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Section 2. Les contrats publics et l’UE en tant que domaine en constante évolution

B. Les silences de l’harmonisation

Une harmonisation peut toujours être incomplète dans la mesure où il s’agit d’un processus évolutif. Dans cette ligne, il est perçu que l’harmonisation n’a pas abordé la question des aides publiques dans le cadre du marché mondial des contrats publics (1) et n’a pas introduit des règles sur l’arbitrage entre le cocontractant et l’entité contractante (2).

1. Les aides publiques dans l’UE et le cadre du marché mondial des contrats publics

En ce qui concerne les aides publiques, l’harmonisation contextualise ce sujet dans le cadre des offres anormalement basses et permet, exceptionnellement, refuser une offre si celle-ci est incompatible avec le marché intérieur.501

comme celui lié à la disponibilité ont été transférés au partenaire privé, dans la mesure où la rémunération était fondée sur les péages fictifs acquittés par le partenaire public, ajustés en fonction des bonus ou malus liés à la qualité de la maintenance de l’infrastructure. Si les niveaux de trafic étaient nettement inférieurs aux attentes, la qualité de la maintenance (qui a été favorisée par le faible niveau de trafic) a donné lieu à des bonus qui ont compensé toutes les pertes découlant du risque lié à la demande enregistrées par le partenaire privé. Par conséquent, même si tous les risques ont été supportés par le partenaire privé, celui-ci n’a subi pour ainsi dire aucun préjudice financier dans la pratique, alors que le partenaire public était contractuellement tenu de débourser des sommes bien plus élevées destinées à la maintenance d’une autoroute sous-utilisée », op. cit, p.

46.

500 Sur la connexion entre les aides de l’État et la libre concurrence, voir: RUSCHE (T), MICHEAU (C), PIFFAUT (H) et VAN DER CASTEELE (K), « State Aid », in The EU Law of Competition, (FAULL (J) et NIKPAY (A) éditeurs), Oxford University Press, 2014, pp. 1923-2032.

501 Art. 69 de la directive 24/2014 précise ce qui suit:

« 1. Les pouvoirs adjudicateurs exigent que les opérateurs économiques expliquent le prix ou les coûts proposés dans l’offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services.

2. Les explications visées au paragraphe 1 peuvent concerner notamment:

f) l’obtention éventuelle d’une aide d’État par le soumissionnaire.

4. Le pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre est anormalement basse du fait de l’obtention d’une aide d’État par le soumissionnaire ne peut rejeter cette offre pour ce seul motif que s’il consulte le soumissionnaire et que celui-ci n’est pas en mesure de démontrer, dans un délai suffisant fixé par le pouvoir adjudicateur, que l’aide en question était compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107 du traité sur le

132 Parmi les différents auteurs, les juristes Maria Ath. Alexopoulou et Albert Sánchez ont indiqué ce qui suit:

« The interrelation between State aid and public procurement is twofold. On the one hand (and building up on the conceptual basis underneath the Altmark test), compliance with public procurement rules excludes the existence of an ‘undue economic advantage’ in the award of a public contract and, consequently, determines the inapplicability of art. 87 ECT

… On the other hand, recipients of State aid cannot be excluded from public tenders automatically and contracting authorities hold discretion to exclude them exclusively when the award of the aid was illegal -that is, recipients of legal and authorised State aid cannot be excluded … ».502

Cette description est cohérente. Toutefois, dans le cadre du marché mondial des contrats publics, une interrogation apparaît: qui pourrait déterminer la légalité ou l’illégalité d’une aide d’un État non membre de l’UE en faveur d’un opérateur économique qui participe activement au marché international des contrats publics ? Au niveau mondial, cette question est latente depuis des années.503 Les aides d’État en dehors de l’UE pourraient parfois se traduire par un désavantage pour les entreprises européennes dans le cadre du marché mondial des contrats publics.504

fonctionnement de l’Union européenne. Le pouvoir adjudicateur qui rejette une offre dans ces conditions en informe la Commission ». Nous soulignons.

Voir aussi, la lettre f) du paragraphe 2 el le paragraphe 4 de l’art. 84 de la directive 25/2014.

502 ALEXOPOULOU (M. ATH.) et SANCHEZ (A), « Competition and Public Procurement. A overview »

< https://www.law.ox.ac.uk/sites/files/oxlaw/competition_and_public_procurement_an_overview.pdf >, p. 3-4.

