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La voie centrale et la voie périphérique du changement attitudinal : Le modèle de Probabilité d’Élaboration

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 43-48)

Claude Chabrol

3. La voie centrale et la voie périphérique du changement attitudinal : Le modèle de Probabilité d’Élaboration

Pour être efficace, une communication persuasive n’a pas toujours besoin de provoquer un travail cognitif considérable. Les individus ne sont pas toujours en mesure ou assez motivés pour analyser en profondeur les messages qui leur sont destinés. En outre, et contrairement à l’hypothèse implicite de McGuire et de Greenwald, même un travail cognitif réduit suffit parfois pour produire des change-ments d’attitude dans la direction proposée par le message.

Il faudrait donc expliquer qu’un individu puisse : changer d’attitude à tra-vers deux types de processus complètement différents : dans certaines situations, soit par le biais d’un travail cognitif de réflexion approfondie, soit dans d’autres situa-tions sans déployer presque aucun effort cognitif. Dans la plupart des activités de la vie courante, les individus n’ont ni la capacité ni la motivation de s’engager dans un examen approfondi des multiples messages qui leur sont adressés. Ils préfèrent s’appuyer sur un examen rapide du message, afin d’aboutir à un jugement suffi-samment sûr du point de vue subjectif pour servir d’appui à l’action.

Le modèle qui sous-tend les théories des processus duaux de la persuasion est celui de « l’avare cognitif » (« the cognitive miser », voir Fiske et Taylor, 2007). Guidé par le principe de la suffisance, un individu essaierait constamment de maxi-miser la confiance perçue en ses propres jugements, tout en économisant la durée et l’intensité du travail de réflexion effectué pour produire ces jugements, dans une régulation constante de ses efforts cognitifs en fonction de ses propres enjeux d’action dans la situation.

3.1. Les effets sur l’attitude des deux voies de la persuasion (Petty et Cacioppo) Ces auteurs ont tenté de prouver (1981) que le traitement d’un même mes-sage pouvait être effectué par deux voies différentes. Selon leur capacité et leur mo-tivation à traiter l’information dans un contexte donné, les récepteurs déclencheront un traitement « périphérique » ou « central ».

Le traitement périphérique caractérise les situations de faible implication

(faible intérêt pour le message, distraction ou surcharge d’informations…) où les récepteurs élaborent rapidement une réponse à la persuasion en fonction de la pré-sence ou de l’abpré-sence d’indices simples qui sous-tendent ici la persuasion, appelés « cues » (expertise, attractivité ou notoriété de la source, esthétique du message, nombre d’arguments présentés, chiffres et statistiques évoqués…).

Le traitement central caractérise lui, les situations de forte implication

(intérêt fort pour le message, enjeux élevés dans la situation…), ce qui conduit les récepteurs à analyser de manière approfondie les arguments de la communication, c’est-à-dire son contenu sémantique, afin d’élaborer une réponse cognitive. Les auteurs distinguent entre des arguments forts et des arguments faibles, les deux plaidant en faveur de la position défendue par le message.

Selon Petty et Wegener (1999) les premiers seraient susceptibles de conduire les sujets à des réponses cognitives positives lorsque ceux-ci effectuent une ana-lyse approfondie du message (traitement central), alors que les seconds auraient plutôt tendance à provoquer des réponses cognitives défavorables en ce cas. Il est

important pour Petty et Cacioppo de connaître et de prévoir la voie de la persua-sion suivie par un récepteur dans une certaine situation, afin d’être en mesure d’estimer quel sera l’impact probable d’un message sur les attitudes du sujet.

En effet, les attitudes formées ou modifiées par la voie centrale seraient plus stables dans le temps, seraient plus résistantes face aux tentatives de contre-argumentation et plus accessibles au niveau de la mémoire que les attitudes formées ou modifiées par la voie périphérique. Une attitude forte orienterait ainsi le comportement du récepteur de manière plus consistante qu’une attitude issue d’un traitement superficiel (Petty et Wegener, 1999). Toutefois, les attitudes formées ou modifiées par la voie périphérique peuvent aussi se montrer persistantes dans le temps.

