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ESPACES PUBLICS AFRICAINS La notion d'espace public est de plus en plus utilisée

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 186-190)

ESPACES PUBLICS AFRICAINS

d'oc-cupation sont accentuées par les effets d'une urbanisation galopante" [in CALAS,2002].

Sur le plan paysager, les espaces publics des villes africaines sont, comme le reste de la ville, marqués par une certaine dualité (v. Urbanités). On distingue d'abord les espaces publics centraux, formels, correspondant à une définition occidentale sur le plan juridique et urba-nistique. Ces derniers sont en partie hérités de la période coloniale et reprennent donc les formes spatiales des espaces publics de l'ancienne métropole. Les places sont très représentatives de ce type d'espace public (v. Ouagadougou). Ainsi, la place de l'Indépendanceà Dakar (Sénégal), ancienne place Protêt sous la colonisa-tion française, témoigne par son dessin géométrique et son aménagement de la façon dont l'urbanisme métro-politain a été appliqué[VIVET, 2003]. Les grands boule-vards du centre de Kinshasa (RDC) appartiennentàla même époque urbanistique et, en reliant les principaux lieux du pouvoir (colonial puis indépendant), participent à sa mise en scène et à sa promotion. D'autres espaces, comme de rares parcs, ont aussi été mis en place à l'époque coloniale : c'est le cas des jardins de la Compagnie au Cap (Afrique du Sud), vaste parc en posi-tion très centrale dans la ville, relique des jardins pota-gers établis par les premiers colons pour ravitailler les navires entre les Pays-Bas et les Indes néerlandaises.

Cependant, tous les espaces publics formels ne sont pas d'origine coloniale. Certains sont précoloniaux : c'est notamment le cas en Afrique du Nord et en Égypte, où la tradition urbaine précoloniale a pu installer différents types d'espaces publics. D'autres ont été construits par les États nouvellement indépendants : ainsi, Abuja, la capi-tale du Nigeria, a été construite ex nihilo pour exercer des fonctions administratives. Certains sont de construction très récente et visentà offrir une image de la modernité du pays et de son développement: c'est le cas de la porte du Millénaire, construite sur la Corniche (la promenade litto-rale) de Dakar en2001 [VIVET,2oo3].

D'autres espaces sont plus informels, que ce soit par leur bâti ou leur fonctionnement Les quartiers spontanés comportent aussi des rues, voire des places, qui fonctionnent

comme des espaces publics. De la même façon, ce sont souvent les pratiques des citadins qui produisent des espaces publics : par exemple, un espace est approprié par des vendeurs du secteur informel* et ainsi transformé en marché ou en restaurant ; la rue est appropriée par les enfants des rues ou, comme le terre-plein central de Niarry Tally, grand boulevard des quartiers populaires de Dakar, par différents groupes (professionnels, ethniques, régionaux, religieux, ou simples joueurs de darne) [VIVET,2003].

Tous ces espaces témoignent de l'urbanité (v.) et de la citadinité africaine et mettent en scène des comporte-ments citadins variés. Ainsi, CALAS[2002] a-t-il forgé la notion de chorégraphie urbaine pour désigner les comportements citadins (vestimentaires, corporels, alimentaires tout comme les règles de politesse...) dont l'espace public est la scène, au sens théâtral du terme.

Observer les espaces publics permet de formuler une analyse des identités sociales, par le biais de ce que le sociologue américain Goffman appelait la "présentation de soi". Ainsi, l'adoption commeà Nairobi de vêtements à l'occidentale (v. TIssus) peut être lue comme une revendication de modernité et d'occidentalisation. A contrario, les porteurs de pagne y appartiennent le plus souventà la frange la plus pauvre de la population. De même, la présence des femmes dans l'espace public ou serni-public (cafés), leur absence ou leur voile renvoient aux rapports sociaux entre les genres, tels qu'ils sont normés par la religion ou la coutume.

Lesmarchés

Les marchés font partie des espaces publics les plus étudiés dans les villes africaines. Les souks d'Afrique du Nord sont des espaces publics précoloniaux. Quartiers entiers dévolus au commerce, avec des rues spécialisées (rue des bijoutiers, rue des tanneurs...), ils appartiennent au modèle de la ville musulmane ancienne. ils sont fréquentés par une population majoritairement masculine, d'origine locale, mais aussi par les touristes: c'est notam-ment le casà Fès [TROIN, 1975].

