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Pourquoi une politique des caisses vides?

2.4 La politique des caisses vides :

2.4.1 Pourquoi une politique des caisses vides?

Au reste, on peut noter que l’ancien Conseiller d’État vaudois Marcel Blanc, membre de l’Union démocratique du Centre, relève que la stratégie des cercles pa-tronaux vaudois consiste à «… affamer [l’] État pour circonscrire son emprise et pour juguler une fois pour toutes son expansion. »

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2.4.1 Pourquoi une politique des caisses vides?

De certains avantages des déficits

Pourquoi les milieux dominants mènent-ils une politique des caisses vides? Quels avantages trouvent-ils dans des finances publiques en crise chronique?

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À cette question, il y a une première réponse. Nous l’avons vu plus haut (cf. le chapitre 2.3.2.), les cercles dominants de l’économie et de la politique inclinent à maintenir l’imposition aussi modérée que possible. En particu-1. Cf. le Journal de Genève, 12 septembre 1994.

2. Cité dans 24 Heures, 29 juillet 1991.

3. 24 Heures, 20-21 février 1993.

4. Une politique des caisses vides plongeant l’État dans les chiffres rouges est menée d’autant plus volontiers que le risque de produire l’effet dit d’éviction (« crowding out ») est extrêmement faible, particulièrement en Suisse. En d’autres termes, même si pour mieux justifier leur exigence de mesures d’aus-térité draconiennes, les cercles néolibéraux en font un épouvantail, le danger que les déficits des collectivités publiques entraînent un renchérissement du loyer de l’argent, qui entrave à son tour les investissements et aggrave ainsi la situation économique, est minime, pour ne pas dire inexistant; à ce propos, cf.

entre autres Philippe Thalmann, « Des finances saines », in L. Weber et al., Les finances…, op. cit., pp. 275-279; le Journal de Genève du 14 décembre 1995; Beat Schwab, Ökonomische Aspekte der Staatsdefizite und Staatsverschuldung in der Schweiz, Bern/Stuttgart/Wien, 1996, pp. 103-136 et 172; Nils Soguel, « Faut-il s’inquiéter de l’augmentation de la dette de la Confédération? », Cahiers de questions conjoncturelles, 2/1996, pp. 3-4.

lier l’imposition qui les affecte directement, mais aussi le niveau général des impôts. Cette précision est importante. Elle signifie que la réduction de la pression fiscale représente souvent un objectif en tant que tel, sans qu’il s’accompagne de la volonté clairement établie d’assécher les caisses de l’État. Une démarche visant à diminuer tel ou tel impôt ne poursuit pas forcément en parallèle le but de limiter les recettes de l’État. Autrement dit : toute politique de restriction de l’imposition n’est pas nécessairement une politique des caisses vides, même si, en fin de compte, le résultat sera le même. En revanche, une politique des caisses vides passe nécessaire-ment par une limitation de la pression fiscale et, aux yeux des milieux bourgeois, cette limitation constitue assez fréquemment à elle seule un puissant motif d’attraction.

D’autant plus, et l’on touche ici un second motif, que les déficits obli-gent les pouvoirs publics à contracter de nombreux et volumineux em-prunts. Emprunts qui, contrairement aux impôts, constituent une source de gains pour les possédants. Pour de larges cercles parmi les couches aisées, ils constituent des placements sûrs et bien rémunérés. Par ailleurs, ils permettent aux établissements bancaires de prélever de substantielles commissions en tant qu’intermédiaires pour le placement des valeurs éta-tiques. Dans un article paru en 1988, où il prônait l’assèchement des cais-ses publiques, H. Letsch attirait l’attention sur cet aspect. Il expliquait qu’en cas de déficit, l’État serait obligé de recourir à l’emprunt et qu’

«… ainsi, des possibilités bienvenues de placement pourraient être offertes. »

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De tels emprunts sont particulièrement bien accueillis dans les périodes de récession, car ils compensent le recul des demandes de crédit issues de l’économie privée. Entre 1991 et 1992, lorsque la Suisse s’enfonce dans la crise, les emprunts du secteur privé diminuent, au total, de 44 % pendant que ceux des pouvoirs publics augmentent de 210 %.

