• Aucun résultat trouvé

État fiscal et déficits budgétaires

2.3 Aux sources de la crise financière de la Confédération suisse

2.3.2 État fiscal et déficits budgétaires

Ce sommaire tour d’horizon consacré aux dépenses fédérales étant achevé, il est temps d’aborder le versant des recettes. Il s’agit maintenant d’examiner pourquoi celles-ci tendent à rester inférieures aux dépenses. Il me semble que cette tendance s’explique par la combinaison de deux rai-sons de fond. Pour comprendre la première, il est indispensable de com-mencer par quelques considérations abstraites.

En fin de compte, l’État ne peut se procurer des revenus durables et subs-tantiels qu’à travers trois moyens : par l’impôt, en se lançant lui-même dans des activités lucratives, et enfin par l’emprunt. Je laisserai de côté l’em-prunt, à la fois pour ne pas trop compliquer l’exposé et parce que si le re-cours au crédit joue, quantitativement parlant, un rôle relativement impor-tant, il reste un moyen subsidiaire de se procurer des revenus dans le sens où il se fonde sur, et dépend de, l’existence des deux autres types de res-sources, fiscales et entrepreneuriales. Voyons d’abord ce second type de re-cettes. À cet égard, un constat s’impose : dans l’ensemble des pays dévelop-pés à économie marchande généralisée, les revenus que l’État se crée en se transformant lui-même en entrepreneur, produisant et s’appropriant ainsi directement une partie de la plus-value sociale globale, demeurent sur le 1. Les chiffres figurant ci-dessus ont été calculés par mes soins à partir des don-nées livrées par Georges Piotet/Clive Loertscher, La crise fiscal e en Suisse, Lau-sanne, 1977, manuscrit, pp. 23 et 28, et le Message concernant le compte d’État 1996, Berne, 1997, pp. 23 et 33. Le déflateur utilisé est l’indice des prix à la con-sommation. Sur l’accroissement des dépenses d’infrastructure, cf. également Antonio Manzini, « La taille du secteur public », in L. Weber et al., Les finan-ces…, op. cit., pp. 53-54.

long terme d’ordre accessoire. En Suisse, la part de ce type de recettes au total des revenus des différents échelons de l’État (Confédération, cantons, communes) ne dépasse guère 20 %, cela depuis la fin du XIXe siècle.

1

Les origines d’une telle situation ne se situent pas principalement sur le plan technique — l’État est parfaitement capable d’exploiter rationnelle-ment et avec profit des entreprises productives

2

— mais économique et po-litique. Si l’État voulait couvrir la majeure partie de ses dépenses en deve-nant lui-même producteur de marchandises, il serait obligé de s’engager dans de multiples secteurs et de fixer ses prix très amplement au-dessus de ses coûts de production. Dès lors, il stimulerait de nombreux entrepre-neurs privés à investir dans les secteurs considérés. Afin de se soustraire à une telle concurrence, qui le contraindrait à réduire ses prix, l’État devrait alors s’en réserver le monopole. Ce faisant, il désorganiserait l’ensemble de la production et de la distribution marchandes, notamment en désa-vantageant durement les entrepreneurs obligés de s’adresser à lui par rap-port à ceux qui ne le seraient pas.

À cela s’ajoute le fait que non seulement l’État retirerait ainsi des domai-nes d’investissement rentables aux milieux bourgeois, mais qu’il accroî-trait ainsi considérablement la concurrence sur les champs restants. Enfin, le nombre des employés de l’État devrait très sensiblement augmenter.

Aussi l’attitude observée par les pouvoirs publics à l’égard de la main-d'œuvre qu’ils emploient exercerait-elle une influence grandissante sur les rapports entre le patronat et le salariat, accentuant le danger d’une politi-sation de ces rapports, que le patronat tient au contraire à conserver sur un plan strictement privé.

3

1. Cf. P. Halbeisen/R. Lechner, Öffentliche…, op. cit., pp. 41, 106, 194, et Katrin Cornevin-Pfeiffer/Antonio Manzini, « Le financement de l’État », in L. Weber et al., Les finances…, op. cit., p. 88.

2. Une étude de l’OCDE publiée en 1995 affirme qu’il n’existe pas véritablement de matériel empirique probant appuyant l’idée selon laquelle les entreprises publiques seraient, par nature, moins efficaces que les entreprises privées. Tout dépend des conditions dans lesquelles les unes et les autres fonctionnent; cf.

