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LE VIWSIDA EN AFRIQUE L'Afrique dans la pandémie et ses effets systèmes

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 165-172)

On ne peut parler du continent africain sans évoquer l'épidémie majeure qui le touche aujourd'hui et dont les conséquences y sont d'une telle ampleur qu'elles concer-nent tous les secteurs des sociétés et menacent, de façon systémique, les possibilités de développement des États:

le syndrome d'immunodéficience acquise provoqué par le virus

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ou VllI/Sida. Le VllI/Sida est une infection virale transmissible par échange direct de liquides corpo-rels (sang, spenne et sécrétions vaginales), qui détruit les défenses immunitaires des organismes contaminés et favorise le développement de maladies opportunistes. En Afrique, cette épidémie mondiale est essentiellement une maladie sexuellement transmissible : on estime que les rapports hétérosexuels y sont responsables de 80 %des contaminations, tandis que la majorité des 20 %restants correspond aux contaminations matemo-fœtales et, dans une bien moindre mesure, à celles liées aux injections (drogues, médicaments) et aux rapports homosexuels.

L'épidémie doit être replacée dans la perspective générale de l'épidémiologie afin de caractériser cette

infection par rapport à d'autres. L'épidémie de VllI/Sida n'est pas la seule épidémie passée ou présente que le monde ait connue ou qu'il connaisse, mais dans un champ épidémiologique balisé par le degré de contagiosité, le contexte pharmaco-médico-technique de la propagation, la capacité immunologique de réponse des organismes humains à l'agent infectieux, si elle apparaît comme bien moins contagieuse que des épidémies qui se transmettent indirectement au moyen de contages (la grippe, le choléra, par exemple), elle est en revanche caractérisée par un contexte pharmaco-médico-technique de propagation qui lui a été très favorable (pas de vaccin spécifique, pas de traitement préventif et pas de traitement efficace jusqu'en 1996),et par l'absence de réponse immunitaire.Atitre de comparaison, la grippe "espagnole" de 1918-1919,qui, selon une estimation consensuelle, a fait environ 30 millions de morts directs (principalement en Chine, aux États-Unis, en Europe), est caractérisée par son haut degré de contagiosité et un contexte pharmaco-médico-technique favorable (pas de vaccin existant à l'époque), mais elle a été brève du fait de la capacité des organismes humains a lui apporter une réponse immunitaire en moins de deux ans. Enfin, l'épidémie de VllI/Sida est non saisonnière, dotée d'un champ d'activité mondial (pandé-mie) et d'une actualité temporelle extrêmement longue (23 ans), caractérisée par un décalage temporel important entre contamination par le

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(séropositivité) et déclara-tion de la maladie (Sida). Le géographe américain Peter Gould l'a qualifiée deThe Slow Plague (le lent fléau), titre de son ouvrage consacré à l'étude des structures spatiales et des processus de la transmission du virus, publié en 1993. L'ONUSIDA recense à l'échelle mondiale 40 millions de personnes malades du Sida, 5 millions de nouveaux cas de Sida déclarés par an, 20 millions de morts depuis le début de l'épidémie, 3 millions de morts par an ; les estimations pour 2010 prévoient une diminution de la population mondiale liée au VllI/Sida de 71 millions de personnes; à ce jour, seuls 800 000 malades dans le monde ont accès aux traitements dont 500 000 dans les pays riches.

L'épidémie en Afrique doit être replacée dans son cadre mondial, afinde mettre en avant ce qui, dans les

structures et les pratiques spatiales en Afrique, constitue un contexte favorable à son développement. Elle y a pris une ampleur considérable (ampleur de la contagion, taux de mortalité, rapidité de la mortalité des personnes infec-tées) alors qu'elle paraît contrôlée en Europe et en Amérique du Nord (contagion moindre, augmentation de la durée de vie après infection). Cette différenciation régionale met au jour, à côté des causes virales, l'impor-tance des contextes spatiaux de la transmission: comme l'énonce P. Gould [in BAILLY,FERRASetPuMAiN,1992], l'agent causal d'une maladie est toujours un flux porté par une structure ; celle-ci, différenciée, fait apparaître des aires distinctes de contamination et de mortalité. Cette structure et ce flux sont analysables en termes géogra-phiques dans la mesure où la transmission dépend de la relation de corps humains entre eux et, par conséquent, des normes culturelles et économiques présidant à ces relations, des facteurs de la mise en présence des corps et des technologies qui les sous-tendent: agrégation (villes, régions, etc.) et circulation de populations (migrations, déplacements), et leur hiérarchisation (réseaux hiérar-chiques de peuplement et de flux). Le rapport structure/flux dessine l'espace du Sida en Afrique, la dimension spatiale de la pandémie sur le continent.

