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4 5 Entre autonomisation locale et alignement sur les dynamiques systémiques au Sahel et appropriation notabilaire à Beyrouth

5 Le Sahel et la capitale du Mandat [1920-1943]

5.1 La chute de l’empire, l’éphémère Etat syrien et l’établissement du mandat français

La première guerre mondiale et la reconstitution de la carte politique de l’après-guerre viennent bousculer profondément le Machrek. Ainsi en lieu et place du vaste territoire de l’empire ottoman naissent des Etats, des frontières et des systèmes politiques imposés par les nouveaux maîtres de l’Orient, à savoir les puissances coloniales françaises et britanniques, qui se prévalent d’un droit de mandat accordé par la nouvelle société des nations (SDN).

L’empire ottoman connaît, depuis un certain temps, des crises profondes après la perte de la majorité de ses domaines européens à la suite des guerres des Balkans au 19ème siècle217 et ainsi

après avoir été un état multiculturel218 il le devient de moins en moins. Le vent des nationalismes

s’empare de l’empire (Corm, 2002), même au cœur d’Istanbul où le mouvement des jeunes-turcs – aussi connu sous le nom du Comité d’Union et de Progrès – réussit à s’imposer à partir de 1889 pour arriver à prendre le pouvoir et exiler le sultan Abdulhamid II en 1908. Bien qu’au début le CUP cherche à rétablir la constitution de 1876, à créer un Etat moderne multiculturel et à faire face aux vélléités des puissances coloniales européennes et freiner les mouvements indépendantistes219, il se trouve face à un Orient complexe, où les nationalismes indépendantistes

ou autonomistes émergent partout même dans les propres rangs du CUP. Le parti est tiraillé entre une faction «unioniste» voulant instaurer un état centralisateur et une faction «fédéraliste» cherchant à mettre en place une fédération de nations. La première tendance l’emporte au sein du parti ce qui mène à une politique de turquification de l’empire, par la force et dans le sang menant à son tour à des massacres et même à un génocide.

Le CUP choisit de s’allier aux empires centraux lors de la première guerre mondiale dans une tentative de reconquérir des territoires perdus au profit des russes pendant les guerres précédentes. Bien qu’à l’issue de la guerre un mouvement nationaliste commandé par Moustafa Kamal, dit Atatürk, issu du CUP réussit à imposer le traité de la paix de Lausanne en 1923 aux européens et garder l’essentiel de l’Anatolie ainsi que divers autres territoires, l’empire a vécu. Cette période alors est très troublée au Levant; divers mouvements, partis et cénacles nationalistes dits arabistes, syriens ou libanistes, s’organisent de façon clandestine dans les principales villes du Levant depuis plusieurs décennies sous Abdulhamid II. L’avènement des

217 Suite aux guerres gréco-ottomanes (1830) et bulgaro-ottomanes (1877-78)

218 Nous préférons ici l’utilisation de pluriculturel sur pluriethnique ou plurinational, et cela pour ne pas entrer dans le

débat sur le national et l’ethnique au Moyen-Orient

219 Annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’empire austro-hongrois en 1908, la Libye et l’île de Rhodes par l’Italie

unionistes au pouvoir et leur politique de turquification attise la grogne de la population en général et de ces groupes en particulier, ce qui pousse à l’action plusieurs d’entre eux. L’action la plus connue est le «Congrès général arabe» qui comprend plusieurs partis et personnalités politiques du Machrek à l’époque et qui se tient à Paris en 1913. Ce congrès avance des revendications plutôt modérées insistant sur la décentralisation et l’usage de la langue arabe comme langue officielle dans les provinces arabes. Les unionistes ne veulent rien entendre, et la guerre éclate en 1914.

Avec la guerre, les unionistes déclarent l’état martial, procédent aux cours martiales et aux pendaisons. C’est le cas, pour nombre de dissidents de toutes tendances qui sont pendus à Damas, Beyrouth et Aley. Jamal Pacha220 prend le contrôle des armées de Syrie, rejette le

protocole du moutassarifyat et nomme un gouverneur turc qui lui est directement affilié. Il procède à la réquisition de la farine pour les armées – ce qui, couplé à une sécheresse et une invasion de sauterelles conduit à la famine et à la mort de milliers de personnes au Mont-Liban en 1915 – ainsi qu’à l’instauration des corvées.

