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IV. Projet de recherche et plan de thèse

2 Deux cadres d’analyse

2.2 L’analyse synchronique

2.2.3 La déconstruction du discours municipal

Nous pensons que le discours municipal est une riche source pour la reconstitution des différents éléments nécessaires à une analyse basée sur le concept de régime municipal. On y retrouve les positions de la municipalité et un commentaire de «ce qui se passe» dans les communes. Il est évident que ce discours est à compléter par celui des autres groupes. De fait, s’il est plus ou moins facile de savoir à première vue qui sont les groupes et personnalités inclus dans le régime municipal, il est plus difficile de saisir la position exacte – surtout lorsqu’elle est fluctuante – de chaque acteur dans ce régime. C’est sur ce point que le discours municipal est assez instructif. Ainsi, l’analyse du discours des municipalités, concernant leurs représentations de leurs communes, les problématiques de ces dernières et les actions qu’elles mettent en place, nous

semble être un exercice nécessaire pour saisir la rationnalité influant les gouvernances en place dans ces municipalités.

L’objectif ici se limite à l’identification des représentations du régime municipal et la place accordée aux différents groupes sociaux, économiques et politiques ainsi qu’aux différents quartiers dans la construction de ce discours, et par suite la nature de leur rapport au régime. Ce rapport est révélateur des implications des gouvernances territoriales municipales sur les interdépendances sociospatiales dans ces communes.

Le discours municipal est l’ensemble des affirmations et prises de positions publiques faites par un représentant du conseil municipal. Cette personne est d’habitude le président de la municipalité ou tout autre conseiller municipal qui joue officiellement ou non le rôle de porte parole du conseil. Ce discours est saisissable à travers une panoplie d’éléments: les emblématiques revues municipales, les rapports publiés par les municipalités, les entretiens accordés par les présidents des municipalités ou des membres de leurs conseils à nous-mêmes ou à la presse nationale ou locale, les articles et reportages dans cette presse qui rapporte les positions de ces municipalités vis-à-vis différentes questions.

Trois entrées peuvent nous aider ici pour tenir notre objectif: L’«identité de la commune», le «projet de ville» et les partenariats affichés.

On entend par «identité de la commune» une représentation convergente de l’histoire de la commune et de sa géographie. Cette représentation est une construction à laquelle s’attèlent différents acteurs pour faire ressortir une sorte de matrice à partir de laquelle s’organise les relations entre les différents groupes sociaux dans – et avec l’extérieur – de la commune. Cette matrice comprend aussi bien un socle commun consensuel dans lequel se reconnaissent les «inclus» et un filtre plus ou moins subtil qui garde à distance les «exclus».

Dans les communes de la banlieue de Beyrouth de l’après-guerre, cette recherche d’une «identité de la commune» semble même se présenter comme un besoin. Ces quartiers ont connu dans les cinquante dernières années des bouleversements importants avec un exode rural massif, une urbanisation record, une industrialisation, puis une désindustrialisation, une guerre féroce, des déplacements de populations, des gouvernances miliciennes et les grands projets de la reconstruction. On est loin des cadres sociaux, politiques et économiques traditionnels dans lesquels se reconnaissait la population locale dite «autochtone» et qui ont vu émerger les municipalités. L’espace politique représente un magma d’acteurs de tout genre (clans familiaux «autochtones» et «allochtones», notables de tout genres, partis politiques, associations, organisations communautaires, acteurs économiques…) qui ne se reconnaissent pas, ou plus, dans cette idylle de commune villageoise. Ainsi un effort de redéfinition de cette «identité de la commune», d’un nouveau cadre plus ou moins consensuel autour duquel reprendrait la vie

politique locale, est une préoccupation largement partagée et que les régimes municipaux en tant qu’entités élues et acteurs centraux de ces communes ont le devoir de définir.

