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Le renforcement du droit international du travail et le droit de l’OIT

Section 2. L’harmonie au-delà de la diversité des règles et principes

B. Le renforcement mutuel entre le droit de l’Union européenne des contrats publics, le droit international de l’environnement et le droit international du travail

2. Le renforcement du droit international du travail et le droit de l’OIT

Le droit international du travail est un autre domaine renforcé par l’harmonisation européenne. Le droit des contrats publics de l’UE oblige les États membres à respecter sept355 des huit conventions dites « fondamentales » de l’OIT. Ces conventions sont assimilées par les directives à un point tel que le non-respect des obligations découlant des conventions de l’OIT pourrait entraîner le non-respect des directives sur les contrats publics, ce qui met en évidence la régionalisation des obligations découlant des conventions de l’OIT dans le cadre des contrats publics, en tant que secteur juridique spécifique.

Intéressant, pour vérifier le respect (ou non) des conventions de l’OIT, la communautarisation de ce domaine du droit international implique que ces conventions puissent être interprétées et appliquées non seulement par les autorités des États membres dans le cadre des contrats publics, mais aussi par l’UE (penser à une question préjudicielle découlant des directives de 2014 devant la CJUE). Dans ce contexte, il est inévitable de rappeler une particularité du droit de l’OIT selon laquelle l’interprétation des conventions de

of non-discrimination », REICH (N), NORDHAUSEN SCHOLES (A) et SCHOLES (J), Understanding EU Internal Market Law, Cambridge, Intersentia, 2015, p. 213, p. 218. Voir aussi, l’arrêt (sixième chambre) de 4 décembre 2003 (1) sur l’affaire EVN AG, Wienstrom G mbHet c. Republik Österreich, Stadtwerke Klagenfurt AG, C-448/01, paragraphe 35.

354 Penser à la manipulation des questions environnementales pour privilégier les entreprises nationales, ou pour dissimuler l’attribution d’un contrat motivée par le favoritisme ou par un acte de corruption.

355 Les conventions 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, la convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, 29 sur le travail forcé, 105 sur l’abolition du travail forcé, la convention 138 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi, 111 concernant la discrimination (emploi et profession), 100 sur l’égalité de rémunération et 182 de sur les pires formes de travail des enfants.

96 l’OIT appartient à la Cour internationale de justice356 ou à un autre tribunal dans le cadre du même droit de l’OIT.357 Ce sujet pose une question inévitable: l’harmonisation du droit des contrats publics dans l’UE, contribue-t-elle à la fragmentation du droit international du travail en vertu d’une double interprétation des conventions de l’OIT ?

Conclusions de la section 2

L’harmonisation au sein de l’UE implique une reconnaissance législative, ou une prise en charge, du lien entre les contrats publics et les droits de l’homme. Le droit des contrats publics de l’UE assimile le droit de l’environnement (ce qui a une incidence sur le droit à un environnement sain) et, dans le même temps, les clauses sociales renforcent le droit international du travail dans le cadre des contrats publics.358 L’humanisation des contrats publics et les objectifs secondaires se font sentir au sein de l’harmonisation à l’UE au détriment des facteurs exclusivement économiques. Cela ne signifie pas une contradiction entre la libre concurrence et les droits de l’homme au sein de l’UE pour les raisons suivantes:

Premièrement, les clauses sociales visent à renforcer les obligations déjà assimilés par les États dans le cadre du droit international conventionnel, en promouvant,de cette façon, une harmonie non seulement entre le droit des contrats publics de l’UE et d’autres secteurs du droit international interétatique, mais aussi entre l’ordre juridique européen et le droit international, ce qui peut être bénéfique pour la construction du droit international des

356 Paragraphe 1 de l’art. 37 de la Constitution de l’OIT: « Toutes questions ou difficultés relatives à l'interprétation de la présente Constitution et des conventions ultérieurement conclues par les Membres, en vertu de ladite Constitution, seront soumises à l’appréciation de la Cour internationale de justice ». Nous soulignons.

