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ETHNIE, ETHNISME : ENJEUX

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 77-82)

Ethnie, race, tribu

Le terme d'ethnie désigne une communauté de personnes unies par une culture commune (religion, langue...) et dotées d'une assise spatiale plus ou moins claire, revendiquée ou non. Nuance est faite avec les termes de "race", "tribu" et "clan" qui sous-entendent un lien de sang entre les personnes, une appartenance biolo-gique et génétique commune.

Au ~siècle, dans la tradition de l'anthropologie physique, des scientifiques occidentaux réalisèrent la classification des populations africaines à partir de critè-res physiques et morphologiques, afm de répertorier et de hiérarchiser les "races" en fonction de leurs aptitudes à mettre en valeur la colonie. Des stéréotypes durables ont ainsi été forgés à l'époque coloniale (v. Clichés), par exemple celui du Berbère, paysan sédentaire bâtisseur de terrasses agricoles et opposé à l'Arabe, nomade et pillard, tout comme au

xvns

siècle d'autres stéréotypes avaient été forgés pour désigner les qualités et les défauts des escla-ves de la traite (ainsi, le Bambara était-il robuste mais rebelle). L'assimilation par l'historiographie belge des Hutu à des "paysans nègres du monde bantou, petits, trapus et simplets" et desTutsià des "pasteurs nomades d'origine orientale, grands, intelligents et pourvus de traits fins" a fossilisé les oppositions entre ces groupes différents. Après plusieurs décennies de conflit armé, par un renversement de stigmatisation, elle a été récupérée et instrurnentalisée par les orchestrateurs du génocide rwan-dais en 1994 [CHRÉTIEN, 1997]. Ces dérives raciales et racistes* ont conduit les chercheurs africanistesà délais-ser le mot "race" au profit d"'ethnie", moins péjoratif que

"tribu", connotant l'idée de "primitif' et surtout peu utilisé sous la colonisation. L'usage du vocable "ethnie"

reste néanmoins inhabituel en Afrique du Nord où le terme de "tribu" n'a pas la même connotation qu'en Afrique subsaharienne : tribu y est fréquemment employé pour désigner des groupes montagnards (par exemple les Berbères) ou pour évoquer les tribus bédouines arabes

originaires de la péninsule arabique qui débarquèrent au nord du continent dans le cadre de la conquête arabo-musulmane duVIII"siècle. Réel ou mythique, le rattache-ment à l'une de ces tribus arabes est ici socialerattache-ment valo-risant car signe de noblesse : la dynastie alaouite, à laquelle appartient le roi marocain Mohammed VI, reven-dique une ligne généalogique directe avec le Prophète.

Une fabrique coloniale?

Les années quatre-vingt furent marquées par un débat portant sur l'ethnicité avec la publication de deux ouvra-ges Au cœur de l'ethnie [1985] par AMSELLE et M'BoKOLO, et Les ethnies ont une histoire [1989] par CHRÉTIEN etPRUNIER.Les premiers ont voulu pointer le caractère souvent artificiel des ethnies, résultat d'un étiquetage et d'un catalogage coloniaux; les seconds ont insisté sur la dimension historique du fait ethnique, sur la mouvance des groupes et des contours ethniques qui évoluent au gré des migrations, des tensions, des inva-sions, des scissions internes ou des absorptions. L'ethnie ne peut être tenue ni pour une pure création coloniale ni pour une réalité permanente et immuable. L'introduction de l'islam en Afrique a remodelé et redéfini les groupes du fait des conversions : par exemple, les Yarse du Burkina Faso sont des commerçants musulmans sara-kholé (originaires du Mali), intégrés par le groupe des Mossi auxquels ils ont apporté l'islam et au sein duquel ils forment une catégorie socioprofessionnelle différenciée.

