entraitdans ce qu'ona
pu
appeler la«terreurargentine». Copiste, de Napoléon, le dictateur l'étaitausside Robespierre.On
dressa des listes de proscription. L'une d'elles, toute entière écrite de lamain
de Rosas, comptait 9442noms.
Délations, exils, exécutions sommaires, violences dansla rue, rien ne manquait, pasmême
le grotesque.Un
jour les Jésuites furentdénoncés pour
avoir décoré leur église derameaux
verts, et leur supérieurpour
avoir dans son confessionnalun
coussin bleu;le vert et le bleu, couleurs iinitaristes. Bientôt les tendances scliismatiques, les exigences inacceptables de
Rosas
se multi-pliant, les Jésuites, à bout de prudence et de circonsception, prirent le parti de disparaître.Ce ne
fut pas sans peine, etil fallut ruser, car le dictateur entendait bien les garder et les
amener
à le servir. Ils fermèrent leur maison, se disper-sèrent, et leur supérieur parvint à gagner Montevideo (1841).VII
Allait-on maintenant pouvoir aborder quelque part l'œuvre des missions de sauvages ?
Un moment
les Pères furent surle point de se voir confier par le Chili lesterriblesAraucanos.
Mais
on
voulait avoir ses Jésuites à soi, indépendants deRome.
Les
négociations furentrompues
(1843).Les Pères essayèrent de se tourner vers le Paraguay. L'é-trange petiterépublique s'enfermait alors dans
un
isolement ab-solu.Personne
ne passait la frontière.Le
président tenait son peuple en tutèle, monopolisaitcommerce,
industrie, agriculture.Ilempêchaittout rapport de l'Eglise avec
Rome. Pas
d'évèques,un
clergé réduit àune
poignée de prêtres, pas de recrute-ment, pas de séminaire, pas d'autorité.Le
vicaire épiscopal recevait sa juridictiondu
président, et la vie chrétienne ne s'exerçaitque
sous la sanction de la police.Comment
dès lors entrerau Paraguay?
Les Jésuites cependant le désiraient d'autant plus que, là
du
moins, quelque chosesubsistaitencore des anciennes réductions.Des
Indiens vivaient groupés autour de leur église, cultivantcomme
autrefois la terre encommun,
mais très pauvres etAMÉRIQUE LATINE o7
très abandonnés.
On
fitdonc demander au
présidentLopez
rautorisation demonter
à la capitale.Chose
assez extraordi-naire, elle se fit attendre, mais ellene
fut pas refusée.En
1843,deux
Jésuites reparaissaient à Assurapçion. Immédiate- .ment
ils se donnèrent au travail, suppléant de leurmieux au manque
de prêtres, se dévouantaux
malades pendantune
épidémie de variole, épiant toutes les.occasions d'entreren
rapport avec les tribus indiennes de la frontière, pourtant l'avenir s'annonçait mal.Evidemment
là encore,on
voulait bien des Jésuitescomme
individus, maisnon
pas de laCompagnie.
