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4 5 Entre autonomisation locale et alignement sur les dynamiques systémiques au Sahel et appropriation notabilaire à Beyrouth

5 Le Sahel et la capitale du Mandat [1920-1943]

5.2 La rencontre de deux Territoires

222 Notamment la révolte syrienne de 1925 à 1927 qui s’étend de Djebel-Aldruze à Damas, Hama, le Golan et même

5.2.1 Beyrouth s’étale hors ses frontières (voir planche 3- 1.)

Sous l’impact d’un flux migratoire continu, entre 1920 et 1950, la population de Beyrouth triple mais sa superficie ne fait que doubler. Ceci signifie une forte densification de la ville sur elle- même provoquant la perte rapide de ses espaces verts au profit d’une construction accrue. Ainsi cet étalement urbain, loin de produire des quartiers pavillonnaires avec leur fameuse architecture de la maison dite à triple-baies223, de l’époque ottomane, concentrent de plus en plus des quartiers

où de nouveaux venus ruraux construisent à la va-vite et en empilement des îlots entiers (Kassir, 2003).

Pour la première fois l’étalement urbain de Beyrouth vient à dépasser ses limites administratives. Bourj Hammoud est la première extension de Beyrouth hors de ses limites, dans la direction du Matn qui commence à se transformer en la Banlieue nord et est de Beyrouth. Du côté du Sahel, c’est à Furn AlChebbak que l’étalement urbain de Beyrouth touche petit à petit le Sahel. La mise en place d’une ligne de tramway224 qui relie Beyrouth à Furn AlChebbak, en 1928, à la demande

de la municipalité de Beyrouth, annonce l’intégration de Furn AlChebbak à l’espace urbain de Beyrouth. Furn AlChebbak est désormais considérée par les décideurs urbains à Beyrouth comme partie intégrante de la ville.

Furn AlChebbak connaît depuis un certain temps déjà une forte migration rurale, mais pour la première fois, elle connaît une migration citadine, avec la mise en place du terminus du tramway, des familles entières viennent les dimanches pour la promenade dans ce qui est appelé «Al

223 Typique de la maison bourgeoise qu’on retrouve dans la wilayat de Beyrouth et au Mont-Liban au 19 ième siècle

avec des toits en tuile rouge, un hall central ouvert sur l’extérieur par une triple baie.

224 Trois lignes de tramways fonctionnent déjà depuis 1906, sauf qu’ils ont à souffrir de la guerre, c’est ainsi qu’en

1923 la société française des Tramways et Eclairage de Beyrouth reprend le travail sur ces lignes et prolonge son réseau jusqu’à Furn AlChebbak en 1928.

Vue de Beyrouth depuis Basta au temps du mandat Source: (Kassir, 2003)

Mountazah» (Pharès, 1977). Aussi quelques Européens choisissent de s’installer dans ce quartier, et sont vite suivis par ce que Pharès appelle des ruraux néo-citadins, qui ne peuvent s’adapter à la ville où ils se sentent asphyxiés. Ainsi Furn El Chebbak tient les promesses d’un quartier où on est déjà en ville sans y être pleinement: la banlieue.

Chiyah, tout proche, suit dans sa partie nord-est la dynamique de Furn AlChebbak. Toutefois, ce phénomène touche aussi des parties du Sahel, bien loin de Beyrouth, qui se retrouvent liées à la ville par la nouvelle ligne de chemin de fer. C’est le cas de Hadath. On imaginerait que le Sahel est en quelque sorte englobé par les voies de communication dans Beyrouth. Toutefois il faut relativiser ce constat. Si cela est vrai pour l’extrême nord du Sahel et Hadath, il ne l’est pas pour les autres localités et surtout le sud du Sahel. Et même à Hadath ou à Chiyah par exemple où il n’y a pas implantation de «migration citadine», la mobilité pendulaire de et vers Beyrouth liée à l’activité professionnelle reste faible.

Le Sahel dans sa globalité est toujours en train de croître et la période des années 30 représente une époque de migration importante vers le Sahel.

5.2.2 De nouvelles municipalités.

L’étalement de Beyrouth est différemment perçu du côté du Sahel et de Beyrouth. Nous reviendrons en plus de détail dans la partie concernée par la gouvernance urbaine sur cette question. Toutefois, les implications directes de cette croissance concernant la formation de limites administratives sont, d’un côté, l’initiative de la municipalité de Beyrouth de pousser ses frontières en englobant de nouveaux espaces du côté du Sahel, et d’un autre côté, la formation de nouvelles municipalités au Sahel, en grande partie en contestation de cet acte et pour marquer les limites de leurs localités.

Les trois nouvelles municipalités sont celles de Furn AlChebbak, Chiyah et Bourj AlBarajné. La première inclut Furn AlChebbak et Tohwitet AlNahr. La deuxième inclut les localités de Chiah et Ghobeyri. La troisième celles de Bourj AlBarajné, Haret Hreik, Mreijé, Laylaké et Tohwitet AlGhadir (voir planche 7- III.b.).

5.2.3 La consolidation des logiques communautaires et l’apparition des premiers quartiers ethniques (voir planche 7- III.c)

Si la croissance démographique et urbaine de Beyrouth a des conséquences importantes sur les territoires adjacents du Sahel et du Matn, elle a aussi des implications importantes sur la ville même.

