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L'ANACARDIER

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 118-121)

toute l'Afrique, une tradition très ancienne qui voulait qu'on ne plante pas les arbres. En règle générale, si l'on pouvait garder des arbres en place (v. Sereer), en aucun cas on ne pouvait en planter, pour des raisons à la fois culturelles et pratiques, car l'arbre était la marque du territoire. Dans la zone des savanes comme dans la zone forestière agricole, en effet, il n'y a traditionnellement pas de "propriétaire" foncier à proprement parler, mais un chef de terre qui redistribue les terres et des usufrui-tiers qui n'ont pas de "propriété" mais à qui on ne peut retirer le droit de cultiver. De plus, on ne peut pas refu-ser de la terre à qui en demande (si cela arrive dans certaines zones depuis les années quatre-vingt-dix, c'est alors la marque d'une situation de crise) et il n'est pas possible d'arracher ce qui pousse tant que celui qui l'a planté n'en a pas tiré les fruits. Parce qu'il est pérenne, l'arbre est alors doté d'un statut différent: la plante ne meurt pas avec la récolte. Ainsi planter un arbre aurait signifié enfreindre l'autorité du chef de terre. S'il y a des nuances suivant les ethnies, le procédé était globalement respecté. Certes, la colonisation a largement bouleversé ces principes, mais essentiellement dans les zones de

"plantations", c'est-à-dire en zone forestière où l'on a implanté sur de grands espaces, depuis le début du xxe siècle, cacao, café, hévéa, puis palmier à huile, cocotier. En revanche, dans la zone septentrionale, le coton ("l'or blanc") restait une plante annuelle qui ne remettait donc pas en cause les structures du droit foncier traditionnel. Dans les espaces de savane, le développement des haies est de toute évidence à relier au développement de l'élevage, les arbres étant assez resserrés pour gêner le passage facile des animaux.

Ces haies sont formées le plus souvent d'arbres de

"rapport" (manguiers, anacardiers, tecks). Les terres ainsi protégées portent des cultures annuelles dans lesquelles le coton occupe une place non négligeable.li existe ponctuellement des vergers de manguiers ou d'anacardiers datant de la période d'introduction de cet arbre (1960-1970), la pratique arboricole est donc globalement admise bien avant 2004. Mais une nouvelle tendance est en train d'émerger nettement, depuis 1995 environ. C'est l'engouement massif pour l'anacardier.

Cette tendance donne naissance à de nouveaux paysages car l'anacardier se développe largement en association culturale (complant, haie) avec le coton.

Les paysages: ce qu'ils traduisent du point de vue des méthodes et stratégies paysannes L'anacardier est cultivé en complant. S'introduisant ainsi dans les cultures traditionnelles, il profite des soins qui leur sont prodigués. Lorsqu'il s'agit de coton, il béné-ficie des engrais utilisés pour ce végétal; lorsqu'il s'agit de cultures vivrières, il bénéficie des sarclages destinés à ces autres plantes. Mais l'intérêt de cette technique réside aussi dans la discrétion qui laisse la place au fait accom-pli et qui permet de jouer sur les règles coutumières d'usage des terres agricoles: certains usufruitiers (agri-culteurs détenant un droit de jouissance sur des terres, accordé par les chefs de terre qui en sont les gestionnai-res) espèrent pérenniser leur accès à la terre en profitant du fait qu'on ne peut pas revenir sur leur droit de jouis-sance tant que les parcelles portent une culture (v. Dynamiques rurales). Ces attitudes se sont radicalisées en Côte-d'Ivoire particulièrement depuis le "Plan foncier rural" de 1999 qui entend légiférer en matière d'occupa-tion et d'appropriad'occupa-tion des terres sur la base du principe suivant "la terre à celui qui la met en valeur". Cette pratique ouvre la porte aux tentatives de "coup de force"