Et les Pères se demandaient pourquoi
on
les avait séparés, assignant à chacun son posteaux deux
bouts de la ville.Symptôme
plus grave : lesrelations venaient de reprendre avecRome
;on
allait avoirun
évêque, le propre frèredu
prési"dent
Lopez
; mais on n'acceptait les lettres papales qu'avec des restrictions d'allure clairement scbismatique. Puis, lesdeux Lopez
étaient le caprice incarné.- Leurs exigences se multi-pliaient rapides, contradictoires. Bref, tout indiquait que, si legouvernement
acceptait les Jésuites, c'étaitàla conditionsecrète qu'ils n'auraient pas de supérieur au dehors, et, au dedans, pas d'autre chefque
le président. Impossible de rester dans ces conditions. Les Pèresdemandèrent
leurs passeports.La
mission avait duré àpeu
près trois ans (1843-1846).Les
Jésuitesne
sont pas revenusau
Paraguay. Lorsque, longtemps après, la république sortit enfin de son inertie et de son isolement scbismatique, les Pères de l'Argentine n'étaient pas enmesure
de répondreaux
invitations pressantes qui leur étaient faites. ,VIII
Pendant
ce temps, à l'Argentine et dans l'Uruguay, la Com-pagnie continuait à passer par les alternatives traditionnelles de persécution et de faveur.Rosas, furieux de voir les Jésuites de
Buenos-Ayres
se dérober à sacompromettante
amitié, leur suscitait partout des ennuis. Et d'abord dans les autres états de l'Argentine :en
1848, il parvenait à les faire expulser de Gordoba. Ils s'étaient réfugiés dans l'Uruguay : il lesy
poursuivit de ses intrigues.S8
CHAPITRE IIpersistant à les accuser d'y faire cause
commune
avec les unitaristes. Enfinen
18S2, après 23 ans de despotisme, il fut renversé.Les
exilés revinrent, les Jésuites reparurent àBuenos-Ayres
et y reprirent leurs œuvres. Mais bientôt leursennemis
eurent leur compensation.On
étaitparvenu
à fonderun
collège à Montevideo, et legouvernement
lui avait accordéde
précieux privilèges. Les logesimmédiatement
de pousser les hauts cris.Le
président, catholique sincère, mais faible, céda à l'ultimatum.Les
Jésuites furent sacrifiés, 1838.On ne
les a rappelés qu'en 1873.
Dès
lors, ils ont.vécu
assez tranquilles dans lesdeux
républiques.En
1875 seulement, ilseurent àBuenos-Ayres une
forte alerte.Le
bruit couraitque
l'évêqne songeait à leur rendre .leur ancienne église. Or, la penséeque
les Jésuites pouvaientrentrer en jouissance de leurs biensdu XVIIP
siècle Jetait les loges dans la terreur.Une émeute
eut lieu.Le
collègeSan
Salvador fut pillé, et faillit être brûlé.Des
Pères furent blessés et jetésen
prison. Puis l'orage passa.Même
sécurité relative au Chili, oii ils ont été également appelés par l'archevêque. Cette république, pendant longtemps la plus raisonnable du sud, les a laissés àpeu
près en paix exercer leurs ministères. Lesmenaces
pourtant n'ont pasmanqué
de la part des radicaux.Ces
dernierstemps
surtout, les Chiliensontsemblé
tout prêts à copier lesexemples venus
de France.Au moment où nous
écrivons, rien n'a été faitencore; les religieux sont toujours au Chili, et peut-être leur
dévouement
pendant les grands sinistres de 1906, leurvau-dra-t-il quelques années tranquilles.
Le
Chili, l'Argentine, l'Uruguay, relèvent de la province d'Aragon. Quelques pères allemands s'occupent de leurs com-patriotes à Puerto-Montt.La
missioncompte
310 religieux dont 167 prêtres presque tous absorbés par lesœuvres
d'éducation, tout spécialement d'éducation cléricale.On
sait si pareilleœuvre
est importanteen un
paysoù, trop longtemps, le clergéa été notoirement au dessous de satâche.Donc,
tandis qu'àRome
les Souverains Pontifes chargeaient les Jésuitesdu
CollegioPio
latino americano,où
ilsélèvent des séminaristesvenus
de tous les jjoints de l'Amériquedu
sud,AMÉRIQUE LATINE 59
