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Cette partie présente le contexte politique et économique du Vietnam contemporain. Notre thèse se situe à la frontière entre ces domaines. En effet, elle englobe des agents économiques et des agents politiques. Nous voulons saisir les grands traits de leurs organisations sociales respectives et de leurs rôles avant d’approfondir les liens qui les unissent, leurs points de rencontre. Cette partie aborde également les institutions culturelles auxquelles les agents sociaux se réfèrent, notamment l’institution qui modèle les comportements économiques en pleine évolution.

En ce qui concerne le domaine politique, il est à noter que le Vietnam se trouve dans une intense activité législative. Le recadrage étatique n’est pas terminé. La promulgation des différents textes juridiques suit l’avancée de l’ambitieux projet étatique de rénovation de l’administration publique et de mise en place de lois régulant la société et l’appareil étatique. Les responsables politiques procédant par essais, certains organes et certaines pratiques existent dans les faits mais n’ont pas de supports formalisés. D’autres sont en voie d’harmonisation avec un cadre formel fraîchement mis en place. Dans cette partie, nous utilisons les données déjà publiées sur l’organisation de l’appareil politique. Nos sources sont puisées dans les textes juridiques.

Les données économiques chiffrées disponibles au Vietnam sont partielles et relativement confuses. Plusieurs raisons permettent de l’expliquer : les changements successifs dans les méthodes de collecte, l’éclatement des organismes de collecte, le manque de moyens voire parfois de rigueur. Le système statistique capte mal le nombre, les revenus et la production des nombreuses entreprises issues de foyers familiaux qui représentent la majorité des unités économiques vietnamiennes. Une tradition d’évitement des impôts au Vietnam conduit à cacher les revenus et les activités pour éviter la taxation. L’analyse approfondie des données économiques mériterait une thèse complète, ce qui n’est pas notre objectif. Nous les utilisons à titre indicatif sans autre prétention que celle de nous faire une idée la plus claire possible du milieu économique.

La “ rénovation ” modifie le contexte économique et politique du Vietnam. Contrairement à l’ancienne Union soviétique et aux pays d’Europe de l’Est, la

transformation s’est produite en douceur. Certes, le Vietnam n’a pas évité une série de crises. Ces crises ont servi de moteur au changement d’orientation en matière de stratégie de développement. Chaque période d’engagement ou d’accélération des réformes a suivi une crise économique qui compromettait le développement économique et la légitimité des dirigeants. A l’inverse, les périodes de croissance voyaient la réapparition des divergences sur les nécessités de la libéralisation et sur les risques encourus à long terme du fait de la réforme. Mais le Vietnam a évité la récession économique, le désordre politique, le bouleversement brutal des structures économiques et sociales voire la guerre civile. Le Vietnam a, au contraire, restauré l’économie tout en maintenant la stabilité politique et sociale.

La structure rurale a largement facilité le changement. Le secteur agricole était plus à même de répondre aux réformes libérales que l’industrie. La motivation pour le changement était plus grande dans le milieu agricole que dans le monde industriel. Après le succès de la distribution initiale des terres aux paysans et leur offre massive de soutien aux forces communistes au cours de la guerre, les efforts de collectivisation avaient, au contraire, suscité le boycott de nombreux paysans. Certains avaient été jusqu'à détruire leurs récoltes. Depuis, la productivité était faible sauf sur les lopins privés (censés ne constituer que 5 % des terres mais assurant de l’ordre du tiers de la production) ; La production était, elle, insuffisante pour nourrir la population. L’État et les coopératives n’étaient plus en mesure d’assurer un débouché à tous les demandeurs d’emplois. La nouvelle distribution, l’autorisation des petites entreprises familiales et du commerce privé correspondaient aux attentes. Elles ne faisaient qu’étendre une pratique déjà expérimentée. Elles ne nécessitaient aucune connaissance supplémentaire de la part des paysans. Au niveau de l’organisation du travail, la libéralisation n’entraînait pas de changement du tout au tout. La coopération s’avérait de toute façon nécessaire dans la production rizicole, majoritaire, ce qui a permis à certaines fonctions des coopératives de durer. Elle a également facilité la renaissance des coopératives sous une nouvelle forme.

Le secteur agricole était aussi le secteur de loin le plus important de l’économie. La faiblesse du secteur industriel a réduit les effets de sa transformation sur la structure sociale. Car la transformation du secteur industriel n’a pas été moins difficile qu’en Europe. Un tiers des effectifs a été licencié, incité au départ ou mis à

la retraite en deux ans. Le nombre des entreprises publiques est passé de 12 000 à 6500 unités. Dans les secteurs du commerce, de la construction et de l’agriculture, c’est même la moitié des employés qui est débauchée.

