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Modération de la pression fiscale sur les milieux aisés

3.3 Les bienfaits du fédéralisme fiscal

3.3.1 Modération de la pression fiscale sur les milieux aisés

Le fédéralisme fiscal renforce considérablement les possibilités de résis-tance des détenteurs de capitaux et de leurs représentants. En effet, la menace du déplacement ou de la délocalisation opère de façon encore plus efficace lorsqu’il ne s’agit même pas de franchir des frontières nationales mais de changer simplement de canton, voire de commune. Inutile d’insis-ter longuement sur l’arme redoutable que constitue une telle menace face à toute démarche visant à accroître la pression fiscale sur les groupes so-ciaux fortunés et/ou les entreprises. La démonstration en a été faite à plu-sieurs reprises durant les seules années 1994 et 1995, lorsque des proposi-tions fiscales venant de la gauche ont été balayées dans plusieurs cantons importants (Zurich, Vaud et Schaffhouse) sous l’influence du spectre du départ en masse des contribuables concernés.

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« Le fédéralisme fiscal — constate avec satisfaction V. Spörry — empêche que l’on s’engage sur le plan cantonal dans des expériences osées en matière d’imposition de la richesse puisque les contribuables concernés changent simplement de domicile. »

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L’utilisation de l’effet dissuasif du fédéralisme fiscal n’est pas récente.

Les milieux dirigeants suisses possèdent une longue expérience en la ma-tière. On en trouve un exemple en 1910 déjà, lorsque, sous la pression du mouvement ouvrier, le ministre — libéral — des finances du canton de Bâle-Ville est obligé d’introduire la progressivité pour certains impôts di-rects. Or, souligne-t-il rétrospectivement, « j’ai pu maintenir les taux d’impo-sition dans des limites relativement modérées, à vrai dire en attirant l’attention sur les taux inférieurs du canton voisin de Bâle-Campagne. »

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D’ailleurs, cet effet dissuasif n’avait pas échappé à un expert financier aussi avisé que J. Schumpeter. Il s’en fait l’écho dans un écrit de 1926 : « Ce qui apparaît à beaucoup de gens comme un objectif souhaitable, l’égalité de l’imposition » entre les différentes régions et communes, expliquait-il, « constitue précisément le danger […] qu’il faut éviter »; en effet, l’existence d’ « endroits où la charge est plus faible que dans les autres […] est essentielle […] car seule la véritable pré-sence d’oasis fiscales représente un frein automatique aux excès fiscaux démagogiques. »

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Mais les mérites de la large autonomie des cantons et communes en ma-tière de recettes ne se manifestent pas seulement lorsqu’il s’agit de combat-tre les initiatives fiscales du mouvement ouvrier. Cette autonomie impli-1. Cf. notamment NZZ, 5 juillet 1994, 9 février 1995, 2 mars 1995 et 26 juin 1995.

2. Propos rapportés dans le Tages-Anzeiger, 13 octobre 1993.

3. P. Speiser, Erinnerungen…, op. cit., p. 133.

4. Joseph Schumpeter, Aufsätze zur Wirtschaftspolitik, Tübingen, 1985 [1ère édition : 1926/27], p. 89.

que, je l’ai déjà dit, que les autorités régionales et locales se retrouvent en concurrence les unes avec les autres, soit pour garder les contribuables ren-tables déjà établis, soit pour attirer ceux des autres cantons (et communes).

Autrement dit, le fédéralisme fiscal mène à la compétition par le bas, à ce qu’on peut appeler la sous-enchère, ou mieux encore le dumping fiscal.

