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CHÂTEAU ROUGE - GOUTTE D'OR, QUARl1ER PARISIEN DE LA DIASPORA AFRICAINE

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 174-180)

Un quartier populaire du nord de Paris Le quartier Château-Rouge - Goutte d'Or est une partie du

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earrondissement de Paris située en contre-bas de la butte de Montmartre et en arrière de la gare du Nord.ilest borné au sud par le boulevard de la Chapelle, au nord par la rue Ordener, àl'ouest par le boulevard Barbès et à l'est par la rue Marx-Dormoy, et il est traversé à sa marge par l'emprise au sol des voies de la gare. Le toponyme la Goutte d'Or provient de la vigne qui était cultivée sur les pentes de la butte jusqu'auXIX"siècle, il rappelle son ancienne vocation de terres agricoles lotiesà partir de 1840 en "garnis" et petits logements ouvriers qui constituent aujourd'hui un parc immobilier vétuste.

Identifié comme un quartier emblématique du Paris popu-laire duXIX"siècle, au même titre que Montmartre, il fait de nos jours l'objet de visites guidées qui en exhument le patrimoine oublié. Zola y place l'action de son roman L'Assommoir (1877), dont l'héroïne, Gervaise, est lingère dans l'un des lavoirs de la Goutte d'Or.

La Goutte d'Or correspond à la partie méridionale du quartier, centrée sur la rue du même nom, tandis que le secteur Château-Rouge, loti à la fin duXIX"siècle, en forme la partie septentrionale. L'ensemble constitue un isolat bien délimité dans la trame viaire de l'arrondisse-ment. Cerné de larges artères d'inspiration haussman-nienne qui assurent l'accès au centre de Paris par les

portes de Clignancourt et de la Chapelle ou pennettent une circulation transversale est-ouest,ilse caractérise par un réseau serré de rues étroites et par un bâti irrégulier, composé d'immeubles de trois à six étages, les uns en pierre de taille, les autres, plus modestes, en "pierre de Paris" au crépi fortement dégradé. Bien desservi par un chapelet de stations de métro (Barbès-Rochechouart, Château-Rouge, Marcadet-Poissonniers, Marx-Dormoy et La Chapelle) situées le long des grands axes, à sa péri-phérie, et qui donnent accès à tout Paris par l'intermé-diaire de trois lignes distinctes, le quartier est plutôt contourné que traversé par le réseau de transports en commun dont il constitue une maille unique. Les circula-tions à l'intérieur du quartier se font donc essentiellement à pied.Lacirculation automobile y est souvent difficile en raison de la complexité du réseau viaire, de l'étroitesse des rues et des exigences de l'activité commerciale (livraisons et affluence de chalandise).

Un quartier "ethnique"

Ce quartier populaire est aussi l'un des plus mixtes de Paris. Trente nationalités différentes y sont recensées, le taux de population étrangère (population n'ayant pas la nationalité française) y est officiellement de 38,5 %, tandis que la moyenne parisienne est de 13 %.Lanature du bâti, en particulier les immeubles de rapport et les hôtels meublés, a constitué un cadre facilitateur à l'instal-lation de popul'instal-lations immigrées, africaines d'origine maghrébine dans les années cinquante - dans la partie méridionale, autour de la rue Charbonnière -, puis afri-caines d'originesubsaharienn~depuis les années quatre-vingt - dans une zone plus centrale, autour de la rue des Poissonniers. La Goutte d'Or rassemble donc surtout des populations originaires du Maghreb et le secteur Château-Rouge des populations issues d'Afrique subsaharienne, même si celles-ci y côtoient également des ressortissants des pays de l'ex-Yougoslavie, de Turquie ou du Pakistan.

