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Persuasion et changement attitudinal : des hypothèses cognitives aux modèles duaux du traitement de l’information

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 39-43)

Claude Chabrol

2. Persuasion et changement attitudinal : des hypothèses cognitives aux modèles duaux du traitement de l’information

Après la fin des conflits de la Seconde Guerre mondiale, l’école de Yale avait tenté de répondre aux questions posées par la persuasion en politique, en publicité et

dans les campagnes de prévention. Leurs auteurs défendaient déjà l’hypothèse sou-vent présente aujourd’hui en sociologie, en particulier en France, selon laquelle la persuasion serait susceptible de provoquer des effets directs et puissants sur les récepteurs. Ceux-ci étaient envisagés comme relativement passifs et vulnérables face aux tentatives de changement attitudinal venant d’un émetteur considéré comme capable d’enclencher des transformations importantes dans les pensées et les comportements d’autrui. Les limites de cette approche ont été mises en évidence ultérieurement et une autre orientation, plus socio-cognitive s’est imposée. Celle-ci rappelle l’importance des dimensions psychologiques et psychosociologiques du récepteur, et considère que l’individu est plus autonome face aux messages per-suasifs auxquels il est exposé quotidiennement. Cette approche souligne le rôle clé du récepteur en matière de traitement de l’information persuasive et explore les processus permettant d’expliquer l’adhésion et, respectivement, la résistance à la persuasion.

On explicitera d’abord les étapes proposées des processus de traitement de l’information persuasive, de l’attention à la mémorisation puis à l’action, avec McGuire, et des pensées produites en réponse aux stimuli persuasifs avec Greenwald mais notre attention sera surtout consacrée aux théories duales du traitement de l’information de Petty et Cacioppo, et de Chaiken et Eagly, qui ont proposé les modèles déjà assez complets des propositions d’analyse du changement attitudinal à partir des années 2000.

Ces modèles tentent d’articuler les capacités et les motivations des récep-teurs aux traitements déclenchés par l’exposition à un message persuasif et attirent l’attention sur le rôle modérateur de facteurs contextuels (humeur du récepteur, dis-traction, répétition du message, etc.) et métacognitifs (jugements et confiance per-çue en ses propres capacités de traitement et ses attitudes) sur l’impact d’un mes-sage persuasif. Émotions, cognitions et enjeux sociaux y sont donc ainsi mis en

relation de manière systématique et opérationnelle.

2.1. Les précurseurs : « Qui dit quoi, à qui, par quel canal, avec quels effets ? » Le schéma de la communication proposé par Lasswell (1964), inspiré par la « Théorie mathématique de la communication » de Shannon et Weaver (1949), a influencé à la fois les premières recherches en psychologie sociale de la persuasion et la pensée du sens commun en matière de communication. Pour les pionniers des études sur la persuasion, les chercheurs de l’école de Yale (Hovland, McGuire, Brehm, Janis, Kelley, Sherif, etc.), la communication était à peu près un processus de transfert d’informations à sens unique, déclenché par un « émetteur » qui envoie un flux d’informations par un « canal » où transitent des messages mis en

forme selon un certain « code » (textes, images, sons…).

Partisans de la thèse des effets directs et puissants de la persuasion, les psy-chologues sociaux de l’école de Yale travaillaient dans le cadre du paradigme béha-vioriste, approche qui pose les comportements comme autant de réponses à des sti-muli provenant de l’environnement de l’individu. Ces auteurs s’intéressaient donc d’abord aux résultats de l’exposition à des messages persuasifs et dans une bien moindre mesure aux processus cognitifs qui en seraient responsables (Petty, 1997). Les théories de la persuasion proposées par les chercheurs de l’école de Yale s’inscrivaient dans le cadre des théories de l’apprentissage, ils estimaient par conséquent que tous les éléments capables de faciliter la compréhension et la mémorisation d’un message renforceraient son impact. Les chercheurs considéraient qu’une certaine caractéristique du message, par exemple sa source ou ses arguments, produirait en règle générale un seul et même effet, quel que soit le contexte de réception. Pourtant, cette hypothèse a montré ses limites assez rapidement. En

ef-fet, on a pu constater que tous les éléments d’un message et d’un contexte d’exposition, ainsi que les traits de personnalité et les motivations du récepteur pouvaient provoquer non pas un seul mais plusieurs types d’effets persuasifs et cela en fonction de leur co-occurrence avec d’autres facteurs.

