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III LA DIFFICILE MODERNISATION DES ENTREPRISES PUBLIQUES

Peu après le début de la “ rénovation ”, les entreprises publiques subissent le contrecoup des politiques leur octroyant l’autonomie et mettant un terme aux subventions. Elles améliorent ensuite leurs performances grâce à la revitalisation des entreprises publiques amorcée par l’État.

Au début de la décennie, la plupart des entreprises publiques, y compris les petites entreprises, ne sont pas spécialisées. Leurs multiples activités entraînent une mauvaise qualité des produits, affaiblissent la productivité et alourdissent la gestion notamment pour la détermination du prix de revient. L’appareil de gestion est complexe. Il ne permet pas de réagir à temps aux besoins des clients, ce qui entraîne des pertes de commandes. De plus, le plan de production et l’appareil de gestion font l’objet de changements fréquents au gré des autorités de tutelle ce qui désorganise la production et décourage les investisseurs étrangers potentiels qui pourraient participer au processus de modernisation. Le caractère patrimonial rencontré dans les entreprises privées existe également au sein des entreprises publiques. Le recrutement est marqué par la logique familiale et relationnelle213. Le renforcement

de l’autonomie des entreprises conduit souvent à l’instauration du pouvoir absolu du directeur214. De plus, la motivation des salariés est insuffisante et les mécanismes de

contrôle ne jouent pas leur rôle. Certaines ressources allouées par l’État sont affectées au service d’intérêts de particuliers ou de groupes de particuliers. Les bas salaires conduisent bon nombre de salariés à exploiter abusivement les outils de l’entreprise pour leur compte personnel, à vendre des informations ou à quitter l’entreprise pour d’autres notamment, lorsqu’ils sont qualifiés, celles à capital étranger.

Le contexte financier et matériel alourdit le poids de ces facteurs. Les fonds propres de la plupart des entreprises publiques sont insuffisants. Leurs fonds de

213 Voir HENAFF Nolwen, 2001, op. Cit., p. 152. Les employeurs préfèrent embaucher des personnes qu’ils connaissent. “ C’est ainsi que même les employés temporaires des entreprises d’État sont, chaque fois que c’est possible, d’anciens employés de ces entreprises, et que les unités de l’administration ont souvent un caractère familial ”, p. 152.

roulement ne représentent que 10 % du capital par rapport aux 30 % stipulés par le Gouvernement. Les entreprises contractent donc des emprunts à court terme, ce qui entraîne un rendement plus faible et des défaillances dans l’acquittement des dettes. Les impayés entre ces entreprises sont fréquents, ce qui crée des dettes et des créances non recouvrables. Le service de la dette mobilise une part importante des recettes de l’entreprise. En raison du matériel légué et du manque de capitaux, les entreprises publiques accusent un retard en matière de technologie par rapport aux pays voisins. Cu Huy Ha Vu indique qu’au sein des entreprises gérées par les ministères, 54,3 % sont dotées d’outils rudimentaires, 41 % d’outils mécanisés et 4,7% d’outils automatisés. Les pourcentages sont encore inférieurs pour les entreprises relevant des collectivités locales. De 1991 à 1995, faute de capitaux, seulement 10 % des outils ont été renouvelés215. Les entreprises publiques sont dès

lors fragilisées face à la concurrence de plus en plus forte des produits importés et des produits fabriqués sur place par les entreprises à capital étranger.

Une PME publique, l’entreprise de fabrication des objets en plastique d'Hanoï, illustre les problèmes rencontrés par les entreprises du secteur public. Cette entreprise fait partie des entreprises nationalisées gérées au niveau national. Elle réalise des bénéfices sans toutefois être stable216. Elle est touchée de plein fouet par

le marché concurrentiel de la décennie 90, car, dans le domaine des produits en plastique, la concurrence des produits étrangers est forte. Les prix des articles produits à l’étranger sont faibles et les vendeurs locaux ventent leur qualité supérieure.

Les différentes fonctions exercées au sein de l’entreprise sont réparties en services et en ateliers. Il y a 4 ateliers et 9 services (comptabilité, secrétariat, santé, cantine et entretien sous la responsabilité d’un directeur adjoint ; plan de production, technique et technologie, contrôle de la qualité sous la responsabilité d’un autre directeur adjoint qui gère également les ateliers).

215 CU HUY Ha Vu, 1999, op. Cit., p. 84.

216 Parmi les entreprises gérées au niveau national, 30 % réalisent des bénéfices, 40 % surmontent les épreuves mais restent instables et 30 % subissent des pertes. Voir la revue Les nouvelles économiques

Les effectifs de l’entreprise ont baissé de près de 50 % entre 1988 et 1993. Pour cela, l’entreprise a offert des indemnités de départ et mis en place des préretraites.

