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Une politique législative orientée à réduire des risques futurs

Section 1. La nécessité de règles, recours et définitions claires dans la libre concurrence

B. L’accent sur l’intégrité, la réduction du risque et la neutralité technologique

1. Une politique législative orientée à réduire des risques futurs

1. Une politique législative orientée à réduire des risques futurs

Dans le cadre de l’intégrité, il est nécessaire une politique législative orientée à réduire des risques futurs.424 Dans ce contexte, le droit des contrats publics de l’UE prévoit, d’un côté, l’exclusion d’opérateurs à cause de ses antécédents (i) et, d’un autre côté, la validité, ou l’assimilation, du principe de précaution aux contrats, ce qui est une conséquence du droit originaire (ii).

(i) L’exclusion de quelques opérateurs économiques

L’harmonisation exclu certains opérateurs économiques en raison de ses antécédents criminels par corruption, par fraude contre les intérêts financiers de l’UE, par blanchiment de capitaux, par terrorisme et financement du terrorisme ou par traite d’êtres humains.425 D’une certaine manière, cela implique prévenir des risques futurs dans l’exécution du contrat et évaluer préalablement l’intégrité du cocontractant.

De même, l’harmonisation reconnaît l’exclusion des opérateurs économiques en raison de non-paiement d’impôts ou de cotisations de sécurité sociale.426 Toutefois, un critère de flexibilité permet l’abrogation de la clause d’exclusion lorsque celle-ci selon les circonstances427, ce qui pourrait impliquer une certaine ambiguïté dans la pratique en raison d’éventuelles interprétations disparates.

424 Principe 5 des Principes de l’OCDE pour renforcer l’intégrité dans les marchés publics.

425 Considérant 69 de la directive 2014/23 et art. 38, paragraphe 4. Considérant 100 de la directive 2014/24 et art. 57, paragraphe 1. Considérant 105 de la directive 2014/25.

426 Art. 38, paragraphe 5, de la directive 2014/23. Art. 57, paragraphe 2, de la directive 2014/24. Par l’article 80, la directive 2014/25 fait une utilisation des motifs d’exclusion et des critères de sélection prévus par la directive 2014/24/UE.

427 Art. 38, paragraphe 6, de la directive 2014/23. Art. 57, paragraphe 3, de la directive 2014/24 : « Les États membres peuvent prévoir une dérogation à l’exclusion obligatoire visée aux paragraphes 1 et 2, à titre exceptionnel, pour des raisons impératives relevant de l’intérêt public telles que des raisons liées à la santé publique ou à la protection de l’environnement ».

113 (ii) Les principes de la protection de l’environnement: le principe de précaution

Si la sauvegarde de l’environnement est une caractéristique du droit des contrats publics de notre temps 428, nous ne pouvons pas oublier que l’environnement est, d’une part, un droit de l’homme et, d’autre part, un domaine juridique de l’UE et du droit international.

L’UE prend en compte le facteur écologique dans les contrats publics.429 La Green Public Procurement (GPP) s’impose430 et le facteur environnement peut passer d’un objectif secondaire à un objectif moins secondaire et plus visible.431

Par la diversité et la complexité des différents contrats publics, il est important de retenir tous les principes du droit de l’environnement dans le cadre de l’UE: les principes d’intégration, de précaution, de prévention, de la correction des atteintes à l’environnement et pollueur-payeur.432 Nous nous arrêterons au principe de précaution par l’incertitude particulière qu’il peut générer parce que, d’abord, il n’existe pas de définition universellement acceptée du principe de précaution433, mais ce principe doit être appliqué.

428 Voir: La Recommandation du Conseil sur l’amélioration des performances environnementales des marchés publics de l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques du 23 janvier 2002.

429 Voir: Les EU GPP criteria, qui sont « developed to facilitate the inclusion of green requirements in public tender documents. While the adopted EU GPP criteria aim to reach a good balance between environmental performance, cost considerations, market availability and ease of verification, procuring authorities may choose, according to their needs and ambition level, to include all or only certain requirements in their tender documents » < http://ec.europa.eu/environment/gpp/eu_gpp_criteria_en.htm >.

430 Cependant, les Green Public Procurement in Europe. Conclusions and Recommendations du 2006 considèrent qu’il y a cinq barrières pour les contrats publics écologiques:

« 1. Green products would be more expensive.

