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3 5 Soumission paysanne au Sahel, accompagnement notabilaire à Beyrouth et détournement mouqataajis au Mont-Liban

4 Entre moutassarifiat et wilayat [182-1918]

4.3 Volontarisme public de la moutassarifyat et de la wilayat (voir planche 2 2.)

La période de la qaïmaqamyat est une période turbulente où les autorités, que se soit à la qaïmaqamyat nord ou sud, ne sont pas en mesure d’entreprendre de grands projets qui aient des répercussions sur le Sahel. Par contre, l’époque de la moutassarifyat est marquée par un fort volontarisme de la part des autorités publiques. La moutassarifyat entreprend un grand nombre de projets et de travaux dans tout le Mont-Liban. Au Sahel, elle exécute de nombreux travaux notamment en termes de voirie.

L’administration cherche à lier différents districts via le Sahel, c’est ainsi que:

- Une route carrossable va de Furn AlChebbak où passe la nouvelle route de Damas au Nahr Beyrouth pour se raccorder au Matn via le pont de Jisr AlBacha206;

- Une autre lie le district207 via Choueifet vers le Chouf et Beiteddine le siège d’été de la moutaasarifyat;

- Une route non-carrossable liant la plaine alluviale à partir de Chiyah et la zone des sables; - Une autre sur les collines liant Hazmié au nord du Sahel et Kfarchima au sud (Rostom,

1987);

- Et encore une autre allant de Haret Hreik vers Choueifet parallèlement à la route de Saida et passant par Bourj AlBarajné. Cette dernière aura un effet important sur le développement des localités dans la plaine au sud du Sahel;

- Enfin, l’exécution de la route Beyrouth-Damas – par une société française208 à partir de 1859, passant par le Sahel et allant à Furn AlChebbak et Hazmié – est un élément essentiel dans l’organisation du réseau routier et de la mobilité dans le Sahel.

D’autre part, la moutassarifyat, sous Daoud Pacha le premier moutassarif, met en place un réseau de télégraphe qui lie à partir de 1865 Beiteddine à Beyrouth, et puis à partir de 1867 tous les centres de districts de son territoire dont bien sûr Baabda.

La moutassarifyat s’engage par ailleurs dans un effort particulier concernant l’éducation. C’est ainsi qu’au Sahel, et plus précisément à Hadath, l’administration ouvre deux écoles pour filles et une pour garçons.

206 Littéralement le pont du Pacha. Elle construit ce pont sur le Nahr Beyrouth en 1877 207 Présumablement en reprenant le tracé de la route de Saida

208 Le projet de route de Damas a été d’abord envisagé par les Egyptiens. Il est repris par le représentant des

Messageries Impériales, le comte de Perthuis. En 1857 la Porte donne la concession d’une route carrossable à Perthuis. Le projet est soutenu par un lobby d’entrepreneurs locaux qui craignent que le développement de la route Saida Damas puisse remettre en cause tout l’acquis de Beyrouth. La société de droit ottoman mise en place par Perthuis est financée par la Compagnie des chemins de fer de Paris à Orléans et celle des chemins de fer Paris-Lyon- Marseille du Crédit Lyonnais. Les travaux entamés en 1859 se terminent en 1863.

Elle s’implique en outre dans tout le Mont-Liban à renforcer l’économie locale à travers la création de souks temporaires dans tous les districts, pour permettre aux paysans d’écouler leurs produits. Ce n’est toutefois pas le cas au Sahel (Rostom, 1987), ce qui pourrait s’expliquer par la proximité de Beyrouth. Ainsi même si la moutassarifyat fait tout pour marquer son propre territoire et lui injecter une dynamique propre, pour le Sahel la proximité de Beyrouth pèse fortement et impose d’autres dynamiques.

Beyrouth après être devenu le siège officiel de la province de Saida à partir de 1842, devient la capitale d’une province en son nom à partir de 1888. «Ville-vitrine» des Tanzimat elle est aussi le laboratoire de ce volontarisme ottoman en matière d’urbanisme. Ainsi de grands projets sont mis en place notamment en termes d’infrastructure.

