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Section 2. Les contrats publics et l’UE en tant que domaine en constante évolution

A. Les faiblesses de l’harmonisation

1. Les deux vitesses de l’harmonisation

En vertu du seuil, on peut dire que l’harmonisation européenne est une harmonisation à deux vitesses. Dans la première vitesse de l’harmonisation, les règles sont claires et précises; il y a un accent particulier sur la publicité, la libre concurrence et l’intégrité des contrats

126 publics.476 Les contrats harmonisés pour cette première vitesse restent couverts par les directives de 2014. Dans la deuxième vitesse de l’harmonisation, les contrats publics non couverts par l’harmonisation sont à la merci de l’interprétation du droit originaire. En conséquence, les contrats qui dépassent le seuil bénéficient d’un degré de communautarisation plus élevé que les autres contrats publics.

Les seuils fixés par les directives 2014/23477, 2014/24478 et 2014/25479 expulsent les contrats de moindre valeur économique de leur champ d’application et, simultanément, ils tracent une frontière économique et juridique qui affaiblit l’intégrité exigée par les directives.

La distinction entre des contrats dépassant le seuil et les autres contrats peut avoir des conséquences techniques découlant de différentes interprétations du droit originaire (i). En outre, le régime juridique d’un contrat en fonction de sa valeur économique nous rapproche de la différence entre les notions de « concurrence parfaite » et « concurrence praticable » (deux notions propres au droit de la concurrence) comme on va vérifier aux suivants pages (ii).

(i) La reconnaissance de la problématique de différentes interprétations en fonction du seuil

Nous savons que les contrats publics non harmonisés par les directives sont régis par les principes du droit originaire.480 Cela nous permet de préciser que les contrats non harmonisés par les directives ne sont pas en dehors du droit des contrats publics de l’UE mais ils sont en dehors des règles des directives. Il y a une différence entre l’un et l’autre. En conséquence, ces contrats ont un degré d’harmonisation moindre, comme nous l’avons déjà vu481, mais ils font également partie de l’harmonisation européenne au sens large.

476 Tenir compte des Principes de l’OCDE susmentionnés.

477 L’art. 8.

478 L’art. 4.

479 L’art. 15.

480 Voir: DERO-BUGNY (D), « Le droit de l’Union européenne applicable aux marchés publics et aux concessions d’une valeur inférieure aux seuils prévus par les directives 2014/23/UE, 2014/24 et 2014/25 », Revue du droit de l’Union européenne, 2016, pp. 529-553.

481 Voir la Communication interprétative de la Commission relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives marchés publics et l’arrêt du 20 mai 2010.

127 Intéressant, le législateur européen souligne que l’application du droit originaire peut conduire à des problèmes d’interprétation. C’est le cas, par exemple, de la directive 2014/23, dans laquelle on peut lire:

« l’attribution de concessions de services... est soumise aux principes du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne...Il existe un risque d’insécurité juridique lié aux divergences d’interprétation des principes du traité par les législateurs nationaux, et de fortes disparités entre les législations des différents États membres. Ce risque a été confirmé par la vaste jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne... ».482

Les contrats publics visés par les directives de 2014 réduisent le risque d’interprétations divergentes du droit originaire, ce qui démontre que le seuil peut être déterminant pour la sécurité juridique. Le même législateur reconnaît cette question.483

Les deux vitesses générées par le seuil ne sont pas le meilleur allié des petites entreprises parce que, précisément, ces entreprises ont tendance à opérer sur des contrats de faible montant. De même, la divergence dans l’interprétation du droit originaire n’est pas le meilleur scénario juridique pour parvenir à une concurrence pratique, comme nous le verrons.

(ii) Les contrats en hors des directives s’éloignent de la concurrence

Si les contrats publics devraient être adaptés « aux besoins des PME » 484, la ligne de séparation créée par les seuils peut provoquer un effet contraire dans la mesure où cette ligne peut diminuer la participation des PME parce que les contrats publics en dehors du seuil ne

482 Nous soulignons. Considération 4 de la directive 2014/23.

483 « Pour éliminer des distorsions persistantes sur le marché intérieur, il apparaît nécessaire d’appliquer de manière uniforme les principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dans l’ensemble des États membres et de mettre fin aux divergences dans l’interprétation de ces principes au niveau de l’Union. Cela permettrait en outre d’accroître l’efficacité de la dépense publique, de faciliter l’égalité d’accès et la participation équitable des PME à l’attribution de contrats de concession, tant à l’échelon local qu’à celui de l’Union, et de soutenir la réalisation des objectifs d’une politique publique durable », idem. Nous soulignons.

484 Voir, par exemple, la considération 78 de la directive 2014/24, les considérations 70 et 87 de la directive 2014/25 et la première considération de la directive 2014/23.