Profondément façonné par les vagues successives d'im-migration, le quartier n'a cependant pas été affecté par un processus de "ghettoïsation", à l'image de nombre de cités

de villes de banlieue. Laprésence d'une trame associative trèsdense ettrèsactive pennet d'accompagner l'intégration des nouveaux venus. Surtout, loin d'être clos sur lui-même, le quartier connaît un brassage continuel, non seulement d'habitants mais aussi de passants attirés par la spécificité des services et des commerces qu'il propose.TIs'agit en effet d'un quartier dit "ethnique", c'est-à-dire, selon un usage spécifique de la notion, construit autour de l'existence de signaux identitaires apparents (lieux de culte, boutiques, caractéristiques physiques et habillement des passants, objets échangés et investis, manifestations publiques et modes d'utilisation de l'espace). C'est en particulier l'iden-tité africaine du quartier qui se manifeste dansl'espace public et dans les espaces commerciaux au point que les Africains d'Île-de-France aussi bien que les Parisiens le désignent comme représentatif de "l'Afrique à Paris". Une image quelque peu caricaturale en a été portée à l'écran dans lefilmde Thomas Gilou,Black mie-mac(1986), en partie tourné rue Myrha : les petits restaurants africains, les salons de coiffure spécialisés dans la pose de tresses et la vente de cosmétiques pour peaux noires, les boutiques qui diffusent aux amateurs ("ambianceurs" et "sapeurs" -v. Urbanités; TIssus) les succès de la musique africaine, les officines de marabouts pour lesquelles des publicités sont distribuées àla sortie des stations de métro, en sont les signes les plus évidents. Au-delà de ces clichés qui mélan-gent les références à des communautés africaines distinctes (les marabouts renvoyant à une Afrique occidentale de tradition musulmane tandis que la pratique de la "sape"

émane des milieux congolais et centrafricains), c'est l'usage particulier de l'espace qui pennet aux Africains de France de développer là une pratique de l'entre-soi qui rappelle le mode de relations sociales propre aux grandes villes d'Afrique : la circulation constante entre l'intérieur (boutique, bar ou restaurant) et l'extérieur (trottoir et chaus-sée des rues) brouille la distinction entre espace semi-privé et espace public, la voie publique devenant un prolonge-ment des lieux de sociabilité privés dont la porte est toujours ouverte. Le paysage visuel (multiples affiches annonçant les concerts, les conférences, et publicités pour des produits africains), sonore (éclats de voix,rireset musique) et olfac-tif(odeurs de grillades au feu de bois, de plats à base de

poisson séché, des bouquets de menthe et de coriandre fraî-ches, mais aussi usage de l'encens pour parfumer les vête-ments) qui en émane contribue à créer une atmosphère familière aux originaires d'Afrique qui trouvent là la possi-bilité d'exprimer des manières d'être qui leur sont propres.

Dans ces lieux, les populations africaines côtoient une population "parisienne" ouvrière établie depuis la révolu-tion industrielle, mais aussi étudiants, cadres moyens et supérieurs pour qui, depuis une dizaine d'années, ce quar-tier constitue un front de reconquête urbaine, incluant les formes les plus nouvelles de gentrification ("boboïsa-tion"), comme en témoigne l'apparition récente au cœur du quartier de lieux de sociabilité et de consommation culturelle spécifiques : théâtre, bars branchés proposant des concerts, boutiques de créateurs de mode, ou, plus ponctuellement, ateliers portes ouvertes et repas de quar-tier. Pour ces nouveaux arrivants, le caractère "ethnique", voire cosmopolite, du quartier représente une caractéris-tique attrayante, garante d'une authenticité recherchée, et a pu constituer un facteur décisif dans leur choix. Pour beaucoup, la première rencontre avec le quartier s'est produite à l'occasion du mouvement de solidarité qui a entouré l'occupation de l'église Saint-Bernard, au cœur de la Goutte d'Or, par un groupe de sans-papiers essen-tiellement africains, durant l'été 1996. La présence de ces familles africaines et de leurs soutiens, qu'il s'agisse de personnalités, de militants ou de sympathisants anony-mes, avait en effet constitué un temps fort dans la vie du quartier ainsi qu'une manifestation de sa tradition d'ac-cueil.Lamixité sociale et culturelle que cet événement a rendu possible n'a cependant survécu à l'évacuation de l'église par les forces de l'ordre que de façon très discrète: la commémoration annuelle de l'événement, l'installation par l'un des porte-parole des sans-papiers de 1996, Aboubakar Diop, d'un cybercafé appelé vis@vis, en face de l'église, mais aussi le travail constant des asso-ciations du quartier et l'organisation d'un festival inter-culturel annuel, "la Goutte d'Or en fête", en sont des exemples. L'image de brassage culturel qui s'est ainsi attachée au quartier pourrait cependant pâtir de son succès auprès d'une population parisienne dont les moyens sont sans commune mesure avec ceux des habitants issus de