en douceur mené par les agriculteurs pour capter des terres dont ils ne sont qu'usufruitiers. Les pousses d'ana-cardier sont en effet très discrètes (v. p. 249) et lorsqu'el-les sont bien visiblorsqu'el-les il est trop tard (v. p.250) : on ne peut plus les arracher. Toutefois, bien souvent, les chefs de terre les voient, mais ils y trouvent aussi leur compte: une fois les usufruitiers partis (décès, migration), dans la mesure où ces derniers ne sont pas propriétaires des terres, la terre déjà plantée en anacardiers revient aux chefs de terre, sans aucun investissement ni en travail ni en argent.

De ce fait, pour des raisons apparemment contradic-toires (l'un veut profiter du travail de l'autre qui, lui, cher-che à pérenniser sa présence sur une terre), tout le monde semble trouver avantage à la pratique du complant

anacar-dier/coton en zone cotonnière, ou anacardier/vivrier dans l'ensemble de la zone favorable à l'anacardier.

Les implications de ces nouvelles pratiques en matière de rotations culturales et d'accès aux terres sont importantes. Si, les trois premières années, on peut plan-ter sous l'anacardier et poursuivre les rotations classiques (maïs-coton), en revanche, au bout de trois ans (quatre maximum), la densité du houppier de l'arbre produit trop d'ombre et interdit toute autre culture (v. p. 250).

Pour l'instant, compte tenu du caractère très récent du phénomène, peu de publications permettent de mesurer les changements advenus dans l'accès à la terre avec le passage du coton annuel à une plantation pérenne, comme dans sa conservation: l'anacardier limite l'érosion des sols mais la terre ne retourne pas en jachère. La stabilisa-tion foncière entraîne-t-elle malgré tout un plus grand souci de conservation de la fertilité des sols?

Les implications

TI est évident qu'à très court terme cela signifie l'aban-don de toute autre culture (coton comme vivrier) sur les parcelles concernées. Même lorsque la concurrence a lieu au départ entre cultures de rente (anacardier et coton), elle conduit à une rivalité avec des cultures vivrières dans la mesure où le coton était cultivé en rotation avec celles-ci.

Dans les zones où l'anacardier est introduit entre les buttes d'igname ou entre les plants de mil ou d'arachide, la concurrence avec le vivrier est encore plus évidente. Par ailleurs, dans la mesure où la plantation est pérenne, l'abandon de ces cultures annuelles sur les parcelles est inéluctable. Ceci est d'autant plus net que la tendance à remplacer le coton par l'anacardier est alimentée par les difficultés de la filière coton et par les avantages immé-diats de l'anacardier pour les paysans. Outre ses qualités écologiques et sa rusticité, qui le rendent particulièrement adapté aux sols et au climat de savane, c'est un arbre qui résiste bien aux feux de brousse. Il est particulièrement facile à cultiver et demande peu d'entretien. TI bénéficie par ailleurs d'une excellente introduction dans le calen-drier agricole : une fois l'arbre à maturité, les travaux

nécessaires, peu nombreux, essentiellement le ramassage des noix, ont lieu en période de morte activité (février-mars). Comparativement, le coton demande des soins plus constants. En complant, les premières années, il profite des soins du coton sans accroître la charge de travail.