Les changements réalisés n’ont pas été des moindres. Ils ont touché tous les secteurs de l’économie : l’agriculture, la production de biens, la distribution, jusqu’aux services financiers et au commerce extérieur. Les investissements étrangers se sont multipliés, les entreprises publiques ont été rénovées. Le Vietnam s’est intégré dans sa région et dans l’économie mondiale. Les autorités sont revenues sur l’appropriation collective des biens et sur le contrôle bureaucratique : la programmation des activités, la circonscription des échanges, la fixation des avenirs économiques ou professionnels ont été nettement assouplies. La transformation de l’économie s’est répercutée sur l’appareil politique. Les modalités d’extraction des ressources fiscales ont été revues, de même que leur répartition entre les différentes instances étatiques. Les attributions de compétences ont été bousculées pour étendre l’autonomie parlementaire et gouvernementale ainsi que l’autonomie régionale. Les compétences et les relations entre les agences étatiques ont été inscrites dans le cadre légal grâce à la promulgation de différentes lois organisant les corps d’État. En même temps, les ministères et les tribunaux ont été remodelés pour mieux rencontrer les impératifs de l’économie de marché. Les entrepreneurs ont, eux aussi, dû s’adapter à ce nouveau contexte, ce qui ne se produit pas sans difficultés.

Les deux chapitres sur la réorganisation des organismes étatiques et le tableau économique paraîtront succincts. Notre but dans cette partie n’est pas d’être exhaustif mais de situer le cadre des échanges entre l’appareil politique et les entrepreneurs. Au sein des deux autres chapitres de cette partie, nous aborderons cette fois les changements culturels dans l’institution économique et l’adaptation problématique des entrepreneurs à l’économie de marché.

Mais avant d’entrer dans ces différents chapitres, il convient de clarifier le sens des termes utilisés tout au long de l’étude. Tout d’abord, il faut savoir que nous employons le terme “ institution ” au sens large, en son acception culturelle. Ce terme englobe les schémas culturels et les types de relations sociales

correspondantes soit, dit autrement, une élaboration intellectuelle collective spécifique à un domaine et les modes associés de mise en pratique de celle-ci. Il existe des institutions philosophiques, religieuses, politiques, juridiques, économiques, sociales, etc. qui permettent de parler de système juridique, de système économique, de système familial, etc..

Nous réservons au terme “ organisation sociale ” la conceptualisation des abstractions qui régissent et rationalisent le travail commun telle une administration ou une entreprise. Nous nous référons à la définition de Gurvitch sur l’essence de ce concept, pour qui les organisations sont conçues comme “ des conduites collectives préétablies, qui sont aménagées, hiérarchisées, centralisées d’après certains modèles réfléchis et fixés d’avance dans des schémas plus ou moins rigides, formulés dans des statuts ”. Toutefois, nous l’étendons aux agents humains, à leurs outils et aux locaux qui sont nécessaires à la mise en pratique des conduites collectives préétablies.

La définition des deux termes “ organisation ” et “ institution ” est parfois inversée. L’organisation reflète dans ce cas “ le mode d’organisation ” à l’intérieur d’une société sur la base des schémas culturels. L’institution définit à l’inverse un groupement d’hommes au travail : cette définition est plus volontiers utilisée par les juristes pour parler par exemple des “ institutions étatiques ”. Ces deux modèles de définition contradictoires sont devenus si courant qu’ils se juxtaposent parfois chez un même auteur, selon qu’il aborde une partie juridique, économique, sociologique ou anthropologique.

Le terme “ entreprises ” possède lui aussi plusieurs sens. Dans la plupart des textes, les approches économiques et juridiques se rencontrent, alors que les chercheurs de ces deux disciplines n’ont malheureusement pas harmonisé leurs termes. Juridiquement parlant, une entreprise est une unité économique de base, familiale en général, dont le propriétaire est responsable des gains et dettes sans limitation. En cas de déficit, ses biens personnels seront saisis pour couvrir les pertes. Les autres unités économiques, sont des “ sociétés ” dans les textes francophones ou des “ compagnies ” dans les textes anglophones. En revanche, l’économie utilise volontiers le terme “ entreprise ” pour décrire toute unité économique (le terme “ entrepreneur ” est même parfois associé à “ grands

entrepreneurs ”). La classification “ P.M.E. ” est un exemple de cette fusion : elle regroupe les notions d’entreprise, de SARL voire de S.A. (ou S.P.A. dans les traductions vietnamiennes en langue française) et différents types de propriété, individuelle, familiale, coopérative et étatique. Nous utilisons donc le terme entreprise en son acception économique.

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