Tableau 30 : Effectifs dans l’entreprise de 1988 à 1992

1988 1989 1990 1991 1992

Effectifs 505 325 300 265 252

Source Pham Ngoc Thoa, 1993, p. 7. Les chiffres ont été fournis par le directeur de l’entreprise.

Cette entreprise tient une comptabilité autonome comme l’exige la nouvelle réglementation sur la comptabilité nationale. Contrairement à la période précédente de subventions, elle est responsable de ses bénéfices et de ses pertes. Les machines sont usées. Le budget d’investissement est limité, ce qui ne permet pas de les changer.

Avant 1988, l’entreprise produisait les objets en plastique selon les carnets de commandes et les plans de l’État. De 1988 à 1992, elle a produit environ 30 gammes d’objets (sandales, seaux, petits sacs, bacs, bols, étuis...). L’attitude passive au moment de l’ouverture a placé l’entreprise en position de faiblesse par rapport à la concurrence des entreprises du Sud et des entreprises étrangères. En dépit de la concurrence, l’entreprise se montre apathique par rapport au marché et à la qualité de sa chaîne de production. Il n’existe pas de stratégie d’innovation réelle. Les produits de l’entreprise ne changent pas. L’entreprise se contente de les modifier en imitant les produits saïgonnais et étrangers.

Tableau 31 : Part d’imitation dans la production des sandales blanches, des seaux, des bacs et des étuis en 1993 (en pourcentage de la totalité des gammes

produites)

1988 1989 1990 1991 1992

30 % 30 % 40 % 47 % 43 %

Source : Pham Ngoc Thoa, Trinh Thi Tam, 1993, pp. 10-11. Ces informations ont été fournies par le directeur de l’entreprise.

L’entreprise ne dispose pas de service de développement des ventes et n’a jamais réalisé d’étude de marché pour connaître les besoins potentiels des consommateurs ou leurs réactions face aux produits de l’entreprise. Seuls les vendeurs du petit magasin d’entreprise recueillent les informations du marché et les plaintes de clients vis-à-vis de leurs produits ou de ceux des concurrents. Deux élèves du centre franco-vietnamien de formation à la gestion ont réalisé une brève étude de marché dans le cadre de leur mémoire de recherche. Ils ont interrogé 15 distributeurs d’articles en plastique dans les marchés de Dong Xuan et Chợ Hom. Les produits de l’entreprise d'Hanoï sont de moins bonne qualité que ceux des concurrents tant au niveau des normes techniques, des formes et des couleurs. Les consommateurs préfèrent acheter les autres, même lorsque le prix est légèrement supérieur. Les produits fabriqués en Chine ou à Hô Chi Minh-ville sont les plus demandés. Ils copient les produits de Thaïlande, et leur prix est inférieur. La plupart des produits vendus par l’entreprise d'Hanoï ont atteint leur phase de maturité puisque l’entreprise ne gagne plus de part de marché. S’ils répondent encore à des besoins de consommation, les produits vendus s’orientent, à terme, vers le déclin217.

La question de la distribution des produits ne se pose à l’entreprise que depuis 1988. Auparavant, elle ne se préoccupait pas de la distribution de ses produits. Elle dispose de trois réseaux de vente : par l’intermédiaire d’un grossiste puis d’un détaillant ; par l’intermédiaire d’un détaillant seul ; ou directement au client final (grâce à un magasin d’entreprise situé près du siège, présentant les produits et assurant une vente au détail). Le premier canal est le plus important. Il représente 60 % des ventes de l’entreprise. Dans ce domaine également, l’entreprise reste en position passive. Ce sont les grossistes qui contactent l’entreprise pour lui acheter des produits. Celle-ci n’a aucune action qui permettrait de développer son marché potentiel. Elle n’a jamais fait de publicité depuis sa fondation. Les dirigeants ne voient pas la nécessité de le faire. Ils ne connaissent pas non plus les résultats apportés par la publicité en matière d’accroissement des ventes.

Il n’y a pas, non plus, de rationalisation de la production au sein de l’entreprise en termes de gain de temps, de matières premières ou de moyens techniques et humains218.

Les défauts de qualité des produits, par rapport aux standards définis par le service de la technologie219, ne constituent pas un souci prioritaire des dirigeants. Ils

ne formulent aucune exigence pour les limiter. Les membres du personnel ne s’en préoccupent pas non plus. Aucun service ne cherche à diminuer les produits mal manufacturés. Ces produits représentent pourtant 30 % des produits finis selon l’enquête menée dans l’entreprise par les deux élèves du C.F.V.G..