2. Lack of environmental knowledge.

3. Lack of managerial and political support.

4. Lack of tools and information.

5. Lack of training ».

< http://ec.europa.eu/environment/gpp/pdf/take_5.pdf >, p. 2.

431 Le développement durable fait partie de la construction du droit des contrats publics et il exige une attention particulière des pouvoirs publics. Voir: VIÑUALES (J), « Foreign investment and the environment in international law. Current trends », in Research Handbook on Environment and Investment Law (MILES (K), éditrice), Cheltenham / Northampton, Elgar, 2019, p. 37.

432 Entre autres auteurs, voir: KRAMER (L), EU Environmental Law, Sweet & Maxwell, 2012, pp. 20-27;

JANS (J) et VEDDER (H), European Environmental Law, Europa Law Publishing, 2012, p. 41.

433 BOURGUIGNON (D), Le principe de Précaution. Définitions, applications et gouvernance, Service de recherche pour les députés, 2015, p. 1. Intéressant, cet auteur résume: « Les conceptions varient avant tout en fonction du degré d’incertitudes scientifique auquel une action de la part des autorités reste possible. La

114 Dans le cadre du droit de l’UE, le principe de précaution est également reconnu par une règle de droit originaire du TFUE qui annonce ce qui suit:

« La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union.

Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur. Dans ce contexte, les mesures d’harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l’environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l’Union ».434

Il y a une bibliographie qui a alerté sur l’expansion de l’application de ce principe.

L’expansion arriverait à tel point que le tribunal du Luxembourg « a élargi son champ d’application, en incluant la santé, la qualité des produits alimentaires et la protection des consommateurs, et éventuellement à tous les secteurs confrontées à l’incertitude scientifique ».435

Dans ce contexte, il y a un détail très important: certains auteurs estiment qu’il existe une marge d’abus du droit dans le cadre de l’application du principe de précaution.436 Nous ne

Commission européenne, l’UNESCO et l’Agence européenne de l’environnement proposent chacune leur définition. Par ailleurs, la Cour de justice européenne a contribué à interpréter le principe de précaution et à étendre son champ d’application. L’application du principe de précaution est, elle aussi, sujette à différentes interprétations. La plupart des experts s’accordent à dire que le principe de précaution n’exige pas de prendre des mesures particulières, telles qu’une interdiction ou un renversement de la charge de la preuve. En revanche, les avis d’experts et d'institutions divergent en ce qui concerne la méthode à utiliser pour déterminer s’il y a lieu de prendre des mesures de précaution (analyse coûts-bénéfices, … analyse des avantages et désavantages de l'action et l’inaction, etc.)... L’application du principe de précaution présente de nombreux défis, notamment en ce qui concerne le traitement de la complexité, l'évaluation du danger, la recherche et les activités économiques… Le principe de précaution est étroitement lié à la gouvernance. Il pose plusieurs questions en matière de gouvernance du risque (évaluation, gestion et communication du risque). Par ailleurs, étant donné que l'application de mesures de précaution résulte le plus souvent d'une décision politique basée sur des connaissances scientifiques, les interfaces science-politique revêtent une importance particulière… ».

434 Nous soulignons. Paragraphe 2 de l’art. 191.

435 IONESCU (R), L’abus de droit en droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 347-348.

Nous soulignons.

436 Idem, p. 438.

115 rejetons pas complètement cette opinion mais nous l’admettons avec prudence. Dans cette ligne on peut noter qu’une manipulation du principe de précaution dans le domaine des contrats publics pourrait provoquer une contradiction non seulement avec la libre concurrence dans le cadre des appels d’offres publics mais aussi avec la bonne foi contractuelle dans le cadre de l’exécution des contrats.

En effet, les pouvoirs publics ont un large éventail de prérogatives reconnues en leur faveur telles que, par exemple, la modification ou la résiliation unilatérale du contrat. Dans ce contexte, le principe de précaution ne devrait pas être instrumentalisé pour justifier des décisions administratives juridiquement et moralement injustifiables.

De toute évidence, la résiliation et la modification du contrat doivent être justifiées et ne pas constituer un instrument d’abus de pouvoir de l’État. L’instrumentalisation de ce principe pour justifier des décisions administratives obscures et arbitraires pourrait se produire dans des cas déconnectés de la protection de l’environnement tels que:

- Une résiliation hypothétique du contrat faite dans le but d’éviter l’exécution du contrat simplement pour ne pas le payer,

- la résiliation d’un contrat pour des raisons électorales; ou

- la résiliation du contrat pour ensuite bénéficier à une autre société proche du parti au pouvoir ou d’un membre du gouvernement.