l'immigration. En effet, conséquence du renchérissement de la demande lié à l'arrivée de cette population nouvelle, en 2003, non seulement les prix sur le marché de la vente d'appartements ont augmenté de 22%dans l'ensemble du

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e (une hausse supérieure à la moyenne parisienne, qui est de 14,1 %), mais, depuis cinq ans, l'arrondisse-ment est devenu, à l'instar de l'ensemble de l'est parisien, l'un des marchés immobiliers (ventes et locations) les plus animés de la capitale.

Territoires de diaspora

Lieu de reproduction des cultures africaines pour une reconstruction matérielle et symbolique des identités afri-caines, le quartier est aussi un lieu de production d'une culture africaine extracontinentale.fiparticipe à la créa-tion des territoires des diasporas, c'est-à-dire de ces espa-ces occupés, agencés et investis par des communautés dispersées et séparées de leur foyer d'origine par des distances éventuellement considérables, partageant une identité commune et reliées entre elles par des échanges souvent dissymétriques, afin de structurer les conditions matérielles et symboliques de leur existence et de les informer en retour sur leur propre identité [voir Debarbieux inLÉVYet LUSSAULT (dir.), 2003]. Les modè-les des Suds y sont ici en grande partie choisis et trans-formés, c'est-à-dire reconstruits pour consolider la réfé-rence identitaire aussi bien vis-à-vis de la communauté d'accueil que de la communauté co-ethnique ou co-natio-nale de départ, mais aussi pour s'inscrire dans des échan-ges avec celles-ci.

C'est avant tout un territoire diasporique marchand, dans lequel les populations immigrées se retrouvent autour d'un "marché africain" où sont surtout représen-tées les denrées alimentaires: fruits, légumes et tubercu-les (banane plantain, igname, taro, gombo pour faire tubercu-les sauces), viandes (chèvre), poissons frais ou surgelé (capi-taine, thiof ou tilapia), ou encore séché, mais aussi produits d'usage international présentés sous un condi-tionnement spécifique (riz cassé, vendu par sacs de 10 kg), conserves (huile de palme ou pâte d'arachide) et

enfin produits à forte connotation culturelle, comme la noix de cola qui contient un alcaloïde faisant effet de coupe-faim et d'excitant mais qui tient surtout une grande place dans la sociabilité des populations ouest-africaines où elle est l'objet de dons rituels lors de cérémonies fami-liales ou en signe de bienvenue. La vente d'aliments frais d'origine africaine occupe une place importante, mais non exclusive, au marché Déjean, qui a lieu plusieurs fois par semaine dans une rue piétonnièreàproximité de la station de métro Château-Rouge, mais elle est aussi assurée en permanence par les boutiques de grossistes et de détaillants réparties dans les rues les plus proches du marché (rue des Poissonniers, rue Poulet et rue Doudeauville). Une part importante de ces commerces destinés àune population africaine est cependant gérée par des non-Africains, en particulier par des commerçants chinois qui ont massivement investi le domaine du produit alimentaire exotique mais qui résident dans leur propre quartier diasporique (quartiers La Chapelle et Belleville à proximité). On voit ainsi de petits autels bouddhistes figurer en bonne place au-dessus des étals d'ignames ou de piments. Lorsque les propriétaires sont africains, l'enseigne de la boutique traduit clairement l'origine des produits, en accordant une valeur embléma-tique au nom de telle ou telle grande capitale africaine ("Tout Kin" - pour Kinshasa -, "Abidjan est grand"). La taille de ces boutiques est modeste -la non-astreinte des commerçants à l'autorisation administrative d'équipe-ment pour des surfaces commerciales inférieuresà300 m2 contribuantàfavoriser leur développement - et les réser-ves sont souvent inexistantes, ce qui contribueà l'entas-sement des marchandises jusque dans les vitrines.

