hollande ou de l’Angleterre, la conférence de citoyens est une situation collective de délibération. Durant un débat public, les experts ont un rôle consultatif : ils sont invités à répondre aux questions formulées par les citoyens. Cette situation de communication est médiatisée puisque à la suite de la délibération, le rapport officiel du panel de citoyens est rendu public. L’exercice est intéressant dans la mesure où il confronte des visions différentes de la question : celles des scientifiques experts et celles des citoyens. Ce qui est demandé, c’est la production de recommandations à l’attention des décideurs. Dans l’exemple de la conférence citoyenne sur les changements climatiques de février 2002, le rapport citoyen a été transmis à la délégation française qui s’est rendue au Sommet mondial du développement durable à Johannesburg en septembre 2002.

Certains expriment des réticences à la mise en œuvre de ces conférences. En effet, si on se place dans le cadre d’une idéologie de la compétence, on peut craindre l’exercice qui consisterait à ériger l’innocence en capacité à formuler des oracles (Roqueplo, 1998). On peut également y voir une tentative de délégation de responsabilités des politiques aux citoyens, face à la complexité des situations. Dans ce contexte, Natali (2001) précise qu’il faut également être attentif aux risques d’instrumentalisation de la parole citoyenne pour légitimer

celle du décideur.

4.3.1 Le déroulement de la conférence de citoyens

La conférence citoyenne dont je vais parler a eu lieu les 9 et 10 février 2002, sur le thème changements climatiques et citoyenneté. A l’initiative de la Commission française du développement durable et en collaboration avec la Cité des Sciences et de l’Industrie, elle a été pilotée par un comité de 12 membres représentant des organismes de recherche, les ministères de l’aménagement du territoire et de l’environnement, des représentants de la cité des sciences et de l’industrie, un élu, un journaliste, un économiste et un ingénieur consultant spécialiste des changements climatiques. Les citations qui vont suivre sont extraites du rapport officiel rendu par le panel de citoyens, le 11 février 2002.

Seize citoyens de profils sociodémographiques divers ont été rassemblés par un organisme indépendant. Ils ont été suivis par un animateur psychosociologue et sont restés dans l’anonymat jusqu’au débat public du 9 et 10 février 2002. Au cours des deux week-ends précédents, à huit clos, sans l’intervention des membres du comité de pilotage, ils ont reçu

une formation aussi complète que possible sur le thème, avec intervention des meilleurs spécialistes issus des milieux de la recherche et de l’université. A l’issue de la formation, les

citoyens ont décidé des thèmes à approfondir et des profils des intervenants qu’ils souhaitaient inviter au débat public des 9 et 10 février 2002. Après avoir animé eux-mêmes le débat, ils se sont retirés pour rédiger un rapport remis à la presse.

Encore une fois, je porte mon attention dans leurs travaux sur les deux points suivants : le rapport à l’expertise officielle sur les changements climatiques et les stratégies de mobilisation sociale envisagées par le panel de citoyens. Il s’agit bien entendu de les mettre en rapport avec ceux identifiés dans les discours socio-politiques.

4.3.2 Le rapport à l’expertise sur les changements climatiques

En introduction, les citoyens se déclarent convaincus que le réchauffement anthropique est lié aux modes de vie des citoyens, en raison des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit pour eux d’une préoccupation environnementale. Les résultats de l’expertise officielle sont relayés, dans leurs aspects consensuels et alarmistes. Il est vrai que l’enjeu de la conférence n’était pas de discuter sur ces résultats. Mais sachant que l’action sociale se fonde malgré tout sur le verdict de l’expertise, on aurait pu s’attendre à quelques questionnements sur les limites de cette expertise scientifique. La confiance envers les scientifiques, exprimée dans les enquêtes de l’ADEME, explique probablement l’adhésion au message scientifique

sans discussions. Je pense aussi qu’il faut s’interroger sur les effets du contexte dans lequel ont été placés les citoyens durant leur formation à huit clos. On peut se demander quelles représentations de l’expertise ont été véhiculées par les meilleurs spécialistes issus des

milieux de la recherche et de l’université ayant formé en préalable les citoyens de la

conférence.

D’ailleurs Bourg (2003) souligne les limites de cette formation préalable. Il faudrait donner aux citoyens une culture scientifique et technique pour une lecture critique des informations apportées par les experts. Les programmes d’enseignement et les dispositifs de

vulgarisation devraient favoriser le développement de cette culture en matière de philosophie des sciences, nécessaire à l’exercice des droits et des devoirs citoyens50.

4.3.3 L’information, l’éducation et la participation citoyenne pour

l’action

Dans le débat public du 9 et 10 février 2002, les citoyens ont questionné l’urgence d’une prise de conscience collective et de changements de comportements. Les citoyens se démarquent des discours politiques de mobilisation en affirmant que seule l’émergence

d’instances de concertation destinées à favoriser le débat public, telles que cette conférence de citoyens, nous fera prendre la mesure du problème et changer nos comportements en conséquence. C’est donc le processus participatif lui-même qui est sollicité et reconnu comme

efficace dans le cadre de la démocratie directe51.

Comme dans les débats préparatoires de la Charte de l’environnement (2003) ou du

Grenelle de l’environnement (2007), je constate que les citoyens recommandent l’éducation et la sensibilisation en vue de favoriser les comportements citoyens. Après avoir signalé que la

prise de conscience et le changement citoyen ne peuvent passer que par des instances de

concertation, les citoyens estiment que les changements de comportements nécessitent

l’éducation et l’information des publics.

