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III RESPONSABILITÉ, CRÉATIVITÉ, CHOIX, AUTONOMIE : LE BOULEVERSEMENT DES MODÈLES DE CONDUITE

Avec la mise en place de la gestion autonome, les entreprises peuvent organiser librement leurs activités productives et commerciales. Elles restent toutefois soumises aux critères de vente. La réforme propulse les entreprises vers

lotissements réservés aux étrangers qui apparaissent à Hanoï témoignent du besoin de se distancer éprouvé par certains étrangers.

196 Nous avons été témoins de nombreuses scènes de ce type. Les origines sont diverses, bousculades, heurts à vélo ou en cyclomoteur, négociations avec une marchande de rue ou rivalités entre les marchandes, problèmes personnels.

l’arène du marché. Elle favorise la propagation d’une préoccupation utilitariste. Les entreprises doivent être efficaces pour obtenir, sinon des bénéfices, du moins un équilibre entre les recettes et les coûts afin de garantir leur durabilité. La réforme remet en cause le rôle des agents économiques dans les décisions, les critères qu’ils doivent appliquer pour orienter leur travail quotidien et leur statut. Les membres des entreprises doivent adapter leur comportement en conséquence.

Le déclin du cadre administratif dans les unités de production oblige les cadres à développer un sens des responsabilités et de la communication que ne leur a pas forcément légué leur formation ou le mode de gestion administratif. Le propre de l’administration est, en effet, d’organiser les fonctions et de modéliser les échanges entre les différentes fonctions. Chacun exerce un rôle particulier et chaque tâche est déterminée et mesurée. L’administration règle les échanges. Les agents s’effaçaient derrière l’abstraction administrative qui était le moteur du processus. Ils s’en tenaient à l’échéancier inscrit dans leur rôle. Ils n’assumaient pas les réussites ou les défaillances constatées, imputées à l’organisation administrative. Avec le déclin de l’administration, les hommes doivent désormais devenir maîtres de leurs actes : ils doivent les concevoir, les programmer, en prévoir les conséquences et assumer les résultats. Ils doivent aussi transmettre leurs directives ou leurs avis, savoir les présenter à leurs subordonnés ou à leurs collègues. C’est donc tout un apprentissage qui est à faire tout du moins pour les agents qui ne s’étaient pas impliqués dans les circuits parallèles lorsque l’économie était planifiée, et particulièrement pour les cadres mis dans une situation inconfortable. Car avec la réforme des entreprises publiques, les fonctions de direction et d’encadrement sont valorisées. Les cadres sont soumis à une pression d’autant plus forte.

Les membres des services d’études doivent faire preuve de capacités de création pour améliorer les produits ou les procédés de travail. Dans l’administration, les besoins de durabilité des règles administratives entrent en contradiction avec les changements fréquents de l’esprit créatif. Celui-ci s’en trouvait freiné. Dans l’économie planifiée, les entreprises ne sont pas obligées d’améliorer produits et procédés puisque la concurrence n’existe pas. Liée à l’économie de marché, la concurrence impose, avec brutalité, de produire des biens qui plaisent aux clients potentiels, d’améliorer ou de renouveler ces biens et de

réduire les coûts de production en transformant les procédés de travail. La créativité est donc nécessaire. Elle porte sur le qualitatif, ce qui bouscule la gestion administrative. L’émulation se fait sur les ventes. Elle tourne donc le regard vers l’extérieur. La recherche créative ne concerne qu’une minorité de personnes dans les entreprises, regroupées en services d’études. Comme nous le verrons par la suite avec l’exemple de l’entreprise de fabrication d’objets en plastique d'Hanoï, beaucoup de services d’études se contentent d’importer des techniques et des technologies étrangères et de copier les modèles des produits déjà existants198. L’impact créatif de

l’économie de marché se trouve donc réduit durant la décennie 90. Il écorne tout de même le système de comptabilisation qui doit inventer les moyens de prendre en compte le facteur qualitatif à la fois dans la description de la production de l’entreprise et dans la programmation de sa production à venir.