Un tel phénomène est fort ancien. Prenons, par exemple, le cas de l’impo-sition des holdings. À peine cette nouvelle forme de sociétés commence-t-elle à se répandre qu’commence-t-elle fait l’objet d’une concurrence fiscale entre les can-tons. En 1901, une première démarche visant à privilégier les holdings est entreprise par la Chambre du Commerce dans le canton de Zurich. Elle échoue. Mais, elle suscite des émules dans les cantons voisins. En 1903, Glaris et Saint-Gall introduisent de tels privilèges. En 1917, sous la menace des cantons de Zurich, à nouveau, et de Schaffhouse, qui s’apprêtent à mettre en œuvre des privilèges semblables, les autorités glaronnaises ré-duisent le taux d’imposition des holdings, pourtant déjà fort modéré :

« Ainsi, — expliquent-elles — on provoquera un manque à gagner […] mais on pourra très probablement empêcher que se concrétise la menace d’émigration vers d’autres cantons, et on peut admettre qu’à l’avenir on obtiendra de nouvelles créa-tions de holdings. »

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À l’issue de la Première Guerre mondiale, la course dans l’octroi des privilèges s’accélère : pas moins de douze cantons intro-duisent un traitement fiscal de faveur pour les holdings. Et, comme le montre M. van Orsouw, c’est tout au long du XXe siècle que « le dumping fiscal entre les cantons se poursuivit. Chacun voulait être encore un peu meilleur marché et un peu plus avantageux afin d’amener ainsi quelques francs de plus dans la caisse cantonale. »

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Soulignons en passant que les cantons se font bien sûr concurrence dans le domaine des taux d’imposition. Mais ce domaine constitue la partie la plus perceptible et la plus facilement décryptable de la fiscalité. Il polarise donc l’attention, de sorte qu’il est assez délicat, sur le plan politique, de s’y aventurer. En 1930, pour ne citer que cet exemple, alors que le gouverne-ment du canton de Zoug envisage de modifier sa législation fiscale pour la rendre encore plus attractive, l’expert fiscal — zurichois — qu’il s’est atta-ché définit la ligne directrice de la façon suivante « L’imposition zougoise doit être telle qu’elle offre vis-à-vis des taux d’imposition des autres cantons une petite attraction »; mais il faut prendre garde à ce que « l’avantage ne saute pas immédiatement aux yeux. […] L’avantage ne doit pas être offert sous une forme tapageuse. »

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1. Cité dans M. van Orsouw, Das vermeintliche…, op. cit., p. 42.

2. Ibid. À noter qu’un des effets pervers du dumping fiscal généralisé est qu’il li-mite les revenus des cantons et, de fait, entrave la mise en œuvre d’une vérita-ble politique de développement économique régional. Dès lors, la sous-enchère fiscale tend à devenir l’unique forme d’une telle politique.

3. Cité dans ibid., p. 72.

La lisibilité, et donc le danger politique, sont moindres lorsqu’on entre dans le dédale, plus opaque et plus compliqué techniquement, qui va des évaluations de la matière imposable aux exonérations, en passant par les déductions fiscales. Aussi la sous-enchère s’y déploie-t-elle plus volon-tiers. C’est pourquoi le Conseiller national Walter Biel, membre de l’Al-liance des Indépendants et spécialiste des questions fiscales, souligne que

« les plus grandes différences de concurrence entre cantons ne doivent pas être cherchées dans les tarifs fiscaux », mais « dans la manière dont le fisc traite les amortissements, dont il évalue les stocks de marchandises, dont il autorise les déductions. »

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Que les autorités régionales et locales jouent elles-mêmes un rôle moteur dans la concurrence fiscale par le bas, ou qu’elles ne fassent qu’y réagir n’importe guère. Le résultat global est le même : elles sont soumises en permanence à la pression exercée par le dumping fiscal, et une telle pres-sion tend à modérer l’imposition des couches aisées. Synthétisant l’avis de plu-sieurs experts fiscaux, le politologue Leonhard Neidhart explique qu’

«… une forte concurrence des cantons empêche une plus forte imposition des re-venus et fortunes élevés […]. La peur de l’émigration des contribuables impor-tants dans d’autres cantons fait obstacle à une correction de la progression vers le haut car les bénéficiaires de hauts revenus et de grandes fortunes sont en général doués d’une mobilité correspondante. » Il se doit de conclure que «… sur ce point, le fédéralisme est au service du plus fort. »

