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Une analyse des résultats du scrutin du 2 juin 1991 montre que le socle des rejetants se trouvait « dans les couches sociales inférieures, chez les ouvriers et chez les employés à faible qualification »; ceux-ci avaient en effet « peur de devoir payer à l’avenir davantage au fisc fédéral. »

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Ces résultats témoignent de la force du sentiment de méfiance existant dans de très larges couches de la population à l’égard de l’introduction de la TVA. Aussi ressort-il claire-ment, a posteriori, que seule une campagne de propagande massive en faveur du projet de réforme du régime des finances fédérales aurait été ca-pable de surmonter cet obstacle.

À partir du moment où l’UCAP et surtout le Vorort ont décidé de com-battre le projet de paquet financier, le destin de ce dernier ne laissait plus guère de doutes : «…son échec est préprogrammé »

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, écrivait la Wochen-zeitung au lendemain de la décision du Vorort, se faisant l’écho de la grande majorité des commentateurs politiques.

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En effet, le camp des op-posants a été abondamment pourvu de moyens grâce au soutien des prin-cipales associations faîtières du patronat. Il a donc pu mener « pendant des mois une campagne publicitaire de grand luxe ».

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En revanche, on l’a vu, les milieux industriels et financiers favorables au projet ne l’appuyaient qu’avec grande réticence. Cette absence d’engoue-ment s’est reflétée dans le fait que, moins de deux mois avant le vote po-pulaire du 2 juin, le comité chargé de mener la campagne de propagande n’était toujours pas vraiment constitué. Et, preuve encore plus tangible de ce manque d’enthousiasme, ni l’ASB ni les autres associations patronales partisanes du projet n’ont jugé que celui-ci méritait qu’elles desserrent vé-ritablement les cordons de leur bourse.

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Faute de moyens, la campagne dé-fendant le Oui s’est caractérisée par sa mollesse et sa discrétion.

C’est donc sans surprise que le résultat est tombé des urnes, le 2 juin 1991 : un peu plus de 54 % des votants refusaient le projet de réforme du régime des finances fédérales.

1. R. Nef, Populärer immobilismus…, op. cit., p. 49; cf. également pp. 94-95.

2. Wochenzeitung, 5 avril 1991.

3. Cf. entre autres L’Hebdo du 4 avril 1991, la SonntagsZeitung du 7 avril 1991, le Ta-gesAnzeiger du 8 avril 1991, la NZZ du 9 avril 1991, 24 Heures du 22 avril 1991.

4. R. Nef, Populärer immobilismus…, op. cit., p. 51.

5. Cf. notamment le Tages-Anzeiger du 8 avril 1991.

La marche de la contre-réforme financière s’accélère

Le scrutin du 2 juin 1991 représentait une incontestable victoire pour le Vorort et l’UCAP. Il renforçait sensiblement le poids politique de l’aile la plus dure du patronat. Dès le lendemain du vote, le Conseiller national ra-dical et Directeur de l’UCAP Heinz Allenspach souligne avec jubilation que, bien loin de « marginaliser politiquement » son organisation ou le Vo-rort, comme beaucoup le prédisaient, « l’issue du scrutin a confirmé [leur]

politique ». Il ne se fait donc pas faute de dessiner la direction à suivre :

« Les organisations faîtières de l’économie ont refusé le paquet financier parce qu’il […] s’accommodai[t] de larges concessions à la gauche. » Désormais, il faut mener une politique financière «… qui n’est pas à ce point édulcorée par des compromis » et qui ne recule pas devant la « confrontation. »

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À partir du vote sur le paquet financier, la politique financière des auto-rités fédérales se trouve donc placée sous le signe d’un sensible durcisse-ment de l’offensive bourgeoise visant une véritable contre-réforme dans ce domaine. Raidissement favorisé par le contexte international et national dans lequel se poursuit cette contre-réforme. Ce contexte se distingue en effet, il faut le souligner, par une série de traits radicalement nouveaux depuis la Deuxième Guerre mondiale. Mentionnons-en, pour mémoire, les principaux : la mise en concurrence organisée des salariés des diffé-rents États et des différentes régions, accompagnée d’une politique de 1. JAP, 6 juin 1991, pp. 551-552.

dumping fiscal international

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; le marasme économique de longue durée qui, en Suisse, a provoqué le développement brutal d’un chômage impor-tant et croissant; la modification rapide des principales composantes du rapport salarial, se caractérisant notamment par la stagnation, voire la baisse des salaires, l’extension générale de la précarisation et l’augmenta-tion du temps de travail (explosion des heures supplémentaires, hausse de l’âge de la retraite); la privatisation en marche de pans entiers du secteur public, et enfin l’offensive idéologique multiforme présentant tous les as-pects cités ci-dessus comme des phénomènes naturels et inéluctables.

L’attitude de la NZZ constitue un bon témoignage du déplacement à droite du centre de gravité des milieux bourgeois dominants. Avant le 2 juin 1991, le quotidien zurichois se trouvait dans le camp opposé à celui du Directeur de l’UCAP. Or, le 15 juin 1991, à peine deux semaines après le rejet du paquet financier, il fait paraître un important éditorial sous le titre « Les priorités de la politique financière de la Confédération ».

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La NZZ se situe pleinement dans la ligne esquissée par H. Allenspach. Au risque de susciter des conflits ouverts, elle préconise même de durcir le ton. Le quo-tidien zurichois développe un programme financier pour le court et le moyen terme, centré sur quatre points, programme qui va constituer la plate-forme de référence commune à de très larges secteurs du patronat : 1. La poursuite résolue d’une politique axée sur les caisses vides et

l’austé-rité.

2 L’allégement immédiat des droits de timbre, sans compensation de la di-minution des recettes fédérales.

3 Le passage rapide à la TVA.

4 Une fois la TVA introduite, le démantèlement et/ou l’allégement d’impôts gênant ou touchant les milieux possédants, au premier rang desquels l’IFD.

Dès lors, il semble fécond de structurer ce chapitre, consacré à l’analyse de la politique financière fédérale depuis le 2 juin 1991, autour des quatre points mis en avant dans l’éditorial programmatique de la NZZ. Cepen-dant, pour ne pas allonger et compliquer démesurément une matière déjà passablement absconse, une série de thématiques importantes ne seront 1. Cf. H.-P. Martin/H. Schumann, Le piège de la mondialisation…, op. cit. En avril 1997, lors d’un débat au Conseil national sur un programme d’allégement de l’imposition des sociétés, le radical Pascal Couchepin met en évidence cet as-pect lorsqu’il déclare : «…nous ne sommes pas seuls au monde et […] l’amélioration que nous donnons maintenant à l’économie sera observée par d’autres qui sont aussi nos concurrents. Ils feront, eux aussi, de nouveaux pas vers des conditions-cadres plus fa-vorables à leur économie, qui nous obligeront nous-mêmes, dans un cercle qu’on peut qualifier d’infernal, mais qui est celui de la concurrence, à faire de nouveaux pas dans le futur »; BoCN 1997, p. 784.

2. NZZ, 15-16 juin 1991.

abordées que très rapidement, voire laissées de côté. Ce sera notamment le cas pour de nombreux aspects de la politique sociale et de son finance-ment, pour la problématique de la privatisation d’entreprises publiques et de ce qui est désigné comme le « New Public Management », pour la ques-tion de l’introducques-tion des taxes que l’on qualifie d’écologiques ou d’incita-tives, ou encore pour le problème du financement de ce qu’on appelle les nouvelles lignes ferroviaires alpines.