• L'Afrique dans la diffusion mondiale du virus VIHISida

En 2003, d'après l'organisation mondiale de la santé (OMS), l'Afrique regroupait les deux tiers des personnes atteintes du Vlli/Sida pour seulement Il%de la popula-tion mondiale. Toujours selon l'OMS (2003), entre 23 et 31 millions de personnes atteintes vivent sur le continent.

L'écart avec le reste du monde se creuse encore si l'on prend en compte les décès liés au VlllISida : sur les 3 millions de morts du Vlli/Sida dans le monde en 2000, 2,4 millions provenaient de l'Afrique subsaharienne (Source: OMS, ONUSIDA). L'importance de la contami-nation y est en effet aggravée par le faible accès aux moyens de prévention et par-dessus tout aux soins (v. Préservatifs; Trithérapie) : en 2004, 100 000 malades (25000, en 2002) sont effectivement soignés dans le cadre

des protocoles thérapeutiques de la médecine occidentale qui sont en mesure d'allonger la durée de vie des malades.

L'Afrique est le foyer d'origine de l'épidémie dans le monde. La première vague de cette épidémie est partie à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt (rapport de l'OMS, 2000) des pourtours des lacs Victoria et Tanganyika. Le virus VIH-l a été identifié en 1983. L'épidémie s'est ensuite propagée suivant deux axes perpendiculaires : un axe méridien principal qui s'étend d' Addis-Abeba (Éthiopie) ou de Djibouti jusqu'au Cap (Afrique du Sud), un axe secondaire est-ouest, de Dar es-Salaam (Tanzanie) ou de Mombassa (Kenya) jusqu'à Dakar (Sénégal). Selon Peter Gould, la transmission épidémiologique relève de deux processus distincts : la diffusion hiérarchique et la diffusion par contagion. Ainsi le VIH, suivant un certain ordre spatial de propagation, passe d'une grande ville à une autre grande ville reliées entre elles par des flux à longue ou moyenne distances - c'est-à-dire qu'il est d'abord transmis entre deux agré-gats de population, centres de relations denses et nœuds de circulation attracteurs et dispensateurs de flux sur des échelles variées, puis lentement, par le biais des relations interpersonnelles dans l'espace de la vie quotidienne, il passe à l'ensemble de lieux reliés sur de courtes distances qui forment l'arrière-pays régional de ces épicentres. C'est sur la base de ce modèle (dit de la diffusion) que le géogra-phe analyse la prévalence* du Vlli/Sida en Côte-d'Ivoire, mettant en avant le rôle de la structure des connexions aériennes qui fait converger sur Abidjan, nœud de circula-tion sous-continental, des flux de populacircula-tion à longue distance en provenance de l'Afrique francophone, puis le rôle de la structure des connexions routières (Abidjan-Bouaké et Abidjan-Dabakala) qui fait descendre la maladie dans la hiérarchie nationale des unités de peuple-ment. C'est la mobilité des populations, telle qu'elle est rendue possible par les conditions technologiques de la circulation et telle qu'elle est motivée par des facteurs économiques, politiques et sociaux, qui se réalise dans une structure circulatoire donnée, qui est un agent de propaga-tion, tandis que l'accessibilité problématique aux soins (état de l'infrastructure sanitaire, coût prohibitif des traite-ments et moyens préventifs) et les comportetraite-ments

sanitai-res et sexuels (nature des rapports entre les partenaisanitai-res et modalité d'utilisation de moyens de prévention) sont des conditions du ralentissement ou de l'accélération du flux transmetteur. En Afrique, cette mobilité est particulière-ment importante : migrations de travail (v. SADC), professions mobiles (v. Péages routiers), déplacements massifs de populations dus aux guerres (v. Brazzaville ; Crise ivoirienne), déplacements de troupes ou de groupes de soldats démobilisés, etc., et elle se déploie dans un contexte médical, pharmaceutique, économique et comportemental très favorable à l'accélération de la trans-mission et à l'établissement d'un taux élevé de mortalité (v. Préservatifs; Trithérapie).

