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Le premier programme d’assainissement

6.1 Politique des caisses vides et

6.1.1 Le premier programme d’assainissement

« d’assainissement des finances fédérales… ».

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Sur la base de projections bud-gétaires, le Gouvernement estimait que si aucune mesure n’était prise, le déficit fédéral atteindrait un montant de l’ordre de 4 à 5 milliards de francs par an pour les années 1993-1995. Son programme proposait de ramener ce déficit à 1 milliard environ d’ici 1995, soit une amélioration d’à peu près 4 milliards, obtenue grosso modo pour moitié par une diminution des dé-penses et pour moitié par un accroissement des recettes.

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Du côté des économies proposées, environ 3 % des dépenses fédérales totales projetées à l’époque, la principale consistait à réduire de manière li-néaire, soit de 10 %, l’ensemble des subventions de la Confédération. En ce qui concerne plus spécifiquement les subsides aux assurances sociales, seuls ceux à l’assurance-maladie échappaient au couperet. L’assurance-vieillesse et l’assurance-invalidité voyaient quant à elles l’aide fédérale di-minuer de 5 %.

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Du côté des recettes, le Conseil fédéral prévoyait trois me-sures. Premièrement, une augmentation de l’imposition du tabac, qui devait rapporter environ 300 millions de francs. Deuxièmement, l’attribu-tion à la Confédéral’attribu-tion d’un montant de 200 millions prélevé sur le béné-fice de la Banque nationale suisse.

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La troisième mesure envisagée dépas-sait en importance, et de loin, les deux précédentes : il s’agisdépas-sait d’accroître le droit de douane dit de base sur les carburants de 25 centimes par litre, ce qui devait rapporter un montant supplémentaire d’environ 1,6 milliard de francs.

1. Message sur les mesures d’assainissement des finances fédérales 1992, 25 mars 1992, Feuille fédérale 1992, Vol. 3, pp. 341-433. Sur ce programme ainsi que le sui-vant, cf. P. Urio/V. Mercks, Le budget de la Confédération…, op. cit., pp. 63-70.

2. Cf. le Message sur les mesures d’assainissement des finances fédérales 1992, op. cit., pp. 342-347 et 379-380. À noter qu’en dehors des mesures décrites ci-après, ce programme proposait l’introduction d’un mécanisme institutionnel favorisant la limitation des dépenses, appelé « frein aux dépenses ». Cette question a déjà été abordée plus haut (cf. le chapitre 2.2.).

3. Cf. ibid., p. 363. Les données chiffrées fournies par les autorités fédérales con-cernant les finances de la Confédération sont généralement extrêmement em-brouillées. La NZZ parle à ce propos de « jungle des chiffres » dans laquelle « il est presque impossible de ne pas se perdre »; NZZ, 21 octobre 1994. Dans le cas de ce programme d’assainissement, les données publiées par le Conseil fédéral dans son Message sont si confuses et si nébuleuses qu’il ne m’a pas été possible d’estimer, ne serait-ce qu’approximativement, comment les mesures d’écono-mies projetées se répartissaient selon les différents domaines.

Les milieux d’affaires ont longuement hésité sur l’attitude à adopter à l’égard de ce programme. Leur posait problème avant tout la proposition d’augmenter l’imposition de l’essence car elle allait à l’encontre de leur po-litique des caisses vides. Dans un premier temps, ils ont penché vers le rejet pur et simple de cette mesure. Sous le titre : « Il est d’urgence nécessaire d’accroître la pression à économiser », la NZZ prône, en août 1992, le refus de l’augmentation car, argumente-t-elle, « un accroissement de la discipline 4. Jusqu’en 1992, il était d’usage que la Banque nationale attribue sur ses bénéfi-ces un montant total de 8 millions de francs (!) à la Confédération et aux can-tons. Depuis 1992, ce montant a été porté à 600 millions, dont 200 pour la Confédération et 400 pour les cantons. En fait, la politique que suit l’Institut d’émission, en accord avec l’essentiel des milieux dirigeants, en matière de ges-tion de ses réserves de devises et d’or ainsi que de répartiges-tion du bénéfice obéit depuis très longtemps aux règles de la politique des caisses vides. D’une part, la Banque nationale n’est pas tenue de livrer son bénéfice, ou en tout cas une partie substantielle de celui-ci, à l’État. C’est pourtant ce qui se fait dans d’autres pays : si l’on prend les Banques centrales de pays comparables à la Suisse, quoique moins puissants financièrement, comme celles de la Hollande, de la Suède ou de la Belgique, on constate qu’elles ont livré à l’État, entre 1984 et 1995, des montants en moyenne quatre à six fois plus élevés. (Cf. Thomas von Ungern-Sternberg, Entscheidungsgrundlagen für ein neues Nationalbankge-setz, Cahiers de recherches économiques de l’Université de Lausanne, No 9701, 1997, p. 3). D’autre part, la Banque nationale pourrait, comme cela a été pro-posé à maintes reprises depuis des décennies, gérer ses réserves de façon beau-coup plus rentable, notamment en réduisant son énorme et stérile stock d’or, et obtenir ainsi des recettes supplémentaires considérables. (Pour une proposi-tion récente, cf. par exemple le postulat déposé le 17 juin 1994 par l’Alliance des Indépendants, Résumé des délibérations de l’Assemblée fédérale, Berne, 2/1994, p. 58). C’est ce que le Professeur Thomas von Ungern-Sternberg a démontré dans deux études récentes; (cf. The Swiss National Bank and Seignorage, Cahiers de recherches économiques de l’Université de Lausanne, No 9601, 1996, et Entscheidungsgrundlagen…, op. cit.). Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait jusqu’à maintenant? Parce que «…nous n’y a[v]ons pas pensé plus tôt », répond U. Gygi, Directeur de l’Administration fédérale des finances (cité dans le NQ, 9 février 1996). Le comique absurde de l’argument cache la véritable raison de l’étrange passivité des autorités fédérales, que U. Gygi finit quand même par dévoiler.