503 « As long as state aid outside the EU is unregulated, the European Commission faces a dilemma: either European firms will be disadvantaged in global competition by strict EU rules, or the Commission will come under pressure to relax the rules, thereby running the risk that fair competition within the EU will be undermined », BLAUBERGER (M) et KRAMER (R), « European Competition vs. Global Competitiveness Transferring EU Rules on State Aid and Public Procurement Beyond Europe », Journal of Industry, Competition and Trade, vol. 13, numéro 1, 2013, p. 171. Voir l’article, pp. 171-186

504 Si la subvention est une forme d’aide, l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC donne une définition importante de la subvention:

« 1.1 Aux fins du présent accord, une subvention sera réputée exister:

a) 1) s'il y a une contribution financière des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un Membre (dénommés dans le présent accord les "pouvoirs publics"), c’est-à-dire dans les cas où:

133 2. L’arbitrage dans l’exécution du contrat: entre le rejet et l’acceptation au sein des États

Les directives d’harmonisation ne contiennent pas de règles spécifiques sur les modes alternatifs de règlement des différends tels que la conciliation, la médiation ou l’arbitrage dans la phase d’exécution du contrat. La raison en est simple: ce sont conçues pour l’ouverture du marché et non pour le règlement des différends entre les parties au contrat. Le rejet de l’arbitrage dans les contrats publics est perceptible dans la législation des États. Par exemple, l’interdiction de l’arbitrage est considérée comme un principe général du droit public français505; cependant, il y a des abrogations spécifiques qui permettent d’introduire des clauses compromissoires dans quelques contrats publics.506

En Espagne, l’arbitrage en matière de contrats publics n’est pas la règle générale mais une exception en ce qui concerne les contrats internationaux; à cet égard, la Loi 9/2017 sur les

i) une pratique des pouvoirs publics comporte un transfert direct de fonds (par exemple, sous la forme de dons, prêts et participation au capital social) ou des transferts directs potentiels de fonds ou de passif (par exemple, des garanties de prêt);

ii) des recettes publiques normalement exigibles sont abandonnées ou ne sont pas perçues (par exemple, dans le cas des incitations fiscales telles que les crédits d'impôt);

iii) les pouvoirs publics fournissent des biens ou des services autres qu’une infrastructure générale, ou achètent des biens;

iv) les pouvoirs publics font des versements à un mécanisme de financement, ou chargent un organisme privé d'exécuter une ou plusieurs fonctions des types énumérés aux alinéas i) à iii) qui sont normalement de leur ressort, ou lui ordonnent de le faire, la pratique suivie ne différant pas véritablement de la pratique normale des pouvoirs publics »; ou

« 2) s’il y a une forme quelconque de soutien des revenus ou des prix au sens de l’article XVI du GATT de 1994 »; et

« si un avantage est ainsi conféré ». Nous soulignons.

505 BOURDON (P), Le contrat administratif illégal, Paris, Dalloz, 2014, p. 121. L’article 2064 du Code civil établit ci-après:

« On ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public.

Toutefois, des catégories d’établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre ».

506 Dans ce sens, en France, la Loi n° 86-972 du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités admette l’arbitrage: « Par dérogation à l’article 2060 du code civil, l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics sont autorisés, dans les contrats qu’ils concluent conjointement avec des sociétés étrangères pour la réalisation d’opérations d’intérêt national, à souscrire des clauses compromissoires en vue du règlement, le cas échéant définitif, de litiges liés à l’application et l’interprétation de ces contrats ». Nous soulignons.

134 contrats du secteur public est très importante.507 Cette loi donne la priorité au recours à la justice étatique508; cependant, cette même loi admet la clause compromissoire de manière limitée aux contrats internationaux.509

Entre la loi espagnole et la loi française il y a un détail commun: l’élément international du contrat permet l’arbitrage510 et, précisément, l’internationalisation du contrat conduit à la pertinence de l’examen de l’arbitrage511 dans la construction du droit international des contrats public. Dans ce contexte, nous noterons ici que l’arbitrage dans les contrats publics est un sujet plus large et qu’il ne s’agit pas simplement d’une question de droit interne512 bien que, dans le cadre de l’internationalisation des contrats publics, il est bien admis déjà que

« cette internationalisation n’est pas sans incidence sur son régime ».513 Dans le dernier chapitre de la deuxième partie, nous détaillerons la pertinence et la contribution de l’arbitrage à la construction du droit international des contrats publics. Par l’instant, d’un côté, nous notons que l’UE n’a pas harmonisé la législation des États en matière de clauses

507 C’est la Loi 9/2017, du 8 novembre, sur les contrats du secteur public transposant en droit espagnol les directives du Parlement européen et du Conseil 2014/23/UE et 2014/24/UE.

