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3 5 Soumission paysanne au Sahel, accompagnement notabilaire à Beyrouth et détournement mouqataajis au Mont-Liban

4 Entre moutassarifiat et wilayat [182-1918]

4.1 Tentatives de modernisation de l’empire: Tanzimat et Moutassarifyat

4.1.1 Les qaïmaqamyats: un système trop frêle pour une Montagne mouvementée

Avec la chute des Chéhabs et les réformes des Tanzimat impliquant une administration ottomane directe de la Montagne naît le système des qaïmaqamyats. Les tensions communautaires qui ont mené à des massacres en 1840 pèsent lourdement sur le modèle administratif à mettre en place. Ainsi le Mont-Liban est divisé en deux secteurs nord et sud appelés qaïmaqamyat. Le premier au nord administré par une personne de la communauté maronite avec une administration locale où sont proportionnellement représentées les communautés, et un second au sud avec un administrateur de la communauté druze et une administration locale selon le même modèle. La frontière entre les deux qaïmaqamyats passe approximativement sur ce qui deviendra plus tard la route de Damas. Les deux qaïmaqamyats sont affiliées aux wilayats de Saida et Tripoli.

Les deux qaïmaqamiyats Source: traitement à partir de (Chevalier, 1979)

Ici le qaïmaqam – l’administrateur en question – n’est plus un fermier du fisc mais un représentant du wali en charge d’une administration territoriale. Ceci est un changement de fond qui déstabilise le vieil ordre social établi. De fait, la politique n’est plus la chasse gardée des familles mouqataajis d’ailleurs affaiblies par les années de règne de Bachir II Chéhab. De nouveaux notables locaux bénéficiant de la nouvelle conjoncture économique cherchent à s’imposer. De même une paysannerie, notamment de la communauté maronite, de plus en plus indépendante économiquement et soutenue par l’église maronite, refuse d’encaisser les exactions des mouqataajis. Ces derniers ne mesurant pas les changements, ou du moins voulant conserver leurs acquis, se trouvent en confrontation avec les autres groupes sociaux (Chevallier, 1971) Cette situation s’est montrée particulièrement explosive dans les mouqataas au centre et au sud du Mont-Liban que les Européens de l’époque appellent les «districts mixtes» où se côtoient population de communautés maronite et druze. Le fait que dans ces mouqataas, les familles mouqataajis sont de communauté druze et la majorité des paysans de communauté maronite a vite transformé un conflit social en un conflit communautaire. Ces tensions ont finalement éclaté en 1860 en de nouveaux massacres communautaires.

Les massacres de 1860 causent un tel tollé en Europe que Napoléon III finit par envoyer un corps expéditionnaire de l’armée française qui débarque à Beyrouth et campe ses troupes dans le bois des Pins191. Alarmée par l’escalade de la crise et le débarquement français, la Porte envoie le

chef de sa diplomatie Fouad Pacha pour arrêter les combats et désarçonner les éléments que la France pourrait avancer pour légitimer son intervention192. Ainsi il réussit un cessez-le-feu, fait

arrêter les principaux responsables des massacres, les condamne à mort et les exécute. Mais il est clair que le système des qaïmaqamyat ne peut perdurer. C’est ainsi suite à un congrès en présence de l’Empire, la France, La Grande-Bretagne, La Russie, La Prusse et l’Autriche qu’est signé le protocole de la moutassarifyat en 1861.

4.1.2 Moutassarifyat et Wilayat: stabilité et prospérité

La moutassarifyat du Mont-Liban est désormais considérée comme une province de l’Empire, autonome des wilayats. Elle est régie par un protocole accepté par les représentants des puissances européennes et engage leur signature. Ce protocole dit de 1861, sera revu et amendé plusieurs fois, toujours engageant les puissances européennes.

À la tête de la moutassarifyat, la Porte nomme un moutassarif qui est choisi parmi les sujets chrétiens de l’empire hors du Mont-Liban. La moutassarifyat inclut les territoires des deux

191 Petit bois au sud de Beyrouth

192 Napoléon III ici joue sur une très ancienne capitulation offerte à la France par la Porte, alliée lors de François I er,

lui donnant droit de regard et d’intervention concernant les chrétiens d’Orient. Kassir (2003) explique l’expédition comme un tour politique pour apaiser les catholiques français opposés à la politique italienne de Napoléon III.

qaïmaqamyats. Elle a un conseil d’administration où sont représentées proportionnellement à leur nombre les différentes communautés chrétiennes et musulmanes du Mont-Liban. La moutassarifyat régnera sur le Mont-Liban jusqu’au déclenchement de la première guerre mondiale.

