• Aucun résultat trouvé

ENTREPRISES ACTIONNARISÉES ET LEUR MAÎTRISE DE LA TRANSFORMATION

Les textes relatifs à la transformation des entreprises publiques en sociétés par actions prévoient de renouveler la relation entre les salariés et leur entreprise pour accroître leur implication par le biais de la propriété. Ils proposent un modèle en vertu duquel lequel les salariés participeront activement aux décisions courantes de la future entreprise et peuvent d’ores et déjà participer à la transformation des entreprises. En fait, les salariés sont progressivement écartés du processus de transformation.

La décision n° 202 du 8 juin 1992 et la directive n° 84 du 7 mai 1996 classent les salariés et les anciens salariés comme les acquéreurs potentiels prioritaires. La structure du capital de l’entreprise transformée, proposée par la Commission centrale de transformation, privilégie les salariés à hauteur de 40 à 50% des parts199. La décision n° 202 précise que l’achat des actions par les salariés

permettra de valoriser leur statut de propriétaire. La propriété sera certes authentifiée par un acte individualisé, mais en définitive, le pouvoir décisionnel des salariés risque d’être faible : la suggestion de la commission centrale de transformation ne peut se réaliser que lorsque la valeur des entreprises est peu élevée, car, autrement, il y aurait trop peu de salariés proportionnellement à la valeur des entreprises pour leur permettre d’acquérir la part prévue des actions. Dans le cas de valeur d’entreprise élevée, le pourcentage possédé par les salariés, seuls ou groupés, ne leur permettrait

pas de peser sur les décisions. Notons pourtant que l’objectif est globalement atteint dans les cinq entreprises transformées durant la première phase. La part possédée par les salariés est respectivement de 33,06 % pour GEMADEPT, 50 % pour REE, 35,15 % pour HIEP AN, 50 % pour VIFOCO et 40 % pour LAFOOCO200 ce qui

laisse à leur représentants un potentiel décisionnel non négligeable.

De fait, les salariés se montrent pour la plupart opposés à la transformation. Les membres du personnel ne tiennent pas à entrer dans le nouveau modèle proposé par l’État. Ainsi, les directeurs d’entreprise craignent la transformation. D’une part, la propagation du critère de la rationalité économique ne leur permettra plus d’utiliser les fonds à leur gré et aucune structure supérieure ne pourra compenser les effets négatifs d’une décision malheureuse, la génération de pertes financières par exemple. D’autre part, leurs compétences posent problème ; certains manquent d’une formation adéquate parce qu’ils ont été recrutés exclusivement sur la base du critère politique ou de la concussion ; d’autres ont été formés pour occuper ces fonctions mais leur formation est inadaptée à l’économie de marché. Beaucoup ont peur d’être remplacés par de nouveaux chefs d’entreprises.

Les autres salariés n’ont pas intérêt à changer de statut. Leur emploi est assuré jusqu'à l’âge de la retraite. De plus, le partage des fonds de récompenses et de bien être constitue une recette souvent plus importante que le salaire, même dans les entreprises déficitaires grâce à un jeu d’écriture incluant de “ faux profits ” dans la comptabilité. Selon les réglementations du Ministère des finances, les entreprises publiques doivent prélever au minimum 35 % des bénéfices pour alimenter les fonds de production. Le montant des prélèvements pour le fonds de récompenses ne doit pas excéder, lui, six mois de la masse salariale. En fait, la plupart des entreprises ne prélèvent que le minimum autorisé pour alimenter le fonds de production et répartissent le reste entre les fonds de bien-être et les fonds de récompenses, tous deux distribués aux salariés. Or, le revenu total que pourrait leur procurer l’entreprise transformée paraît inférieur à celui qu’ils reçoivent. Ainsi, les membres de la société BINH MINH ont calculé qu’en cas de transformation, les primes annuelles seraient réduites de moitié (5,8 millions de đồngs au lieu de 12 millions) ce qui les ont poussé à refuser la transformation.

