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3 2 Deux trajectoires territoriales différentes au Sahel et à Beyrouth: hiérarchisation rurale et mixité urbaine

3.2.1 Des territoires en croissance: le Sahel se peuple et Beyrouth sort de ses murs

Le Sahel – comme on appellera dorénavant Sahel AlMatn AlJanoubiest une étendue territoriale au sud et sud-est de Beyrouth et comprend grosso modo la zone qui s’étend du Nahr AlGhadir au sud au Nahr Beyrouth au nord-est, de la mer à l’ouest aux collines de Baabda à l’est. On y retrouve d’ouest en est, en «bandes» dans la direction nord-sud, les dunes de sables, la plaine alluviale et les collines à l’aval des pentes montantes du Mont-Liban (Voir planche 0- 1.).

Bien qu’on atteste l’existence de localités dans le Sahel remontant à 1450 comme Bourj AlBarajné, cette zone était relativement peu peuplée bien avant l’arrivée des Chéhabs car proche de la côte – elle était sans défenses face aux razzias des pirates ou des bédouins (Feghalé, 2000). Avec l’installation des palais des Chéhabs à Baabda et Hadath – et ensuite à Kfar Chima et Wadi Chahrour – ces localités sur les collines à l’est du Sahel se développent et présentent un important centre administratif pour les Chéhabs que certains auteurs considèreront comme la deuxième capitale des Chéhabs en même temps que Deir AlKamar162.

Avec les Chéhabs se développe l’agriculture de la plaine et c’est ainsi que commencent à se former outre Bourj El Barajné, des petites localités comme des villages agricoles. C’est notamment le cas des localités au nord du Sahel. Les localités de Mreijé, Tohwitet El Ghadir et Laylaké au sud du Sahel n’existent pas encore, elles ne se développeront qu’à partir de 1840 (Buccianti, 1973). Nous n’avons pas en notre disposition de cartes remontant à cette époque du Sahel qui puissent nous aider à définir les axes de croissance des différentes localités.

Les dunes de sables, à l’ouest, sont considérées comme mouchaa163 des villages, pour le pâturage

des troupeaux ou comme carrière pour l’extraction de la pierre pour la construction des habitations. Rien n’y est construit sauf quelques rares fermes, des cabanes estivales et le mausolée de l’imam Ouzaï.

Beyrouth, à la même époque, présente un paysage foncièrement différent. Il n’est encore qu’un petit port secondaire d’une ville de 4000 habitants. Loin de présenter l’image de la fameuse Béryte romaine avec son célèbre école de droit romain, Beyrouth est une petite ville murée, portant sur un espace très rétréci.

162 Deir AlKamar fut la capitale des Maanides puis des Chehabs jusqu’à la construction de Beiteddine par Bachir II

La ville relève de l’administration ottomane directe. Ainsi on y trouve un petit sérail de villes secondaires. Beyrouth fait partie de la wilayat de Saida, qui est une province d’importance stratégique pour l’empire164. (Davie M, 1996)

La ville est un labyrinthe complexe de souks plus ou moins spécialisés avec un petit port qui commerce déjà avec Damiette, Livourne et Gênes. Certains auteurs insistent que si Saida est le principal port de Damas165, Beyrouth devient à cette époque le port de la soie de la montagne

libanaise, un secteur économique qui prend de plus en plus d’importance166 (Fawaz L, 1982 ;

Chevallier, 1968,1971). Ce n’est pourtant que sous les égyptiens (1831-1840) que la ville connaît une vraie métamorphose.

Les projets que mettent en place les Egyptiens, notamment le projet du port amènent une croissance économique qui provoque une grande migration vers Beyrouth. Ainsi, si vers 1820 Beyrouth compte déjà 7000 habitants, et 9000 habitants vers 1834, en 1840 elle compte autour de 15000 habitants. Les auteurs qui avancent ces chiffres insistent sur la précaution concernant leur précisions, mais comme le dit Leila Fawaz (1982) « ce qui intéresse ici n’est pas de présenter les chiffres exacts de la population de la ville, mais de suggérer que quelles que soient les exagérations et les erreurs, les chiffres indiquent un changement de la population qui ne peut s’expliquer que par une immigration importante vers la ville». Ce changement démographique bouleverse la ville.

164 A partir de la fin du 18ième siècle et la perte du contrôle de l’empire sur beaucoup de ses provinces, notamment

en Europe et en Afrique, les provinces de Syrie et surtout la wilayat de Saida prend une importance stratégique comme avant-poste pour le contrôle de l’Egypte

165 Dû à la proximité routière et l’existence depuis des siècles d’une importante communauté internationale de

marchands

166 Au point que les capitaux occidentaux s’y intéressèrent et que des entrepreneurs français, les Portalis, installent de

nouvelles filatures modernes au Mont-Liban à partir de la fin des années 1830 (Chevallier, 1971) Beyrouth en 1841

La ville commence à s’étaler hors des murs167. Goupil-Fisquet cité par Kassir (2003) rapporte qu’à

cette époque on peut retrouver plus de 300 maisons168 hors des murs. C’est que les opportunités

de travail que comprennent le port et les services qui lui sont liés attirent des populations de la montagne ou de l’hinterland syrien. Ceci est particulièrement vrai concernant des populations chrétiennes169.

Cette croissance démographique s’accompagne d’un étalement urbain sur les champs environnants et provoque un changement important dans la structure économique. Le foncier commence à devenir un secteur important de l’activité économique. L’étalement urbain rend l’activité immobilière plus intéressante que l’agricole. Pour ce qui est de l’intra-muros la propriété privée des personnes est généralement reconnue et inscrite dans les registres officiels. Cela est plus compliqué hors les murs où différentes catégories foncières touchent des terrains qui ne sont pas relevés dans des cadastres: mouchaa, wakf, propriété privée, amiri… et où les registres ottomans ne recensent que les terres agricoles (Clerc-Huybrechts, 2008). Cela n’a toutefois pas freiné ni l’urbanisation ni le passage d’une logique agricole à une logique foncière même si aucun cadastre ni relevé topographique ne reprend les limites des propriétés foncières.

Ainsi, on peut remarquer une concentration de la croissance extra-muros près des portes de la ville. Et bien que la route de Saida soit un axe de la croissance de la ville, l’étalement urbain ne dépasse, à cette époque, que rarement la butte de Bachoura au sud. La route de Tripoli, par contre, marque un important axe de croissance vers l’est. Mais la croissance de la ville se fait surtout sous formes d’habitations diffuses dans le paysage environnant.

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