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Prenons unique-ment les émissions publiques effectuées pour des emprunteurs helvéti-ques sur le marché financier suisse et comparons le volume moyen durant les trois années précédant la crise (1988-1990) et durant les six années de marasme économique (1991-1996).

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En francs constants, le montant des emprunts issus du secteur privé diminue de 16 % mais ce recul est plus que compensé par le quadruplement que connaissent les émissions venant de la Confédération, des cantons et des communes. Alors que ces dernières représentaient en moyenne 12 % du volume total des emprunts effectués par des emprunteurs suisses entre 1988 et 1990, leur part s’élève à 40 % 1. NZZ, 13-14 février 1988.

2. Cf. la HandelsZeitung, 21 janvier 1993.

3. Les chiffres qui suivent ont été calculés par l’auteur sur la base des données fournies dans La Vie économique. Revue de politique économique, juillet 1991, p. 26*, juin 97, tableau B 4.6, août 1995, p. 26*. Le déflateur utilisé est l’indice suisse des prix à la consommation.

entre 1991 et 1996. Il n’est donc guère étonnant qu’en 1993 l’ASB attribue les excellents résultats des banques helvétiques en particulier aux «… opé-rations d’émission intensives provenant, entre autres, des besoins financiers crois-sants des pouvoirs publics. »

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Ou encore que, interviewé en août 1995, un cadre de l’Union de Banques Suisses souligne les excellentes affaires que sa banque réalise grâce au fait que « les déficits du début des années 1990 ont créé un socle de titres »

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facilement négociables.

Passons au troisième avantage de la précarité des finances publiques.

En 1896, Knut Wicksell, un important économiste suédois d’orientation néoclassique, écrivait : « Si les classes inférieures parviennent une fois à dispo-ser […] du pouvoir d’édicter des lois […], il existera certainement le danger qu’el-les procèdent avec aussi peu de désintérêt que qu’el-les classes qui ont eu le pouvoir jusqu’à maintenant; c’est-à-dire qu’elles […] se montrent dans l’octroi des dépen-ses si dispendieudépen-ses et si insouciantes que le capital mobile du pays soit bientôt di-lapidé en vain. Un tel danger ne devrait pas être nié ou récusé à la légère… ».

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C’est précisément dans l’inhibition d’un tel danger que réside très proba-blement l’aspect le plus utile de la politique des caisses vides. Utilité que l’on peut résumer d’une autre façon : dans une démocratie parlementaire, dont la structure donne un poids particulier aux autres classes ou couches sociales, par exemple aux salariés ou à la petite bourgeoisie, la précarité des finances publiques aide le noyau hégémonique de la classe dominante à refouler leurs revendications et à restreindre les potentialités redistribu-tives de l’État.

Voyons la chose d’un peu plus près. Si, dans une telle démocratie, les comptes de l’État bouclent sur des excédents dont l’affectation n’est pas déterminée, le risque est élevé, du point de vue des milieux patronaux, que ces surplus ne soient finalement pas utilisés pour satisfaire leurs pro-pres besoins, mais ceux d’autres groupes sociaux. On se rappelle le juge-ment négatif que les milieux dominants portaient en 1890 déjà sur les ex-cédents budgétaires ; ceux-ci sont « dommageables [en] ayant pour effet de provoquer des convoitises et d’encourager une utilisation non économique. »

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En cas de déficits, le danger que les pouvoirs publics mènent une poli-tique allant à l’encontre des intérêts de l’élite économique est moindre.

Pour deux raisons étroitement mêlées. D’abord, l’existence de déficits exerce une très forte pression pour que l’État ne se charge pas de nouvel-les tâches ou n’améliore pas des prestations existantes, mais au contraire 1. Communiqué de presse de l’ASB, NZZ, 13 août 1993.

2. Cité dans Finanz und Wirtschaft, 2 août 1995.

3. Cité dans Fritz Karl Mann, « Zur Soziologie der finanzpolitischen Entschei-dung », Schmollers Jahrbuch für Gesetzgebung, Verwaltung und Volkswirtschaft im Deutschen Reich, Vol. 57, 1933, p. 716.

4. Rapport de la Commission des douanes du Conseil national cité dans R. Müller, Volk…, op. cit., p. 35.

diminue ses dépenses. Autrement dit, pour qu’il entreprenne une politi-que d’austérité.