Les produits non alimentaires sont également présents dans les nombreuses boutiques qui jouxtent le marché.

Certaines sont spécialisées dans la vente d'un type d'ob-jet particulier, comme les boutiques de tissus (v.), dont les vitrines exhibent en empilements colorés la richesse des collections de wax (v. p. 257), tandis que d'autres se caractérisent par la multiplicité des articles proposés (v.

p. 257) : c'est le cas des bazars où se côtoient articles de quincaillerie, notamment les ustensiles de cuisine caracté-ristiques d'usages africains (théières en fer blanc, platsà

tajine, verseuses en plastique multicolore, calebasses), gadgets, jouets et produits électroniques venus d'Asie, mais on voit aussi des magasins de cassettes audio et vidéo de musique africaine vendre des bières réfrigérées que les clients consomment sur place ou dans la rue. Le partage entre les fonctions de commerce, de service et de transformation est souvent brouillé, tendantàen faire un quartier intégré branché sur les importations africaines : les salons de coiffure vendent des produits cosmétiques, les tissus sont mis en œuvreàla demande dans les ateliers de tailleurs situésàproximité des boutiques, les agences de voyage spécialisées peuvent offrir un service de télé-phonie et les librairies musulmanes un service de photo-copie ou des articles de quincaillerie. De nombreuses boutiques spécialisées à l'origine ont progressivement diversifié leur offre, de manière à fixer la clientèle.

Malgré l'exiguïté des lieux, la clientèle - mais aussi les proches de passage - dispose souvent de sièges qui leur permettent de s'installer plus confortablement. La boutique associe étroitement en effet fonction écono-mique et fonction sociale. Elle est un lieu de rencontre pour les membres de la famille élargie qui viennent en visite ou fournissent une main-d'œuvre d'appoint.

Cette fonction sociale est encore plus sensible dans les nombreux restaurants africains ou maghrébins qui s'éten-dent sur un territoire plus large que les boutiques. Les rues dévoluesàcetypede service (rue Marcadet, rue Myrha, rue Polonceau) se caractérisent par un rythme d'activité spécifique. En effet, tandis que l'essentiel de l'activité des boutiques est diume, les bars et restaurants connaissent un afflux de clientèle le soir. L'horaire de fermeturetardif de la plupart des établissements, ajouté à une prostitution traditionnellement liée aux nombreux hôtels meublés que compte le quartier, fait de ces rues des lieux de vie nocturne. Pendant le mois de Ramadan, nombre d'établis-sements bénéficient par ailleurs d'une autorisation d'ou-verture prolongée qui leur permet d'assumer une fonction de sociabilité festive en proposant des jeux pendant toute la nuit. Cette période du calendrier musulman voit fleurir des boutiques spécialisées dans la vente de pâtisseries traditionnelles confectionnéesàdomicile, dans des locaux fermésàla clientèle le reste de l'année.

L'ensemble constitue un pôle commercial spécialisé, puisque 77 % des 255 établissements de commerce recen-sés dans le quartier de Château-Rouge proposent un commerce ethnique (Source : "Partenaires et développe-ment", bureau d'étude mandaté par la mairie du XVIIIe arrondissement). Le montant des transactions déclarées par ces commerces s'élèveà40 millions d'eu-ros par an, auxquelsilfaut ajouter le produit du commerce infonnel* qui prospère en bénéficiant de la clientèle atti-rée par le marché et les magasins: vendeusesàla sauvette disposant leurs marchandises dans de grands sacs placés à leurs pieds (épis de maïs chauds) ou sur les capots des voitures en stationnement (vêtements, jeans, ceintures, cravates et lingerie de marque ou de contrefaçon, et parfums) et déjouant sans cesse la surveillance policière (v. p 257). L'espace commercial se prolonge ainsi clan-destinement sur la voie publique.