La route Beyrouth-Damas ouverte en 1863, l’agrandissement du port 1888, la voie ferrée 1891, de même que le télégraphe, les canalisations d’eau, d’électricité, de gaz, les travaux de voieries et un projet d’urbanisme au sein même de la vieille ville209, tout cela est accompagné par le remodelage

de la vieille ville, et le développement de quartiers nouveaux par l’installation d’équipements, tel le quartier de Sanayeh.

Le projet du tramway exécuté à la fin de l’empire, marque un changement important dans l’échelle de mobilité en ville puisque pour la première fois elle y incorpore des zones aux confins du Sahel telles Furn AlChebbak sur la route de Damas et le bois des Pins sur la route de Saida. Ce projet aura d’importantes conséquences sur l’interdépendance de Beyrouth et du Sahel à l’époque du mandat français.

Pourtant ce nouveau paysage n’est pas le produit des seuls projets de l’Etat. Deux autres groupes ont fortement marqué cette métamorphose: les occidentaux (missionnaires et hommes d’affaires) ainsi qu’une nouvelle classe de notabilité d’affaire locale. (Buccianti Barakat 2004; Rondot, 1991; Kassir, 2003; Davie M, 1994)

Beyrouth et le Mont-Liban sont depuis déjà deux siècles prioritaires pour les missionnaires occidentaux, vu la grande concentration de populations de confessions chrétiennes. Toutefois, c’est dans cette seconde partie du 19ème siècle qu’on voit la mise en place de pas moins d’une

vingtaine de projets et d’équipements de toute taille et de tout genre par ces missionnaires à Beyrouth, soit notamment le collège syrien protestant, l’université Saint-Joseph des jésuites, l’hôpital Saint-Jean et l’ensemble des Lazaristes. Ils sont vite relayés par les différents ordres religieux chrétiens locaux mais aussi par les organisations des autres communautés religieuses musulmanes et juives. Ces projets sont répartis dans toute la ville, et si on retrouve une concentration supérieure d’étrangers du côté de Ras Beyrouth, ils prennent toutefois résidence dans toute la ville.

Quant aux hommes d’affaire occidentaux, leurs interventions se matérialisent par les grands projets de l’Etat qui sont d’ailleurs pour leur grande majorité des concessions données à des compagnies européennes, parfois via des compradores locaux. Le grand projet du port en est un exemple.

Le projet du Port a déjà été lobbyé depuis 1879 par des hommes d’affaires Beyrouthins cherchant à en donner la concession à la municipalité mais sans succès. Ça sera une société française à laquelle participent la Compagnie française de la route Beyrouth-Damas, la Banque Ottomanne, le Comptoir d’escompte de Paris, la Banque de Paris et des Pays-bas et la Compagnie des Messageries maritimes, qui reprend les tractations en 1888. En fin de compte, la Porte donne la concession à un homme d’affaire de Baalbeck Joseph Moutran qui la «vend» à la société française210. Le comte de Perthuis en est le premier président. Un influent notable maronite de

Beyrouth ministre du sultan Abdulhamid II, Salim Malhamé siège à son conseil d’administration. Ce projet montre une forte connivence entre certains acteurs économiques locaux et les représentants du capital européen (Kassir, 2003). De l’Europe, Beyrouth est perçue comme la porte d’entrée du capital européen vers le Levant, et cette classe locale d’entrepreneurs et de marchands est considérée comme les bons partenaires.211

La nouvelle classe montante d’hommes d’affaires n’est pas faite que des compradores. Elle comprend aussi de grands commerçants – qui marquent le paysage urbain par leurs nouveaux khans, tel celui d’Antoun Bey ou le nouveau souk de produits chics Souk Jdidé – que des banquiers ou des entrepreneurs. Cette classe de nouveaux notables marque la gouvernance de la ville pendant cette époque, notamment à travers la municipalité mise en place à Beyrouth dès 1863, même avant la loi des municipalités ottomanes.

4.4 Les nouveaux enjeux de la gouvernance: affirmation de l’autorité

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