En
1906, les statistiques accusaientuu
total de 06.000
catho-liques, dontlamoitié indigène.Dans
lesécoles on comptait o.OOO européens et 2.288 indigènes.Les
Jésuites forment l'unique clergé des Indes néerlandaises. Ils sont en tout 02 prêtres et 13 frères, répartis en 24 stations.Dans
les écoles et les hôpi-taux travaillent en outre 40frères des Ecoles chrétiennes et 250 religieuses franciscaines ou ursulines.IV
La
liberté d'apostolat auprès des infidèles, qu'ils ne trouvent qu'amoindrie sous la politique encore défiante des Hollandais, les Jésuites l'ojit rencontrée, pleine et entière,aux
Philippines, sous le drapeau espagnol. Plusque
la liberté, ils eurent le concours et laprotection. Catholique, legouvernement
ne voyait pas dans les sauvages des forces brutes à faire valoir,ou
des obstaclesencombrants
àéliminer, mais biendeshommes
àformer, des consciences à éveiller. Il était plus qu'un maître,un
tuteur ayant charge d'âmes. Quoi qu'il en soit de certaines erreurs trop réelles, et qu'il a fallu payer cher, ensomme,
dans ses colonies, l'Espagne se comportait en nation chrétienne et apos-tolique. Grâceàelle,au XIX'-"sièclecomme au
XVII", les mission-nairesont pumontrer
par des faits ceque
peut le catholicisme,quand on
le laisse agir, et qu'on l'aidéun
i)eu, pourtrans-former
une brute enhomme
raisonnable.Les
Jésuites avaienteu
leur part autrefoisdans
l'évangélisation des PhiUppines.Une
quinzaine de leurs maisons se groupaient autour de Manille, au pays des Tagals.Dans
l'archipel centi-al,chez lesVizayas,ils avaient près de 60 postes, et
une
quinzaine sur la- côte nord de Mindanao.Pendant deux
cents ans, de concert avec les autres religieux, ils ont fait, ce semble, assezbonne besogne
évangélique et coloniale. Grâce à leur dévoue-ment, les races indigènes n'ont point disparucomme
ailleursau contact des blancs. Elles ont grandi en force et
en nombre.
Au
dire des voyageurs, il n'y avait peut-être pas i\ mille lieues à laronde
de gens plus heureux, avec leurs pueblos bien tenus,18 CHAPITRE V
leurs cases proprettes et saines, leurs cliamps cultivés et leurs jardinets de fleurs.
Ces dehors charmantstraduisaient assezexactementle dedans.
Mgr
Harty, archevêque de Manille, disait hier encore : «Le
peuple n'est pas seulement•religieux, il est religieux à fond.Les
églises sont trop petitespour
les écolesdu
dimanche.Pres-que
pas de familles indigènes sans la prière quotidienne encommun. On
garde encore la coutume, introduitepar lesanciens missionnaires, de lire en famille, pendantleCarême,
la Passion de Notre Seigneur en langue philippine. Cette éducation reli-gieuse a ses résultats solides : c'est l'extraordinaire pureté des jeunes tilles, la grande réserve deshommes
et des enfants, l'universelle soumission à l'autorité des parents. Il est presque inouï, dans ces familles, fût-onhomme
oufemme
d'âge raûr„de rien décider d'importantsans avoir consulté les aïeuls. Cette bellf; pratique
amène
àne
prendreque
des partis sages, et àmener une
vie de paix.La
vie familialedes Philippines est très, très attrayante. «Le
résultat n'avait pas été obtenu sans peine. Les indigènes, sans doute, Tagals et Vizayas, « n'étaient pas trop barbares pour des barbares»,comme
le ditun
vieilhistoriendela mission.Reste que, pour les civiliser, il avait fallu d'énormes sacrifices en liommes. Il y eut des persécutions sanglantes de la part dés Moros,
que
cette conquête pacifique gênait dans leurcom-merce
d'esclaves.Une
centaine de missionnaires. Jésuites et autres,moururent
demort
violente.Du
jnoins on n'avait pas trouvé dans l'archipel demines
d'or à exploiter.Donc
|)as de ces bandes d'aventuriers qui, dans l'Amériquedu
Sud, furent le fléau des églises naissantes. Il n'y avait guèreque
de vrais travailleursà venir aux Philippines. Aussi la conversion fut-elle relativement rapide. Soixante-quinze ans après sa fondation, la mission comptait plus de 400.000 chrétiens.En
1700 l'archipel était plus qu'à moitié gagné à la foi.Par
malheur