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Les rapports entre les cantons de Zoug et de Zurich constituent une il-lustration exemplaire d’un tel phénomène. Les autorités zougoises ont modelé leur législation fiscale, très souvent d’entente avec les milieux d’affaires zurichois et leurs représentants, dans l’objectif de concurrencer la législation du canton voisin. Grâce à cette concurrence, il a été possible aux cercles industriels et financiers zurichois d’éviter en partie et/ou de modérer les rigueurs de leur propre fisc. Ainsi, peu après la Première Guerre mondiale, c’est sur les conseils d’un grand avocat d’affaires zuri-chois que les autorités zougoises modifient leur législation fiscale dans un sens très favorable aux entrepreneurs. En effet, cet avocat leur fait savoir que l’introduction d’une législation semblable « apparaît exclue [dans] le canton de Zurich qui est partagé en deux sur le plan social », alors qu’elle est aisée « dans un petit canton comme Zoug, dans lequel le sentiment de solidarité économique existant au-dessus des clivages des partis politiques est resté beau-coup plus vivace que dans les grands cantons. »

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Survient la Seconde Guerre mondiale. Sous son influence, le canton de Zoug est obligé, comme de nombreux autres, de réviser ses lois fiscales.

1. Cité dans Le Fédéralisme…, op. cit., p. 67. Cf. également p. 35.

2. L. Neidhart, Föderalismus…, op. cit., p. 116.

3. Cité dans M. van Orsouw, Das vermeintliche…, op. cit., p. 56.

Mais il le fait à nouveau en lien étroit avec un expert fiscal zurichois dont le mot d’ordre est le suivant : en raison de « la proximité de Zurich et Lucerne, […] le canton de Zoug doit prendre garde de ne pas faire fuir les contribuables puissants. »

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Cette politique active de dumping fiscal a été poursuivie jusqu’à aujourd’hui, au plus grand bénéfice des couches fortunées. Si l’on suit en effet l’évolution de la charge fiscale, on constate que celle reposant sur les revenus du bas de l’échelle n’a pratiquement pas changé depuis le début des années 1970 alors que celle reposant sur les strates les plus riches a diminué de 20 % environ, selon les calculs effectués par M. van Orsouw dans son étude.

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Il n’est donc pas étonnant que le canton de Zoug soit devenu une région refuge pour ces dernières : il connaît aujourd’hui une proportion de contribuables millionnaires considérablement plus élevée que la moyenne suisse.

Même si le cas du canton de Zoug est particulièrement spectaculaire, on pourrait multiplier les exemples du profit que retirent les contribuables les plus aisés du dumping fiscal auquel se livrent les cantons.

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Ainsi, en dépit du fait que le nombre de millionnaires résidant dans le canton de Genève ait doublé entre 1983 et 1993 et que le canton nage dans les déficits, il est frappant de voir que le chef de l’Administration fiscale genevoise refuse d’envisager toute hausse de leur imposition. En effet, déclare-t-il en novembre 1994, faisant implicitement allusion au dumping pratiqué par le canton de Vaud, « il est certain que ces grosses fortunes iront se réfugier »

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sous des cieux plus cléments. Est-ce vraiment certain? La question de savoir quel rôle effectif jouent les critères fiscaux dans les choix d’implantation des particuliers et des entreprises est en effet très controversée. Mais, con-frontées à cette question, les autorités fiscales cantonales semblent systé-matiquement suivre le précepte : « Dans le doute, abstiens-toi ». Ce qui si-gnifie, finalement, que l’efficacité des menaces de changement de domicile est largement indépendante de la question de savoir de quel poids réel pèse la fiscalité dans les choix de domiciliation.

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Mieux encore : nous avons vu dans le chapitre 2.4. que, depuis le début des années 1980, la politique des caisses vides a conduit certains cantons à réduire leur pression fiscale. Mais, dans un climat politico-idéologique marqué par la montée du néolibéralisme et le recul du mouvement 1. Cité dans ibid., p. 90.

2. Cf. ibid., pp. 116-148.

3. À cet égard, l’imposition forfaitaire des résidents étrangers sans activité lucra-tive en Suisse, qui sont taxés non selon leurs revenus réels mais selon leur train de vie, est singulièrement frappante.