Avant de songer à accroître les revenus de la Banque nationale, explique-t-il en illustrant de façon exemplaire le lien entre politique des caisses vides et politi-que d’austérité, « nous devons nous assurer politi-que les recettes supplémentaires ne para-lyseront pas notre ardeur à économiser » ; (cité in ibid.). Sous la pression des différentes critiques adressées à l’Institut d’émission, on s’achemine toutefois vers une mini-réforme de la Loi sur la Banque nationale, dans le sens d’une gestion un peu plus rentable de ses réserves et de la livraison aux pouvoirs pu-blics d’un montant supplémentaire prélevé sur son bénéfice. Les chiffres qui sont articulés à ce propos, de l’ordre de 400 à 600 millions par année, restent ce-pendant si modiques que, conformément aux vœux des milieux d’affaires, ils ne remettront pas en cause la poursuite de la politique d’austérité (cf. la NZZ des 8-9 et 18 mars 1997).

ne peut être obtenue […] que par une raréfaction des ressources financières. »

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Quant à F. Ebner, Secrétaire du Vorort, il écrit quelques jours plus tard que la hausse projetée «…est fausse du point de vue de la politique financière ne serait-ce que parce qu’elle affaiblirait la volonté de discipliner les dépenses… ».

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Dans un second temps, ces milieux ont changé leur position. Durant les derniers mois de 1992, après avoir obtenu lors des débats parlementaires que la hausse du droit de douane soit ramenée de 25 à 20 centimes et que son entrée en vigueur soit retardée de six mois, ils se sont finalement déci-dés à appuyer l’accroissement de l’imposition de l’essence. Comme on l’imagine et comme ne manque pas de le signaler l’UCAP, un tel appui s’est fait « sans enthousiasme ».

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Grâce à ce soutien, la hausse en question a pu surmonter l’obstacle du référendum, lancé contre elle par certains cer-cles liés à l’automobile et aux transports routiers.

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Lors du vote populaire du 7 mars 1993, elle a obtenu une courte majorité de 55 % d’acceptants.

Quelles sont les principales raisons qui ont amené le grand patronat et ses représentants à se résigner à faire cette entorse à leur stratégie de limi-tation des ressources de la Confédération? En premier lieu, dès 1990 l’éco-nomie suisse entre dans une phase récessive, contribuant à entraîner les comptes de la Confédération dans les chiffres rouges. À la fin de 1992, l’in-certitude régnait quant à la durée et à l’intensité de cette récession et, a for-tiori, quant à ses effets sur la situation financière des collectivités publi-ques. Cette incertitude mêlée d’inquiétude a perduré jusqu’à l’hiver 1993-1994, lorsque plusieurs signes ont indiqué que le creux de la vague était dépassé. Dans cette situation, au sein des cercles économiques, beaucoup partageaient la crainte exprimée par les autorités fédérales. À savoir que, sans octroi à la Confédération de nouvelles recettes fiscales, les déficits à venir risquaient de prendre une ampleur telle qu’ils finissent par ternir la

« réputation d’îlot de stabilité »

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de la Suisse, et les divers atouts qui y sont traditionnellement liés (notamment l’attrait sur les capitaux étrangers).