vinrent les jours mauvais.Les
Jésuites furent enlevés à leur mission. L'Eglise, aux Philippines, fut entraînée dans ledéclindela colonie et de la métropole.Le temps
n'était plusaux
vocations apostoliques. Les missionnairesne
suffisaient pas à la besogne. Leschrétientés étaientà l'abandon. Les pirates.l'océanie
h
9 plusque
jamais, infestaient les mers, rendant impossibles les coursesapostoliques à travers les îles.Une
foule de chrétiens prisonniersdesmusulmans
étaientvendus comme
esclaves.Rien
qu'en 1836,six mille personnes furent ainsienlevées.On
faisait de ces razziashumaines
jusque danslesfaubourgs deManille.Les
curés avaient autre chose à faire qu'à instruire leurs ouailles,il fallait les défendre, les organiser, les armer, les
mener
au combat. Etles postes de mission,chèrement
conquisnaguère sur l'idolâtrie, étaientsurlepoint d'êtreabandonnés.Du
restetout s'af-faissait, l'agriculture, lecommerce,
l'industrie, la population, et les missionnaires poussaient versl'Espagne descris de détresse.L'appel fut entendu, et le
gouvernement
prit l'initiative de renvoyer les Jésuitesaux
Philippines. C'était en 1859, sous la reine Isabelle.Ils ne venaient pas
pour
rentrerdans leurs anciennes missions, maintenant organisées en paroisses régulières.Ce
qu'on leur demandait tout, d'abord, c'était desœuvres
d'enseignement à Manille et l'évangélisation deMindanao
encore à peu près sau-vage.A
Manille donc, la municipalité leur confia sa grande école, l'Ateneo, subventionnée par la ville. Ils s'y firentune
réputa-tion
de
libéralisme pratique de fortbon
aloi, et donton
leur sut gré autemps
des dernières révoltes. « Plusieurs insurgés m'ont décliu'é, racontaitun
voyageur en 1899, qu'ils gardaientune
réelle reconnaissance à leurs anciens professeurs.Pour
la première fois,
me
disait l'un d'eux,nous
avons su ceque
pouvaient être des maîtres éclairés et justes. Puis, songez, monsieur,quand
chez eux,nous nous
empoignions—
c'estun
Tagal qui parle—
avec les petits Espagnols qui criaient :((
A
bas les Phihppines! )) pendantque nous
leur répondions :«
A
bas l'Espagne! )>nous
étions tous également punis. Et c'était admirable qu'on ne fessât pas sur nos joues les gami-neries de la race supérieure. '« (1)Les Jésuites eurent ensuite à Manille
une
écolenormale
etun
observatoire.Ce
dernier établissement, à lafoismagnétique,;1) A Bellessorl.
—
Une semaine, aux Philippines.—
Revue desDeux
Mondes, 1899. I..p. 8-27.120 CHAPITRE V
astronomique, séismique, deviot assez vite
un
des plus consi-dérés d'EKtrême-Orient.Avec
celui des Jésuites françaisde
Zi-ka-wei il s'est faitune
spécialité, l'étude et la prévision des typhons, et par là rend d'inappréciables services à la navi-gation dans lesmers
de Chine.Le gouvernement
de Madridl'avait officiellement
reconnu
et le soutenait de ses subventions.En même
temps,on
centralisait à Manille les observationsfaites par les missionnaires, sur l'histoire naturelle, la géographie, l'ethnographie, la linguistique. Il en résultait de savants travaux dont les spécialistesne
parlaient qu'avec respect.Mais l'œuvre la plus chère au
cœur
desnouveaux
Jésuites devait être l'évangélisation des sauvages.Mindanao
restait le seul endroitdumonde
peut-être, oîile vieux système des réduc-tions pût encore être essayé.Rien
n'y manquait, ni l'appui d'ungouvernement
conscient de ses responsabilités, ni la facilité de maintenir les indigènes à l'écart des blancs, ni les tribus à civiliser.De
ces Indiens barbares, il en restait assez encorepour
user bien des générations d'apôtres.En
1860,quand
les Jésuites reparurent à Mindanao, l'île n'était espagnoleque
surles cartes. L'occupation effective ne dépassait pas
une bande
étroite le long des côtes
nord
et est, et la péninsule de Zam-boanga.Là
se trouvait une assez dense population chrétienne, loO.OOO habitants peut-être, en partie émigrés de Gébu, deSaman,
de Leyte, baptisés et civilisés depuis longtemps, et appartenant à la race vizaya.Le
reste, 4 à 300.000 âmes, était infidèleou musulman.