4. Cité dans le NQ, 11-13 novembre 1994.

5. Sur ce point, cf. B. Dafflon, Federal Finance…, op. cit., p. 107; A. Schönenberger,

« La capacité… », op. cit., pp. 536 ss; M. van Orsouw, Das vermeintliche…, op.

cit., pp. 174 et 196.

ouvrier, les autorités d’une série de cantons ont pu accentuer leur sous-en-chère fiscale dès que les finances cantonales sont sorties des chiffres rouges liés à la récession de 1982-1983, soit approximativement depuis le milieu des années 1980. Afin d’attirer contribuables fortunés et entreprises, les taux d’imposition sur les revenus des catégories aisées et le capital des en-treprises ont été réduits. Surtout, on a fait preuve d’une plus grande géné-rosité avec les déductions de toutes sortes. Des exonérations fiscales par-tielles ou totales, allant jusqu’à dix ans, ont été généreusement accordées aux nouvelles sociétés. On a fortement accru le montant des amortisse-ments exempté d’impôt. On s’est montré encore plus coulant vis-à-vis de l’évitement de l’impôt sur les bénéfices par le moyen de la constitution de réserves, etc.

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Relevons entre parenthèses que cette politique a eu pour effet de précipiter maints cantons dans les chiffres rouges dès l’apparition de la crise économique, et même parfois avant.

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Le tableau 4 indique l’évo-lution entre 1985 et 1996 de la charge représentée par les impôts canto-naux, communaux et paroissiaux pour 4 tranches de revenus qui, en termes réels, c’est-à-dire déduction faite de l’inflation, restent identiques sur la période.

1. Cf. l’impressionnant tableau des allégements fiscaux accordés dans les cantons de Zoug, Fribourg, Glaris, Grisons, Nidwald, Schwytz et Berne dressé dans une série d’articles de la HandelsZeitung, 1er novembre 1990-17 janvier 1991.

Pour d’autres exemples dans les cantons de Lucerne, Genève, Zurich, Argovie, Saint-Gall et Neuchâtel, cf. Bilan, octobre 1992, pp. 73-78.

2. À cet égard, le cas du canton de Berne est exemplaire. La politique de dumping fiscal forcenée menée depuis 1986 par la majorité bourgeoise du Grand Con-seil, sous la direction du chef du Département des finances, le Démocrate du centre Ulrich Augsburger, a contribué à plonger Berne dès 1990 dans des défi-cits élevés en comparaison avec le reste de la Suisse. Défidéfi-cits d’autant plus éle-vés que, grâce à cette politique, et à l’appui sans réserve de la Banque cantonale bernoise, U. Augsbuger avait notamment réussi à obtenir le déplacement dans son canton de Omni Holding, une très grande société contrôlée par le financier Werner K. Rey, domiciliée auparavant dans le canton de Zoug. Le politicien bernois s’était d’ailleurs abondamment vanté de ce « coup », le présentant comme la preuve définitive des mérites du fédéralisme fiscal. Las! Omni Hol-ding a sombré au début de 1991 dans une gigantesque faillite, entraînant pour la Banque cantonale de très lourdes pertes dont les contribuables bernois ont dû et devront encore pendant plusieurs années assumer une partie substan-tielle. Cf. Rita Flubacher, Flugjahre für Gaukler. Die Karriere des Werner K. Rey, Zürich, 1992, pp. 130-135 et 304-318; Dominik Egli/Robert Leu, Zur Lage der Berner Staatsfinanzen, Bern/Stuttgart/Wien, 1995, pp. 85-90; OCDE, Etudes éco-nomiques de l’OCDE 1994-1995. Suisse, Paris, 1995, pp. 113-114 et 133, ainsi que la HandelsZeitung du 31 janvier 1991, et Die Weltwoche du 5 décembre 1991.

Tableau 4 Évolution entre 1985 et 1996 de la charge fiscale pour 4 tranches de revenus bruts du travail, chaque revenu restant identique sur la période en terme de pouvoir d’achat (en % du revenu brut)

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Capitales des cantons

1985 1996 1985 1996 1985 1996 1985 1996

Revenu brut en francs

(1996 identique à 1985 en termes de pouvoir d’achat) 33047 44778 66095 89556 132190 179112 264379 358224

