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Sémiologie, sémiotique, sémantique

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 188-191)

Christine Chollier

1. Sémiologie, sémiotique, sémantique

Dans leur Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Ducrot et Todorov rappellent que la sémiotique s’est longtemps confondue avec la philosophie du langage (1972 : 113), ce par quoi on peut comprendre deux choses : qu’elle est influencée par les paradigmes de la philosophie, notamment l’ontologie ; qu’elle est née de réflexions sur le langage et donc qu’elle est dominée par une linguistique régie par un paradigme logico-mathématique appliqué à la phrase. Cela expliquerait la prééminence des questions de relation de la langue aux con-cepts ou au monde (dont font partie les sujets et les choses), ainsi que l’absence d’une linguistique des textes.

Ducrot et Todorov ajoutent que la sémiotique s’est constituée en disci-pline indépendante grâce au philosophe américain Charles Sanders Peirce (1839-1914). L’ontologie philosophique y fait du signe le representamen de l’objet et du sens seulement son Interprétant. Charles Sanders Peirce définissait aussi trois types de signes : l’icône, l’indice et le symbole. Dans cette tripartition, seul le symbole semble être délié de l’objet. À cette filiation philosophique s’oppose la filiation saussurienne.

En effet, à peu près simultanément, d’autres réflexions portent, chez le Genevois Ferdinand de Saussure, sur la sémiologie définie comme « science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » (1969 [1916] : 33). Sémiolo-gie non linguistique, l’apport de Saussure a été néanmoins rabattu sur son versant verbal, notamment sur des dualités dont on a fait des dualismes comme ceux de Si-gnifiant / Signifié, Langue / Parole, etc.

Or les Écrits de linguistique générale (2002) montrent un Saussure légère-ment différent de l’image construite par le Cours de linguistique générale, considéré comme apocryphe (voir Rastier, 2005b). Se tenant à l’écart de la phénoménolo-gie (de la problématique du sujet pensant et parlant), du mentalisme (qui considère le langage comme la traduction de la pensée) et de l’ontologie (qui voit le langage comme un sac de mots renvoyant chacun aux objets du monde et aux états de choses), le linguiste se préoccupe des deux faces du signe (le signifiant et le signi-fié). Premièrement, cette dualité non antinomique indique que le contexte d’une uni-té de l’expression peut être une uniuni-té du contenu, et réciproquement. Deuxièmement, « la langue ne s’alimente dans son essence que d’oppositions, d’un ensemble de valeurs parfaitement négatives » (2002 : 71). Cette linguistique est différentielle, non référentielle, non mentaliste : la valeur naît de différences. Troisièmement, pour Saussure, la parole est l’élément déterminant dans la dualité langue / parole. Il dit ainsi de la linguistique : « elle comporte deux parties : l’une qui est plus près

de la langue, dépôt passif, l’autre qui est plus près de la parole, force active et ori-gine véritable des phénomènes qui s’aperçoivent ensuite peu à peu dans l’autre moitié du langage » (Ibid. : 273).

De ce Saussure-là François Rastier retient les thèses suivantes :

– Dans notre tradition, deux problématiques inconciliables se partagent l’histoire des idées linguistiques :

[…] la première, dominante, de tradition logique et grammaticale, est fondée sur l’ontologie et gagée sur le signe ; la seconde, moins unifiée, de tradition rhétorique ou herméneu-tique est fondée sur une praxéologie et gagée sur le texte. Ces deux problémaherméneu-tiques se par-tagent de fait les dualités saussuriennes. (Rastier, 2005b : 5)

– Les mots n’ont ni d’identité à soi, ni de non-contradiction, ni de tiers exclu ; ce qui permet de ne pas les indexer sur un discours sur l’Être et de les délier des choses (dé-ontologie).

– Expression et contenu produisent du sens ensemble et avec les autres unités (ce que Hjelmslev soutient aussi).

– Les deux faces d’un signe ne sont pas immuablement liées ; elles peuvent subir des modifications sur pression du contexte droit ou gauche ; le modèle du signe ne repose plus sur l’opposition entre surface et profondeur1 mais se fi-gure comme un modèle plat.

– Interpréter consiste à parcourir un texte en tenant compte de l’inhérent et de l’afférent, lequel peut être contextuel ou intertextuel.

Une troisième source de la sémiotique moderne est identifiée chez le philosophe allemand Ernst Cassirer pour qui le langage, comme toutes les formes symboliques produites par le mythe, la religion, l’art, la science, l’histoire, etc., sert non pas à dénommer une réalité préexistante mais à la conceptualiser.