357 Paragraphe 2 de l’art. 37 de la Constitution de l’OIT: « Nonobstant… le Conseil d’administration pourra formuler et soumettre à la Conférence pour approbation des règles pour l’institution d’un tribunal en vue du prompt règlement de toute question ou difficulté relatives à l’interprétation d’une convention, qui pourront être portées devant le tribunal par le Conseil d’administration ou conformément aux termes de ladite convention.

Tous arrêts ou avis consultatifs de la Cour internationale de justice lieront tout tribunal institué en vertu du présent paragraphe. Toute sentence prononcée par un tel tribunal sera communiquée aux Membres de l’Organisation et toute observation de ceux-ci sera présentée à la Conférence ». Nous soulignons.

358 Ironiquement, les directives d’harmonisation du 2014 ne frappent pas directement la Convention concernant les clauses de travail dans les contrats passés par une autorité publique. Voir: BRUUN (N), JACOBS (A) et SCHMIDT (M), « ILO Convention No. 94 in the aftermath of the Rüffert case », Transfer. European Review of Labour and Research, numéro 16/4, 2010, pp. 473-488.

97 contrats publics dans la mesure où le risque de conflit entre les règles de deux ordres juridiques est réduit.

En deuxième lieu, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE)359 affirme que « L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté ».360 En conséquence, les clauses sociales des directives d’harmonisation font partie de la légalité européenne. Les politiques d’intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées dans le cadre des contrats publics ne supposent pas une attaque à la libre concurrence, mais l’application effective de la CDFUE dans le secteur des contrats public.

Troisièmement, en renforçant les deux raisons ici évoquées: dans le cadre du marché intérieur européen, la jurisprudence a déjà souligné que les critères purement économiques ne sont pas les seuls facteurs à prendre en considération pour l’attribution de contrats publics.361 Les critères sociaux doivent également être pris en compte afin d’assurer le respect des droits des personnes, en particulier des personnes vulnérables .

Avant de poursuivre, il convient de noter que l’UE n’est pas une organisation internationale exclusivement économique, ce qui pourrait faire la différence entre l’harmonisation au sein de l’UE et au sein d’autres organisations internationales et/ou dans le cadre de certains traités internationaux.

359 La professeure Silvia Borelli a commentée, justement, que: « The question concerns the balance between economic freedoms and social rights. In Rüffert, however, the result seems even more ‘unbalanced’ than the Laval (Case C-341/05) and Viking (Case C-438/05) decisions. For example, the European judges do not mention the Charter of Fundamental Rights, although it guarantees the right to fair and just working conditions (Article 31) », BORELLI (S), « Social clauses in public contracts, the Posted Workers Directive and Article 49 EC: The Rüffert Case », Transfer. European Review of Labour and Research, numéro 2/08, 2008, p. 359.

360 Art. 26.

361 Arrêt de 17 septembre 2002 sur l’affaire Concordia Bus Finland Oy Ab.

98 Conclusions du chapitre 1

Dans le cadre de la naissance et de l’évolution du droit des contrats publics de l’UE, il y a trois points à souligner:

a) le rôle de la jurisprudence dans le cadre d’une intégration économique régionale, b) l’assimilation des droits de l’homme dans les contrats publics, et

c) les traités internationaux de l’UE.

La relation entre les contrats publics et les droits de l’homme est large et n’est pas liée uniquement aux clauses d’exclusion des candidats dans le cadre des directives, mais aussi cette relation apparaît à travers les clauses d’exception. Les clauses d’exception constituent un standard dans le droit international économique qui sont présentes dans le cadre de l’AMP 2012362 de l’OMC et dans le cadre des accords de libre-échange.363 Ces clauses permettent de voir le côté social des contrats publics. Nous reviendrons sur cette question plus tard. Pour le moment, il faut retenir, d’une part, que les règles des contrats publics dans les traités internationaux font partie de l’évolution du droit des contrats publics dans l’UE et, d’autre part, que le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme avait déjà souligné

362 L’article III de l’AMP 2012 dispose ce qui suit:

« 2. Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les Parties où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent accord ne sera interprété comme empêchant une Partie d’instituer ou d’appliquer des mesures:

a) nécessaires à la protection de la moralité publique, de l’ordre public ou de la sécurité publique;

b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux;

c) nécessaires à la protection de la propriété intellectuelle; ou se rapportant à des marchandises fabriquées ou des services fournis par des personnes handicapées, des institutions philanthropiques ou des détenus ». Nous soulignons. Sans doute, la santé, la vie, les handicapées et les détenus concernent les droits de l’homme.