OCDE, Tendances des marchés des capitaux, Paris, février 1995, p. 17. Même avis chez le Professeur Walter Wittmann, ce qui ne l’empêche pas d’être un farouche partisan de la privatisation; cf. Walter Wittmann, « Ansätze zu einer langfristi-gen Reform der Bundesfinanzpolitik » in S. Borner et al. (éd.), Schweizerische Stabilisierungs- und Finanzpolitik, Diessenhofen, 1978, pp. 41-42. À relever, pour l’anecdote, que selon une étude réalisée par un institut bancaire italien, les en-treprises publiques de la Péninsule se sont révélées beaucoup plus rentables, en 1994, que les privées…; cf. la Süddeutsche Zeitung du 9 août 1995.

3. Cf. J. O'Connor, The Fiscal Crisis…, op. cit., p. 180; Michael Krätke, Kritik der Staatsfinanzen. Zur Politischen Ökonomie des Steuerstaats, Hamburg, 1984, pp. 51-5 2 ; H e r b e r t S u l t a n , « Ü b e r d a s Ve rh ä l t n i s v o m S t e u e r s t a a t u n d Unternehmerstaat », in H. Teschemacher (éd.), Festgabe für Georg von Schanz zum 75. Geburtstag, Tübingen, 1928, pp. 409-434.

Les facteurs susmentionnés entraînent une conséquence d’une grande portée. L’État contemporain est contraint, selon les termes de Michael Krätke, de mener une «… existence économique non capitaliste au sein du capitalisme ».

1

Il doit en permanence se procurer, sous une forme moné-taire, une fraction de la valeur produite par la société sans être lui-même

— ou seulement dans une faible mesure — un producteur de marchandi-ses (biens ou services) qu’il puisse vendre sur le marché. Ce dilemme est

« résolu » par l’imposition, c’est-à-dire par « un transfert de valeur unilatéral des personnes privées vers l’État, transfert qui se répète régulièrement et sur la durée […] sous la menace du recours à la violence publique. »

2

Dans la société bourgeoise, l’État est donc un État qui se finance fiscalement, ce qu’on peut résumer en le désignant comme « État fiscal ».

3

L’État fiscal se trouve ainsi dans une situation contradictoire. Certes, il échappe en partie aux règles du système économique en place, puisqu’il peut recourir à la contrainte, mais il est en même temps dépendant de lui.

Pour la question qui nous occupe, cette relation de dépendance a une im-portance cruciale. L’État est en quelque sorte obligé de se greffer de l’exté-rieur sur la création privée de valeur. Ne tirant pas l’essentiel de ses res-sources du produit de sa propre activité économique mais des impôts, c’est-à-dire du produit de l’économie privée, il dépend pour son finance-ment de la bonne marche de cette dernière. La reproduction sans entraves de l’économie de marché généralisée constitue la condition de la reproduc-tion de la substance fiscale, de l’alimentareproduc-tion du réservoir dans lequel il puise. Or, à la base de l’économie de marché se trouve l’accumulation privée du capital. Autrement dit, le moteur de l’économie privée réside 1. M. Krätke, Kritik…, op. cit., p. 54.

2. Ibid., p. 57.

3. Sur le concept d’État fiscal et sa valeur heuristique, cf. notamment Jürgen Backhaus, « Die Kategorie des Steuerstaats und die moderne Finanzwis-senschaft », in H. Rieter (éd.), Studien zur Entwicklung der ökonomischen Theorie, Berlin, 1994, pp. 249-279. Caractériser de fiscal l’État bourgeois, celui de la société marchande généralisée, n’implique évidemment pas que l’imposition soit un phénomène récent. Dans des temps extrêmement reculés, certains États se servaient déjà de l’impôt. Ce qui distingue l’État bourgeois en tant qu’Etat fiscal, c’est la nécessité où il se trouve de « vivre » avant tout par le moyen de l’impôt. Sur le long développement historique menant à travers l’État domanial de la société féodale à l’État fiscal de la société bourgeoise, cf. entre autres Charles Tilly (éd.), The Formation of National States in Western Europe, Princeton, 1975 ; Kersten Krüger, « Public Finance and Modernisation : The Change from Domain State to Tax State in Hesse in the Sixteenth and Seventeenth Centuries. A Case Study », in P.-C. Witt (éd.), Wealth and Taxation in Central Europe, Leamington Spa/Hamburg/New York, 1987, pp. 49-62 ; Norbert Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, 1991; Alain Géry, « Fondements historiques des finances de l’État », in B. Théret (dir.), L’État, la finance et le social. Souveraineté nationale et construction européenne, Paris, 1995, pp. 390-410.