Charge fiscale en pour-cent du revenu brut

Zurich 5.16 5.05 10.20 9.18 15.95 14.06 22.31 20.18

Berne 8.63 7.71 14.06 12.50 19.58 17.17 23.63 22.14

Lucerne 7.71 7.30 13.53 12.14 17.99 16.74 20.91 20.25 Altdorf 7.68 4.68 11.34 8.93 15.41 13.75 19.05 17.12 Schwytz 6.05 5.11 10.75 8.39 15.50 11.81 17.63 13.78 Sarnen 6.16 6.05 10.90 10.23 13.78 13.39 15.23 15.36

Stans 5.93 4.13 9.96 7.68 13.38 10.60 14.74 13.19

Glaris 6.06 6.06 12.60 11.48 18.62 16.90 22.81 21.46

Zoug 4.15 2.77 7.29 5.63 10.27 8.54 12.38 11.20

Fribourg 9.02 7.54 14.47 12.62 20.02 17.55 22.52 22.59 Soleure 5.82 5.21 10.98 12.26 16.05 17.82 20.48 24.23

Bâle 8.42 6.90 15.68 13.86 21.68 19.46 25.36 23.23

Liestal 7.26 5.86 12.65 11.42 18.18 16.96 21.56 20.88 Schaffhouse 5.77 6.04 11.32 11.41 17.02 16.85 21.88 21.92 Hérisau 6.58 6.75 10.81 10.01 14.15 14.56 16.92 17.61 Appenzell 6.33 5.59 10.55 9.39 14.47 12.78 17.96 16.38 Saint-Gall 6.68 6.34 11.48 11.82 17.50 17.13 21.55 21.51

Coire 4.97 3.63 10.23 9.07 15.86 14.92 19.29 18.42

Aarau 6.35 5.53 11.15 9.17 16.62 14.63 21.33 20.44

Frauenfeld 6.17 5.40 11.41 10.53 17.55 16.12 21.40 20.74 Bellinzone 5.34 5.00 11.96 10.94 18.70 17.09 23.49 23.13 Lausanne 9.44 5.69 14.69 12.53 20.25 16.80 24.72 22.36

Sion 7.74 6.39 13.72 10.15 20.88 16.62 22.95 20.61

Neuchâtel 9.14 6.02 14.43 12.64 19.42 17.93 23.16 23.05 Genève 9.34 4.13 14.59 13.08 19.41 19.80 24.42 25.52 Delémont 9.50 7.70 15.90 13.19 21.40 18.38 25.46 23.88 Moyenne

pondérée 7.25 5.73 12.73 11.29 18.22 16.46 22.80 21.47

Ce tableau fait apparaître assez clairement les différentes manifesta-tions du fédéralisme fiscal qui ont été mentionnées jusqu’à maintenant.

Les principales d’entre elles sont les suivantes :

1. En 1996, malgré une situation budgétaire délicate dans pratiquement tous les cantons dès 1989, la pression fiscale sur les deux catégories de con-tribuables que l’on peut qualifier de très et d’extrêmement aisés est nette-ment inférieure en moyenne à ce qu’elle était en 1985, alors que la grande majorité des cantons dégageaient des excédents budgétaires.

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Si l’on prend la moyenne pondérée de l’ensemble des chefs-lieux cantonaux, on constate que les contribuables disposant des revenus les plus élevés (29900 francs par mois en 1996) ont vu leur charge s’alléger de 5,8 % (-1,33 point de pour-cent) entre 1985 et 1996. L’imposition de ces contribuables a été diminuée dans 20 chefs-lieux cantonaux sur 26. La catégorie juste infé-rieure, celle des très aisés (14’900 francs par mois en 1996), a été délestée en moyenne de 9,7 % (-1,76 point de pour-cent). Dans 23 chefs-lieux sur 26, elle a connu une baisse de sa charge fiscale.