Sous la moutassarifyat, le Mont-Liban connaît une stabilité durable. Les différents moutassarifs s’avèrent d’excellents administrateurs qui cherchent à mettre en place un grand nombre de projets de tout genre: routes, travaux publics, écoles, dispensaires, antennes administratives, souks temporaires. Toutefois ils doivent faire face à une opposition de certains acteurs locaux au Mont- Liban. Ces oppositions mènent parfois à des confrontations armées comme c’est le cas avec Youssof Bey Karam un puissant chef de clan de Zghorta au nord du Mont-Liban, ou encore à des agitations populaires comme après l’exil de l’évêque Boutros Al Boustani (Rostom, 1987). Avec le développement de l’économie de la soie, le Mont-Liban connaît une importante croissance économique. Des entrepreneurs européens commencent à installer au Mont-Liban,

La moutassarifyat du Mont-Liban Source: traitement personnel à partir d’un document internet:

dès la fin des années 1830, des manufactures usant de nouveaux procédés de traitement de la soie pour l’exportation vers les usines de textile européennes, notamment lyonnaises. Minier (2000) parle de pénétration capitaliste de la France. Les capitaux amenés par les industriels Lyonnais s’imposent comme des instruments indispensables du développement et de la multiplication des filatures libanaises (Seurat, 1989). Rapidement la soie du Mont-Liban devient la principale exportation du Levant et la sériciculture incontestablement sa première production atteignant 65% du total de sa production (Kassir, 2003).

Toutefois l’économie de la soie qui connaît ses meilleurs jours dans les années 1850 se trouve en perte de vitesse après l’ouverture du canal de Suez en 1869 et l’introduction de la soie indienne, moins chère et de meilleure qualité sur les marchés européens. L’écroulement de l’économie de la soie vient avec l’invention de la soie synthétique et la crise de l’industrie textile française (Minier, 2000). La crise de la soie s’avère avoir des conséquences lourdes au Mont-Liban.

Ainsi la désintégration d’une industrie et la crise d’emploi qui en suit couplées à une forte croissance démographique mènent à partir des années 1890 à une émigration accrue de la population193. Le Mont-Liban perd le tiers de sa population entre 1961 et la première guerre

mondiale (Picaudou, 1989). Pourtant une bonne partie de cette population qui quitte le Mont- Liban à l’époque ne migre pas mais s’installe à Beyrouth qui connaît un essor économique foudroyant.Beyrouth est pour les Ottomans réformateurs la «ville-vitrine» des Tanzimat au Levant.

Même après le retrait égyptien, le séisme qu’ils ont provoqué au niveau de l’Empire a d’importants effets. Ainsi dans un souci de relèvement, l’Empire choisit de s’engager dans la voix d’un chantier de réformes et de modernisation. Les édits des Tanzimat ottomans de 1839 et 1856 sont le symbole de ce choix au niveau juridique et institutionnel. Les grands projets urbains à Beyrouth de la seconde moitié du XIXème siècle quant à eux sont l’expression spatiale d’une

volonté de faire de cette ville la «vitrine de la modernisation» ottomane au Levant. (Hanssen Philip Weber, 2002).

Après la guerre ottomano-égyptienne194, il était clair que Beyrouth a de loin dépassé Saida, ce qui

pousse les Ottomans à en faire la nouvelle capitale de la wilaya de Saida en 1842. Même lorsqu’en 1864 les Ottomans forment la province de la Syrie dont la capitale est Damas, Beyrouth reste la capitale économique, en y maintenant la chambre de commerce de la province. Et à partir de 1888, Beyrouth devient la capitale d’une wilaya qui regroupe grosso modo les territoires des anciennes wilayas de Saida et de Tripoli. On y assiste aussi et surtout à une croissance économique et démographique.

193 Cette émigration vise surtout à cette époque les Amériques. Toutefois ce phénomène aura des effets durables sur

le Liban. Aujourd’hui des estimations portent à 15 millions le nombre des expatriés libanais et des personnes d’origine libanaise à travers le monde, pour une population résidente de quatre millions de personnes.

La fin de la première guerre mondiale amène de grands changements notamment la chute de l’empire ottoman, la mise en place du mandat français et la déclaration du Grand Liban marquant la fin d’une époque et le début d’une autre.

La moutassarifyat du Mont-Liban Source: traitement personnel à partir d’un document internet:

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