• Aucun résultat trouvé

La question du Sujet du discours

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 36-39)

Claude Chabrol

1. La question du Sujet du discours

Ce renouvellement a posé la question de façon centrale ou non, du discours et de son sujet, singulier ou pluriel. Celui-ci sera considéré dans ses actes comme inscrit dans une histoire, acteur social, être psychologique, lié à sa parole en langue, et avec un corps doué de gestes et d’humeurs et cela n’en finit pas d’interroger les disciplines langagières et psycho-sociales. Peut-on concevoir une pratique sociale interlocutive, telle une promesse ou une rebuffade mises en œuvre par un sujet engagé vis à vis d’un autrui significatif qui ne concernerait que le sujet du discours et non celui qui l’assume, soit les instances cognitives et sociales de la subjectivité en action ? Plus simplement, celui qui dit : « je suis heureux de te voir ! » doit-il penser vraiment ce qu’il dit ? Est-il seulement « poli » ? Et la politesse n’est-elle qu’un droit de dire sans y penser ou de mentir, sinon qu’est-elle ? Doit-on et peut-on dire ce que nous pensons, ce qui suppose une grande capa-cité psychologique et une belle assurance sinon comment peut-on parler si nous sommes présumés incapables de le faire bien et / ou d’en assumer les conséquences ? La politesse est sans doute bien autre chose qu’une illusion, plutôt une forme primitive d’un droit coutumier en partie implicite qui régulerait notre vie quoti-dienne. Elle oriente les interactions et les interlocutions ordinaires pour maintenir des formes de vie sociale supportables, parfois plaisantes et surtout utiles en fonc-tion des groupes sociaux et des individus en présence, compte tenu des buts de leurs activités et des enjeux particuliers des participants comme de leurs statuts, explicitement convoqués ou au contraire suspendus en apparence et comme sou-vent seulement implicités en ce cas. Elle informe les conversations comme les

dimensions contractuelles de la communication des discours sociaux médiatiques

produits en l’absence de leurs récepteurs dans le champ de l’interaction monolo-cutive qui supposent tous que les publics pensés destinataires, doivent voir leurs valeurs et représentations propres, correctement ou relativement respectées ou du moins malmenées avec prudence (ironie), ou avec des ruptures thématiques et ico-niques bienvenues. On pourrait supposer d’emblée que le sujet « psychologique », pensant et ressentant, évoluant en société se doit d’instaurer un sujet « communi-quant » pour orienter les actes de parole du « sujet parlant » qui le représente dans les interactions sociales grâce aux dispositifs langagiers où un « sujet de l’énonciation »

tient matériellement sa place et un « sujet récepteur » pour accueillir ce qui lui y est destiné. Émile Benveniste rappellera (1966 et 1974) que si les formes de la syn-taxe et de la sémantique de l’énoncé linguistique font référence au mode de

signi-fiance sémiotique, celui de la parole en discours et de son énonciation ou de la

communication interactionnelle, dotée d’intentionnalité est bien différent car lié à un

mode de signifiance sémantique.

En effet revenons dans l’ouvrage qui est consacré à des écrits posthumes de Benveniste1 le texte qui suit :

Meaning. Le problème sera : comment les différents éléments de la langue signifient-t-ils ? Le « sens » d’un mot est-il le « sens » d’une proposition ? Le sens d’une proposition est-il le sens d’un morceau, d’un chapitre ? La langue est un système de signes […] mais il est im-possible de passer du signe à la phrase, imim-possible de faire coïncider cette distinction avec la distinction saussurienne de « langue » et « parole » parce que le signe est discontinu et la phrase continue. L’énonciation n’est pas une accumulation de signes : la phrase est d’un autre ordre de sens. On ne peut rien construire avec des unités. On ne peut pas les enchaîner dans ces continus que sont les phrases. (2012 : 140-142)

Il faudrait souligner à nouveau, après d’autres, les conséquences de ces af-firmations programmatiques. D’abord, il en découlerait qu’une sémio-linguistique fondée sur une signifiance sémiotique est sans doute nécessaire. Elle prendrait en charge l’étude quasi-syntaxique des formes et formats en cotexte phrastique minimal sans toutefois pouvoir aborder la signifiance sémantique des énoncés en contexte d’échanges réels entre interlocuteurs.

En effet l’étude d’interlocutions produisant des effets de sens, qui peuvent déclencher des cognitions et des affects, incitant ou non à l’action des interlocuteurs, au moyen d’énoncés linguistiques accompagnés de gestes ou d’images, supposerait l’existence d’un espace théorique adéquat. Celui-ci sera au moins dans un pre-mier temps pluridisciplinaire, pour articuler des démarches et domaines bien diffé-rents quant à leur principe de pertinence originel comme en sociolinguistique ou en psycholinguistique et donnera tout son sens pour les discours à une orientation « psycho-socio-sémiotique » que l’on trouve déjà bien résumée dans la notion « d’approche pragmatique » de Klinkenberg dès 1996. C’est poser clairement par là l’hypothèse de la fondation psychologique et sociale des activités sociales de com-munication réalisées grâce au langage au sens large. Rappelons des points im-portants soulignés par Klinkenberg : « toute signification tire sa valeur de l’interaction signes et contexte […] le signe naît dans un contact avec le monde et

1. Voir l’édition remarquable établie par Jean-Claude Coquet et Irène Fenoglio avec une préface de Julia Kriste-va et une postface de Tzvetan Todorov.

autrui […] et les signes permettent l’action » (1996 : 311).