Ainsi, on peut s'étonner de l'ampleur de la contagion en Afrique australe depuis la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, alors que le virus était identifié et que des politiques de prévention étaient en place à l'échelle mondiale. Cela n'est compréhensible que si l'on rappro-che cette chronologie médicale d'une autre chronologie, celle-ci politique: la contamination massive des popula-tions d'Afrique australe s'est faite en même temps que fInissait l'apartheid*. LafIn du régime raciste* sud-afri-cain réintègre un pays paria dans le concert des nations (v. SADC). On peut désormais échanger facilement avec la première puissance économique du continent : les freins à la mobilité sont levés. De nombreux hommes seuls viennent travailler sous contrat dans les mines : certains viennent de Zambie et du Malawi, pays servant de relais avec la zone des Grands Lacs alors la plus touchée.Levirus s'étend, et les politiques ne savent pas réagir à temps, qu'ils se consacrent à la réconciliation et à la reconstruction comme Nelson Mandela (v.) ou qu'ils nient le problème comme son successeur ThaboMbeki.

Lecontexte national sud-africain (disparité des systèmes de soins héritée de l'apartheid, culture de la violence notammentàcaractère sexuel, éclatement des structures familiales lié à l'ancienne disjonction entre ségrégation/cantonnement géographique des populations noires et emploi dans les quartiers blancs ...) fait le reste.

Dans ce désastre générai à l'échelle d'un continent, les situations nationales apparaissent différenciées et

décalées dans le temps. TI faut d'emblée signaler que l'Afrique du Nord est beaucoup moins touchée par le VIHISida puisque seulement 0,6 % des 15-49 ans y étaient contaminés en 2003 [voir Amat-Roze in LESOURD, 2003] contre 21,5 % en Afrique australe. En Afrique subsaharienne, la géographie de l'épidémie a évolué: les pays riverains des Grands Lacs, là où le virus est apparu, ont été les plus touchés à partir du milieu des années quatre-vingt. Compte tenu du décalage chronologique important entre la contamination par le virus et la décla-ration de la maladie, ces pays ont été très touchés jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix. L'Ouganda en parti-culier comptait 30 %de femmes enceintes séropositives en 1989. La chute de l'espérance de vie y a été particuliè-rement spectaculaire: alors qu'un mouvement séculaire avait permis des gains substantiels (10 ans d'espérance de vie de plus entre 1960 et 1984), la tendance haussière a été brutalement cassée. L'espérance de vie qui atteignait 54 ans en 1994 y a été très brutalement ramenée à 40,7 ans en 1998, soit le niveau des années soixante! Mais ces États ont souvent pris conscience très tôt de l'ampleur de l'épidémie et ont su réagir. Le cas de l'Ouganda est là exemplaire. L'implication personnelle du président Yoweri Museveni a joué un rôle fondamental. TI a lancé dès 1986, un programme national de lutte anti-Sida basé sur l'information et la prévention. Toutes les instances administratives, comme les conseils locaux, ont été appe-lées à faire circuler l'information auprès des populations.

Leprogramme a aussi misé sur l'engagement des repré-sentants des groupes religieux de toutes confessions, des associations locales, des écoles, des troupes théâtrales ...

Aujourd'hui, l'Afrique des Grands Lacs n'est plus la plus touchée par le fléau: l'Afrique australe est la région où la prévalence du

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est maximale. En Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Botswana, plus de 30%de la population des 15-49 ans est séropositive... L'épidémie progresse rapidement: au Botswana, où 38%des femmes encein-tes étaient porteuses du virus en 1997, ce taux passe à 44,9%en 2000 et plus de la moitié des femmes de 20 à 30 ans sont alors touchées. En Afrique de l'Ouest, ce sont la Côte-d'Ivoire et le Cameroun qui présentent les taux les plus élevés: 10%et 11%des adultes sont séropositifs.

• Effets système

Cette épidémie, par son ampleur, touche tous les aspects de la vie des populations concernées: lorsque les taux sont très élevés, ce ne sont pas seulement les dyna-miques démographiques qui sont modifiées, mais aussi les aspects économiques, sociaux et culturels, provoquant une crise de société majeure.