363 Par exemple, dans le cadre de l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et Viêt Nam signé à Hanoï le 30 juin 2019, l’article 9.3, dédié aux exceptions concernant la sécurité et exceptions générales, dit ce qui suit:

« 2. Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer une restriction déguisée au commerce international, aucune disposition du présent accord n'est interprétée comme empêchant une partie d'instituer ou d’appliquer des mesures:

d) se rapportant à des marchandises fabriquées ou des services fournis par des personnes handicapées, des institutions à but non lucratif exerçant des activités philanthropiques ou des détenus ».

99 en 2005 la légitimité des clauses d’exception en matière de droits de l’homme364 et notant aussi ce qui suit: « Il est donc nécessaire d’évaluer séparément les clauses d’exception des accords commerciaux pour comprendre comment elles pourraient être utilisées à des fins légitimes en matière de droits de l’homme ».365 Cette affirmation confirme la pertinence des clauses d’exception dans la construction du droit international des contrats publics.

Au sein de l’UE on peut dire que, en ce qui concerne les appels d’offres publics et la passation, il n’existe presque plus aujourd’hui de droit français, espagnol, lituanien, letton ou slovaque stricto sensu, mais un droit des contrats publics de l’UE harmonisé et en évolution.

Dans le droit de l’UE, les directives doivent être transposées dans la législation des États membres; si tel était le cas, peut-être, il serait plus approprié de parler des « nuances » du droit étatique des contrats publics en matière d’appels d’offres publics et de passation parmi les États de l’UE plutôt que de parler d’un droit français366, espagnol367, italien368 etc, dans la mesure où le droit interne de chaque État est la conséquence d’une transposition des directives européennes.

Dans le cadre de la naissance et de l’évolution du droit des contrats de l’UE, il est vrai que les règles visent essentiellement l’ouverture du marché. Cependant, il y a différentes règles sur la modification de contrats en cours369, sur la résiliation du contrat370 et sur les questions environnementaux, sociaux et du travail dans le cadre des directives, lesquelles constituent

364 HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME, Les droits de l’homme et les accords commerciaux internationaux. Utilisation des clauses d’exception générale pour la protection des droits de l’homme, N. York et Genève, 2005, p. 5.

365 Idem.

366 LICHERE (F), « Transposition of the Public Procurement Directive in France: between over implementation and questionable implementation », in Modernising Public Procurement. The Approach of EU Member States (TREUMER (S) et COMBA (M), éditeurs), Cheltenham / Northampon, Edward Elgar Publishing, 2018, pp.

93-111.

367 VALCARCEL (P), « Transposition of Directive 2014/24/EU in Spain: between EU demands and national peculiarities », in Modernising Public Procurement. The Approach of EU Member States (TREUMER (S) et COMBA (M), éditeurs), Cheltenham / Northampon, Edward Elgar Publishing, 2018, pp. 232-259.

368 COMBA (M) et RICHETTO (S), « Transposition of the 2014 Public Procurement Package in Italy: meeting the deadline without really doing so », in Modernising Public Procurement. The Approach of EU Member States (TREUMER (S) et COMBA (M), éditeurs), Cheltenham / Northampon, Edward Elgar Publishing, 2018, pp.

135-153.

369 Art. 43 de la directive 23/2014, art. 72 de la directive 24/2014, art. 79 de la directive 25/2014.

370 Art. 44 de la directive 23/2014, art. 73 de la directive 24/2014, art. 80 de la directive 25/2014. Sur l’art. 73 de la directive 24/2014, voir : VALEIJE (I), « La prohibición de contratar con el sector público y otras consideraciones accesorias », Estudios penales y criminológicos, vol. XXXVIII (extr.), 2018, pp. 491-493.