Plus d’un demi-siècle de recherches sémiotiques et d’analyses de discours devraient maintenant constituer un horizon suffisant pour évaluer les difficultés. On peut penser que les notions qui articulent les pratiques discursives du sujet commu-niquant aux entités psychologiques et sociales sous-jacentes (rôles, statuts, personna-lité, identités) sont complexes et problématiques et de façon plus générale que l’emploi des termes d’identité et de sujet ou même de locuteur devrait interroger, lorsqu’il s’agit de conjoindre « le psychique, le social et le discursif » (Chabrol, 2006 : 16 ; Chabrol et Radu, 2008 : 17-55). On considère en effet que l’étude de la production et de l’interprétation d’effets (presse, publicité...) ou d’impressions de sens au moyen d’énoncés linguistiques accompagnés de gestes ou d’images sup-pose l’existence de capacités psychologiques et discursives socialement pertinentes pour articuler des connaissances sur le monde et la société en fonction de la situa-tion, aux informations produites à la suite du traitement de ces énoncés langagiers et des icônes ou des suites sonores (musicales, bruits) qui les accompagnent. Ainsi les caractéristiques supposées du récepteur idéal avec celle du type de situation se-raient nécessairement intégrées dans les calculs sous-jacents du sujet communi-quant producteur des textes médiatiques par exemple. Les décalages réels apparus en réception peuvent entraîner des ajustements ou des changements, lorsqu’ils peuvent être perçus et pris en considération car leur perception nécessite une volonté nouvelle, des moyens et des outils d’investigation plus complexes.

L’on pourrait éclairer ce projet à partir de l’objectif posé par Wittgenstein de dégager des « Formes de Vie » qui seraient pour celui-ci comme le souligne Jacques Fontanille :

[…] le niveau ultime de sa stratification des plans d’analyse des langages, qui part des ex-pressions, continue avec leurs usages puis avec les jeux de langage et aboutit aux Formes de vie […] La signification d’une expression n’advient ici que dans l’usage sous la forme des

jeux de langage qui aboutissent à des Formes de vie. (2015 : 14-17)

Ce projet de Wittgenstein irait dans le sens, pour Fontanille, d’une Pragma-tique générale « qui donnerait […] la prééminence aux praPragma-tiques culturelles et à la variabilité des usages […] sur le système et la structure » (2015 : 14). Or cette voie pragmatique serait aussi selon nous l’une des voies qui permettrait d’articuler en-semble les travaux et concepts psycho-sociologiques avec ceux de la sémiotique comme sans doute « les styles de vie » d’Éric Landowski pour les comportements sociaux. Cette perspective « pragmatique » inaugurée par Wittgenstein, comme le sou-ligne ici Fontanille, rendrait déjà assez bien compte selon lui des énonciations dans

toutes leurs dimensions : expressions énoncées pour des usages, pour participer à des jeux de langage et à des formes de vie. On suspendra provisoirement ce ques-tionnement, car Fontanille rappelle que cette perspective située sur le plan d’immanence homogène d’un sémiotique-objet pourrait être améliorée par « un par-cours génératif du plan de l’expression » plus global mais où selon nous les articu-lations avec les problématiques psychologiques et sociales demeurent encore à préciser.

La tâche du psychologue dans ce champ est en effet d’appréhender les bases des communications et d’étudier les relations complexes qui s’établissent entre les dimensions praxéologiques, communicationnelles et cognitives de l’action

humaine qui forment leur cadre. Leurs relations en effet ne sont pas strictement

iso-morphes, même si elles entretiennent des rapports interdépendants assez détermi-nants. Une articulation entre les théorisations de l’action et de la signification de-vient alors nécessaire et elle suppose la caractérisation des actes et actions variés impliqués dans les situations interactionnelles et plus largement dans les situations humaines. Ceci implique que l’on puisse articuler les comportements significatifs

dans leurs cadrages psycho-sociaux pour situer les actions et les actes de parole qui sous-tendent les échanges discursifs produits. Naturellement, il a paru nécessaire

de focaliser dans une très vaste littérature sur quelques points fondamentaux où des recherches décisives ont constitué les paradigmes encore actuels. Ce qui a été produit en psychologie à propos de la production et de la réception des discours met en cause pour une part l’autonomie des disciplines : de la linguistique et de la sémiologie, de la psychologie sociale et cognitive comme de la sociologie, appelées de fait à coopérer.

Les psychologues, ont en effet offert aux USA et en Europe (1960-1970 jusqu’aux années 2000 et plus) des outils précieux pour analyser et modéliser très systématiquement les articulations entre la perception des situations et des actions puis des actes de parole, jusqu’aux communications verbales. On explicitera la ge-nèse historique des éléments qui ont permis la constitution d’une famille concep-tuelle nouvelle, toujours en évolution mais la période envisagée est sans doute très importante pour comprendre le développement des travaux psycho-sociaux-sémiotiques, soit de l’approche Pragmatique des actions humaines.

2. Persuasion et changement attitudinal : des hypothèses cognitives aux

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 36-39)

Outline

Documents relatifs