La crise démographique est considérable, au point que le président du Botswana a déclaré en 2001 : "Nous sommes à la veille de la disparition de notre nation". Les projections démographiques sont en effet régulièrement revues à la baisse pour l'ensemble du continent. Même si presque tous les pays restent en situation d'explosion démographique avec une croissance cependant ralentie, l'Afrique du Sud, le Botswana et le Zimbabwe auront en 2025 une population inférieure à celle de 1997, et cela à cause du Sida. Les pyramides des âges sont très brutale-ment modifiées : Jeanne-Marie AMAT-RoZE [2003]

analyse celle du Botswana et montre que la forme pyra-midale est remplacée par une forme dite "en tuyau de cheminée". L'épidémie touche en effet surtout les jeunes adultes, hommes et femmes confondus.

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y a donc un effet classes creuses sur les deux sexes, accentué du côté féminin car les femmes sont aujourd'hui exposées plus jeunes et sont plus contaminées. La pyramide se rétrécit à sa base car les naissances reculent (décès des femmes en âge de procréer) et les enfants contaminés par leur mère meurent rapidement.

Une telle ponction sur les classes d'âge actives et sur les jeunes (réservoir de population active) pose de graves problèmes de développement. Ainsi, selon la Banque mondiale, la croissance de l'Afrique du Sud est inférieure de 17%à ce qu'elle serait sans ce fléau. Les entreprises sont en effet durement touchées : perte de productivité, absentéisme des ouvriers malades ou devant prendre soin de leurs proches eux-mêmes malades, hausse des charges puisqu'elles sont souvent responsables de l'assurance médicale de leurs salariés, difficulté à recruter et à former de la main-d'œuvre pour remplacer les décès ... L'impact économique est tel que ces entreprises se mobilisent main-tenant contre le Vlli/Sida et que les grandes compagnies

minières comme la de Beers ou l'Anglo-American finan-cent aujourd'hui la trithérapie* de leurs salariés. Ajoutons que, puisque c'est la population active qui meurt, elle n'est plus en mesure d'assurer la production, en particulier de denrées agricoles. L'insécurité alimentaire est donc aussi l'une des conséquences de l'épidémie. Cet exemple sud-africain montre la nécessité de ne pas analyser le Vlli/Sida de manière isolée, mais de le penser en système. Trois exemples permettent de mieux le comprendre.

L'effet système joue d'abord sur le plan pathologique.

Ainsi, en Afrique subsaharienne, la vitesse de propagation du virus est grandement accrue par des cofacteurs patho-logiques dont l'ampleur détermine l'état sanitaire des populations, leur sensibilité au virus : les MST ulcérantes (syphilis) et les MST inflammatoires (gonococcie) favori-sent les possibilités de passage du virus. Inversement, le VllI/Sida est un facteur de développement de maladies opportunistes (la tuberculose et des infections bactérien-nes), tandis que la séropositivité aggrave et l'incidence et la gravité du paludisme (v. Moustiques). Ces maladies sont les premières causes de mortalité liées au Sida. Le VllI/Sida met en cause jusqu'aux campagnes vaccinales systématiques de l'UNICEF: certains vaccins sont redou-tables lorsqu'ils sont injectés à un enfant séropositif en situation d'immunodéficience, qui a alors tendance à développer la maladie contre laquelle on voulait le proté-ger. La situation médicale africaine se dégrade donc parti-culièrement rapidement, d'autant que les infrastructures de santé (publiques et ONG), déjà insuffisantes, ne peuvent accueillir tous les malades concernés. Les États n'ont pas les ressources pour remédier à cette situation et le personnel de santé est lui aussi touché par l'épidémie : les manques criants d'hommes, de matériel, de ressour-ces, deviennent dramatiques face à l'épidémie.

La géographie de l'épidémie, son ampleur, mais aussi sa sociologie sont à comprendre en terme de système.

Ainsi, la mobilité des populations africaines transforme des catégories de population ayant celle-ci en commun, en vecteurs de l'épidémie. Par exemple, les immigrants du Burkina Faso - main-d'œuvre encore largement céliba-taire des plantations - qui sont infectés en Côte-d'Ivoire,

