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Faiblesse de la redistribution opérée par l’État et

3.3 Les bienfaits du fédéralisme fiscal

3.3.3 Faiblesse de la redistribution opérée par l’État et

Le dernier avantage, mais non le moindre, du fédéralisme fiscal aux yeux des milieux industriels et financiers réside dans le fait qu’il tend à modérer l’ampleur de la redistribution verticale des richesses. On rejoint ici un des aspects d’une problématique abordée plus haut, celle des caisses vides ou de l’État pauvre (cf. les chapitres 2.3.2. et 2.4.). En effet, en plafon-nant le niveau de l’imposition, le dumping fiscal tire les ressources de l’État vers le bas, contribue à maintenir les caisses vides, et exerce donc une action limitatrice sur les potentialités redistributives des pouvoirs pu-blics.

Évaluant le développement de l’État social dans un pays fédéraliste comme les États-Unis, un chercheur américain résume très clairement les mécanismes à l’œuvre. « Il est assez clair que le fédéralisme restreint la crois-sance de l’État social. La plus importante conséquence de l’existence d’institu-tions décentralisées est la création d’une « compétition fiscale » entre elles. Il est difficile aux gouvernements locaux de poursuivre une politique redistributive par

1. Cité dans le Journal de Genève, 7 janvier 1994.

2. Cf. CASH du 25 août 1995.

3. Cité dans L’Hebdo, 29 septembre 1995.

peur que des impôts élevés conduisent les entreprises et les individus fortunés à déménager pendant que les groupes à bas revenus se trouvent attirés par la pers-pective de bénéficier de programmes sociaux généreux. »

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Un tel constat s’appli-que pleinement au cas helvétis’appli-que. Il explis’appli-que en large partie la relative maigreur de l’État social en Suisse, qui sera mise en évidence plus loin (cf.

le chapitre 4.3.).

Il existe un lien assez étroit entre les effets du fédéralisme qui viennent d’être évoqués et le développement de la place financière suisse. Durant une phase qui va approximativement du XIXe siècle finissant à la fin des années 1920, les banques helvétiques ont réussi à occuper, dans une lutte sévère contre la concurrence, une place de premier plan dans un important et lucratif secteur des activités financières internationales, la gestion de fortune. La Suisse s’est transformée en véritable plaque tournante des ca-pitaux internationaux. Depuis lors, elle a pu conserver et même renforcer sa position dans ce segment, de sorte qu’au milieu des années 1990, on estime que les établissements suisses se voient confier une part de l’ordre de 35 % à 40 % de la fortune privée mondiale gérée hors des pays d’ori-gine.

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Or, si les instituts financiers helvétiques se sont vus et se voient encore confier de volumineux fonds étrangers, c’est précisément parce qu’ils bé-néficient d’une série d’atouts, parmi lesquels figurent au premier rang la modération dont fait preuve le fisc, et celle, corrélative, dont font preuve les pouvoirs publics dans leur politique redistributive. Les cercles bancai-res sont parfaitement conscients de l’avantage que constitue cette fonction modératrice du fédéralisme. En témoigne un article qu’un Directeur de la Banque nationale suisse consacre, en avril 1993, aux atouts et handicaps des banques helvétiques « dans la concurrence internationale ». Il souligne de façon significative que « le plus grand danger pour la place financière suisse […] vient des luttes autour de la redistribution des richesses », car elles

«…gaspillent des ressources et conduisent l’État à étendre ses tâches. Les consé-quences en sont souvent des impôts élevés, la dépréciation de la monnaie et les li-mitations de la circulation des capitaux — au grand désavantage de la place financière » ; or, relève-t-il, la Suisse «… possède des conditions qui sont meilleures que la moyenne pour circonscrire » de telles luttes, parce que

« l’autonomie fiscale des cantons et des communes a limité jusqu’à maintenant […] l’utilisation de l’État dans des buts de redistribution et a maintenu la quote-part étatique à un bas niveau en comparaison internationale. Les États membres

1. P. Pierson, Dismantling the Welfare State?…, op. cit., p. 35; cf. également pp. 156-157.

2. Cf. notamment Niklaus Blattner et al., Das Vermögensverwaltungsgeschäft der Banken in der Schweiz, Bern/Stuttgart/Wien, 1996, p. 34; la NZZ du 28 janvier 1994; Bilan, septembre 1995, p. 73; le Tages-Anzeiger du 20 février 1997.

de la Communauté européenne disposent de freins institutionnels beaucoup moins décentralisés pour restreindre l’activité étatique. »

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Les termes de V. Spörry, qui appartient, rappelons-le, au Conseil d’ad-ministration du Crédit Suisse, sont également assez clairs : « Le secret de la Suisse en tant que paradis fiscal — explique-t-elle — se fonde sur l’autonomie fiscale des cantons et des communes qui peuvent déterminer eux-mêmes leurs taux d’imposition et leurs déductions. Il en découle une concurrence qui doit ab-solument être maintenue, car elle impose de faibles impôts et contraint les pou-voirs publics à se montrer particulièrement économes. »

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Ces deux citations permettent de revenir, pour conclure, sur le problème général de la compréhension du fédéralisme. Pour saisir le maintien d’une structure étatique fortement fédéraliste jusqu’à aujourd’hui, il est certes nécessaire de faire intervenir une série de facteurs d’ordre historique, po-litique et culturel. Mais il me semble non moins nécessaire de souligner que derrière la pérennité du fédéralisme se trouvent, pour ne pas dire se cachent, également « de solides intérêts »

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, selon l’expression de Rolf Nef, en particulier sur le plan fiscal. À sa manière, le Conseiller national socialiste Paul Graber le disait il y a bien longtemps déjà. Ne déclarait-il pas, en janvier 1919 : « Le fédéralisme, c’est bien souvent une couverture. Nous l’avons constaté fréquemment chez nous dans le canton de Neuchâtel, lorsqu’on parlait de l’impôt progressif; le fédéralisme, à ce moment-là, a tenté de sauver le capital. Je ne partage pas la préoccupation de certains collègues de la Suisse romande qui veulent conserver ces petites cellules autonomes en matière financière. Elles ten-dent trop à favoriser le capital. »

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1. NZZ, 17-18 avril 1993 [souligné dans le texte].

2. Propos rapportés dans le Tages-Anzeiger, 13 octobre 1993.

3. R. Nef, Populärer Immobilismus…, op. cit., p. 33.

4. BoCN 1919, p. 100.

Vers la contre-réforme financière