Au-delà d’éventuels abus du droit par une manipulation du principe de précaution, ce principe remarque l’importance du dialogue compétitif que nous avons évoqué entre les modèles des procédures de passation parce que, précisément, le dialogue compétitif permet un échange de points de vue entre les administrations publiques adjudicatrices et les opérateurs économiques. Dans ce contexte, le dialogue compétitif permet un meilleur échange de vues437 entre le secteur public et le secteur privé, ce qui pourrait être favorable à

437 « It is widely accepted by those involved in public infrastructure projects that a procurement procedure requires high degrees of flexibility and dialogue between the contract authority and the contractors bidding to become the private sector partner », LE LAN ROOS (C) et UTTAM (K), « Competitive dialogue procedure for sustainable public procurement », Journal of Cleaner Production, numéro 86, 2015, p. 405.

116 la sauvegarde des droits de l’homme dans le cadre de chaque contrat, y compris et le développement durable.438

Un exemple illustratif de la relation entre le dialogue compétitif et le principe de précaution pourrait être le ferry électrique en Norvège qui rapporte la publication de la Commission:

Acheter vert! Un manuel sur les marchés publics écologiques, où les mots du monsieur Edvard Thonstad Sandvik (de la direction norvégienne des routes publiques) sont illustratifs:

« Le dialogue compétitif nous a permis d’entrer en contact avec les fournisseurs et de créer des solutions innovantes et à faibles émissions de carbone en partenariat ».439 Dans ce contexte, le principe de précaution peut favoriser l’innovation.440

À notre avis, l’harmonisation des modèles de passation en réaffirmant le dialogue compétitif est salutaire, notamment dans le cadre de l’exécution des concessions. Le dialogue compétitif n’est évidemment pas la règle générale dans les contrats publics et, dans ce contexte, une question découle: le dialogue compétitif implique-t-il un risque de détérioration de la transparence ? Cette interrogation est valable non seulement dans le cadre du droit de l’UE, mais aussi dans le cadre de l’harmonisation au sein de tout ordre juridique communautaire et/ou conventionnel et dans le cadre des ordres juridiques étatiques aussi, ce qui conduit à noter ici qu’il y a diverses éléments communs qui permettent d’envisager sérieusement la possibilité de construire un droit international des contrats publics autour de thèmes tels que la passation, l’environnement, les clauses sociales, les clauses d’exclusion, etc; tout cela confirme que la construction du droit international des contrats publics impliquerait toujours l’articulation d’une diversité de domaines juridiques dans un marché international des contrats publics ouvert à l’échelle planétaire, où la neutralité technologique, l’intégrité des contrats et le droit aux recours sont incontournables.

438 Voir: LE LAN ROOS (C) et UTTAM (K), « Competitive dialogue procedure for sustainable public procurement », op. cit, pp. 403-416.

439 Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne, 2016, p. 24.

440 Les professeurs Elisabetha Iossa et Christopher Bovis notent que l’innovation souhaitable est

« contrebalancée » par la difficulté de la régulation, IOSSA (E) et BOVIS (Ch), « Colloquium », op, cit, p. 112.

117 2. Les nouvelles technologies au service de l’intégrité: la neutralité technologique

Les moyens électroniques d’information sont très utilisés pour connaître les opportunités dans le marché intérieur et pour renforcer l’intégrité des contrats publics parce que « les possibilités pour les opérateurs économiques de prendre part à des procédures de passation de marché dans l’ensemble du marché intérieur s’en trouvent considérablement accrues ».441 L’assimilation de la technologie dans les contrats publics requiert l’incontournable assimilation du principe de neutralité technologique. L’harmonisation au sein de l’UE accueille ce principe sans le citer expressément par son propre nom.