dans la maximisation des profits, dans la capacité des détenteurs des avoirs industriels, financiers, commerciaux, immobiliers, etc. d’obtenir des profits satisfaisants. On touche au cœur du problème. Comme on va le voir, le fait que l’État dépende pour son financement de l’accumulation privée du capital tend, sous deux aspects, à limiter ses ressources fiscales, et donc à maintenir un « État pauvre ».

1

En premier lieu, une telle tendance ressort clairement lorsque les contra-dictions de l’économie de marché débouchent sur des perturbations sérieu-ses de la production privée de valeur (récession, dépression, voire guerre).

Baisse des revenus des salariés, contraction de la masse des profits, ame-nuisement des échanges, autant de phénomènes qui entraînent alors une réduction de la base fiscale. Dans ces conditions, si le niveau de l’imposi-tion reste le même, les recettes fiscales de l’État ne peuvent que diminuer.

Ici, il faut s’arrêter un instant. En effet, toute perturbation sur le plan économique incline à restreindre les ressources fiscales de l’État. Mais d’un autre côté, on l’a vu plus haut, elle tend à déboucher sur une consé-quence diamétralement opposée : la hausse des dépenses étatiques. Ces deux mouvements opposés se traduisent donc par une évolution des re-cettes et dépenses en forme de ciseaux, c’est-à-dire par l’apparition de dé-ficits.

La marche des finances fédérales durant la phase actuelle, marquée par de fortes tendances récessives, permet d’illustrer rapidement ce phéno-mène. Dès le milieu de 1991 la Suisse entre dans une longue période de marasme économique. En francs constants, le PIB helvétique diminue de 1,1 % entre 1991 et 1993. Il connaît une légère reprise en 1994 (+1%), mais stagne en 1995 (+0,1%) et recule à nouveau en 1996 (-0,7 %). Le taux de chômage, insignifiant en 1990, augmente très fortement de 1991 à 1993 et oscille depuis lors entre 4,5 % et 5 % de la population active.

2

Cette phase récessive ne tarde pas à faire sentir ses effets sur les finances publiques.

D’une part, elle entraîne une diminution de la base fiscale. De l’autre, et quoi qu’on en dise, les dépenses, en particulier certains transferts sociaux, ne peuvent être réduites au même rythme, si ce n’est au double risque d’étouffer encore davantage le marché intérieur et/ou d’ouvrir une crise 1. Selon l’expression de Rudolf Goldscheid, « Staat, öffentlicher Haushalt und Gesellschaft. Wesen und Aufgabe der Finanzwissenschaft vom Standpunkte der Soziologie », paru en 1926 et reproduit dans R. Hickel (éd.), Die Finanzkrise des Steuerstaats. Beiträge zur politischen Ökonomie der Staatsfinanzen, Frankfurt a. M., 1976, p. 265. Cf. également J. O’Connor, The Fiscal Crisis…, op. cit., pp. 5-12 ; Rudolf Hickel, « Krisenprobleme des verschuldeten Steuerstaats », in R. Hickel (éd.), Die Finanzkrise…, op. cit., pp. 7-39; Rolf R. Grauhan/Rudolf Hickel, (éd.), Krise des Steuerstaats?, Opladen, 1978.