100 également une progression législative en ce qui concerne l’harmonisation du droit des contrats publics au stade de l’exécution du contrat. L’évolution se poursuit.

101 Chapitre 2. L’orientation du droit des contrats publics de l’UE

Dans le cadre la construction d’un éventuel droit international des contrats publics, il est important remarquer la relation entre le droit international et les ordres juridiques communautaires tels que le droit de l’UE. En ce qui concerne le droit des contrats publics de l’UE et l’Accord plurilatéral sur les marchés publiques de 2012 (AMP 2012)371, la relation est considérée « consistante »372, y compris le principe de non-discrimination.373

Dans le cadre du droit des contrats publics de l’UE, il y a quelques questions qui méritent des réflexions, surtout s’il s’agit d’un ordre juridique flexible et imparfait aussi.

L’imperfection fait partie de l’évolution et la flexibilité lui permet de sauvegarder sa propre évolution. Dans cette ligne, la jurisprudence met en évidence que l’harmonisation au sein de l’UE n’est pas rigide ni abstraite, mais c’est un ensemble de règles adaptées à la réalité de diverses circonstances.374

Dans l’harmonisation au sein de l’UE, la transparence et les recours sont « intimement » liés375, ce qui confirme la nécessité d’avoir des définitions et règles claires et recours effectifs

371 Voir: dans le cadre de la directive 23/2014, les considérations 65 et 84, les arts. 9 et 53 et le paragraphe 1 de l’annexe 16; dans le cadre de la directive 24/2014, les considérations 17, 18, 80, 98, et 134, le paragraphe 1 de l’art. 6, l’art. 25 et le paragraphe 11 du point I de la partie B de l’annexe V de la directive 24/2014; dans le cadre de la directive 25/2014; dans le cadre de la directive 25/2014, les considérations 27, 28, 103, arts. 17, 43, lettre c) du paragraphe 2 de l’art. 83 et l’art. 108.

372 CANTORE (C) et TOGAN (S), « Public Procurement in the UE », in The Internationalization of Government Procurement Regulation (GEORGOPOULOS (A) et al éditeurs), Oxford University Press, 2017, p. 160.

373 Les professeurs Carlo Maria Cantore et Subidey Togan notent que le régime d’exceptions est « largement conforme » à l’AMP 2012 et affirment que les innovations des directives de 2014 peuvent constituer « useful blueprints for future negotiations » dans le cadre de l’AMP 2012, idem, p. 160.

374 Dans ce contexte, l’arrêt de la CJUE du 26 septembre 2019 (cinquième chambre) remarque que « le considérant 41 de la directive 2014/24 prévoit qu’aucune disposition de celle-ci ne devrait empêcher d’imposer ou d’appliquer des mesures nécessaires, notamment, à la protection de l’ordre public, de la moralité et de la sécurité publiques, à condition que ces mesures soient conformes au traité FUE, tandis que le considérant 100 de cette directive précise que les marchés publics ne devraient pas être attribués, notamment, à des opérateurs économiques qui ont participé à une organisation criminelle », paragraphe 35. Et « spécifiquement, la Cour a déjà jugé que la lutte contre le phénomène d’infiltration du secteur des marchés publics par la criminalité organisée constitue un objectif légitime susceptible de justifier une restriction aux règles fondamentales et aux principes généraux du traité FUE qui s’appliquent dans le cadre des procédures de passation des marchés publics (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF, C‑425/14, EU:C:2015:721, points 27 et 28) », paragraphe 37. C‑63/18.

375 ERICSON (A) et GROUSSOT (X), « The Obligation of Transparency in EU Public Procurement Law », in Discretion in EU Public Procurement Law, BOGOJEVIC (S) et al, éditeurs), Oxford, Hart, 2019, p. 112

102 pour la sauvegarde de la libre concurrence (Section 1). D’ailleurs, si le droit des contrats publics de l’UE est un droit imparfait et un droit en constante évolution, il est nécessaire d’examiner ses limites et les incertitudes dans la relation entre le droit de l’UE et le droit international de l’investissement aussi dans la mesure où cette relation affecte les contrats publics (Section 2).

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