La logique du philosophe logicien Charles Morris constitue une qua-trième source reconnue de la sémiotique moderne. Il a légué une tripartition popu-laire dans l’histoire de la linguistique : celle entre sémantique, syntaxique et prag-matique. La sémantique y est définie comme relation entre les signes et les

desi-gnata ou les denotata ; la syntaxe comme relation des signes entre eux ; la

pragma-tique comme relation entre les signes et leurs utilisateurs. On le voit, la syntaxe est limitée à la combinaison des mots dans la phrase alors que la sémantique devient

1. Voir la comparaison de Barthes, Greimas et Eco dans Marrone (2014). Voir aussi le succès, ou l’insuccès, des notions de structures superficielles et structures profondes en grammaire générative.

conceptuelle ou logique. La sémantique cognitive (mentaliste, héritée de la phéno-ménologie) situe le sens dans des conceptualisations ; la sémantique véri-conditionnelle dans le rapport entre des propositions et des états de choses. Autre-ment dit, la langue est toujours seconde et son premier – les objets du monde ou les idées – est toujours plus noble qu’elle, la réduisant ainsi au statut subalterne d’instrument. Cela explique pourquoi les langues sont si mal étudiées et si mal comprises. Ducrot et Todorov soulignent alors que le statut instable et minoritaire de la sémiotique serait dû à certaines incertitudes (1972 : 120) : par exemple, faut-il partir des signes non linguistiques pour y trouver la place du langage (comme Peirce) – au risque de ne rien trouver pour éclairer le fonctionnement du langage, encore moins d’une langue – ou bien partir du langage pour étudier les autres sys-tèmes de signes (comme Saussure) – au risque de faire fi de leur spécificité et de leur complexité ? Pour dépasser l’aporie, ils répondent que si les objets non linguis-tiques existent bien, on ne peut en faire état qu’en termes linguislinguis-tiques, ce qui sou-ligne le caractère double du langage : comme système de signes et comme « mi-lieu » dans lequel nous vivons. Non seulement le langage parle des autres mais il peut nous apprendre à examiner les autres.

Spécialiste de Saussure et de Benveniste, Claudine Normand précise que le second a été « formé à l’analyse des formes linguistiques dans la Grammaire com-parée et la Linguistique historique » (2001 : 2). C’est pourquoi toute rupture entre comparatisme et linguistique structurale lui était étrangère. Dans les années 1940 et 1950, le comparatiste travaille sur le sens lié à la forme en contexte dans ses recherches morpho-syntaxiques sur l’indo-européen. Puis dans les années 1960, son intérêt se porte sur la prédication, ce que le sujet « dit » du monde, tirant alors l’étude du discours vers une pragmatique qui s’attache à la « référence au monde des objets », quand bien même celle-ci serait toujours et encore médiatisée par les signes. Le sens se confond alors avec ce que nous appelons aujourd’hui la significa-tion (ce qui est inhérent au système), pour se distinguer de la « désignasignifica-tion ».

La sémiologie s’écarte chez lui du programme saussurien de « science gé-nérale des systèmes de signes » pour devenir un ensemble constitué d’une sémio-tique et d’une sémansémio-tique. La première décrit la langue, donc les propriétés géné-rales du système ; la seconde, la « mise en emploi » du système. La première dé-gage ces propriétés d’énoncés singuliers. La seconde interprète les énoncés sans prétendre tout dire de leur sens mais en tenant compte des marqueurs d’énonciation qui réintroduisent ici la dimension ontologique. S’il convient d’insister sur le retour – même prudent – de la référence par le biais de l’énonciation, c’est parce qu’elle relie monde, sujet, espace et temps.

l’ontologie ou la phénoménologie. Devenue « science générale des systèmes de signes » chez Saussure, elle est sommée de décrire les propriétés générales des langues par Benveniste, tandis qu’une sémantique se préoccuperait du sens. Encore faut-il s’entendre sur les conditions de construction du sens et de construction de ses interprétants.

Héritier critique de Saussure, de Greimas, de Pottier, de Coseriu et de Hjelmslev, François Rastier poursuit certains de leurs travaux et intuitions pour proposer une sémantique textuelle dont nous allons expliciter les fondements utiles pour notre propos.

Dans le document La sémiotique et son autre (Page 188-191)

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