Au sein de ce dispositif marchand, les téléboutiques, les cybercentres (v. Téléphone) et les commerces de biens et de services dérivés - vente, réparation, entretien de téléphones cellulaires ou portables, vente de te1écartes prépayées -occupent une place prépondérante et en cours de renforce-ment Nombreux et regroupés dans le quartier, en particulier dansun quadrilatère au cœur de Château Rouge limité par le boulevard Barbès, la rue Doudeauville, la rue Stephenson et la rue Myrha, ils se sont développés depuis la fin de l'année 2000 et viennent compléter l'offre des cabines publiques danslesquelles les populations utilisent les cartes prépayées.

LesTIC (Technologies de l'information et de la communi-cation) manifestent aujourd'hui, par la densité et la morpho-logie des dispositifs d'accès, les différentstypesde relations qu'entretiennent les membres des diasporas avec leurs foyers d'origine [voir Scopsi in CHÉNEAU-ÙlQUAY (dir.), 2004].

Plus que les biens qui y sont vendus - produits des multina-tionales occidentales de la téléphonie mobile ou fixe -, ce sont les modalités de la mise en espace et la dimension spatiale de l'utilisation de ces lieux qui témoignent d'une fonne d'usage spécifique des outils de la télécommunication.

Leur regroupement spatial est toutàfait spécifique, puisqu'il est plus commandé par les lois de la sociabilité et de l'imita-tion que par celle de la répartil'imita-tion équilibrée des équipements pour la desserte adéquate d'un territoire donné en aires de

chalandise distinctes juxtaposées.Lestéléboutiques, télécen-tres et cybercentélécen-tres se référent directement aux modèles des Suds : par leurs annonces placardées sur les vitrines (les publicités pour les cartes prépayées couvrant les territoires africains), leur décoration intérieure (photographies, cartes postales et posters), la misedansdes boîtes en bois du maté-riel téléphonique et des ordinateurs (matériau préféré au verre dans des milieux chauds), l'association d'équipements (téléphone, fax, photocopieur, connexion Internet en accès public) inédite dans les centres privés pour clients occiden-taux.Lespratiques qui se déploientdansces lieux sont elles aussi culturelles: l'accès aux TIC y est non seulement public, mais collectif - les clients s'enfennent souvent à plusieurs dans les cabines pour téléphoner, utiliser la webcam ou suifer.Bien que l'accès collectif soit plus économique que l'accès privé, ce ne sont pas ici seulement, à la différence de ce qui se passe en Afrique, des contraintes d'ordre écono-mique (v. Téléphone) - une télédensité (nombre de lignes te1éphoniques par habitant) faible et extrêmement inégali-taire suivant les régions et lestypesd'espace, la rareté et la cherté du matériel, le caractère lacunairedeséquipements -, qui expliquent le recours massif des membres des diasporas à ces centres. Leur utilisation est choisie et elle s'inscritdans une gestion fineet adhocdes différentes catégories d'offres (téléphonie fixe ou mobile, télécarte prépayée pour cabine publique, Internet) qui varient en fonction de leur coût respectif, de la confidentialité qu'elles garantissent et dutype d'interlocuteur qu'elles permettent de toucher- interlocuteur caractérisé par son équipement et son degré d'éloignement Elle témoigne par conséquent de l'existence d'un modèle social et culturel, d'offre et de consommation de la télécom-munication qui, parce qu'il donne lieu à des pratiques collec-tives partagées par son inscriptiondansun espace donné, est choisi et affiché de sorte qu'il participeàla construction de territoires de diasporas.

L'accès aux télécommunications montre combien de tels territoires peuvent prendre des configurations spatiales de type réticulaire (par opposition à des territoires surfa-ciques, soit uniques et continus), dans lesquelles la conti-nuité entre les aires et lieux de peuplement disjoints est assu-rée par l'échange immatériel et symbolique d'objets langagiers (sons, textes, images) grâce aux équipements

territorialisés d'un réseau. Mais une telle territorialisation du réseau et de ses éléments n'est possible que si les équipe-ments parisiens trouvent leurs contreparties africaines.