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Un chaud partisan de la politique des caisses vides, G. Sorman, souligne que « le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît […] comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. Il n’y a en vérité aucun autre moyen que cette pression » pour obtenir que l’État

« fasse des économies. »

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Or, la politique d’austérité facilite le démantèle-ment de certains transferts que l’État effectue en direction des strates so-ciales non bourgeoises. Elle favorise également l’application de mesures semblables dans le privé. Et si elle aboutit au rétablissement de l’équilibre budgétaire tout en diminuant la quote-part étatique, elle prépare la voie à une nouvelle baisse des impôts, ce qui tend à améliorer la profitabilité.

Ensuite, et il s’agit de la seconde raison, à partir du moment où l’État se trouve en situation déficitaire chronique, il est contraint en permanence d’emprunter, c’est-à-dire de faire appel aux banques et au marché du capi-tal. Une telle obligation place les pouvoirs publics dans une relation de dé-pendance financière directe, immédiate, à l’égard des bailleurs de fonds.

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En 1863 déjà, un journal populaire suisse donne une description saisis-sante des conséquences qu’entraîne cette situation d’assujettissement : « Si l’État devait […] attendre jusqu’à ce qu’il soit d’un côté profondément enfoncé dans les dettes, et de l’autre qu’une banque privée comme le Crédit Suisse se soit envolée si haut qu’il doive encore être heureux de pouvoir lui emprunter de l’ar-gent, alors le président de la banque serait notre roi et le directeur son ministre de la guerre. »

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En termes moins colorés, J. O’Connor constate que «… l’insti-tution de la dette resserre normalement l’emprise du capital sur l’État », de telle sorte que celui-ci devient « inféodé politiquement à [la] classe des banquiers, in-vestisseurs et autres courtiers en argent. »

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1. Je reviens plus en détail sur la politique d’austérité menée depuis le début des années 1990 par les autorités fédérales dans le chapitre 6.1.

2. G. Sorman, La solution…, op. cit., p. 130.

3. Précisons que la dépendance des pouvoirs publics tend à être d’autant plus grande que l’endettement est à court terme. Or, si l’on observe l’évolution de la dette des collectivités publiques dans un pays comme la France, on constate que la proportion des emprunts nets à court terme passe de 36 % en 1977 à 57 % en 1992; cf. Elie Cohen, « L’innovation financière et les paradoxes du finance-ment public sur les marchés des capitaux », in B. Théret (dir.), L’État…, op. cit., p. 428.

4. Le Schweizerisches Volksblatt vom Bachtel cité dans Daniela Decurtins et Susi Grossmann, « Die Bedeutung kommunikativer Vernetzung für die Gründung der Zürcher Kantonalbank 1870 », in Y. Cassis/J. Tanner (éd.), Banken und Kre-dit in der Schweiz 1850-1930, Zürich, 1993, p. 109.

5. J. O’Connor, The fiscal Crisis…, op. cit., pp. 188-189.

Cette inféodation de l’État à ses créanciers transparaît parfois de la façon la plus crue. Un exemple : en juillet 1920, le Conseil d’État du canton de Bâle-Ville, en proie à de sérieuses difficultés financières, mène des né-gociations avec des banques afin d’obtenir un crédit. Les banques assortis-sent l’octroi de cette avance d’une série de conditions, entre autres l’inter-diction d’introduire un nouvel impôt extraordinaire sur le revenu et la fortune pendant la durée du contrat, l’augmentation des tarifs des entre-prises publiques (eau, gaz, électricité) et l’introduction d’importantes éco-nomies dans le projet de budget pour 1921. Dans un premier temps, le Grand Conseil refuse ces conditions parce qu’elles signifient « une atteinte à la souveraineté de l’État ».

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Mais, après de nouvelles négociations qui aboutissent à quelques changements dans la forme sans rien modifier sur le fond, le Grand Conseil finit par signer le contrat.