En Afrique subsaharienne, les grands marchés occu-pent de vastes espaces urbains et assurent de multiples fonctions [PAULAIS, 1998]. Ainsi, Dantokpa,le principal marché de Cotonou (Bénin), s'étend sur plus de 18 ha.

D'autres marchés, de taille plus petite, font le dyna-misme des villes frontalières comme Mbaiboum entre Cameroun, Tchad et Centrafrique ou d'Abang Minko'o entre Cameroun, Guinée équatoriale et Congo [BENNAA..A, 2002].Àplus petite échelle*, bien des rues ont été transformées en petits marchés par l'installation de petits commerces informels, vendant des produits au micro-détail - une cigarette, un bonbon, un préservatif (v.) ... -, des boissons ou de la restauration. Ces marchés ne sont que très rarement spécialisés : on y trouve en général à la fois des aliments, des biens manufacturés -des tissus (v. Nana-Benz ; Tissus), -des fripes et -des cassettes audio (v. Salif Keita), etc. -, des matériaux de construction, des véhicules, du matériel d'occasion ...

Les marchés regroupent également des offres de divers services : services financiers par exemple avec des bureaux de change (particulièrement présents, on s'en doute, dans les zones frontalières) mais aussi de restau-ration avec de très nombreux petits restaurants (les maquis d'Abidjan), des vendeurs de boissons, des coif-feurs, des tailleurs, des réparateurs de toutes sortes.

Enfin, ces marchés procèdent aussi bien à du commerce de détail que de demi-gros ou de gros.

Leur emprise est telle que ce sont des éléments structurants de l'espace urbain [PAULAIS, 1998] : ils se développent souvent en empiétant sur les rues des quar-tiers résidentiels environnants, en générant des flux de marchandises et de personnes qu'il faut tenter de cana-liser, en polarisant les activités. En même temps, ils produisent relativement peu de revenus pour les collec-tivités locales, dans la mesure où les taxes levées restent faibles: celles de Dantokpa et des autres marchés de la ville ne comptaient que pour 4,7 %des recettes de la circonscription urbaine de Cotonou en 1992 [PAULAIS, 1998]. En effet, l'appauvrissement des populations souvent lié aux plans d'ajustement structurels* a dimi-nué les marges des commerçants, multiplié les détaillants occupés à une simple activité de survie et au

chiffre d'affaires très faible et encouragé les stratégies de contournement (comme l'installation de l'étal hors des limites légales du marché comme moyen d'échap-per au paiement de la patente).

Les marchés sont fréquentés par une foule venant souvent de loin : Dantokpa regroupe plus de 15 000 vendeurs et artisans, et attire environ 100 000 personnes aux heures de pointe [PAULAIS, 1998]. Les acheteurs ne sont pas les seuls à parcourir de grandes distances : ainsi, M., cordonnier ambulant à Mbaiboum, vient du Ghana, via la Libye et le Congo. Il souhaite se rendre ensuite au Swaziland [BENNAFLA, 2002]. Les marchés font ainsi la preuve de l'extrême vitalité du continent, de la mobilité de sa population et de l'intensité de son commerce : même si l'Afrique apparaît statistiquement comme un continent en marge de la mondialisation (v.), ses marchés montrent l'inten-sité des échanges entre pays africains, échanges souvent informels et/ou illégaux, donc peu comptabilisés. lis proposent aussi des produits venant d'autres pays du Sud, notamment asiatiques.

Ces marchés reflètent aussi l'organisation de la société: les vendeurs sont surtout masculins en Afrique du Nord, masculins et féminins, avec des spécialisa-tions par filières (v. Nana-Benz) en Afrique subsaha-rienne. Dans les espaces les plus développés du conti-nent, ces marchés traditionnels sont aujourd'hui en concurrence avec des centres commerciaux, bâtis sur le modèle américain. Ainsi, dans les grandes villes sud-africaines (v. Johannesburg/Soweto), les malts ont détrôné les marchés: on observe même plusieurs types demalts, en fonction de leur localisation dans la ville et du niveau économique de la clientèle visée. Ces espaces sont désormais privés, fermés, sécurisés - la violence criminelle est très élevée en Afrique du Sud - et parfois ségrégés : peut-on encore parler d'espace public?