Beyrouth reçoit un flux croissant de migration venant toujours de plus loin et en communautés entières. C’est à cette époque que Beyrouth commence à connaître les premiers quartiers ethniques. De fait une grande part de l’exode arménien fuyant les massacres turcs se concentre à Beyrouth dans des camps précaires avant de se développer en quartiers, comme l’emblématique Bourj Hammoud sur la plaine côtière du Matn nord à l’est du Nahr Beyrouth (Kevrokian Nordiguian Tachjian, 2005). Les troubles de la chute de l’empire ottoman et la création des frontières par les mandats français et britanniques amènent aussi d’autres migrations: les syriaques de la région de Mardin, les assyriens d’Irak ou les kurdes, qui s’installent dans la périphérie ou dans les interstices plus ou moins vides de la ville comme à Mssaytbé pour les kurdes et près du nouveau hôpital Hotel-Dieu de France à Achrafieh pour les syriaques. (Nasr, 1979).

D’autre part, à Beyrouth, les quartiers communautaires qui se sont formés sous la wilayat se consolident et se densifient sous le mandat. Au Sahel, la démarcation communautaire se maintient, où Ghobeiri et Bourj AlBarajné constituent les deux localités avec une concentration d’une population de la communauté chiite, et le reste des localités a toujours une population à prédominance maronite. Toutefois dans ces dernières, et surtout à Hadath et Furn AlChebbak et Chiyah, on voit l’arrivée croissante de populations d’autres communautés chrétiennes. A Haret Hreik et les localités au sud de Bourj AlBarajné on retrouve des populations de la communauté chiite qui viennent s’installer notamment des paysans du Sud-Liban venant travailler les terres agricoles au Sahel. Toutefois il serait difficile de considérer la coexistence entre les communautés chiites et maronites dans ces localités comme de la mixité sociale. Bien que la situation générale au début des années 70 soit fortement différente de celle sous le mandat, le refus de vente à des individus de la communauté chiite pour des motifs communautaires, par les propriétaires fonciers à Mreijé rapporté par Buccianti (1973) et Hadath rapporté par Minier (2000)225 nous semble

indiquer que la logique communautaire est au cœur des relations sociales entre ces populations226.

Ceci est renforcé par le fait que cette différenciation est couplée à une différence de statut socio- économique entre travailleurs agricoles et propriétaires terriens, et au renforcement des espaces sociaux claniques et communautaires comme principaux espaces de sociabilisation à l’époque du mandat.

Les institutions communautaires restent un important cadre d’intégration des migrants dans la vie sociale locale, notamment à travers la vie de paroisse. Ainsi les autres communautés chrétiennes qui augmentent en nombre cherchent elles aussi à fonder leurs paroisses et leurs réseaux d’entraide. C’est d’ailleurs le cas à Beyrouth. En décrivant le développement de Getawi à Achrafieh, Khayat (1995) souligne le rôle des institutions communautaires, comme celles de certaines associations fondées par les migrants, pour s’aider à s’installer et trouver du travail. Ils

225 On reviendra sur cela dans la partie IV de ce chapitre

226 Cette migration du Sud-Liban notamment de chiites dans les localités au centre et sud du Sahel ne fait

qu’augmenter avec le temps et présente une autre source de migration à celle du Mont-Liban qui est la principale source de migration vers le Sahel depuis déjà un siècle.

assistent même parfois ces migrants pour ouvrir des commerces. Cependant, que ce soit à Beyrouth ou à Furn AlChebbak, ces réseaux sociaux restent fortement communautaires et par suite maintiennent la distance sociale entre les différentes communautés.

5.2.4 Les premiers bidonvilles à Beyrouth et une diminution de la ségrégation socioéconomique au Sahel (voir planche 7- III.d.)

Pour la première fois, Beyrouth commence à connaître des quartiers bidonvilles. C’est notamment le cas pour les camps arméniens – que certains qualifient des premiers bidonvilles du Moyen-Orient – mais aussi les quartiers syriaques près de l’Hôtel-Dieu de France et à Moussaytbé, ou encore le quartier de Karm El Zaytoun à Achrafieh. Il n’est pas anodin que se soient les nouveaux quartiers ethniques qui se soient développés en bidonvilles. En fait, l’arrivée massive de ces populations en tant que réfugiés, les pousse à se rassembler spatialement pour reproduire dans un nouveau lieu et aux limites du possible leurs lieux d’origines, pour retrouver leurs repères. Soulignons le fait que ces bidonvilles sont un développement à partir de camps de tentes sur des terrains délimités par les autorités. Enfin, ces réfugiés ont leur propre organisation sociale et pratiquent une autre langue, ce qui complique leur intégration à la population. C’est effectivement la première fois que Beyrouth connaît une telle forme d’immigration.

Dans le reste de Beyrouth, globalement, les différences socioéconomiques entre les quartiers de la ville se maintiennent comme au temps du mandat: des quartiers plébéiens au centre, des quartiers bourgeois dans les faubourgs. Toutefois d’autres quartiers se démarquent comme la rue Sursok et les grandes demeures de la haute bourgeoisie ou encore le quartier de Kraytem et d’autres îlots à Ras Beyrouth. Les projets de réhabilitation urbaine des quartiers de la vieille ville et la construction d’un nouveau tissu, avec une nouvelle architecture, dite du mandat, font émerger un nouveau centre civique et économique à Beyrouth rompant avec l’image des vieux souks populaires ou avec les quartiers plébéiens entourant ce nouveau centre-ville.

Le quartier de la quarantaine habité par les réfugiés arméniens Source: (Kassir, 2003)

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