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En second lieu, la récession en question touchait particulièrement les mi-lieux de la construction. Aussi ces derniers se sont-ils élevés avec une cer-taine vigueur contre une politique de limitation trop brutale des ressources 1. NZZ, 19 août 1992 [souligné dans le texte]. Cf. également la NZZ des 15 juin et

2 septembre 1992.

2. JAP, 3 septembre 1992, p. 854.

3. Citée dans la NZZ du 16 février 1993.

4. Les principales organisations portant le référendum étaient le Parti des Auto-mobilistes, la Lega dei Ticinesi, l’Automobile Club de Suisse (ACS), l’Associa-tion suisse des Transports routiers (ASTAG) et les Groupements patronaux vaudois.

5. Message concernant le budget pour 1993 et rapport sur le plan financier pour 1994-96, Berne, 1992, p. 8.

6. Cf. entre autres Vorort, Rapport annuel 1992, La Chaux-de-Fonds, 1993, p. 69.

des pouvoirs publics qui, tendant à faire reculer les commandes étatiques, aggravait leurs difficultés.

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Or, selon les dispositions légales, la moitié des recettes supplémentaires que le projet de hausse de l’imposition des carbu-rants devait rapporter à la Confédération était automatiquement destinée à la construction et à l’entretien des routes nationales. Si les hautes sphères du patronat avaient persisté dans leur refus du projet, les tensions avec les milieux de la construction en auraient été considérablement attisées. Nul doute que cet aspect a pesé dans la décision finale des organisations patro-nales faîtières. Ainsi, il est significatif que pour expliquer son appui au pro-jet, le Vorort relève par la plume d’un de ses Secrétaires qu’ «… en cas de refus des recettes supplémentaires, la Confédération devrait probablement réduire ses subventions pour la construction des routes […], ce qui aurait des conséquen-ces négatives pour […] le secteur de la construction. »

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En outre, durant les années 1980, le secteur de la construction s’était profondément engagé dans celui de l’immobilier, tous deux recevant des crédits massifs du côté des banques. Au début des années 1990, alors que les difficultés de la cons-truction renforçaient celles de l’immobilier et vice versa, les cercles bancai-res espéraient vraisemblablement encore pouvoir se dégager de ce guêpier en limitant les dommages si le secteur de la construction était revigoré par le flux des commandes publiques.

En troisième lieu, vu l’ampleur des déficits prévus pour la Confédéra-tion, de l’ordre de 4 à 5 milliards par an, les recettes supplémentaires envi-sagées par le projet ne risquaient guère d’atténuer la pression à mener une politique d’austérité. Si la « hausse de l’imposition avait pour conséquence », argumente en février 1993 V. Spörry pour justifier son soutien, « de faire disparaître la pression à économiser née de la mauvaise situation financière et de rendre caduque la nécessité urgente de soumettre le budget fédéral […] à une ré-vision structurelle du côté de ses dépenses, alors elle devrait être refusée. Mais tel n’est pas le cas. […] Même si le projet est accepté, il est inéluctable que de nou-veaux efforts d’économies doivent suivre. »

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Un tel danger était d’autant moins grand que la hausse du droit d’entrée sur les carburants avait été ramenée à 20 centimes par litre, limitant ainsi les recettes fédérales supplémentaires à environ 1,2 milliard par an. En outre, cette hausse de l’imposition étant fixée selon la quantité et non ad valorem, c’est-à-dire en centimes par litre et non en pourcentage du prix des carburants à l’entrée en Suisse, ses effets

1. Cf. par exemple la protestation publique de la Société suisse des entrepreneurs, JAP, 5 mars 1992, p. 255.

2. NZZ, 16 février 1993. Cf. également la NZZ du 5 février 1993, le JAP du 11 février 1993, le SLI du 18 février 1993, ainsi que Vorort, Rapport annuel 1992, La Chaux-de-Fonds, 1993, p. 69.

3. NZZ, 5 février 1993; cf. également la NZZ des 13-14 février 1993.

sur les recettes s’estomperaient relativement rapidement en raison de l’in-flation.

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Enfin, un quatrième et dernier facteur a favorisé le changement d’avis des cercles dominants de l’économie.

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Ces derniers ont obtenu du Gouver-nement fédéral la garantie qu’il mettrait en œuvre des mesures supplémen-taires d’économie afin de résorber le déficit de la Confédération.

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En effet, en septembre 1992, alors que le premier programme d’assainissement n’avait pas encore été définitivement adopté par les Chambres, le Conseil fédéral s’était déjà engagé formellement à en élaborer un deuxième.

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6.1.2 Le deuxième programme d’assainissement des finances fédérales