Face à la mauvaise grâce de l’ensemble du personnel, l’appareil politique reprend la main. Il écarte le personnel de la transformation, tout en le rassurant sur son avenir au sein de la future entreprise. En effet, alors que la décision n° 202 et la directive n° 84 réservaient aux salariés un potentiel de négociation important dans les délibérations sur la transformation des entreprises, l’arrêté n° 44 du 29 juin 1998 revient sur ce privilège : la transformation n’est plus soumise à l’approbation des salariés. Elle est décidée par les autorités compétentes, en particulier les autorités de tutelle. En revanche, le personnel des entreprises transformées est mieux protégé, car chaque entreprise transformée est tenue d’employer tous les salariés de l’ancienne entreprise publique. L’arrêté garantit l’emploi durant douze mois, à compter de la date d’immatriculation de la société par actions. Lorsque le Parti communiste relance ensuite le processus de transformation, il ne s’agit plus d’impliquer les salariés mais de lier les capitaux publics et privés.

Au regard de tout ce qui précède, il est clair que les entrepreneurs sont confrontés à une profonde transformation de l’univers culturel permettant d’organiser les activités économiques. Les bases culturelles et morales perdent leur clarté utopique. Elles s’enrichissent mais se fixent en même temps dans des espaces qui, pour être bons à dose mesurée, peuvent devenir des facteurs de régression.

Les valeurs socialistes restent des points d’ancrage. Elles bénéficient de la puissante aura du Parti communiste, outil de l’indépendance, garant de l’ordre et dépositaire de la morale. Pourtant la morale disparaît dans les relations économiques nouvelles et ce, jusque dans les actes de certains responsables syndicaux ou de responsables de cellules du Parti qui n’hésitent pas à profiter de leur position au mépris des intérêts des travailleurs. Le nationalisme est affirmé aussi bien en ce qui concerne l’existence d’un corps national uni, une communauté soudée, que pour ce qui se rapporte au pays et à ses habitants dont la fierté est attisée.

La religion connaît un renouveau. Chaque religion apporte ses valeurs propres. Le contenu dogmatique n’est toutefois pas aussi important au Vietnam que la fonction d’intégration, de promotion et de prestige social des religions. Il n’y a donc pas de véritable confrontation sur le contenu entre religion et socialisme. La

confrontation porte sur le pouvoir acquis par les églises sur leurs fidèles car il entame le monopole du Parti communiste.

L’obéissance à l’État n’est plus seulement affaire de participation militante depuis que le droit, les incitations financières, matérielles et techniques remplace la mobilisation. Suivre son intérêt financier n’est plus critiquable. Les incitations financières reposent justement sur ce principe. Le Parti communiste appelle même à l’enrichissement de chacun.

Des techniques nouvelles de gestion et de conduite des activités provenant du secteur privé comme du secteur public (sous l’impulsion étatique) submergent les entrepreneurs. Ces techniques changent les gestes et les raisonnements familiers. Elles posent les jalons d’une autre conception de la relation entre l’homme, les pouvoirs publics et l’entreprise. Les certitudes tombent. La propriété, les acquis sociaux, la hiérarchie décisionnelle ou la participation directe de l’État sont remis en cause. L’utilitarisme se répand. Les responsabilités, la communication, sont mis en exergue chez les cadres, de même que le qualitatif dans la production. L’ordonnancement administratif des activités, des rôles et des relations humaines vole en éclat. Sa disparition laisse place à plus de liberté, d’initiatives et de créativité. Mais, elle accroît l’instabilité, les rivalités et la compétition autant entre les entreprises qu’entre les hommes. Elle bouleverse les relations entre les acteurs qu’il s’agisse d’élites, des diverses catégories de personnels et/ou d’organismes. Elle laisse également des hommes mal préparés au nouveau cadre volontariste et individualiste. Se pose alors la question de leur adaptation à l’économie de marché.

CHAPITRE Quatrième : L’ADAPTATION

Outline

Documents relatifs