Que les rapports de force s’expriment aussi ouvertement reste toutefois relativement rare (dans les pays économiquement développés ; dans le tiers-monde, c’est chose courante). Généralement, l’emprise des déten-teurs de capitaux sur l’État prend des voies plus médiatisées, plus feu-trées. Elle se manifeste sous la forme de normes intériorisées et considé-rées dès lors comme naturelles. Comme l’explique l’économiste américain Manuel Gottlieb, dès le moment où l’État se voit contraint de recourir lar-gement aux emprunts, « la première tâche pratique d’un gouvernement […]

[est] de mettre en œuvre des mesures et de mener à bien une politique qui main-tiennent le crédit public dans l’esprit de ceux qui disposent de capitaux à investir pour eux-mêmes ou pour le compte d’autrui, à savoir les capitalistes et les inter-médiaires financiers. »

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Le fait social qu’est la relation de dépendance financière directe de l’État vis-à-vis de ses créanciers prend les apparences d’un fait naturel, d’une si-tuation qui va de soi. Ainsi naturalisé, ce lien d’assujettissement est inté-riorisé par les acteurs mêmes. Pour reprendre un concept de Pierre Bour-dieu, il devient, sans que les acteurs en aient conscience, le modus operandi, le « principe générateur de pratiques »

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, en matière financière. Au centre de ces pratiques, le maintien du crédit public, c’est-à-dire le main-tien de la confiance des créanciers. Cette règle tend à se transformer en base axiomatique à laquelle, sauf situation exceptionnelle (par exemple, en période de guerre), il semble parfaitement légitime que l’ensemble de

1. Rapport du Consul général d’Allemagne à Zurich au Ministère des Affaires étrangères allemand, 18 septembre 1920, Archives du Auswärtiges Amt (Bonn), Abteilung II-Wirtschaft, Schweiz, Finanzwesen 2, Band 1. Tout l’épi-sode est décrit dans ce rapport.

2. Manuel Gottlieb, « Political Economy of the Public Debt », Public Finance, 1956, Vol. 11, pp. 273-274.

3. Cf. Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris, 1980, p. 26.

la vie gouvernementale soit, pour reprendre les termes de M. Gottlieb,

« automatiquement ajustée ».

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Au sein du public, la légitimité d’un tel ajustement apparaît d’autant plus grande que les milieux dirigeants, et bien souvent la science finan-cière elle-même, entretiennent avec un soin tout particulier l’idée de l’identité entre le budget de l’État et celui de la famille. L’expression

« ménage » de l’État est systématiquement employée.

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On évoque en per-manence toute une imagerie qui, se basant sur cette prétendue équiva-lence, favorise l’intériorisation des contraintes soit disant naturelles aux-quelles la politique financière devrait se soumettre. Ainsi, le Conseiller aux États radical Ernst Rüesch, spécialiste des questions financières, comparait récemment le budget de la Confédération à celui d’un « père de famille ».

Discutant un certain nombre de « nouvelles revendications sociales » (assu-rance-maternité; amélioration de l’assurance-vieillesse, etc.), il écrivait :

« Lorsqu’un père de famille a des soucis d’argent, il réfléchit à deux fois, au moins quand il s’agit de nouvelles dépenses, à la question de savoir si celles-ci sont vrai-ment nécessaires. C’est cela qu’on serait en droit d’attendre de la Confédéra-tion. »

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La conclusion coule de source. Elle est déjà contenue dans la ma-nière dont le problème est posé. Les citoyens, composés dans leur grande majorité de travailleurs salariés, savent pertinemment qu’ils ne peuvent pas vivre longtemps à crédit, « au-dessus de leurs moyens », pour reprendre une autre métaphore fréquemment et indistinctement utilisée pour l’indi-vidu et pour l’État.

1. M. Gottlieb, « Political… », op. cit., p. 274. Voici un exemple de ce phénomène d’intériorisation et de naturalisation de la dépendance financière de l’État et des normes qui en découlent. Il s’agit d’un rapport publié en 1907 par le Con-seil fédéral sur la situation financière de la Confédération. Ce rapport a été éla-boré à la demande de la majorité bourgeoise des Chambres, dans le cadre de la discussion sur la création d’une assurance-maladie et accidents, création vi-goureusement défendue par la gauche. La manière dont le gouvernement pré-sente l’objet même de son rapport est hautement significative : « La question que nous avons à examiner peut se résumer en ces termes : […] comme le premier de nos soucis doit être celui de conserver à notre pays une bonne situation financière et un bon crédit, et de maintenir pour cela avec soin l’équilibre de nos recettes et de nos dépenses, ne risquons-nous pas de compromettre et de détruire cet équilibre en grevant le budget d’une charge aussi lourde [celle qu’implique la création d’une assurance-maladie et accidents, nda], d’y installer le déficit chronique et de porter ainsi une atteinte à notre crédit, qui est de premier ordre et dont nous avons le plus grand besoin? »; Rap-port du Conseil fédéral sur la situation financière de la Confédération, 17 juin 1907, Feuille Fédérale 1907, Vol. 4, pp. 857-858.