Le service de contrôle de la qualité vérifie les produits à la dernière phase du processus de production seulement, pour éliminer les produits non conformes. Le contrôle si tardif ne permet pas de découvrir les causes de défauts. Les contrôleurs se retranchent derrière le cahier des charges. Ils ont déclaré aux deux élèves du C.F.V.G. : “ Nous contrôlons seulement la qualité, nous ne sommes pas en charge de déterminer les causes de défauts ”220. Les contrôleurs hésitent à prendre des

initiatives à moins que ce ne soit leur environnement qui les empêche d’en prendre. Et ce, même si de telles initiatives ne servaient qu’à sensibiliser la direction sur l’importance d’une recherche des causes.

Les ouvriers s’en tiennent strictement à leur charge de produire. Leur rémunération n’est pas fonction du résultat obtenu : ils toucheront le même salaire que les objets soient défectueux ou non.

Les ingénieurs sont les seuls à avoir recherché les causes de mauvaise manufacture. Ils se reportent à l’obsolescence des machines et à la mauvaise qualification des ouvriers. Ils justifient leur renonciation à résoudre le problème par des impératifs externes à leur fonction : le manque de moyens pour changer les machines ou pour payer des formations aux ouvriers actuels ainsi que le manque de main-d’œuvre qualifiée disponible sur le marché pour remplacer les ouvriers sous- qualifiés.

218 PHAM NGOC Thoa, TRINH THI Tam, 1993, op. Cit., p. 12.

219 Les standards définis par le service de la technologie de l’entreprise se réfèrent à la fois aux normes techniques publiées par le département général de standardisation, métrologie et contrôle de qualité (étatique) et aux normes sanitaires définies par le Ministère de la santé. Ils prennent aussi en compte les choix de couleur, de forme et de style.

Le directeur se décharge de la responsabilité du contrôle et avance lui aussi une cause impérieuse. Il a déclaré “ C’est la charge du bureau de contrôle de la qualité des produits. Je suis très occupé, j’ai beaucoup de soucis sur l’écoulement des produits, la situation financière de l’entreprise, les matières premières, les revenus des salariés... Je ne sais pas comment faire pour améliorer la qualité de nos produits, car nos machines sont très obsolètes, nous n’avons pas de capitaux pour équiper des machines modernes ”221. Or, si la qualité est due à l’obsolescence des

machines, elle est tout autant liée aux bas salaires, au désintérêt du personnel et aux mauvaises conditions de travail. Cette optique n’est pas prise en compte et ne peut donc pas être solutionnée. Le directeur ne cite pas non plus la mauvaise qualification des ouvriers repérée par les ingénieurs. D’ailleurs, la formation continue est très limitée. “ Durant l’histoire de l’entreprise, seuls 3 ouvriers ont été autorisés à suivre des formations continues dans le cadre du programme de l’Institut polytechnique. La direction ne voit pas la nécessité des recyclages (...) ”222. Au-delà de 1993, nous ne

disposons pas d’éléments pour pouvoir juger du devenir de cette entreprise.

Dans la seconde moitié de la décennie, un tel tableau, illustré par l’entreprise de plastique d’Hanoï, change radicalement. Les efforts de l’État en faveur du secteur public portent leurs fruits. Grâce aux investissements publics et aux avantages fiscaux, les performances des entreprises sont nettement améliorées. Leur production s’envole. Leur technologie s’améliore. En 1995, les entreprises publiques représentent 94,7 % des bénéfices réalisés par l’ensemble des entreprises223.

L’embauche reprend à partir de 1995 dans les différents secteurs à l’exception de l’agriculture dont les effectifs baissent et du commerce qui voit ses effectifs stagner224. Les entreprises publiques s’engagent sur le marché de manière plus

offensive. Elles se positionnent sur des points stratégiques des marchés et parviennent ainsi à se placer en tête d’une chaîne de dépendance.

De fait, le tissu économique est marqué par la jonction entre le secteur public et le secteur privé.

221 PHAM NGOC Thoa, TRINH THI Tam, 1993, op. Cit., p. 25. 222 PHAM NGOC Thoa, TRINH THI Tam, 1993, op. Cit., p. 12.

223 HENAFF Nolwen, 2001, op. Cit., p. 149. Elles représentent aussi 76 % des pertes enregistrées la même année pour l’ensemble des entreprises.

IV - LA JONCTION ENTRE LES SECTEURS PUBLIC ET

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