Espaces publics et sociétés civiles

La question de l'espace public, entendu au sens politique et métaphorique, est aussi celle de

l'émer-gence d'une société civile en Afrique: en effet, elle marque une prise de parole hors des circuits de l'auto-rité reconnue, notamment coutumière et étatique (v. État; Ethnie; Ouagadougou). Le fondement de cette société civile est le processus d'individualisation: des individus apparaissent en tant que tels et non simple-ment définis par leur statut dans la société (homme/femme, jeune/vieux, appartenant à telle ethnie, à tel lignage, venant de telle région ... ). En d'autres termes, il s'agit de "l'émergence de l'homme en tant qu'individu indépendant dans la société civile et en tant que sujet autonome dans la société politique"

[LEIMDORFER et MARIE, 2003]. Ce processus, d'ordre historique, est évidemment lié à l'entrée progressive de l'Afrique dans la modernité, en particulier à l'urbanisa-tion.

Cependant, l'apparition d'individus comme agents sociaux en Afrique est en même temps modifiée voire freinée par des circonstances culturelles, politiques et économiques mettant en avant l'importance des liens communautaires [LEIMDORFER et MARIE, 2003]. Sur le plan culturel d'abord, "la solidarité communautaire [est une] valeur pérennisée par la socialisation et par les croyances" : la communauté d'origine apparaît comme essentielle dans la formation des personnes. Participer, fmancièrement par exemple, à la prospérité de cette communauté par des actions de redistribution est valo-risé socialement (v. Sorciers).

L'évolution économique récente de l'Afrique est marquée par une importante paupérisation, notamment des classes moyennes urbaines. Là encore, les solidari-tés traditionnelles s'affIrment, dans la mesure où elles opèrent toujours comme des "ressources" indispensa-bles en temps de crise économique, comme une vérita-ble sécurité sociale permettant d'assurer la survie de l'individu.

Enfin, la dimension politique joue un rôle: l'État (v.) africain, lorsqu'il n'est pas démocratique, tente aussi de freiner l'apparition d'une société civile qui pourrai t remettre en cause sa légitimité. C'est par exem-ple le cas dans le Zimbabwe de Mugabe, où les

journa-listes indépendants sont harcelés par le pouvoir en place. Au contraire, bien des régimes africains sont caractérisés par la "patrimonialisation de l'État", c'est-à-dire l'appropriation des ressources nationales par les élites et la redistribution d'une partie de ces ressources à une "clientèle" familiale, électorale, ethnique ou régionale (v. Brazzaville). Cela conduitàune "surcom-munautarisation" de la société.

Entre affirmation de l'individu et freins, les nouveaux rapports sociaux en Afrique insistent sur l'importance des échelons intermédiaires, comme les associations. Elles tissent un réseau dense et permettent souvent à l'individu de sortir de sa communauté d'ori-gine. Les églises de Sion d'Afrique australe en offrent un bon exemple [HOUSSAY-HoLZSCHUCH,1999] : orga-nisées autour d'un corpus de croyances syncrétiques, entre rites africains coutumiers et christianisme à l'eu-ropéenne. Elles accueillent des millions de fidèles : la Zionist Christian Church,la plus célèbre d'entre elles, compte à elle seule plus de deux millions d'adeptes.

Elles accueillent en particulier des personnes en rupture avec leur communauté d'origine: malades que ni les rites traditionnels ni la médecine occidentale n'ont pu guérir, femmes seules, soit des catégories que le déve-loppement de l'épidémie de VllI/Sida (v. VllIISida ; Préservatif) ne peut que contribuer à grossir. Dans la mesure où les solidarités traditionnelles (lignagères, régionales ...) ont bien souvent été mises à mal par le régime d'apartheid, les églises de Sion offrent à leurs membres un réseau alternatif qui remplace celui, défaillant ou refusé, des solidarités traditionnelles : les membres se rendent visite, se prêtent de l'argent les uns aux autres, s'épaulent de diverses manières en cas de diffIcultés. Plus encore, le rang acquis au sein de ces églises (prêtre, prêcheur, chef de chœur, etc.) devient un élément important de prestige social.

GORÉE, LIEU DE MÉMOIRE

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