Pendant la guerre, les Britanniques en besoin d’alliés, offrent leur assistance au Chérif Hussein de La Mecque, qui proclame en 1916 la «grande révolution arabe». Par les accords d’Hussein- Macmahon, les Britanniques affirment soutenir la formation d’un royaume arabe qui engloberait le Machrek et l’Arabie, mais, en même temps d’autres accords secrets se tiennent en 1916 entre les ministres des affaires étrangères de la France, la Grande-Bretagne et la Russie pour se partager les provinces de l’Empire. Ces accords221 divisent le Machrek en deux zones d’influence française

et Britannique. Ainsi on a une zone de contrôle direct français sur la côte levantine, sauf la Palestine sous contrôle direct britannique, ainsi que deux royaumes arabes, l’un couvrant la Syrie actuelle et le nord de l’Irak et l’autre couvrant la Cisjordanie et le reste de l’Irak. A ces accords plus que contradictoires, Balfour le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne ajoute en 1917 la déclaration d’intention du gouvernement de sa majesté de favoriser la création d’un état pour les juifs d’Europe en Palestine.

Les troupes arabes et britanniques entrent à Damas et à Beyrouth en 1918. Le congrès national syrien auquel participe nombre de personnalités politiques des anciens territoires de la wilaya de Beyrouth et de la moutassarifyat du Mont-Liban, déclare en 1919 l’indépendance de la Syrie, incluant l’actuel Liban, en monarchie constitutionnelle à la tête de laquelle Fayçal fils du Chérif Hussein est couronné roi. Cependant le premier ministre français Clemenceau – en s’appuyant sur les revendications d’un Etat dit libanais et d’un protectorat français par le Patriarche maronite Hoayek ainsi que nombre de cercles intellectuels comme l’Alliance Libanaise proches de Paris (Kaufman, 2004) – conteste cette déclaration d’indépendance, et avec l’appui des Britanniques réussit lors de la conférence de Saint Rémo en 1920 à faire reconnaître par la SDN un mandat de

220 Il forme avec Enver Pacha et Talaat Pacha le triumvirat à la tête du CUP pendant la guerre

221 Connus sous le nom de Sykes-Picot du nom des deux représentants de la France et la Grande-Bretagne après le

la France sur la Syrie. Les troupes françaises sous le général Gouraud débarquent à Beyrouth et livrent bataille à une armée sous le commandement de Youssef Alazem ministre de défense du royaume syrien, à Mayssaloun. Cette armée est battue, les français entrent à Damas et Fayçal est contraint à l’exil. Le mandat français est mis en application.

La même année, le général Gouraud proclame la création du Grand Liban. Ce dernier constitue avec les Etats de Damas, Alep, des Alaouites et du Jabal Aldruze, les cinq Etats du mandat français en Syrie. Cet Etat comprend en plus du Mont-Liban, des villes côtières et notamment Beyrouth, ainsi que les plaines du Akkar, de la Béqaa et les collines de la Galilée septentrionale, dites du Jabal Amel, et le wadi El Taym. Beyrouth devient le siège du haut-commissariat du mandat français et capitale de l’Etat du Grand Liban.

5.1.1 Le mandat français à Beyrouth

Malgré la localisation des quartiers généraux du mandat à Beyrouth, et le désir affiché de faire de Beyrouth la «vitrine» - encore une fois – de la «mission civilisatrice de la France» en Orient, l’arrivée du mandat et l’annexion de Beyrouth à la montagne est considérée par beaucoup d’auteurs comme une crise importante (Davie M 1994; Kassir 2004). De fait, la prospérité de Beyrouth, s’est construite sur son rôle de port de l’intérieur syrien aussi bien que la montagne. La mise en place des frontières ainsi que les troubles politiques et sécuritaires presque continues dans l’intérieur syrien face au mandat français222 rendent ce trafic commercial peu profitable, ce qui fait

passer l’économie beyrouthine d’une économie commerciale à une économie rentière axée notamment sur la spéculation foncière, les remises des émigrés et les dépenses de l’armée française d’Orient (Davie M 1994; Kassir 2003). Cette situation fragilise la ville et sa capacité d’assimilation à un moment où de plus en plus de gens viennent s’y installer.

Cette image du passage de l’empire au mandat comme crise soudaine pour Beyrouth est relativisée par certains chercheurs (Salibi, 1988; Eddé, 2008). Loin d’être le passage d’un âge d’or à une chute soudaine, la principale industrie, le port, qui a été derrière la prospérité de la ville connaît déjà un affaiblissement de son rôle avec la crise de l’industrie de la soie, ainsi que la crise générale économique causée par les dévaluations monétaires successives (Chevallier, 1979). Sans nous prononcer sur un sujet de débat entre historiens, nous pensons qu’il ne serait pas faux de considérer que le mandat est venu achever un système socioéconomique en crise, sans pourtant mettre en place un vrai projet de développement.

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