50

Pour Bourg (2003) une culture en matière de philosophie des sciences permettant de comprendre ce que sont une hypothèse, une preuve, un énoncé proprement scientifique, la portée et les limites de l’incertitude, etc. apparaît tout aussi nécessaire. Elle éviterait notamment que l’on puisse mettre en balance les propos d’un chercheur isolé et ceux d’une communauté de chercheurs organisée comme l’IPCC, procédant de façon protocolaire à l’examen d’hypothèses diverses.

51 Les citoyens préciseront d’ailleurs en conclusion du débat que les instance démocratiques traditionnelles ont

Deux voies de mobilisation sociale sont donc proposées par les seize citoyens : une liée à la diffusion de connaissances et l’autre à la participation citoyenne. Ils revendiquent l’ouverture citoyenne de cette expertise : le problème lié aux changements climatiques nous concerne tous et ne doit plus demeurer l’apanage des scientifiques et des politiques.

Dans la troisième partie52 du débat public, les citoyens proposent des recommandations sur l’information citoyenne, actions citoyennes, et comportements

individuels et collectifs. Ils estiment que la responsabilisation suppose qu’un lien soit établi

entre modes de vie et conséquences des changements climatiques. Selon eux, c’est un problème d’information. L’ignorance citoyenne est grande sur les causes et les conséquences de ce phénomène. L’information doit donc permettre le développement des connaissances.

Selon les citoyens, l’information télévisuelle est incomplète et la télévision ne joue pas le rôle qu’on est en droit d’en attendre. Les citoyens réclament des campagnes d’information,

par exemple des spots télévisés témoignant d’expériences positives […] des émissions thématiques, des campagnes de sensibilisation choc, etc. La question des messages choc

traduit probablement une vision de la médiation capable d’effets puissants et directs sur les téléspectateurs. On propose également une plaquette qui traduise en termes d’émissions de

CO2 tous les actes de la vie courante et qui permette d’évaluer les gains obtenus grâce aux changements de comportements. Au registre des opérations médiatiques de grande envergure,

on propose une journée nationale de lutte contre l’effet de serre53 et une année de lutte contre

l’effet de serre à l’échelle des Nations Unies54.

son devenir […] la citoyenneté peut être le vecteur d’une solidarité universelle, seul comportement rationnel et responsable face à un choix crucial.

52

La première partie du débat présente une série de moyens à mettre en œuvre pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre (dans le domaine des choix énergétiques, des transports, de l’habitat, de l’indemnisation des catastrophes naturelles). La seconde partie expose des mesures pour favoriser les négociations internationales autour de la question de la responsabilité des pays du nord, de la collaboration internationale dans le cadre du Protocole de Kyoto, de la mise en place d’organismes de surveillance, de la réintégration des États-Unis dans les négociations, de la gestion du trafic aérien, de l’aide aux pays défavorisés. On retrouve ici la question de la responsabilité, de l’équité et du développement solidaire évoquée par les experts scientifiques et politiques au sujet de l’évolution des climats mais surtout au sujet des limitations des émissions de gaz à effet de serre.

53 Le ministère de l’écologie et du développement durable proposera à partir de 2003 le lancement d’une semaine nationale du développement durable durant laquelle les questions de changements climatiques et de changements de comportements citoyens seront centrales.

54 Les Nations Unies qui ont déjà déclaré une journée mondiale de l’environnement, proposeront à la suite du Sommet de Johannesburg en 2002, une Décennie UNESCO de l’éducation en vue du développement durable pour la période 2005-2014.

Conformément à l’enquête de l’ADEME concernant la confiance accordée aux associations écologistes pour l’information et l’action, les seize citoyens proposent une aide aux associations dont la finalité est de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre mais également aux associations de jeunesse et d’éducation populaire afin de les inciter à monter des projets locaux et à diffuser l’information sur les changements climatiques. Encore une fois, éducation et information sont associées au projet de responsabilisation et de changements de comportements. La place de l’éducation est précisée dans les deux dernières recommandations :

Sensibiliser les enfants en milieu scolaire dès le plus jeune âge : mise en place de projets au sein des écoles - Généraliser ces enseignements à toutes les classes d’âge par des méthodes appropriées.

Il est intéressant de noter que ce sont ces deux mesures qui orienteront l’ensemble de la politique éducative pour l’environnement et le développement durable55 dès 2003, encore une fois pour développer des comportements citoyens responsables envers l’environnement.

Enfin, il est frappant que les personnes du panel ne discutent pas le programme politique du développement durable qui insiste sur les changements de comportements. On aurait pu s’attendre à une interpellation des acteurs politiques, économiques et industriels, au sujet de ce modèle de développement. Apparemment, les citoyens assument pleinement une responsabilité individuelle et collective dans le problème lié aux changements climatiques

[…] qui ne doit plus demeurer l’apanage des scientifiques et des politiques (Rapport officiel

du panel de citoyens, 10 février 2002, p.3/12). Leurs recommandations politiques sont inscrites dans le cadre idéologique défini précédemment, autour du lien entre expertise climatique et développement durable. On trouve des propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre qui correspondent globalement aux propositions du Plan Climat (2004) et du protocole de Kyoto (1997). Les citoyens concluent que l’on se trouve face à un choix

crucial : soit nous continuons dans la voie actuelle d’une croissance économique forte et nous sacrifions les générations futures, soit nous modifions radicalement nos comportements et nous garantissons un développement durable de notre planète (Rapport officiel du panel de

citoyens, 10 février 2002, p.12/12). Le panel citoyen interroge donc le lien entre l’évolution climatique et le développement durable, autour d’un modèle de croissance économique qu’il estime trop fort pour garantir la satisfaction des besoins des générations futures.

55 Pour le président Chirac (2007), la révolution écologique doit passer par l'éducation de tous, et notamment des