Larentabilité de l'anacardier est forte : fournissant environ 3 kg de noix/arbre dès la troisième année après le semis, sa productivité s'élève à 12 kg de noix/arbre envi-ron au bout de 10 ans. Autrement dit, il entre en grande production au moment où son ombre empêche une autre culture. En fait, dans la zone cotonnière, on continue de percevoir les fruits du coton en attendant ceux de l'anacar-dier:iln'y a pas de temps mort. Les prix à la vente restent élevés, de l'ordre de 150 francs CFA (v.) le kg en 2002, malgré une baisse de moitié depuis1999, due à l'engoue-ment massif. Surtout, la filière informelle* de collecte est remarquablement efficace. Devant la manne potentielle en terme de taxes, l'État ivoirien avait décidé d'organiser la filière, mais le décret a été signé le 17 septembre 2002, soit deux jours avant le déclenchement de la "rébellion" qui coupe toujours le pays en deux (v. Crise ivoirienne). Au contraire du coton qui peut se salir s'il tarde à être évacué, la noix de cajou ne s'abîme pas. Elle peut attendre le commerçant. Mieux, les prix montent en milieu de campa-gne. Ainsi, en 1999, le paysan qui n'était pas pressé pouvait vendre à 350 francs CFA le kg la noix qui aurait été vendue à 150-200 francs CFA au tout début de la campagne. Le paysan qui "démarre" son activité peut stoc-ker et se contenter de vendre un seul sac, la valeur étant suffisamment importante pour que le commerçant se déplace. L'usine de traitement de la noix de cajou cons-truite à Korhogo (nord de la Côte-d'Ivoire) avant la guerre, et actuellement fermée, ne traitait effectivement que 500 tonnes malgré une capacité de traitement de 1 500 tian, car son seuil de rentabilité lui imposait un prix d'achat inférieur à 125 francs CFA par kg, et les paysans préféraient vendre aux commerçants du secteur informel.

Àl'inverse, le coton présente pour le paysan un certain nombre de contraintes. Ses prix sont fluctuants et incer-tains. La filière (autrefois étatique, puis privatisée, mais cependant toujours "organisée") est souvent défaillante.

Nombreux sont les villageois qui se plaignent de ne pas avoir touché le prix de leur coton pendantdeux ans, alors même que la culture du coton nécessite des intrants (engrais, pesticides, insecticides). La guerre en Côte-d'Ivoire (v. Crise ivoirienne) n'a fait que renforcer ce problème.De surcroît,le coton qui tarde à être ramassé se détériore (salissures) et change de catégoriede qualité (et donc de prix). On ne peut le stocker en attendant que les prix montent, on ne peut l'évacuer de "façon informelle"

carilreste pondéreuxet volumineux.Àcause de la filière, mais aussi à causedu caractèredu produit,il est dépendant de la structure organisationnelle (étatique puis privée), même défaillante, pour son évacuation.Ainsi, le coton ne continue de se développer que dans les pays où la filière étatique semble performante(Mali, Burkina).

En Côte-d'Ivoire, c'est seulement depuis lafin des années quatre-vingt-dix que l'anacardier a pris un vérita-ble essor,ceci s'expliquant largementpar le mauvaispaie-ment du coton en zone cotonnière, mais aussi par la crise du café et du cacao qui a conduit nombre de travailleurs venus des zonesde savane à rester dans le Nord plutôt que de redescendre en "basse côte".Enfin,une crise ponc-tuelle de productionàl'échelle mondiale a placé les cours de la noix de cajou à un niveau très élevé en 1999 et 2000, ce qui a grandementencouragé les villageois à se diriger vers cette production. Les perspectives sont excellentes malgré la chute des cours de plus de 50%entre 2000 et 2001 : ils sont en fait revenus à niveau normal.

L'engouementmassifqui pourraitinquiéteret faire penser à un effondrementdes prix de la noix de cajou n'inquiète pas les villageois qui continuent de planter, toujours plus chaque année. Le plus surprenant est qu'ils n'ont pas forcément tort, les immenses marchés indiens et à un moindre degré brésilien semblant en effet. encore très largement demandeurs. La culture de l'anacardier consti-tue donc une nouvelle donne extrêmement récente et prometteuse.La questionde la concurrenceentre les deux cultures commercialesse joue doncàtous les niveaux, de la filière au foncier, en passant par les qualités des sols et le calendrier agricole.TI reste à en mesurer l'étendue et le Whme ex..aGt...aiHsi-Etlie-fa-eomplexité des tfiiplîcatîons.

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 118-121)