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GORÉE, LIEU DE MÉMOIRE L'île de Gorée (Sénégal), accessible en vingt minutes de

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 190-193)

GORÉE, LIEU DE MÉMOIRE

produits pondéreux. Rattachée à la commune de Dakar par les autorités coloniales françaises en 1929, elle perd jusqu'à ses fonctions administratives et ne compte plus que 600 habitants en 1931. Elle a cependant été investie dès l'in-dépendance du Sénégal d'une fonction culturelle: en 1966, elle accueillait le premier Festival mondial des arts nègres [CAMARA etDEBENOIST, 2003].

Entre histoire et mémoire

L'île abrite aujourd'hui deux musées (v.) qui assument des fonctions bien distinctes. D'une part, la Maison des esclaves, installéedans une ancienne esclaverie ayant appar-tenu à une signare, achetée et restaurée par l'État sénégalais dans les années soixante, est dévolue à la mémoire de la traite atlantique. Leguide et gardien du lieu y conduit en personne les visiteurs depuis les cellules où étaient enfermés les esclaves jusqu'à l'ouverture sur l'océan, présentée comme la porte du "voyage sans retour". TI est également l'auteur d'inscriptions murales qui établissent un parallé-lisme étroit entre la traite négrière et les crimes de l'Allemagne nazie, comparant Gorée à Dachau ou à Oradour-sur-Glane.Lesite du BREDA (Bureau régional de l'UNESCO pour l'éducation en Afrique) propose même depuis 1999 une visite virtuelle en sa compagnie. D'autre part, le Musée historique du Sénégal, mis en place sous l'égide de l'IFAN (Institut fondamental d'Afrique noire) dansun ancien fort et inauguré en 1989, présente l'histoire du pays, de la préhistoire à nos jours.Lasalle consacrée à la traite négrière, loin de se limiter au cas de Gorée, y retrace le phénomène historique dans toute son extension, à l'échelle du continent, sans oublier les traites arabes à travers le Sahara et l'océan Indien [GAUGUE, 1997].

De la rivalité entre ces deux institutions muséogra-phiques est née une polémique, alimentée par les conserva-teurs des deux établissements, qui témoigne de la difficulté à concilier histoire et mémoire. Lorsque des historiens de l'IFAN, s'attachant à la reconstitution précise des usages des différents bâtiments de l'île, ont contesté à la Maison des esclaves la fonction que lui attribuait la mémoire locale et réduit le poids de Gorée dans la déportation en le replaçant

dans l'ensemble plus vaste de la côte atlantique du continent africain, la presse sénégalaise a crié au révisionnisme*.

Mettre publiquement en cause le fait que les déportés aient réellement emprunté la "porte du voyage sans retour" dela Maison des esclaves avait pour conséquence de saper les fondements sur lesquels s'était établie la cristallisation de la mémoire de la traite autour d'un lieu. En effet, la construc-tion d'un lieu de mémoire procède de la projecconstruc-tion sur un lieu matériel (ici, la Maison et sa porte sur l'océan) d'une volonté de mémoire qui lui confère des fonctions de cristal-lisation et de transmission du souvenir et permetla commé-moration d'une expérience en organisantin situla réédition du parcours sur le mode du pèlerinage [NORA, 1984 ; DEBARBIEUX, 1995 ; voir inLÉVYet LUSSAULT, 2003].La découverte des historiens ne contestait évidemment pas la réalité de la déportation mais le choix du lieu érigé en support du récit de mémoire et en point d'ancrage de l'ad-hésion collective. Plus largement, en minimisant la place de Gorée dans le système intercontinental de la traite [SAMB, 1997] et en rappelant la part qu'y avait pris la société locale métissée [CAMARA etDEBENOIST, 2003], le discours histo-rique contestait l'attribution d'une dimension symbolique à l'île de Gorée. Pour les tenants du devoir de mémoire, au contraire, plus que les événements qui se sont historique-ment produits en ce lieu, c'est leur signification qui autorise à en faire le symbole de toute la déportation transatlantique.

En guise de clôture de la polémique, l'État sénégalais a décidé d'ériger sur la comiche de Dakar, face à l'océan, un mémorial de l'esclavage. En attendant son édification, une réplique miniature du monument a été installée à Gorée en 2000.