La conception de l’individu défendue par « le modèle de probabilité

d’élaboration » semble plus proche de celle d’un « avare cognitif » que de celle

d’un « tacticien motivé », car l’individu reste en quelque sorte dépendant de ses capacités et motivations de traitement de l’information, sans qu’il puisse les mo-difier ou les adapter délibérément. Cependant des recherches indiquent que les

individus auraient aussi la possibilité de recourir quasi-volontairement à l’une ou l’autre des voies de traitement de l’information (voir entre autres déjà Maheswaran

et Chaiken, 1991).

Selon Petty et Cacioppo, les individus exposés à un message persuasif peu-vent donc former ou changer d’attitude soit par une évaluation systématique des arguments du message (la voie centrale de la persuasion) soit par une évaluation su-perficielle des indices du message, comme le caractère crédible de la source, ou en-core attractif des couleurs, de la musique ou de la forme stylistique de la communi-cation (la voie périphérique de la persuasion). La motivation et la capacité à traiter l’information conduisent les récepteurs à suivre l’une des deux voies au détriment de l’autre.

Les motivations susceptibles d’augmenter la probabilité qu’un individu ef-fectue un travail cognitif systématique du message persuasif sont multiples. L’implication (involvement) est l’une des variables motivationnelles les plus impor-tantes, qui fait référence au lien perçu entre soi et le message.

L’implication peut être double :

– L’implication personnelle ou intrinsèque est préexistante à l’exposition au

mes-sage, elle renvoie à l’intérêt de l’individu pour le thème ou l’objet du mesmes-sage, où encore le but de l’action évoquée par le message.

– L’implication situationnelle ou extrinsèque est renforcée par le contexte de

pour un jeune passionné d’histoire antique, son implication envers un mes-sage relatif à l’archéologie sera renforcée si, avant l’exposition, il apprend qu’il sera invité à participer à un débat sur ce thème.

La latitude d’acceptation et de rejet dépendent de l’implication personnelle de l’individu (« ego-involvement »). Une implication forte conduit l’individu à examiner d’une manière plus attentive, donc éventuellement plus critique, les messages relatifs à l’objet impliquant, ce qui augmente la probabilité de rejet du message. La latitude de rejet serait donc plus étendue lorsque l’implication est im-portante. Les chercheurs ont mis en valeur les points suivants :

– une source très crédible peut étendre la zone d’acceptation des récepteurs – l’ambiguïté d’un message peut être plus utile que la clarté, car elle est suscep-tible de faire rentrer le message dans plusieurs zones d’acceptation (Granberg, 1984)

– certains individus sont dogmatiques sur beaucoup de thématiques, ce qui les

conduit à avoir des latitudes de rejet très larges.

Les recherches ultérieures en psychologie sociale ont confirmé que

l’implication est une variable modératrice centrale de la persuasion. Les

théo-ries du traitement de l’information montrent qu’en situation de « forte implica-tion » les individus sont susceptibles d’effectuer un travail cognitif soutenu pour évaluer la qualité les arguments des messages persuasifs.

En situation de « faible implication » ils auraient plutôt tendance à activer les réflexions ou les inférences déclenchées par les indices périphériques attri-buées à la source (telle l’expertise reconnue, sa position de majoritaire, son carac-tère pluriel), ou le fait d’avoir à participer ensuite à un débat ou même d’être placé face à un miroir qui amplifie la conscience de soi ou encore le caractère surprenant du message.

3.2. Humeur et persuasion

Petty et ses collègues ont exploré les rôles joués par l’humeur dans différents types de contextes de persuasion. Les résultats indiquent que si les sujets n’ont pas la motivation ou la capacité de traiter les arguments, l’humeur fonctionne comme un

indice périphérique. En tant qu’indice, l’humeur conduit à un changement attitudinal

cohérent avec sa valence : une humeur positive favorise des pensées et des atti-tudes plus positives qu’une humeur neutre.