Ainsi, les cybercentres peuvent fonctionner en binômes -le bien nommé cybercafé vis@vis (situé rue Stephenson) a dû mettre :fin à ses activités de visioconférence quand son homologue dakarois, le Métissacana, a fermé ses portes en 2002 -, tandis que, profitant des offres sur la vente de porta-bles d'occasion ou des promotions sur celle des portaporta-bles neufs proposées par les téléboutiques, les membres de la diaspora sont amenés à participer au développement des TICdansleurs foyers d'émigration. Par ailleurs, si les outils de la communication à distance construisent le mythe de la suppression de l'absence en atténuant la rupture physique, affective et culturelle avec les membres de la communauté restésdansle foyer d'origine, et leur permettent de compo-ser avec le mal du pays, ils sont aussi des moyens d'échan-ges économiques asymétriques fondés sur le va-et-vient physique des migrants entre l'ici (territoire de diaspora) et le là-bas (foyer d'origine).Lescommerçants ont pris la mesure de l'intérêt que constituent pour eux les décalages technolo-giques et de modes de vie entre le Nord et le Sud. D'une part, '1e retour périodique du migrant au village natal [est transformé] en une activité lucrative d'import-export" [voir Scopsi inCHÉNEAU-LoQUAY,2004] de téléphones cellulai-res et de leurs accessoicellulai-res par exemple. D'autre part, l'usage des TIC permet l'approvisionnement "en ligne" depuis l'Afrique des boutiques de Château Rouge -LaGoutte d'Or en biens ethniques et inversement, grâce à la "vente à distance de vivres et divers", ils permettent l'achat de biens en Afrique pour l'Afrique, assurant le réinvestissement dans les foyers d'origine des capitaux issus de l'immigration.

Le sens de l'intervention de la puissance publique Les marchandises spécifiques et les signaux culturels émis par le quartier, sa bonne accessibilité générale favo-risent une forte attractivité sur des populations africaines extérieures au quartier (paris, banlieues nord et est) qui, pour se sentir en Afrique par faits de sociabilité, de pratiques chalandaires ou d'approvisionnement en biens

spécifiques, convergent sur le quartier en en renforçant le caractère ethnique. Cette attractivité, particulièrement forte en fin de semaine, entraîne un état de non-fluidité de l'espace public - en particulier des trottoirs, ceux-ci étant transformés en lieux de rencontre, d'échange et d'appro-visionnement - ainsi qu'un problème de nuisance sonore, tous deux particulièrement sensibles pour les résidents qui ne partagent pas ces manières de faire ethniques ou cultu-relles et ne bénéficient pas directement des échanges matériels et symboliques qui y sont réalisés.

Ces phénomènes sont à l'origine de l'intervention publique aménageuse, dont tout l'enjeu réside dans le maintien ou la disparition du caractère ethnique et mixte du quartier et, avec lui, du caractère cosmopolite de Paris. Le quartier a fait l'objet d'une Opération publique d'aménage-ment de l'habitat (OPAH) en deux tranches (secteur Goutte d'Or au début des années quatre-vingt-dix et secteur Château-Rouge depuis 1997) qui vise essentiellement la résorption de l'habitat insalubre.Lespropriétaires bénéfi-cient d'aides pour entreprendre les travaux nécessaires, mais les immeubles les plus vétustes font l'objet d'une intervention directe de la Ville de Paris qui use de son droit de préemption ou d'expropriation pour effectuer des réha-bilitations lourdes ou procéder à des démolitions suivies de reconstructions et installer des logements sociaux. En accord avec les associations de quartier, le cahier des char-ges imposé aux architectes pour la reconstruction a permis, dans le secteur déjà achevé, de préserver la physionomie du quartier en évitant les grands ensembles et les immeubles trop hauts. Le principe du relogement sur place des habi-tants expulsés n'a pas pu s'appliqueràtous, le nombre de logements reconstruits étant inférieur au nombre de loge-ments existant préalablement. Par ailleurs, les procédures mises en œuvre sont extrêmement longues et favorisent l'installation de squats: les immeubles promis à la démoli-tion ne sont rachetés que progressivement par la municipa-lité qui ne parvient pas à empêcher que des sans-logis investissent les logements murés ou les immeubles interdits à l'habitation.Lesconditions d'habitation connaissent donc une phase de dégradation avant l'achèvement de l'opéra-tion.Leslogements extrêmement insalubres dans lesquels s'installent les squatteurs sont en effet vecteurs de