2. Il est encore plus facile de jouer sur l’idée d’une telle équivalence à partir de la langue allemande puisque le terme Haushalt, en réminiscence des temps loin-tains où le budget du Prince se confondait avec celui de l’État, s’emploie aujourd’hui pour désigner aussi bien le ménage familial que le budget étatique.

3. NZZ, 2 mars 1995.

Notons également, entre parenthèses, que l’assujettissement de l’État à ses créanciers tend à développer sa propre logique, d’autant plus lorsqu’il est intériorisé comme un fait naturel. Ainsi, comme le relève M. Gottlieb, il apparaît raisonnable et légitime de désigner des responsables des finances publiques qui soient « en bons termes »

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avec les milieux bancaires. Dans sa récente étude sur la direction du Trésor français, Yves Mamou souligne d’ailleurs que celle-ci est en « osmose avec les représentants du monde financier ».

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Couronnement du modus operandi : puisque l’État accorde aux banques un rôle central dans son financement, il est donc directement intéressé à leur bonne marche. En d’autres termes : dans la mesure même où le crédit de l’État devient une affaire des banques, inversement le crédit de celles-ci devient une affaire d’État. Il y a donc identification entre les in-térêts de l’État et ceux de la place financière. Dans le bilan qu’il tire à l’issue de la Première Guerre mondiale, le Ministre des finances suisses de l’épo-que, Giuseppe Motta, offre une illustration remarquable de la façon dont on aboutit « naturellement » à cette identification. Durant toute la guerre, les milieux dirigeants helvétiques se sont refusés à serrer fortement la vis fiscale. Aussi les énormes dépenses de mobilisation ont-elles été couvertes en majeure partie grâce à des emprunts placés par les banques. Dès lors, G. Motta peut déclarer : « Sans l’organisation de nos banques, sans le puissant appui qu’elles ont apporté au pays, pendant cette période qui va de 1914 à 1918 et qui se prolongera encore, il aurait été impossible à la Confédération de faire face à ses tâches financières formidables »; à nouveau, la conclusion coule de source :

« Le crédit du pays est solidaire du crédit des banques elles-mêmes. »

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Mais revenons au centre de notre problématique. La précarité des finan-ces publiques et l’existence d’une large dette aident puissamment la classe dominante à faire barrage aux prétentions d’autres classes sociales, en par-ticulier aux revendications sociales avancées par le mouvement ouvrier. Si l’État connaît une période de déficits, il apparaît légitime de repousser de telles prétentions : d’une part comme irréalistes, au nom du manque d’ar-gent, et d’autre part comme dangereuses, car creusant le déficit, augmen-tant la dette et minant donc le crédit de l’État. Si l’on se trouve en revanche dans une période d’excédents, il apparaît naturel d’utiliser ces surplus 1. M. Gottlieb, « Political Economy… », op. cit., p. 274. À noter qu’on trouve chez Zola une allusion à ce type de phénomène : dans les années 1860, un financier se plaint auprès d’un député de ce que le gouvernement français montre beau-coup de prévenance à l’égard du plus grand banquier parisien de l’époque, Gundermann (qui figure Rothschild). Ce à quoi le député répond : « Oh! Gun-dermann, sans doute! Ils ont tous besoin de GunGun-dermann, ils ne pourraient pas faire un emprunt sans lui » ; Emile Zola, L’argent, Paris, 1985 [1re édition : 1891], p. 231.

2. Yves Mamou, Une machine de pouvoir. La direction du Trésor, Paris, 1988, p. 60.

3. BoCN 1918, p. 262.

pour diminuer le poids, toujours présenté comme dangereux ou insuppor-table, de l’endettement, c’est-à-dire pour rembourser les possédants et

pour diminuer le poids, toujours présenté comme dangereux ou insuppor-table, de l’endettement, c’est-à-dire pour rembourser les possédants et