2. Toutes ces données sont tirées de La Vie économique. Revue de politique économi-que, septembre 1995 et mai 1997.

sociopolitique. Ainsi, entre 1991 et 1996, en francs constants, les recettes fiscales de l’État fédéral ne connaissent qu’une augmentation très faible : +5,3 %. Cette croissance très modérée est largement due à la faiblesse de la progression, sous l’effet conjugué du marasme des affaires et de la réduc-tion du pouvoir d’achat des salariés, du rendement du principal impôt dont dispose la Confédération : l’impôt sur le chiffre d’affaires, auquel succède, en 1995, la taxe sur la valeur ajoutée. En effet, malgré l’extension considérable de la masse des biens et services imposés et malgré l’aug-mentation du taux d’imposition, de 6,2 % à 6,5 %, lors du passage en 1995 de l’impôt sur le chiffre d’affaires à la taxe sur la valeur ajoutée, le produit de cet impôt ne croît que faiblement entre 1991 et 1996, soit de 8,5 % en francs constants. Durant la même période (1991-1996), les dépenses fédé-rales augmentent de 16,7 % en francs constants, soit d’environ 8 milliards en francs courants. Or, les versements que la Confédération doit effectuer en raison directe de la croissance du chômage (pour couvrir les déficits de l’assurance-chômage et pour financer les dépenses supplémentaires de l’assurance-invalidité dues au chômage) s’élèvent en moyenne à près de 1,6 milliard par an entre 1993 et 1996.

1

À eux seuls, ils expliquent donc une partie notable de la hausse des dépenses fédérales.

Ce phénomène me paraît crucial. Depuis la fin du XIXe siècle en effet, l’économie de marché connaît de profondes phases récessives qui d’une part, tendent à restreindre la substance fiscale, et d’autre part revêtent un caractère potentiellement explosif sur le plan sociopolitique, suscitant une intervention de plus en plus étendue des pouvoirs publics. Aussi le déve-loppement de ces tendances contradictoires doit-il être considéré, me semble-t-il, comme la principale origine de la crise financière chronique de l’État.

Mais, objectera-t-on, une baisse des recettes étatiques en cas de perturba-tion de l’activité économique n’est inévitable que si le niveau de l’imposi-tion reste le même. Aussi faut-il poser la quesl’imposi-tion suivante : les pouvoirs publics ne peuvent-ils donc pas simplement hausser les impôts? Existe-t-il un facteur qui s’oppose, notamment en cas d’amenuisement de la subs-tance fiscale, à ce que l’État accentue la pression fiscale, obtienne davantage de recettes et empêche ainsi l’apparition de déséquilibres budgétaires?

1. Tous les chiffres concernant les recettes ont été calculés par mes soins à partir des données fournies par le Message concernant le compte d’État 1996, Berne, 1997, p. 257. Le déflateur utilisé est l’indice des prix à la consommation. Pour les chiffres concernant les dépenses, cf. ibid., pp. 217 et 229. Les dépenses fédé-rales pour l’assurance-chômage se montent en moyenne à environ 1,2 milliard par an entre 1993 et 1996. À quoi il faut ajouter une partie des dépenses supplé-mentaires, que l’on peut estimer en moyenne à 400 millions par an, pour l’as-surance-invalidité, une fraction croissante des chômeurs étant prise en charge par cette dernière assurance.

À cette question, il faut répondre par l’affirmative. Ce facteur, c’est la ré-sistance que les différentes strates sociales, en particulier les couches pos-sédantes, opposent à la fiscalité. On aborde ici le second facteur qui, de par la dépendance financière de l’État de l’accumulation privée du capital, tend à limiter ses ressources. Voyons cela d’un peu plus près, tout en pré-cisant qu’il s’agit d’une problématique si vaste qu’il ne peut être question que d’en esquisser les contours.

En régime capitaliste, les contribuables tendent à payer le moins d’im-pôts possible tout en profitant du maximum de prestations étatiques.

1

Cela signifie que chaque groupe social essaie d’éviter l’imposition, par exemple en se battant sur le plan politique pour qu’un projet de nouvel impôt le touchant particulièrement ne soit pas réalisé mais remplacé par un autre, visant une catégorie différente de contribuables. Si le projet est réalisé malgré tout, le groupe social en question tentera d’échapper à la charge fiscale supplémentaire par d’autres moyens. Il recourra autant que possible à l’évasion ou à la fraude fiscales. Et il cherchera à transférer cette charge sur d’autres groupes. Or, il n’existe guère d’impôts dont la charge ne soit pas transférable, totalement ou partiellement, de certaines catégo-ries de la population sur d’autres. Un impôt sur les bénéfices peut être translaté sur les salariés par l’intermédiaire d’une hausse des prix. Dans une situation de rapports de force favorables, un impôt sur la consomma-tion peut être transféré par les travailleurs salariés sur d’autres strates so-ciales par le biais d’une augmentation des salaires. Dans la mesure où il est pratiquement impossible de savoir, surtout à l’avance, si oui ou non, et dans quelle mesure, tel ou tel impôt projeté va être effectivement transféré, chaque contribuable peut a priori se sentir menacé, même par un impôt qui, au premier abord, ne semble pas devoir le toucher. D’où une méfiance très large dans la population face à tout projet d’imposition nouvelle, mé-fiance qui peut être instrumentalisée relativement facilement.