A
l'est, surtoutdes sauvages; au centre et à l'ouest, surtout desmusulmans.
Lesmusulmans,
les Moros, fanatiques, toujours prêts à se soulever surun
signedu
sultan de Sulu, le grandennemi
des espagnols, incorrigibles faiseurs d'esclaves, passaientpour
inconvertissables.En
conséquence,lesmissionnairess'étaien*tournés vers les sauvages pourles« réduire ».
La
variété était grande parmi ces « infieles»,.comme
on lesappelle, des timides et des féroces, des gens fiers et des races dégradées,
condamnées
àpérir, despaisibles etdes guerriers.La
plupart,pour
l'atrocité desmœurs,
l'humeurbatailleuseetl'amoiu'du
sang valaient ceux desAmazones
et de l'ancien Paraguay.Voici par
exemple
lesManobos.
L'ouest de l'île leur devaitl'océanie 121
son
nom,
le«pays de la terreur ».Leur
grand prêtre entête,ils assaillaientde nuit quelque village inoffensif, égorgeaientles
hommes,
gardaient lesfemmes
esclaves.Après
ce facile triom-phe, le prêtre,-armé du
glaive sacré, ouvraitun
cadavre,y
trempait le « talismandu
dieu », et mangeait lecœur ou
le foiedu
vaincu. Certaines tribus pratiquaient les sacrifices hu-mains.Chez d'autres,quand on
avaitcoupé
cinquante têtes,on
avait droit au turban rouge.
La conséquence
de pareillesmœurs,
c'était la dépopulation et le centre de l'ile transformé en désert.«Réduire » de pareilles gens à
une
vie humaine, paisible, travailleuse,on
avoueraque
la tâche était ardue. Il y fallaitune
bien grande confiance .danslaforcecivilisatricedu
christia-nisme, etune
dose de couragepeu commune.
Mais si l'on réussissait, c'étaitune
race sauvée etdes milliers d'existences arrachées à la mort. Cela s'opérait pour ainsi dire en troistemps
:on
ébauchaitl'homme
d'abord, puis on formait le chré-tien, et enfin,dans lamesure du
possible, lecitoyen.Le
missionnaire faisaitdonc annoncer
sa visite.Au
jour dit,il se présentait, souriant, sans autre
arme que
son crucifix.Il dépeignait
aux
infieles les avantages de la vie civilisée, ladouceur du
régime espagnol.Les
jmeblos chrétiens, ou réduc-tions n'étaient pas loin, et les sauvages les connaissaient. Ilrépondait à leurs doutes, dissipait les préventions, promettait l'oubli
pour
les méfftits passés, car souvent la tribu n'était pas sans avoircommis
plus d'un pillageou
d'un assassinat, puisil s'éloignait, maispour
revenir bientôt,une
fois,deux
fois à lacharge.Dans
les entretiens particuliers il gagnait les chefs.Cette
œuvre
de persuasionune
fois achevée,on
prenait jour, et on partait en quête d'un emplacement.On
dressait sur lé terrain le plan ,do la réduction, rues, maisons, édifices publics.Le
plan n'était pas toujours idéal, car les Indiens gardaient toujours leur part d'initiative. Il fallait leur laisser l'illusionque
tout venait d'eux, et alors, les préjugés, les ignorances, les superstitionsmêmes,
leur imposaient des choixpeu
avanta-geux.Le
missionnaire s'y résignait.Après
cela il fournissait des grainspour
les premières semailles.Il n'étaitpas encore trèsmalaisé
d'amener
les Indiens,à fonder'J22 CHAPITRE V
unpiieblo : leur inconstance naturelle pouvait être
pour
quelque chose dans la facilité relative aA^ec laquelle ils avaient consenti àl'aire ceque
d'autres avanteux
avaient l'ait. Mais cettemême
inconstance pouvait tout détruire.