La campagne internationale pour la sauvegarde de l'île de Gorée

Déjà classée à l'inventaire des monuments historiques du Sénégal depuis 1975, Gorée a obtenu en 19781'inscrip-tion sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO sous l'impulsion d'Amadou Mahtar M'Bow, élu directeur de cette institution en 1974. Dans son discours de lancement du Plan de sauvegarde en 1980, celui-ci insiste d'emblée sur la

dimension transcontinentale de la fonction mémoriale de l'île, considérée comme un "trait d'union symbolique de la désolation entre l'Afrique et les Amériques noires", qui

"appartient à l'imaginaire vivant de l'Afrique et des Amériques" et, "dans une égale mesure, à la conscience du monde".Lavolonté de mémoire n'est donc pas considérée comme l'appartenance exclusive d'une communauté cons-tituée par les "descendants des déportés de jadis en quête de leurs racines" - pour lesquels le voyageàGorée représente à la fois "une sorte de pèlerinage" et un retour symbolique aux origines qui se traduit par une inversion du sens du trajet effectué par les esclaves à travers l'Atlantique et trouve son aboutissement à la "porte du non-retour". En effet, en suggé-rant que le lieu appartient aussi à "tous ceux qui entendent puiser dans son histoire les raisons d'une nouvelle solidarité des peuples", Amadou Mahtar M'Bow inscrit délibérément la mémoire de Gorée au sein d'une histoire mondiale de l'humanité et veut y voir "un symbole d'espoir". Décrivant Gorée comme "le sanctuaire africain de la douleur noire"

lors de sa visite en 1992, le pape Jean-Paul II souligne quant à lui la dimension sacrée du lieu de mémoire, mais en restreint la portée à un pan de l'humanité défini par la couleur de sa peau.

L'appel à la solidarité internationale lancé par le direc-teur de l'UNESCO a permis de mobiliser des fonds prove-nant d'organismes divers comme le ministère sénégalais de la Culture, l'Union européenne, la République fédérale d'Allemagne, l'Ordre de Malte,LaPoste, la Corée du Sud ou la fondation France-Liberté (présidée par Danielle Mitterrand), grâce auxquels un certain nombre d'édifices ont pu être restaurés. L'élimination des ajouts et la restitution des façades d'époque, la consolidation des structures ont mis en valeur les spécificités architecturales des bâtiments goréens, jadis construits par les esclaves en attente d'embarquement:

blocs de basalte qui pavent les rues et constituent le matériau des bâtiments fortifiés, briques et crépis à la chaux aux tein-tes rouge et ocre. L'état des ouvrages en maçonnerie tels que les quais, jetées et murs de soutènement exposés à la mer continue d'être préoccupant L'érosion marine se manifeste en effet sous différentes formes: lessivage des matériaux par l'eau de mer, chocs mécaniques produits par l'action de la houle et des galets qu'elle soulève, régression du rivage.La

sauvegarde du patrimoine rencontre ainsi à Gorée des problèmes qui ne sont pas sans rappeler ceux de Venise, bénéficiaire d'une campagne du mêmetype.

L'île connaît actuellement une situation de spéculation foncière et de surenchère immobilière liée à la restauration du bâti et à l'arrivée de nouveaux résidents, Américains ou Européens fortunés, qui met en difficulté les Goréens de souche jusque-là bénéficiaires d'un logement bon marché (v. Mondialisations).Larecherche de solutions qui favorise-raient le maintien de cette population d'un millier d'habitants - développement concerté des activités touristiques créatrices d'emplois, prêts bancaires et aides encourageant les proprié-tairespeu fortunés à entreprendre les travaux nécessaires -tient toute sa placedansla conception du nouveau Plan de sauvegarde. Comme dans la charte de Venise de 1964, la préservation du patrimoine est conçue comme partie prenante d'un ensemble de détenninations socioéconomiques.

Lieu d'histoire, de patrimoine et de mémoire, site touris-tique, espace de vie original, Gorée regroupe un ensemble de caractéristiques propres qui la rendent unique en son genre. Elle est cependant aujourd'hui concurrencéedanssa fonction mémoriale par d'autres points de la côte atlantique qui revendiquent la même charge symbolique : Ouidah (Bénin), important comptoir de traite de l'ancien royaume du Dahomey, a inauguré en 1995 sur sa plage un important mémorial appelé ''Porte du non-retour" et mis en œuvre une

"Route de l'esclave", dispositif en forme d'itinéraire qui propose au participant de rééditer le parcours de l'esclave dans les derniers moments avant l'embarquement.Les auto-rités angolaises effectuent également des démarches pour obtenir la reconnaissance du port de Loango comme lieu de mémoire de la traite atlantique..L'UNESCO orchestre ce mouvement en répondant à l'inflation de la demande mémorialiste très sensible depuis quelques années : le 23 août a été décrété Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, commémorant le déclenchement de l'insurrection de Saint-Domingue qui eut lieu le 23 août 1791, tandis que 2004 a été promue Année internationale de la commémoration de la lutte contre l'es-clavage et de son abolition. Après l'espace, c'est dans le temps que s'inscrit la volonté de mémoire.

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