508 En Espagne, l’arbitrage est considéré comme un « équivalent juridictionnel » en matière de droit privé.

509 Première disposition supplémentaire. Contrats à l’étranger.

510 La jurisprudence française a commencé à nuancer les règles de la législation nationale lorsqu’il s’agissait de contrats internationaux. Dans ce sens, le professeur Yvon Loussouarn soulignait: « La première série de décisions est relative à la « capacité » de l’Etat de compromettre. L’arrêt… le plus caractéristique en la matière est l’arrêt Galakis par lequel la Première Chambre civile de la Cour de cassation française a, le 2 mai 1966, approuvé les juges du fond d’avoir décidé que l’interdiction faite à l’Etat français de compromettre, interdiction résultant des articles 83 et 1004 du Code de procédure civile, est inapplicable à un contrat international passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce maritime. Le but poursuivi était évident: supprimer le handicap que cette interdiction imposait à l’Etat français dans les relations commerciales internationales. Mais la technique utilisée n’était pas la seule permettant de parvenir à cette fin », LOUSSOUARN (Y), « Cours général de droit international privé », R.C.A.D.I, vol. 139, 1973, pp. 305-306 (la notes de bas de page es omise ici). Voir: CLAY (T) et PINSOLLE (Ph), French International Arbitration Law Reports: 1963-2007, Huntington, JurisNet, 2014, pp. 11-12; RIGAUX (F), « Les situations juridiques individuelles dans un système de relativité générale: cours générale de droit international privé », R.C.A.D.I, vol. 213, 1989, pp. 246-247.

511 Le professeur Malik Laazouzi a noté que « le développement du régime de l’arbitrage des contrats internationaux conclus par les personnes publiques françaises conduira à terme à rendre possible une comparaison des solutions adoptées respectivement à l’égard des juges privés et des juges étatiques. De manière indirecte, une éventuelle libéralisation du régime de ces contrats devant un juge privé ne pourrait sans doute pas coexister bien longtemps avec un régime plus sévère devant le juge étatique. Des interactions se produiront », LAAZOUZI (M), « La spécificité des contrats publics internationaux », Revue des contrats, numéro 3 du 1 septembre, 2014 < https://www-lextenso-fr.ezproxy.univ-perp.fr/revue-des-contrats/RDC110u7?em=%22march%C3%A9s%20publics%20internationaux%22&source=7 >.

512 Voir: AUDIT (M), « Arbitrage international et contrats publics en France », in Contrats publics et arbitrage international (AUDIT (M), directeur), Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 115-132.

513 AUDIT (M), « Présentation générale », in Contrats publics et arbitrage international, op. cit, p. xii.

135 compromissoires sur les contrats publics et, d’un autre côté, on va voir les contrats publics dans le cadre de l’arbitrage d’investissements depuis l’optique de l’UE sans oublier que ces contrats peuvent être une modalité d’investissement.

§2. L’incertitude du point de vue du droit international des investissements

En ce qui concerne la relation entre le droit de l’UE et le droit international des investissements, il y a une décennie, le professeur Charles Leben a considéré que cette relation fût d’ « ignorance mutuelle »514 dans un premier moment.515 Cette réalité avait commencé à changer et l’ « hostilité de la Commission européenne à l’égard de l’arbitrage d’investissement »516 a commencé à être de plus en plus perceptible. Actuellement, c’est une relation de « choc », on pourrait dire.

Expliquer le « choc » entre la politique de l’UE et le droit international de l’investissement demande, d’une part, comprendre pourquoi certains contrats de nature publique peuvent être une modalité d’investissement dans le cadre du droit international (A) et, d’autre part, connaître la politique de l’UE en matière d’arbitrage des investissements (B).

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