rentrent mourir au pays, participant ainsi à la diffusion de la maladie dans leur pays. C'est l'ensemble des profes-sions "mobiles" qui est touché: chauffeurs routiers, fonc-tionnaires affectés loin de chez eux et bénéficiant d'un revenu stable qui leur donne un certain pouvoir de séduc-tion... surtout quand s'y ajoute un pouvoir administratif ou coercitif (policiers, douaniers). Parmi ceux-ci, les enseignants et surtout les instituteurs constituent une caté-gorie particulièrement décimée. Ceci s'explique certes par leur revenu fixe, mais aussi par l'usage immodéré de ce qu'on y appelle avec ironie les ''MST' ou "moyenne sexuellement transmissibles" (c'est-à-dire le pouvoir d'aliéner les notes). Des conséquences dramatiques sur l'encadrement éducatif des populations commencent à se faire sentir: en 2002, certains villages ivoiriens n'ont plus d'instituteur. Le Zimbabwe devra former deux fois plus d'enseignants que d'ordinaire dans les 17 prochaines années, compte tenu de leur forte mortalité liée au Sida (rapport OMS/ONUSIDA 2000). Un encadrement pour-tant nécessaire au développement des pratiques de prévention épidémiologique.

Enfin, ce n'est qu'en passant par la notion de système que l'on peut tenter d'appréhender les conséquences à court, moyen et long terme du Vlli/Sida sur le continent.

Bien sûr, il est difficile de savoir ce que sera l'évolution de la thérapeutique (en termes d'efficacité comme d'ac-cessibilité des médicaments), des infrastructures de santé ou celle des comportements sexuels et sanitaires des populations (v. Préservatifs). Mais il faut comprendre que des effets sociaux désastreux s'ajoutent aux conséquences démographiques. Ainsi les "orphelins du Sida" (en 2004, 700 000 en Côte-d'Ivoire, 1 million au Zimbabwe, 12 millions dans la totalité de l'Afrique subsaharienne et 18 millions pour 2010, selon une estimation de l'ONUSIDA) subissent, outre le traumatisme d'avoir perdu l'un et le plus souvent leurs deux parents, une importante paupérisation (étant donné le coût des soins et des médicaments, leurs parents sont souvent ruinés, voire endettés, quand ils meurent). Une paupérisation dont les deux plus importantes conséquences sont l'interruption de leur éducation et leur exposition au risque, toutes deux facteurs épidémiologiques. Cela handicape aussi

lourde-ment la transmission des savoirs (aussi bien des tech-niques agricoles traditionnelles que de l'éducation à l'oc-cidentale) et donc à terme obère le potentiel de dévelop-pement du pays. Parce qu'elle contribue à l'effondrement des systèmes traditionnels de solidarité, l'épidémie crée aussi de plus en plus de femmes isolées, paupérisées, réduites à des stratégies de survie, parmi lesquelles la prostitution. En effet, nombre de sociétés africaines prati-quent normalement le lévirat*. Mais cette pratique, là où elle était encore vive, a largement contribué à diffuser le virus jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix. La prise de conscience du caractère sexuel de la contamina-tion ajoutée au coût de la coutume (6 frères peuvent se répartir la prise en charge de la famille d'un septième s'il décède, mais 2 frères ne peuvent supporter les familles, malades de surcroît, des 5 autres décédés prématurément à cause du Vlli/Sida) a provoqué son abandon.

L'isolement de ces femmes non "réépousées" plonge des familles entières dans le dénuement matériel et social.

Tout ceci crée des conditions encore plus favorables au développement de l'épidémie.

Précaution méthodologique : se méfier des comparaisons chiffrées L'interprétation des chiffres concemant le Vlli/Sida nécessite certaines précautions, tant leurs référents sont variables. Tout d'abord, dans le cas de cette épidémie extrê-mement évolutive, les données changent très rapidement, il faut donc, avant toute interprétation, connaître non seule-ment la date de leur publication mais aussi de leur collecte.

Ensuite, il faut souligner la disparité des définitions statis-tiques des termes utilisés pour présenter les données collec-tées, c'est-à-dire enfinde compte la disparité des réalités que ces données recouvrent, ainsi que les biais attachés à leur définition. Les catégories statistiques auxquelles renvoie le tenne de "prévalence*" sont ainsi particulière-ment fluctuantes et problématiques (les prévalences chez les adultes, les femmes enceintes, les homosexuels, les toxi-comanes, dans la population générale... sont des indica-teurs courants). TI est donc indispensable de savoir quelle

est la population de référence pour le chiffre donné. Dans la plupart des documents publiés par l'OMS (et pour ceux qui y font référence), ''Taux de prévalence chez les adultes"