160 étudiants en psychologie ont été exposés à différents programmes de télévision visant à induire un certain état émotionnel (humeur positive ou neutre). Le programme avait deux versions, dont l’une avec de bons arguments et l’autre avec de mauvais arguments. Le niveau d’implication situationnelle des sujets était également manipulé, en fonction d’un cadeau promis en échange de leur partici-pation à l’expérimentation. Les résultats indiquent que les sujets ayant une forte

implication ont effectué un traitement plus attentif du message ; ils se sont

rappe-lés plus facilement l’objet présenté (un stylo) et sa marque ; les sujets ayant une humeur positive ont déclaré des attitudes plus positives à l’égard de l’objet présen-té ; l’humeur a eu un impact sur la quantiprésen-té et la valence des pensées générées après l’exposition au message : plus de pensées positives pour les sujets ayant une humeur positive, et cela notamment en situation de forte implication. Plus les pensées étaient positives, plus les attitudes envers le produit étaient positives. D’autres variables, liées à la personnalité du récepteur, influencent aussi d’une manière importante la motivation des individus à effectuer un traitement en profondeur des messages : le besoin de cognition, le monitorage de soi et le besoin de clôture cognitive.

3. 3. Le besoin de cognition : un facteur décisif

Des caractéristiques individuelles influencent la motivation à traiter l’information. Les individus avec un fort besoin de cognition recherchent les stimulations intellec-tuelles, apprécient le travail cognitif et profitent de toute occasion pour déployer un effort cognitif soutenu afin de former des jugements plus fondés. Un besoin de

cognition élevé conduirait les récepteurs à suivre la voie centrale de la persuasion.

À l’opposé, avec un faible besoin de cognition les individus seraient plutôt sus-ceptibles d’effectuer un traitement superficiel des messages et de suivre la voie périphérique de la persuasion (Haugtvedt, Petty et Cacioppo, 1992).

Il s’agit là de l’une des hypothèses les plus testées concernant la mémorisation des messages persuasifs. Les chercheurs estiment que le travail d’élaboration cognitive effec-tué par les individus avec un fort besoin de cognition devrait renforcer la mémorisation des messages, tandis que l’effet contraire devrait être enregistré chez les individus avec un faible besoin de cognition. Dans une expérimentation, Cacioppo et ses collègues (1983) demandent à des sujets ayant un fort ou un faible besoin de cognition de lire un éditorial rédigé par un étudiant en vue d’une publication. Le message contenait six argu-ments forts et six arguargu-ments faibles. Sans lien avec le type d’arguargu-ments (« bons » ou « mauvais »), les sujets ayant un besoin de cognition élevé ont mémorisé environ deux tiers des arguments auxquels ils ont été exposés, alors que les sujets ayant un faible be-soin de cognition n’ont mémorisé que la moitié des arguments lus.

Cette tendance à traiter de manière plus ou moins approfondie les messages persuasifs conduit les individus avec un fort besoin de cognition à évaluer un mes-sage en fonction de la nature des arguments présentés, et rend susceptibles les individus avec un faible besoin de cognition de ne prêter une attention aux argu-ments que lorsque la source du message manque de crédibilité.

Au départ, les psychologues sociaux pensaient que les individus avec un fort besoin de cognition traiteraient l’information de manière relativement objective, car ils analysent soigneusement les arguments qui leur sont proposés et forment ou modifient leurs attitudes sur la base des arguments évalués. Mais des recherches ultérieures ont souligné que, dans certaines conditions, ce traitement systéma-tique peut être biaisé. Petty (1995) a testé cette hypothèse : il a proposé à des sujets avec un fort ou un faible besoin de cognition, et une humeur positive ou négative de lire un message persuasif sur un thème de prévention de la santé.

Les résultats indiquent que les sujets avec un fort besoin de cognition comme ceux avec un faible besoin de cognition ont déclaré des attitudes favo-rables au message lorsqu’ils étaient d’humeur positive. Les explications proposées par les auteurs pour rendre compte de ces effets sont les suivantes :

– pour les sujets avec un fort besoin de cognition, l’humeur positive a joué un rôle médiateur par rapport au changement attitudinal et a induit un biais favorable au message. Autrement dit, pour les sujets avec un fort besoin de

cognition, plus l’humeur était positive, plus leurs pensées étaient positives, et

plus les attitudes étaient favorables au message ;

– pour les individus avec un faible besoin de cognition, l’impact de l’humeur sur les attitudes était direct et ne passait pas par l’élaboration cognitive des in-formations du message, c’est-à-dire par un travail de génération de pensées.

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