Cette «identité de la commune» est ainsi un enjeu de taille pour les différents régimes municipaux. Ces derniers en quête de légitimité140 cherchent à souligner leur ancrage dans cette

«identité» et sa défense. Pour cela ils n’hésitent pas à mettre en relief des épisodes réinterprétés de l’histoire locale pour affirmer une certaine continuité historique. Ces manœuvres ont ici une double valeur. D’une part, l’antériorité de présence dans le territoire est – comme il a été discuté dans la partie de la thèse traitant de la reconstitution de l’évolution territoriale – un important élément de distinction et de légitimité sociale et politique locale au Liban. D’autre part, c’est à travers une interprétation subjective de l’histoire et du présent de la commune que le régime municipal définit les «problèmes» de celle-ci et qu’il légitime son «projet de ville».

De même, la façon dont les différents lieux, quartiers et zones du périmètre municipal sont présentés dans le discours municipal nous semble révélatrice d’une géographie mentale attribuant à ces différentes entités spatiales des valeurs différentes aux yeux des régimes municipaux. Cette géographie inclut des hauts lieux historiques représentant un élément de fixation autour duquel se fonde l’identité historique de la commune, d’autres lieux stratégiques qui représentent un levier pour le «projet de ville» municipal, ou encore des lieux qui se démarquent par leur absence même du discours municipal. Cette hiérarchisation de ces lieux est à la source d’une identité territoriale de la commune que le régime municipal oeuvrera à renforcer en mettant en relief ses lieux historiques et stratégiques et en banalisant et rejetant les autres. Ceci implique par suite un effort pour redéfinir les interdépendances sociospatiales existantes, notamment à travers la mise en place d’un «projet de ville».

Le «projet de ville» représente ici une certaine vision stratégique pour la commune portée par son régime municipal. Ce projet comprend des indications sur ce que cette commune doit ou ne doit pas être, sur son rôle territorial c’est-à-dire son rapport à son entourage direct, à Beyrouth, à d’autres régions du Liban ou encore à d’autres villes et pays. Cette vision n’est pas forcément un plan d’actions clair, car souvent le cadre et les moyens d’actions se présentent comme des entraves à la mise en place de programmes développés. Toutefois elle se manifeste fortement dans le discours que les municipalités tiennent sur les grands défis du développement de la commune, sur les priorités d’action, et sur l’avenir de leur commune.

Dans la définition de son «projet de ville», le régime municipal essaie souvent de marier «identité de la commune» et «développement». Cette dernière notion est ici entendue dans le sens large du progrès sans pour autant présenter un cadre conceptuel clair. Ce qui n’empêche pas qu’elle est souvent avancée comme le devoir suprême des municipalités. Ce flou dans la définition d’un des mots les plus récurrents dans les discours des régimes municipaux est révélateur. Il nous

semble que ce flou est voulu et maintenu comme une zone grise offrant aux régimes municipaux un espace de manœuvre pour accommoder dans un même «projet de ville» deux rationnalités contradictoires. D’une part un conservatisme politique et social ainsi qu’une mise en relief du patrimoine communal sont nécessaires pour assurer une légitimité historique au régime, d’autre part un important effort de modernisation en mesure d’assurer un redressement économique et un positionnement stratégique de ces communes dans l’espace métropolitain de Beyrouth.

Ce flou nous paraît ainsi un espace stratégique pour les gouvernances territoriales municipales qui permet toujours une redéfinition flexible de ce «projet de ville» par le régime municipal pour saisir des opportunités de circonstance ou encore pour monter des ponts avec de nouveaux acteurs ou pour en exclure d’autres.

Enfin, les partenariats avec les différents acteurs dans les actions qu’elles mettent en place nous semblent aussi un important indicateur des logiques d’inclusion et d’exclusion des gouvernances territoriales municipales. La place accordée aux différents acteurs et la façon dont ils sont abordés dans le discours est un solide révélateur des relations entretenues entre les municipalités et les différents acteurs locaux, nationaux et régionaux.

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