En effet, ni le droit originaire ni les directives d’harmonisation ne contiennent une phrase où l’on peut lire expressément que « le principe de neutralité technologique implique…».442 Cependant, le principe de neutralité technologique est reconnu dans le droit de l’UE par le Règlement (UE) 2015/2120 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert.443 Ce règlement ne mentionne pas expressément les contrats publics, mais il révèle la signification de ce principe dans le cadre de l’UE en affirmant que: « Les mesures prévues par le présent règlement respectent le principe de la neutralité technologique, c’est-à-dire qu’elles n’imposent ni ne favorisent l’utilisation d’aucun type particulier de technologie ».444 À des fins pratiques, le principe de neutralité technologique empêche l’utilisation de la technologie pour favoriser quelqu’un ou pour porter atteinte à l’égalité entre les opérateurs économiques dans le cadre d’un appel des offres publiques. En ce sens, les directives de 2014

441 Considérant 63 de la directive 2014/25. Le Considérant 53 de la directive 2014/24 va dans le même sens.

442 D’une manière générale, la neutralité technologique est comprise comme la: « Caractéristique d’une loi qui énonce les droits et les obligations des personnes de façon générique, sans égard aux moyens technologiques par lesquels s’accomplissent les activités visées. La loi est désintéressée du cadre technologique spécifique mis en place. La loi ne spécifie pas la technologie qui doit être installée pour la réalisation et le maintien de l’intégrité des documents et l’établissement d’un lien avec un document. De plus, elle n’avantage pas l’utilisation d’une technologie au détriment d’une autre », TRUDEL (P), POULIN (D), et al « La loi en ligne: La Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information », 2001. Nous soulignions.

Source: < http://www.lccjti.ca/definitions/neutralite-technologique/ >. Vu le 6 mai 2017.

443 Le nom complet du Règlement est « Règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) 531/2012 concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union ».

444 Considérant 2.

118 permettent de comprendre l’utilité des moyens électroniques contre les pratiques discriminatoires.445

Le principe de neutralité technologique appliqué aux contrats publics implique que les nouvelles technologies ne peuvent pas être un moyen discriminatoire ou une simple formalité, mais un instrument efficace446 pour promouvoir l’égalité dans le cadre de la libre concurrence que chaque État de l’UE doit sauvegarder. Dans le cadre de la construction du droit international des contrats publics, où ces contrats peuvent être un secteur du commerce mondial, on pourrait dire que la neutralité technologique apparaît comme un nouveau contexte dans la « relation historique entre le droit du commerce et le droit de la concurrence »447, notamment à la lumière de la « numérisation progressive »448 des contrats publics. L’accueil du principe de neutralité technologique dans l’harmonisation est un autre élément qui permet de penser à la possibilité d’un droit international des contrats publics.

§2. La consolidation de l’ouverture du marché intérieur et de l’intégrité

Si l’harmonisation du droit des contrats publics implique la sauvegarde de l’intégrité, nous ne pouvons pas perdre de vue une autre réalité: il n’y a pas d’intégrité effective ou réelle sans un mécanisme de contrôle. L’harmonisation nécessite des garanties.

Pour assurer le respect des règles de l’harmonisation, le droit des contrats publics de l’UE présente deux types de garanties de nature contentieuse et une garantie de nature non

445 « Les entités adjudicatrices devraient, sauf dans certaines situations spécifiques, utiliser des moyens électroniques de communication qui ne sont pas discriminatoires, qui sont communément disponibles et compatibles avec les technologies d’information et de communication (TIC) généralement utilisées et qui ne restreignent pas l’accès des opérateurs économiques à la procédure de passation de marché. L’utilisation de ces moyens de communication devrait également tenir dûment compte de l’accessibilité pour les personnes handicapées... », Considérant 64 de la directive 2014/25; 53 de la directive 2014/24; paragraphe 1 de l’art. 29 et art. 34 de la directive 2014/23.

446 La professeure Kirsi-Maria Halonen note que la « Digitalization and e-procurement requirements have likely also contributed to additional active, online transparency rules and practice », HALONEN (K-M), « Many faces of transparency in public procurement », in Transparency in EU Procurements, Cheltenham / Northampton, Edward Elgar Publishing, 2019, p. 26.

447 TAYLOR (M), International competition Law. A new Dimension for the WTO?, Cambridge University Press, 2006, p. 148.

448 CANTORE (C) et TOGAN (S), « Public Procurement in the UE », in The Internationalization of Government Procurement Regulation, op. cit, p. 154.

119 contentieuse. En ce qui concerne la garantie contentieuse, les recours internes et les recours européens assurent le respect des règles dans le cadre de chaque appel d’offres public (A).

De même, en dehors du cadre contentieux, dans le cadre législatif, le droit de l’UE garantit l’efficacité directe des directives d’harmonisation en cas de non-transposition (B).

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