Comme ceux
duNapo
et desmontagnes
Rocheuses,comme
les aborigènes d'Australie, ils étaientvite prisde
lanostalgie des forêts. Ilsuffisait d'un capricepour
qu'un beau jour le missionnaire, revenant au pueblo, le trouvât incendié. Alors il fallait toutrecommencer.
Mais les ïagalseux-mêmes, que
l'on croirait à jamais gagnés à la vie civilisée, cèdent encore parfois àla tentation, s'enfuient dans les montagnes, et retombent dans la sauvagerie de leurs ancêtres.Ce
qu'il devait en cotiteraux missionnaires de courses, de fa-tigues, de dangers, de privations,pour ramener
au village les fugitifs et les y fixer, il n'est pas facile de l'imaginer.Mais entîn, c'était chose faite ; les in/ieles avaient accepté de
mener une
vie stable et civilisée. Ils avaient fait leurs semailles.On
avaitnommé
les autorités, très nombreuses,pour
satisfaire à toutes les petites ambitions. Les juges avaient été intronisés en grand appareil.
Le
cacique chrétien le plus proche était chargé de surveiller lenouveau
pueblo. Alors seulement le missionnaire voyait s'il y avait lieu de parler de baptême. Là, nouvelles difficultés; car lebaptême
suppose lamonogamie. On
dira tant qu'on voudraque
ces entrées de sauvages dans le catholicisme sont de pureforme
; desnoms
sur un registre et rien de plus.On
oublie cette clause, le renvoi desfemmes. Or
le sacrifice est très senti, car il entraine presque toujours de grosses pertes.Les
concubinesqu'il faut congédier, avaient été achetées très cher.
Resterait à
former
le citoyen, à développer dans cesâmes
de grands enfants, toujours hantés pai' la tentation de la vie sauvage, le sentiment de responsabilité sociales et de solida-rité, qui seuls pourront en faireun
peuple. Mais ce n'est pasl'affaire d'un jour et d'une génération. Ajoutons : ce n'est pas l'œuvre du seul missonnaire, c'est l'œuvre aussi de la nation qui a pris la tutèle de ces tribus encore mineures.
On
accuse l'Espagne de n'avoir pas assez compris sur ce point sesdevoirs et .ses vrais intérêts, de s'être arrêtée au milieu de sa tâche, et de n'avoirdonné
aux convertis qu'unedemi
civilisation.l'ogéanie 1:23
Est-il
prouvé que
les indigènesaientpu
en porter davantage?A
coup
sûr, il n'y a pas de comparaison possible entre l'état social des Philippins hier sauvages, et celui des Javanais, vé-ritables ilotesde leurs maîtres,ou
desPeaux-Rouges
américainsvoués
àune
destruction certaine. S'il estun
peuple sans pé-ché,que
celui-là jette la première pierreaux
civilisateurs deLuzon
et de Mindanao.Pour
eux, les missionnaires continuaient leurrude
tâche.Quelques
chiffres auront ici leur éloquence.En
dSS'lon
esti-mait à 194.134 lenombre
des catholiques de iMindanao.Douze
ans après, 1893, il était de 302.172: soit un gain de 107.859.Tout ne provenait pas de conversions. Il faut faire la part des naissances (27.919) et de l'émigration.
En
1895, après 36 ans de labeurs, les Jésuites avaient conquis sur labarbarie etl'intidélité 57.000 Indiens.Ilsétaient répartis en réductions très diverses et très inégales, allant de 20 à 2.800âmes. D'autres indigènes vivaientdei)uis longtemps organisés en imehlos
ou
grosvillages, quifaisaient centreet autour desquels lesnouvelles re-crues venaient se grouper.
Rn
1896, à la veille des guerres qui allaient bouleverser les Philippines, 62 prêtres travaillaient à Mindanao, administrant 9 sections et45
postes.. Mais depuis quelque temps,