Les Wolof (Sénégal), initialement définis par une langue commune, se réfèrent aujourd'hui à un ancêtre mythique musulman. Catégories socioprofessionnelles (commer-çants), castes (griots*, forgeronslbijoutiers, esclaves de case, etc.) et groupes ethniques se superposent quelque-fois, brouillant les pistes. La colonisation a cristallisé les ethnies, en les présentant faussement comme des commu-nautés figées, et a nié la valeur accordée à leur différen-ciation socioprofessionnelle, en ne reconnaissant pas leur spécificité de sociétés "castées". L'assimilation du commerce à l'islam a entraîné la généralisation de certains noms d'ethnies aux commerçants musulmans

quelle que soit leur appartenance: Haoussa au Nigeria et au Niger, Dioula en Afrique de l'Ouest. Selon les cas, la formation des groupes ethniques et des ethnonymes est plus ou moins récente, mais elle reste à chaque fois un phénomène construit, de l'intérieur ou de l'extérieur, et

comme tel une donnée évolutive. .

Ethnie et frontière

L'établissement des frontières politiques au XIX"siècle (v. Découpages; Conférence de Berlin) par les colonisateurs a nourri un discours dramatique, d'inspira-tion tiers-mondiste (v. Clichés; Afrique dans la géogra-phie française), à propos de la division de certaines ethnies par des lignes politiques artificielles [IGUÉ, 1995].

Touareg au Sahara, Fang en Afrique centrale, Malinké en Afrique de l'Ouest, les exemples abondent de groupes chevauchant les frontières nationales. Mais les contre-exemples sont également nombreux : Ibo au Nigeria, Bamiléké au Cameroun ou Baoulé en Côte-d'Ivoire sont présents sur un seul territoire national. L'écartèlement des ethnies entre différents territoires étatiques n'est donc pas systématique. Le regroupement au sein d'un même espace étatique de groupes entretenant des contentieux (hérités, par exemple, de la traite esclavagiste) ne l'est pas non plus. Contrairement à ce que pourraient faire accroire certains politiques ou intellectuels prompts à déplorer le "déchirement" des ethnies, "victimes" d'une partition malheureuse, le partage d'une ethnie entre diffé-rents États n'est pas vécua priori de façon douloureuse par ses membres. Bien souvent, la discordance ethnique est source d'opportunités économiques et d'échanges.

Beaucoup de réseaux commerciaux s'appuient sur l'exis-tence de liens familiaux, claniques ou ethniques tissés par-delà la frontière [BENNAFLA, 2002]. Certes, les popu-lations locales n'ont pas été concertées pour le tracé des frontières et nul ne conteste que les colonisateurs ont le plus souvent agi en considérant le continent comme une

"terre vacante et sans maître" sur laquelle on pouvait faire table rase (v. Conférence de Berlin). Mais envisager un découpage politique du continent sur une base

ethnique était (et reste) impossible étant donné le kaléi-doscope et le mélange des groupes en présence (plus de 1 500 si l'on considère le seul critère linguistique) et la plasticité du fait ethnique. D'ailleurs, l'écartèlement des ethnies en de multiples formations étatiques (v. État) était fréquent avant la colonisation : à la fin du xvmeet au début

xvce

siècle, les Peul créent par exemple les états islamiques du Macina, de Sokoto et du Fouta Djalon.

Quant au cas somalien, il est aussi là pour rappeler qu'un État homogène sur le plan ethnique n'est pas le gage d'une stabilité politique.