àBuenos-Àyres,à SantaFe, à Montevideo, à
Âncud
(Chili), l'épis-copat leur confiait les séminaires. Ils ont aussi d'importants collèges dans les trois capitales, àCordoba
et à Puerto-Montt.CEuvres
fécondesmais
dont l'histoire estdifficile àrésumer
en quelques lignes. C'est,comme
partout, la lutte àarmes
sou-vent très inégales, avec les loges, avec les rivalités uniA^ersi-taires, avec les exigencesparfoisabsurdes desprogrammes,
avec' l'invasiondeplusen
plus large desœuvres
littéraires suspectes, et des idées les plus avancées de la vieille Europe. Maisc'est aussi la formation lente d'un clergé attaché à ses devoirs et d'un petit troupeau de fidèles éclairés et solides.Ce
serait aussi l'histoire, sinous
pouvions la détailler, des missionsdu
Brésil.IX
Leur
origine se rattache égalementaux
troublesde l'Argen-tine etaux
persécutionsdu
dictateur Rosas.En
cetemps
là, legouvernement
brésilien, travaillait à pacifier la province de RioGrande do
Sul, qui s'était insurgéeet, à l'instar de l'Uruguay, voulait se constituerrépublique
auto-nome. A mesure que
l'ordre regagnaitdu
terrain, l'oncherchait des prêtres à envoyer dans les cures abandonnées.Le nonce
proposa à l'évêque de Rio d'employer à l'évangéfisationdu
pays les Jésuites espagnols laissés sans travail à l'Argentine.L'évêque,qui
ne
connaissait lesJésuitesque
parles Provinciales, hésitait, mais il finit par céderaux
instances du nonce, et ainsi fut fondée (1842) la résidence de Porto-Alegre. L'année, suivante l'assemblée provinciale de Santa Catarina appelait encore lesmissionnaires à Desterro, où, en 1846, ils ouvraientun
collège.Or
déjà toute cette région, fertile et sans autres habitantsque
des tribus indiennes errant dans la forêt, attirait les émigrants.On
venait surtoutbeaucoup
d'Allemagne.Le
mouve-ment
avaitcommencé
dès1824
et s'était porté de préférence vers le Rio Grande.En
1844, il y avait sept à huit mille Allemands, autour de la petite villeneuve
de Sào Léopoldo, protestants et catholiques,mêlés
à environdeux
mille Brési-liens.Les
protestants avaient temples et ministres.Les
catholi-00 CHAPITRE 11
ques|s'étaient bâti des églises, mais restaient sans prêtres; per-sonne
ne
les avait suivispour
leurassurerles secours religieux.Quant
à recouriraux
prêtres brésiliens, outre qu'ils étaient rares,mieux
valait le plus souvent les tenir à distance. Les Jésuites espagnols vim^ent visiter ces troupeaux sans pasteurs.Ils prêchèrent pai' interprêtes.
La
population était des plus intéressantes, pleine de loi,ne demandant
qu'à conserver intacte sa religion. Mais il était clair que,' à ces Allemands,il fallait des prêtres allemands.
Où
les trouver?Justementles Jésuites autrichiens venaient d'être
momentané-ment
dispersés.Quelques-unss'enallaienten
Australie suivre leurs compatriotes dans leur émigration. D'autres purent venir au Brésil.Ce
l'ut providentiel.Le moment
n'allait pas tardei' oîi les Pères espagnols se verraientdans la nécessité d'abandonner Desterropour
se consacreraux œuvres
plus fructueuses de Montevideo.Desterro protesta. Plustard
on
essaya de lui rendreson collè-ge.Le
projet n'aboutitpas;
et, en 186G, le collège s'ouvrit ailleurs, à Itu, province de Sào Paulo.La même
année, àl'autre boutdu
Brésil,l'évêque d'Olinda obtenaitquelques Pèrespour une
fondation semblable àPernambuco.
Ces progrès
ne
s'opéraient pas sans luttes. Les protestants avaient apporté.d'Allemagne tous leurs préjugés anti-jésuitiques et anti-romains, celui-ci entre autres,qu'il est loisibleaux
Jésuites défaire massacrer tousceux
qu'ils tiennentpour
hétérodoxes;et,
un
beaujour,on
vit tous les luthériens couriraux
armes.Les catholiques, soulevés.par leurs prêtres, disaient-ils, allaient procéder à