Conséquence des précédentes remarques, la libéralisation revalorise l’importance du choix. La possibilité de choisir favorise les actes de volonté. Mais qui dit acte de volonté, dit frictions entre les agents. En effet, les volontés ne sont pas plus uniformes que les individus. Le choix fait naître des désaccords, des confrontations de volonté. Accroissant les litiges, il augmente le besoin de recours à des instances capables de les résoudre, donc aux tribunaux et aux organes d’arbitrage. Il génère aussi une relation de pouvoir. Cette relation s’exprime non seulement lors d’un conflit avec celui qui impose ou à qui l’on impose sa volonté, et envers l’organe en charge de la résolution du litige, mais aussi envers celui à qui l’on confie éventuellement le soin de choisir. Le choix est un acte inconfortable qui demande des connaissances et du temps. Par facilité, par manque de connaissance ou de temps, beaucoup renoncent à choisir et s’en remettent à autrui. Deux types de prétendants offrent leurs services : des individus et des organisations, notamment les organisations d’assistance qui développent ainsi leur réseau de pouvoir.

A l’intérieur des entreprises, l’introduction des valeurs libérale bouscule les données du pouvoir en dehors de la seule question du choix. La nouvelle économie renforce l’importance des syndicats dans le sens où elle rend les situations sociales précaires, ce qui accroît le besoin d’être défendu et soutenu. Les textes législatifs les

198 PHAM NGOC Thoa, TRINH THI Tam, 1993, La gestion de la qualité. Exemple de l’entreprise de fabrication des objets en plastique de Hanoi, mémoire de recherche, Centre franco-

orientent d’ailleurs vers ce rôle. La vigueur des arguments et la perception de la crédibilité des syndicats sont entachées par de nombreux points. Cela va de la nouvelle hiérarchisation de la société sur le critère de l’argent à la valorisation des dirigeants d’entreprise et de leurs succès personnels ainsi qu’à la participation des membres des syndicats et des cellules du Parti à des entreprises privées qui montrent une tendance à l’exploitation des travailleurs. Ces phénomènes concourent à la perte de repères chez de nombreux travailleurs, enclins à suivre les meneurs charismatiques. Cette voie permet à certains employés du secteur public de passer dans le secteur privé ou d’y trouver un emploi complémentaire grâce à l’entremise d’un cadre devenu patron qui forge ainsi son pôle de pouvoir personnel.

Les moyens employés dans le fonctionnement des économies de marché contribuent eux aussi à bouleverser l’univers entrepreneurial. La diffusion de la comptabilité, soutenue par l’obligation étatique de l’utiliser, conduit les entrepreneurs publics et privés à connaître l’état de leur entreprise ce qui leur permet ou leur permettra de prévoir les actions à réaliser. Elle ouvre l’accès à une nouvelle connaissance en plus de la production : le produit de la vente, le coût des intrants, des infrastructures, des salaires, etc.. L’acquisition de cette connaissance porte les germes de la rationalisation des avoirs et des actes. Elle en est tout au moins un préalable indispensable. La contractualisation des relations économiques revêt également une grande importance. Le contrat représente tout d’abord une inversion du système précédent de stabilisation des relations économiques. Durant la phase administrative, la stabilisation était assurée par l’exercice d’une activité économique intégrée dans un ensemble et épurée de choix. Ce type de stabilisation présentait l’avantage d’annihiler toute intrusion intempestive d’un désaccord. Trop contraignant, le cadre structurant générait pourtant des pratiques de contournement imprévisibles. Avec le nouveau système de stabilisation, l’homme jouit d’une autonomie économique. En revanche, il n’est pas complètement libre. Il agit dans un cadre limitatif : des garde-fous fixent des limites à son activité et lui garantissent des droits prédéfinis. Ce système présente les inconvénients d’être moins confortable et d’être source d’abus dans le cas où le cadre n’est pas respecté. Ensuite, le contrat sort de l’ombre le résultat de l’activité économique. Dans la relation bureaucratique, le résultat de l’activité a moins d’importance que le positionnement dans une

fonction. Avec le contrat, le résultat et l’exercice de l’activité sont mis en exergue puisqu’ils sont en général l’objet du contrat notamment dans le cas des contrats de production et des contrats de travail.

Tous ces changements ne sont pas sans conséquences sur le statut des salariés dans les entreprises actionnarisées.

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