L'ethnisme, une option de la politique contemporaine Les nombreux conflits sur le continent et les dysfonc-tionnements des appareils d'État ont donné une nouvelle résonanceàla question de l'ethnie: la monopolisation du pouvoir par un chef d'État et ses proches, l'attribution de postes clefs administratifs ou de licences économiques (transport, commerce...) en fonction de l'appartenance ethnique ou familiale sont ainsi analysées en termes de

"clanisme" (v. Brazzaville; Crise ivoirienne). L'État (v.) africain serait comme miné par le tribalisme ou l'ethno-régionalisme. La coloration ethnique qu'ont revêtue ces dernières années les guerres africaines a conduit à des analyses simplistes et réductrices en termes de guerres ethniques ou tribales, faisant oublier l'enjeu principal des affrontements: la terre, l'accaparement de ressources, le pouvoir. La manipulation des consciences identitaires et de l'ethnie est devenue un ressort de la politique contem-poraine dans un contexte de récession économique et de difficultés quotidiennes accrues. Instillant les discours et les campagnes électorales, l'ethnisme est une idéologie mobilisée par les politiques pour canaliser le mécontente-ment populaire et occulter les débats socioéconomiques et politiques de fond. Les massacres au Rwanda et Burundi la crise ivoirienne en ont montré les pires aboutissements:

FIGURES D'EXPLORATEURS : BRAZZA ET STANLEY

Tous deux liésàl'exploration du bassin du Congo où ils se rencontrèrent brièvement en 1880, Brazza et Stanley marquent chacun à sa façon un toumant dans l'histoire de l'exploration et de ses relations à la conquête coloniale.

Depuis lafindu

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siècle, l'exploration du continent afri-cain s'inscrivait essentiellementdansle champ scientifique où elle avait pour fonction de collecter sur le terrain des informations géographiques que les géographes de cabinet transformaient en cartes après les avoir contrôlées et vali-dées. Les sociétés de géographie qui animaient cette entre-prise de comblement des blancs de la carte assumaient l'idée de faire ainsi une œuvre utile aux intérêts commerciaux en désignant sur l'espace de la carte des voies d'accès à l'inté-rieur du continent Mais ce n'est qu'à partir des années1870 que des enjeux politiques se mêlèrent aux intérêts commer-ciaux, transformapt la fonction de l'exploration et le statut de l'explorateur. Emissaires de groupes de pression colonia-listes, les explorateurs participèrent alors directement au scramble,ou "mêlée", et entrèrent en rivalité en se mettant au service d'intérêts antagonistes. Ds ne se contentèrent plus de reconnaître la topographie, l'hydrographie et la géopoli-tique du continent ou de nouer des contacts infonnels avèc les chefs d'États africains, mais leur firent signer destraités de protectorat (v. Conférence de Berlin), tandis que leurs récits publiés en Europe attisaient l'intérêt pour les questions africaines d'un public de plus en plus large et alimentaient les ambitions coloniales dans un cadre national.

Emblématiques des explorateurs de la "mêlée", Brazza et Stanley peuvent être rapprochés sur un certain nombre de points, mais ils incarnent deux styles opposés par leur manière de mener une expédition d'exploration et d'entrer en contact avec les populations ou les autorités politiques africaines, deux parcours différents au sein des réseaux nationaux et internationaux d'intérêts coloniaux et enfin deux figures d'explorateurs consacrés par la notoriété.

Herny Morton Stanley (1841-1904),enfant illégitime d'une servante originaire du pays de Galles, portait à sa nais-sance le nom de son père, John Rowlands. TI fut élevé par

son grand-père puis placé dans un orphelinat londonien dont il s'enfuit pour s'engager comme mousse à l'âge de quatorze ans sur un navire en partance pour La Nouvelle-Orléans. iltrouva aux États-Unis un père adoptif, Henry Hope Stanley, dont il prit le nom et la nationalité. Pendant la guerre de Sécession, il combattit successivement du côté sudiste puis, après avoir été fait prisonnier, du côté nordiste.