Le cas de certains chefs-lieux est particulièrement spectaculaire. À Zu-rich, soumis à la sous-enchère fiscale des cantons voisins de Zoug et Schwytz, l’imposition de la catégorie la plus élevée des contribuables a été réduite de 9,5 % (-2,13 points de pour-cent) alors que les salariés les plus modestes (3’700 francs par mois) n’ont vu leurs impôts diminuer que de 2,1 % (-0,11 point de pour-cent). Durant le même temps, Zoug et Schwytz réduisaient leur pression, déjà extrêmement basse, sur les contribuables les plus nantis de 9,5 % et 21,8 % respectivement (-1,18 et -3,85 points de pour-cent). En réponse à la concurrence de Bâle-Campagne, l’imposition de ce type de contribuables a été diminuée de 8,4 % (-2,13 points de pour-cent) à Bâle-Ville. Pour attirer les riches Genevois, Vaud a diminué son im-position de 9,5 % (-2,36 points de pour-cent). Glaris, en compétition avec Schwytz et Saint-Gall, présente la particularité d’avoir sensiblement réduit la charge fiscale reposant sur les deux catégories les plus élevées de contribuables tout en maintenant au même niveau celle frappant la caté-gorie la plus pauvre.

1. (Note du tableau 4) Il s’agit de l’imposition du revenu brut du travail d’une per-sonne mariée sans enfants, exerçant une activité lucrative dépendante, calculée selon les prescriptions légales (taux d’imposition, déductions, etc.) propres à chaque canton. Dans la mesure où il s’agit de la seule catégorie de contribuables pour laquelle l’Administration fédérale des contributions établit des données qui soient comparables dans le temps, on est obligé de s’y limiter lorsqu’on cherche à se faire une idée de l’évolution de la charge fiscale en Suisse; cf. la publication : Administration fédérale des contributions, Charge fiscale en Suisse.

Chefs-lieux des cantons. Nombres cantonaux 1996, Berne, 1997, pp. 28-31.

1. Relevons ici que le fédéralisme fiscal contribue donc à ce que les taux margi-naux, c’est-à-dire la progressivité, sur les hauts revenus soit relativement clé-mente en Suisse. Je reviendrai sur cet aspect dans le chapitre 4.4.

2. Le tableau 4 témoigne de l’étendue considérable des écarts de pres-sion fiscale entre cantons et donc de la vivacité du fédéralisme fiscal.

Malgré l’allégement de l’imposition des contribuables appartenant à la ca-tégorie la plus élevée à Zurich, leur charge dans ce chef-lieu est encore, en 1996, supérieure de 80 % (8,98 points de pour-cent) à ce qu’elle est à Zoug, et de 46 % (6,4 points de pour-cent) à ce qu’elle est à Schwytz. Entre Lu-cerne et Stans, la différence au détriment du premier nommé des chefs-lieux reste de 53 % (7,06 points de cent), de 14 % (3,16 points de pour-cent) entre Genève et Lausanne, de 11 % (2,35 points de pour-pour-cent) entre Bâle et Liestal. On pourrait allonger considérablement la liste des exem-ples. Il est particulièrement intéressant de constater que durant la période 1985-1996, l’ampleur des écarts de pression fiscale entre cantons a diminué pour la catégorie la plus basse des contribuables alors qu’elle a augmenté pour la catégorie la plus élevée.

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En d’autres termes, l’intensité du fédéra-lisme fiscal a régressé pour les contribuables les plus dépourvus, ceux qui ne constituent en aucun cas un enjeu dans la concurrence fiscale entre can-tons, et elle a augmenté pour les contribuables disposant de revenus très élevés, qui représentent le principal enjeu de cette concurrence. Ce qui semble confirmer que la politique de sous-enchère fiscale vis-à-vis des per-sonnes physiques tend à s’accentuer depuis le milieu des années 1980.

Quittons le tableau 4 et l’imposition des personnes physique pour nous intéresser un instant à celle des personnes morales. L’Administration fédé-rale des contributions ne calcule pas l’évolution dans le temps de la charge fiscale reposant sur les entreprises, ce qui est particulièrement regrettable puisque c’est sur ce terrain que la concurrence intercantonale semble avoir été la plus intense. On peut malgré tout essayer de dessiner une tendance,

Quittons le tableau 4 et l’imposition des personnes physique pour nous intéresser un instant à celle des personnes morales. L’Administration fédé-rale des contributions ne calcule pas l’évolution dans le temps de la charge fiscale reposant sur les entreprises, ce qui est particulièrement regrettable puisque c’est sur ce terrain que la concurrence intercantonale semble avoir été la plus intense. On peut malgré tout essayer de dessiner une tendance,