128 bénéficient pas nécessairement de la publicité obligatoire que les directives 2014/23, 2014/24 et 2014/25 imposent en raison du seuil. Toutefois, l’harmonisation doit d’être vigilante sur le degré de participation des PME485, et on peut lire certaines critiques existent à cet égard.486 Si les appels d’offres publiques sont inconnus à cause d’une publicité minimale, quelle promotion de la concurrence peut-il exister ? La concurrence rhétorique, probablement.487

Comme nous l’avions noté précédemment, le seuil des directives ne permet pas de réaliser une « concurrence parfaite » ni une « concurrence praticable ». Pour distinguer ces deux concepts, la juriste Valérie Fauré résume488 ce qui suit:

« De façon classique, deux conceptions de la concurrence s’opposent: D’une part la concurrence parfaite, qui « suppose un marché sur lequel des opérateurs suffisamment nombreux et de tailles comparables sont à même, à tout moment, de connaître les données de l’offre et de la demande (transparence du marché) et d’agir en conséquence (fluidité du marché)... ».489 D’autre part, la notion de concurrence praticable (workable competition)

485 « La Commission devrait examiner les effets sur le marché intérieur découlant de l’application des seuils et faire rapport au Parlement européen et au Conseil. Ce faisant, elle devrait tenir compte de facteurs tels que le volume des passations de marchés transnationaux, la participation des PME, les coûts des transactions et le rapport coût-efficacité. L’article XXII, paragraphe 7, de l’AMP prévoit que celui-ci fait l’objet de nouvelles négociations trois ans après son entrée en vigueur et par la suite de façon périodique. Il convient, dans ce contexte, de procéder à l’examen de l’adéquation du niveau des seuils eu égard à l’incidence de l’inflation, compte tenu de l’absence de modification des seuils fixés dans l’AMP pendant une longue période; dans le cas où il en résulterait que ce niveau doit être modifié, la Commission devrait, le cas échéant, adopter une proposition d’acte juridique modifiant les seuils établis par la présente directive ».

486 Par exemple: « Threshold are presumed to be in compliance with those of the WTO GPA. Nevertheless, an anomaly can be observed with respect to UE’s policy of promoting SMEs: whereas recital 134 of the 2014 Directive provides for the Commission to review the effects on internal market resulting from the application of the thresholds and take into account factors such as SME participation, the EU did not make any particular provision to support SME in their procurement schedules under Appendix I... This limits the room the EU has given itself to promote SME without contravening its obligations under WTO GPA in the future », DAWAR (K) et SKALOVA (M), « The Evolution of EU Public Procurement Rules and its Interface with WTO: SME Promotion and Policy Space », in Reformation or Deformation of the EU Public Procurement Rules (ØLIKKE (G) et SANCHEZ-GRAELLS (A), éditeurs), Cheltenham / Northampton, Elgar, 2016, p. 75.

487 La professeure Ann Lawrence Durviaux expose, « le discours juridique relative à la concurrence emprunte beaucoup à la science économique. Par contre, celui tenu en droit communautaire dérivé des marchés publics est plus ambigu. Les références à la science économique, implicites dans le cadre de l’interprétation « marchés publics » sont quasi inexistantes lorsqu’il s’agit des mécanismes de mises en concurrence », DURVIAUX (A-L), Logique de marché et marché public en droit communautaire. Analyse critique d’un système, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 217.

488 Elle résume sur la base de la bibliographie de différents auteurs.

489 Elle cite SCHAPIRA (J), TALLEC (G), BLAISE (J B) et IDOT (L), Droit européen des affaires, Paris, PUF, 1985, p. 579.

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« s’inscrit dans la nécessité de partir de la réalité et non construire un modèle idéal et abstrait.

Elle partit de l’analyse de chaque marché donné, laisse une place à la nuance, et partant, à des interventions des autorités communautaires, dans l’acceptation de pratiques qui seraient, dans l’hypothèse d’une concurrence parfaite, considérés comme anticoncurrentielles ».490491

Dans la distinction faite, le seuil rapprocherait d’une certaine manière les contrats couverts par chaque directive à une concurrence parfaite dans la mesure où les entreprises qui peuvent participer aux appels d’offres publics des contrats couverts sont de grandes entreprises; et, en plus, le seuil écarte les autres contrats de la concurrence parfaite et les éloigne de la concurrence praticable également. Dans ce contexte, le facteur publicité s’impose simplement parce que la publicité permet de savoir où et quand participer dans un appel d’offres publiques. L’absence de l’obligation de faire la publicité aux conditions qui découlent des directives du 2014 peut conduir à la concurrence rhétorique au sein du marché unique.

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