satur-nisme, maladie grave du système nerveux provoquée par l'ingestion de particules de plomb contenues dans les anciennes peintures murales, qui touche particulièrement les enfants. De plus, les immeubles occupés illégalement sontprivésd'alimentationen eau et en électricité et rendent nécessaire le recours aux équipements collectifs (fontaineà eau dans la rue, par exemple).Parailleurs, entre la démoli-tion et la reconstrucdémoli-tion d'un immeublese constituent des friches (v. p. 257) qui deviennent, à l'abri des palissades, des abcèsde fixationpourles trafics de toutesorte,en parti-culierpour la vente et la consommation du crack.

Le quartier apparaît donc depuis une quinzaine d'an-nées comme continuellement en chantier chantiers de démolition, de réhabilitation et de rénovation du bâti, mais aussi chantiers de restructuration de la trame viaire et des trottoirs, de réaffectation et de contrôle des flux automobi-les.Cesphénomènes sont aussià l'origine de l'intervention publique policière et réglementaire (diverses inspections sanitaires, du travail, etc.), qui chercheà accorder les manières de faire locales aux normes sociales (règles de bon voisinage) et règlements juridiques de la société d'ac-cueil, etàimposer le respectde la législation française en matière d'hygiène et de santé,d'encadrementdu travail, de conformité du bâti, ete., aux membres des diasporas mais aussi à ceux qui les exploitent (marchands de sommeil, dealers, proxénètes, ete.), ils sont enfinà l'origine de discours parfoisstigmatisants des résidents qui n'appartien-nent pas aux diasporas et qui, organisés en associations, tentent d'intervenir dans le débat public à travers les conseils de quartierpour dénoncerune"zone de non-droit".

Enfin, les équipes municipales successivestentent de modifier les flux de clientèle attirés par le caractère ethnique des prestations commerciales et des services proposésen intervenant directementsur l'offre. Dans les immeubles reconstruitsappartenantàla ville, celle-cipeut déterminer l'affectation des locaux commerciaux situés en rez-de-chaussée. L'ancienne équipe municipale(RPR) a saisi l'occasion pour confierdes bauxàdes créateurs de mode dans les nouveaux immeubles de la rue des Gardes appelée depuis "rue de la mode" par les habitants -pensantattirer ainsi dans le quartierune clientèlesimilaire

à celle qui fréquente les arrondissements du centre de Paris. Les effetsen sont en réalité très limités. La nouvelle équipe a conçu, sous l'impulsion de Daniel Vaillant (PS), alors maire de l'arrondissement, le projet beaucoup plus ambitieux de délocaliser l'ensemble du commerce

"ethnique" en créant un "marché des 5 continents" sur un grand terrainsitué à proximité de la porte de la Chapelle.

Cependant, les mesures incitatives au déménagement semblent insuffisantes pour assurer le succès de l'entre-prise : le nouveau projet, qui propose la création d'un vaste centre commercial des produits exotiques, ne prend pas en compte la dimension sociale du dispositif actuel, où des pratiques spécifiques de chalandise ont pu se mettre en place à partir d'un tissu dense de petites boutiques mitoyennes ou proches, accessible grâce à des circulations piétonnières caractéristiques et complété par un réseau de lieux de sociabilitéet de services difficiles à transposer. Fondé sur le rassemblement en un même lieu de biens en provenance du monde entier, le projet ne prend pas en compte non plus l'irréductibilité entre elles des pratiques, considérées à l'échelle de l'ensemble des communautés diasporiques installées à Paris dans ses différentsquartiers ethniques.

Dans le document LISTE DES CARTES, GRAPHIQUES ET IMAGES (Page 174-180)