Par conséquent, les pouvoirs publics éprouvent de grandes difficultés lorsqu’ils veulent accroître les recettes fiscales. Ils doivent prendre garde de ne pas dépasser certaines limites dans le niveau de l’imposition. D’une part, ils risquent de susciter une résistance articulée sur le plan politique, suffisamment forte pour les contraindre à faire marche arrière. (Dans le pire des cas, une telle opposition peut aboutir à une véritable crise de légi-timité). D’autre part, même si ce n’est pas le cas, pour diverses raisons, la partie est loin d’être gagnée. En effet, un accroissement de la pression fis-cale peut parfaitement passer la rampe sur le plan politique mais ne dé-boucher finalement sur aucune recette supplémentaire, cela en raison de la résistance fiscale livrée par les contribuables sur le plan économique.

1. Sur ce point, cf. M. Krätke, Kritik…, op. cit., pp. 60-61.

L’économie politique insiste depuis très longtemps sur ce dernier phé-nomène. En 1776 déjà, Adam Smith écrivait : « L’impôt peut entraver l’indus-trie du peuple et le détourner de s’adonner à de certaines branches de commerce ou de travail […]. Ainsi, tandis que d’un côté il oblige le peuple à payer, de l’autre il diminue ou peut-être anéantit quelques-unes des sources qui pourraient le mettre plus aisément dans le cas de le faire. »

1

Quarante ans plus tard, David Ricardo notait à son tour qu’« il est peu de taxes qui n’aient une tendance à di-minuer la puissance d’accumulation inhérente aux capitaux » et qu’il fallait donc éviter de prélever des « impôts exagérés » sans quoi «…on attaque […]

le fonds destiné à l’entretien de l’industrie, et on diminue par conséquent la pro-duction future du pays. »

2

Depuis lors, la littérature financière orthodoxe a repris inlassablement cette réflexion, lui donnant l’apparence de modèles toujours plus sophis-tiqués et formalisés. Mais l’idée de fond reste la même. On peut la résumer par le vieil adage : « Trop d’impôt tue l’impôt ». En d’autres termes, il existe une limite — le « psychological breaking-point » de la théorie financière — au-delà de laquelle la pression fiscale devient contre-productive parce qu’elle encourage la résistance au fisc sous toutes ses formes, depuis la fraude jusqu’à la cessation de toute activité économique, obstruant ainsi l’alimentation du réservoir dans lequel puisent les pouvoirs publics.

Cette idée renferme un noyau de vérité. Puisque l’État bourgeois, en tant qu’Etat fiscal, dépend pour son financement de la production privée de valeur, il serait évidemment absurde de son propre point de vue de scier la branche sur laquelle il est assis. Il est impératif que son système d’imposition évite d’étouffer cette production.

Mais attention! S’il est possible d’affirmer, dans l’abstrait, qu’il existe ef-fectivement une frontière à l’imposition qu’il est contre-productif de dé-passer, cela ne résout cependant pas vraiment le problème. Du seul constat qu’un tel plafond existe, on ne peut pas directement tirer la conclusion, comme le fait très souvent la littérature financière orthodoxe, que les pou-voirs publics sont forcément poussés à limiter la charge fiscale. Cela ne serait le cas que si cette frontière était clairement établie et si le niveau exis-tant de l’imposition en était déjà proche. Or, et c’est là que le bât blesse, dans le concret, nul ne peut situer avec précision où se situe cette frontière, ce psychological breaking-point à partir duquel la résistance fiscale prend une dimension telle que l’activité économique pâtit et le rendement de l’imposition décline.

La preuve en est que la quote-part fiscale, qui fournit en quelque sorte

La preuve en est que la quote-part fiscale, qui fournit en quelque sorte