il fit de son expérience militaire un objet d'étude et un métier en devenant correspondant de guerre. TI avait acquis une certaine expérience journalistique sur divers terrains (Espagne, Grèce, Thrquie et Éthiopie) lorsque le patron du New York Hera!d,décidé à faire un "coup" médiatique, lui attribua en 1870 des crédits illimités pour retrouver Livingstone,[WESSELING, 1996]. Missionnaire et explora-teur anglais de renom international, Livingstone avait en effet "disparu" dans la région desGrandsLacs où il cher-chait en vain les sources du Nil, et la Royal Geographical Society s'apprêtait également à envoyer une expédition à sa recherche. Stanley réussit là où la RGS avait échoué, passa quelques mois auprès de Livingstone et sut médiatiser la rencontre, aussi bien dans les colonnes de son journal, où son "1 presume" acquit immédiatement une renommée internationale, que dans un ouvrage qui inaugurait un genre nouveau, récit d'aventures plutôt que journal de voyage, et dont le titre témoignait d'une tendance à l'hypertrophie du moi:How 1 Found Livingstone(1872). De la même façon, chacune de ses grandes expéditions fut immédiatement suivie d'une publication dans laquelle il assurait sa propre promotion. Mais c'est précisément le manque de sobriété avec lequel il présentait ses exploits, l'incursion des métho-des et du style journalistiques dans le récit de voyage jusqu'alors destiné à un public d'amateurs éclairés et de spécialistes qui lui valurent le mépris et le mauvais accueil des membres les plus éminents de la Royal Geographical Society: dénonçant le "sensationnalisme" dont il s'entou-rait, ils lancèrent contre lui une campagne de dénigrement qui visait en lui l'Américain et le parvenu tout en le mettant en demeure de révéler la vérité sur son identité. De telles critiques, dictées par la morgue de cesgentlemenvictoriens, dessinaient en creux la figure idéale de l'explorateur conçue selon des normes éthiques et sociales [DRIVER, 2001].

Après sa seconde expédition, la traversée du continent d'est en ouest par le Congo (1874-1877), l'importance de la moisson géographique obtenue fit taire cette hostilité, et la RGS lui décerna sa médaille d'or. Contrairement au premier voyage, dont la seule "découverte" avait été celle de Livingstone, le second révélait en effet l'ampleur du bassin du Congo et permettait de combler un immense blanc des cartes en y plaçant une voie fluviale majeure, navigable sur mille kilomètres entre les Stanley Falls et le Stanley Pool, qui réorganisait complètement la représentation de l'espace centrafricain et attisait les convoitises. Le premier intéressé par cette découverte fut Léopold II, roi des Belges, qui venait de fonder l'Association internationale africaine, organisme dont les prétentions hurnanitaires masquaient les vi~ées colo~esde son promoteur et dont le but initial était d'installer au cœur de l'Afrique des stations destinées à fournir un support aux explorateurs de passage et à lutter contre la traite interne (v. Conférence de Berlin). Léopold envoya des émissaires accueillir Stanley dès son arrivée à Marseille et lui soumit son projet, lui proposant de prendre la direction d'une mission de prospection sur le terrain. Par loyauté envers sa patrie d'origine, Stanley déclina l'offre et rentra à Londres. Mais une nouvelle salve de critiques, issues cette fois des milieux philanthropiques londoniens qui contestaient la brutalité de ses méthodes d'exploration jugées guerrières (expéditions punitives, pillage et incendie des villages qui refusaient de lui faire bon accueil ou de lui procurer des vivres, recours à une main-d'œuvre servile de porteurs), le fit changer d'avis [DRIVER, 2001). C'est ainsi qu'il se mit au service de Léopold et participa activement, de 1879 à 1884, à la mise en place de ce qu'il était convenu d'appeler l'État libre du Congo.

Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905), né dans une farniIle d'aristocrates romains proches de la papauté et dispo-sant d'appuis en France, entra à titre étranger à l'École navale en 1868.liobtint sa première mission en Afrique grâce à son protecteur, l'amiral de Montaignac, devenu ministre de la Marine. Naturalisé français en 1874, il devint une gloire nationale mais ne parvint jamais à se faire complètement accepter dans le milieu des officiers de marine français, qui lui reprochaient son indiscipline et son tempérament exalté [BROC, 1988 ;WESSELING, 1996]. Comme Stanley, il avait

été conduit par les circonstances à changer de nationalité en un siècletrèsnationaliste, et éprouvait des difficultés à obte-nir la reconnaissance de son statut d'explorateur par les instances qui en détenaient le pouvoir. Mais tandis que Stanley, à Londres, était en butte à l'hostilité des géographes et des associations humanitaires, Brazza, à Paris, put comp-ter sur le soutien actif de la Société de géographie et apparut toujours comme un explorateur pacifique.

Demême que Stanley avait bénéficié, après son premier voyage, de la notoriété de Livingstone, le succès du premier voyage de Brazza auprès du public français dut beaucoup à la réussite de Stanley au Congo. En effet, lorsque Brazza demanda à explorer le cours de l'Ogooué, la France, instal-lée sur les côtes du Gabon depuis les années 1840, était sur le point de renoncer à ces établissements jugés peu rentables en raison de la ténacité des peuples de l'arrière-pays décidés à maintenir leur monopole sur l'acheminement des marchandises à la côte. Mais l'expédition menée par Brazza entre 1874 et 1882 permit de nouer des contacts avec les Batéké, peuple du haut Ogooué, et d'établir un itinéraire qui menait de ce fleuve à l'Alima, affluent du Congo. Brazza apportait ainsi la découverte d'une nouvelle voie d'accès à ce Pool dont l'expédition de Stanley venait d'établir l'im-portance. TI fut également approché par Léopold, mais préféra servir sa patrie d'adoption. En 1880, devant la réti-cence du rnirùstère de la Marine à organiser une nouvelle expéditiondans la région, il obtint un congé et reçut du comité français de l'AJA, dirigé par Ferdinand de Lesseps, la mission de fonder des "stations hospitalières et scienti-fiques". TI se savait dès lors en concurrence avec Stanley parti pour le Congo l'année précédente et investi d'une mission similaire pour la même association, mais avec des instructions émanant directement de Léopold. Larivalité entre les deux branches de l'AJA, incarnées par les deux explorateurs, contribua à ouvrir au Congo un nouveau front pour la "mêlée" coloniale. En effet, le 10 septembre 1880, Brazza, qui n'avait reçu aucun mandat du gouvernement français et qui n'avait été chargé que d'une œuvre philan-thropique par l'AJA, fit signer au Makoko (ou souverain) des Batéké un traité de protectorat par lequel ce chefconfiait à la France la souveraineté sur son territoire et renonçait à ses droits héréditaires. Comme pour beaucoup d'autres chefs

africains qui signèrent ces traités, celui-ci avait pour le chef des Batéké valeur de simple pacte d'amitié. Conscient de la portée de son coup de force, Brazza n'en parla pas à Stanley, qu'il rencontra sur le bas Congo et qui eut par la suite la surprise de voir flotter le drapeau français sur le Pool, devant le poste de N'Kouna gardé par un tirailleur sénégalais, pas plus qu'il n'en informa les autorités maritimes françaises qui l'accueillirent à Libreville.Cen'est qu'à son retour à Paris, où il fut accueilli triomphalement en 1882, qu'il mobilisa ses appuis au sein des réseaux colonialistes pour obtenir, à la faveur d'une campagne de propagande bien menée, la ratifi-cation de son traité par le gouvernement français d'abordtrès réticent Resté dans l'histoire sous le nom de traité Makoko, l'acte signé par Brazza donnait ainsi à la France, qui ne l'avait pas souhaité, une colonie au Congo [WESSELING,

1996]. Par la suite, Brazza fut chargé de la Mission de l'Ouest africain (1883-1885), qui devait prendre officielle-ment possession de la rive droite du Congo jusqu'à l'Oubangui, puis assuma les fonctions de commissaire géné-ralde la nouvelle colonie où il tenta de limiter les excès commis par les compagnies concessionnaires* auxquelles avait été confiée la mise en valeur du pays. TI administrait donc le territoire qu'il aurait da se contenter d'explorer.