La mise en évidence des effets d’interaction (source et type de message, par exemple) a conduit les psychologues sociaux à s’interroger sur les processus cogni-tifs impliqués dans la production de cette multiplicité d’effets générés par une

même variable dans des contextes différents. L’exploration systématique des

pro-cessus cognitifs de traitement du message est l’objet central des théories ac-tuelles de la persuasion, qui s’intéressent moins aux effets qu’aux facteurs co-gnitifs, affectifs et contextuels susceptibles de les expliquer. Ce premier bilan ne devrait pas désespérer les sémioticiens

2.2. La réception comme processus linéaire de traitement de l’information

Le premier à avoir proposé un modèle de la persuasion conçu comme une succession de processus cognitifs de traitement de l’information est McGuire (1968). Selon lui, l’impact d’un message est le résultat d’une série de cinq étapes distinctes. Il met en avant le rôle de l’attention et de la perception de l’information constituants de la Réception, de la compréhension du message et de son acceptation, de la mémorisation, et enfin de l’action fondée sur la décision découlant de ces étapes successives. Paradoxalement, si les professionnels des médias et de la publicité consacrent un effort considérable pour concevoir des mes-sages susceptibles d’attirer l’attention du public, le rôle médiateur de l’attention

en persuasion a été peu exploré. Des recherches assez récentes (Channouf et Rouan, 2002) mettent pourtant en évidence le fait que l’attention sélective est

orientée par les buts des individus en situation de communication. En bref, si

l’attention est d’abord attirée par certaines caractéristiques du message, elle est

néanmoins contrôlée par l’individu qui décide d’allouer ou non ses ressources at-tentionnelles en fonction de ses propres objectifs.

L’attention prêtée à un message est souvent plus importante lorsque la com-munication fait appel aux émotions, au niveau du texte et / ou de l’image. Les études sur les messages « vivides » permettent de mieux appréhender les rapports entre les éléments constitutifs des messages et leur impact sur les mécanismes attentionnels. Selon la définition de Nisbett et Ross, la vividité d’un message con-siste dans sa « capacité à attirer et à maintenir l’attention et à stimuler l’imagination » (1980 : 75). Un message vivide suscite plus d’attention parce qu’il évoque des images qui provoquent des émotions fortes. Les études réalisées ont souligné le fait que dans l’ensemble une majorité des sujets jugeaient leur argumentation plus difficile à suivre et se sont déclarés plus convaincus par les messages non vivides.

Une fois les deux étapes de la réception (attention et compréhension) fran-chies, McGuire souligne le caractère décisif de la troisième étape du processus per-suasif : le récepteur doit adhérer au message et accepter la position défendue par celui-ci. Là aussi, le passage de la compréhension à l’acceptation n’est pas automa-tique, puisqu’une bonne compréhension du message n’est pas une garantie d’adhésion. En effet, en certaines situations, une bonne acceptation du contenu du message permet de renforcer sa compréhension. En d’autres circonstances, une faible acceptation peut diminuer la compréhension, voire conduire à des biais de compréhension pour les sujets qui veulent défendre leurs attitudes et jugements antérieurs.

2.3. La réception comme processus actif de traitement de l’information : l’approche des « réponses cognitives »

L’hypothèse de Greenwald était que le changement d’attitude n’est pas une conséquence directe de la mémorisation du contenu des messages persuasifs. L’impact persuasif d’un message serait déterminé par les pensées que les individus

génèrent eux-mêmes lors de la réception. Greenwald a proposé avec Brock (1968)

une théorie du rôle médiateur des « réponses cognitives » dans la persuasion. Une réponse cognitive est une unité d’information en rapport avec un objet ou un thème, résultat du traitement cognitif (voir Petty et Cacioppo, 1981). Tout individu exposé à

un message persuasif confronterait le contenu de celui-ci à ses propres représenta-tions antérieures, croyances et attitudes.

Le résultat de l’analyse de l’argumentation développée dans un message peut être favorable, neutre ou négatif, et l’impact du message en serait fortement dépendant. Si les réponses cognitives sont des pensées positives, le récepteur sera plus susceptible d’adhérer au point de vue défendu par le message, tandis que si elles sont négatives (contre-arguments) le récepteur aurait tendance à rejeter le mes-sage et à résister à la persuasion.

Toutefois les résultats des expériences menées indiquent, fait surprenant jusque-là, que les pensées sans lien direct avec le message avaient été bien plus

pré-dictives pour le changement attitudinal enregistré (65%) que celles ayant une corré-lation positive avec l’argumentation proposée. Selon Girandolla (2003), une

per-suasion réussie serait le résultat d’un message qui a provoqué des réponses cogni-tives à la fois posicogni-tives et nombreuses. Plus les pensées posicogni-tives sont abondantes et surclassent les pensées neutres ou négatives, plus le changement d’attitude serait favorable, peu importerait leurs liens avec le message.

L’approche de la réponse cognitive a permis au moins de démontrer la réali-té du rôle de l’activiréali-té cognitive des récepteurs sur l’efficaciréali-té de la persuasion, mais sa force explicative est relativement réduite. Les chercheurs ont reconnu sa pertinence comme « orientation conceptuelle » tout en soulignant que cette ap-proche n’est pas encore « une théorie générale de la persuasion » (Eagly et Chai-ken, 1993).

Ce qui intéresse les chercheurs depuis un peu plus d’une vingtaine d’années ce n’est plus simplement de savoir si les récepteurs ont produit des réponses cogni-tives favorables au message persuasif et de mesurer l’ampleur du changement d’attitude en fonction du nombre de réponses et de leur valence (favorables, neutres, défavorables), mais plutôt de comprendre et d’expliquer la nature des

pro-cessus cognitifs qui conduisent les individus à changer d’attitude après l’exposition à un message persuasif.

3. La voie centrale et la voie périphérique du changement attitudinal : Le

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