signifie "proportion d'adultes âgés de 15 à 49 ans vivant avec le Sida déclaré". Les problèmes posés par cette défi-nition statistique, dont l'intérêt est aussi économique - cet indicateur concerne la population économiquement active -, sont divers.Ladéfinition de la catégorie "adultes âgés de 15 à 49 ans", qui cherche à saisir la partie de la population sexuellement active, est contestable: tout particulièrement en Afrique subsaharienne où des hommes âgés de plus de 49 ans non seulement continuent d'avoir une vie sexuelle-comme ailleurs dans le monde mais ici beaucoup plus qu'ailleurs - avec de très jeunes femmes (quand ce ne sont pas des mineures), dans l'écrasante majorité des cas sans aucune protection. Ainsi hommes au-delà de 49 ans et femmes en deçà de 15, porteurs du virus, ne sont pas statis-tiquement recensés dans cette catégorie centrale de la mesure de la prévalence.

Cela est d'autant plus vrai que la variation des référents démographiques de ces données statistiques est subtilement utilisée par les responsables politiques en charge de la santé publique africaine. Analysons, par exemple, la déclaration du ministre de la santé du Burkina Faso faite en mai 2004, qui mobilise le taux de prévalence chez les femmes encein-tes: "le taux de prévalence duVlli,qui était de 7,17 % en 1997, est passé à 4,2%en 2002, selon l'OMS/ONUSIDA.

Suite à l'Enquête démographique et de santé (EDS), ce taux est de 1,9 % en 2003-2004." Ce faisant, le ministre annonce une baisse extraordinaire de la maladie dans son État. Sans être une contrevérité, il s'agit en fait d'un parfait artefact politique à destination intérieure. Pour ce qui concerne le taux de prévalence de 7,17 %, il correspond à des enquêtes en PMI (Protection maternelle et infantile) de zone urbaine, effectuées auprès de femmes enceintes qui y consultent. Le Vlli faisant baisser la fertilité des femmes, celles qui consultent en PMI ont statistiquement plus de chance que les autres d'être saines. Les taux de prévalence chez les femmes enceintes ne sont donc pas représentatifs de l'éten-due de la contamination de la population féminine et encore moins de la population en général. Par ailleurs, ce calcul porte sur les femmes qui fréquentent les PMI, alors que

beaucoup de femmes enceintes n'y consultent pas et qu'on peut émettre l'hypothèse que la prévention contre la maladie est plus forte chez les femmes qui consultent. Ainsi le risque est grand que le recensement ne soit pas en mesure de saisir statistiquement les populations féminines urbaines peu protégées, contaminées, infécondes qui consultent moins, puisque les comptages se font sur une population pour laquelle le risque de contamination est en fin de compte plus faible. Pour ce qui concerne l'enquête EDS, la baisse du taux de prévalence signalée est un artefact.Les enquêtes EDS sont des enquêtes de population effectuées sur de grands échantillons de population qui permettent une représentativité du monde rural plus forte que dans les enquêtes de prévalence ordinaires. Depuis quelques années, certains pays(Mali,Kenya, Burkina Faso) ont ajouté à l'en-quête EDS un test sérologique de dépistageVlli. D'une part, les refus du test peuvent fortement biaiser les résultats, puisqu'il peut être le fait de personnes conscientes qu'elles ont un comportement à risque. D'autre part, la bonne repré-sentation dans l'échantillon d'une population rurale habi-tuellement moins infectée par le virus que la population urbaine vient pondérer le taux, qui ne peut par conséquent être comparé à celui de la période antérieure (mesuré en ville). Ce procédé tire la prévalence vers le bas. Les gouver-nants jouent de ces variables, flottantes dans leur définition et dans leur établissement, afin de faire croire à l'efficacité de leur action politique et sanitaire contre l'épidémie dont ils ont la responsabilité en tant que garants de la santé publique, alors même que leur marge d'action est très limi-tée (v. Préservatifs; Trithérapie).

Évoquons pour terminer, le simple problème de la fiabilité des données concernant l'épidémie liée au carac-tère limité des dépistages en Afrique (les tests ont un coiit pour les États) et de leur fiabilité, au décalage temporel entre contamination et maladie (et donc aussi entre les politiques de prévention et leurs effets), aux malades qui ne se déclarent pas ou bien dont le décès est rapporté à d'autres causes (aux maladies infectieuses établies sur le foyer duVlli).Ainsi la prévalence du VIH (soit la propor-tion de personnes infectées par le virus mais n'ayant pas encore déclaré la maladie) reste en tout état de cause très largement inconnue dans bien des pays

"ESPACES"

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