Pendant ce temps, sur la rive gauche du fleuve, Stanley faisait signer un grand nombre de traités au nom de l'AJA sur des formulaires types et entreprenait la construction de forts par des travaux qui devaient laisser leur marquedansle paysage et lui valoir le sumom deButa Matari (casseur de pierres). Resté au service de Léopold, il devait jouer un rôle d'expert à la conférence de Berlin (v.) où il dit beaucoup de mal de Brazza. Mais tandis qu'avec peu de moyens en hommes, avec de faibles subsides auxquels suppléa sa fortune familiale, Brazza avaitjoué, presque subrepticement, un rôle politique majeur en contribuant directement à la créa-tion d'une colonie, l'impressionnant déploiement de moyens et d'énergie mis en œuvre par Stanley, qui concevait l'ex-ploration comme une épreuve de force à remporter contre les hommes, les éléments et le temps - il s'agissait de déplacer plusieurs centaines d'hommes sur d'immenses distances le plus vite possible -, ne semble pas avoir eu une influence aussi décisive sur les espaces parcourus. Dans l'établisse-ment de l'État libre du Congo, son travail ne fut que la mise

en œuvre de la volonté politique de Léopold. Stanley fut avant tout un entrepreneur d'expéditions à la conquête de sa propre gloire, et c'est fmalement par son œuvre écrite que son action fut la plus décisive, en contribuant à la transfor-mation profonde de l'image du continent africaindansles sociétés européennes (v. Invention de l'Afrique). Stanley, qui n'ajarnais caché l'antipathie que lui avait inspirée d'em-blée l'Afrique, peut être considéré comme l'inventeur d'une vision sombre du continent TI aimait à se figurer rayant du trait lumineux de son itinéraire d'homme blanc l'épaisse noirceur physique et morale de l'Afrique, percée en son centre (v. Clichés). La métaphore polysémique de l'obscu-rité, répétéedansdeux des titres de ses récits,Through the Dark Continent (1878) et In Darkest Africa (1890), acquit une postérité littéraire avec la publication de Heart of Darkness(Lecœur des ténèbres) de Joseph CONRAD [1899].

Elle montre combien l'action des explorateurs s'inscrivit aussi dans le champ culturel, façonnant une "culture de l'ex-ploration" [DRNER, 2001] danslaquelle il était possible de puiser des représentations qui pouvaient être mobilisées à l'appui de discours colonialistes (v. Clichés).

Plus que d'autres explorateurs, Brazza et Stanley ont laissé l'empreinte de leur nom dans la toponymie africaine.

Mais là encore se manifeste le style de chacun: alors que Stanley avait immédiatement baptisé de son nom les deux extrémités du bief navigable du Congo, les Stanley Falls et le Stanley Pool, ainsi que la station, Stanleyville, qu'il avait créée au niveau des chutes, Brazza appelait Francheville (devenue Franceville, au Gabon) la station qu'il avait fondée sur l'Ogooué, et laissait le nom local de N'Kouna au poste établi sur la rive droite du Congo, localité qui reçut par la suite en son honneur le nom de Brazzaville. Ainsi, si les deux États coloniaux (Belgique et France) ont reconnu leur dette enverslesexplorateurs, depuis les indépendances en revan-che, le nom de Stanley ne subsiste qu'à titre d'hydronyme - Stanleyville est devenue Kisangani, en RDC -, tandis que celui de Brazza, qui renvoie à une figure d'explorateur plus

"pacifique" et moins controversée, continue d'être porté par la capitale du Congo. Qui plus est, depuis que l'ancienZaïre a pris le nom de République démocratique du Congo, on appelle familièrement "Congo-Brazza" la République popu-laire du Congo, pour la distinguer du "Congo-Kinshasa".

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 77-82)