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LA SITUATION DE LA FONCTION PUBLIQUE DURANT LA RÉFORME

IV LES RELATIONS ÉQUIVOQUES ENTRE LES DIFFÉRENTES AUTORITÉS

E. LA SITUATION DE LA FONCTION PUBLIQUE DURANT LA RÉFORME

Les fonctionnaires sont répartis en quatre catégories, A, B, C et D, d’après leur niveau de formation. Ces catégories correspondent respectivement aux titulaires d’une maîtrise ou d’un diplôme supérieur, aux formations de niveau bac + 2, aux formations professionnelles post-primaires et aux formations professionnelles de niveau inférieur au post-primaire. En 1998, le Vietnam renoue avec sa tradition de recrutement par la voie des concours. Cette année-là, une décision soumet en effet l’accès à la fonction publique à un concours d’entrée. Les concours sont organisés chaque année dans les unités administratives. La plupart correspondent en fait à des examens d’entrée, organisés plusieurs mois voire plus d’un an après l’entrée en fonction.

98 ÐỖ ÐỨC Tú, 1996, op. Cit., p. 17. 99 ÐỖ ÐỨC Tú, 1996, op. Cit., p. 17.

La répartition des niveaux de formation reproduit la répartition des niveaux hiérarchiques. Les diplômes de l’enseignement supérieur sont plus nombreux dans l’administration centrale et l’administration provinciale, les diplômes de l’enseignement secondaire technique sont plus nombreux dans les districts et la main d’œuvre non spécialisée dans les communes. La hiérarchie dans les entreprises publiques reproduit à peu de choses près ce modèle. Elle est divisée en quatre catégories : les dirigeants, les cadres, le personnel administratif des entreprises et les ouvriers100.

La restructuration de la fonction publique se traduit tout d’abord par une réduction des effectifs. Entre fin 1988 et fin 1994, 1,1 millions d’emplois sont supprimés dans le secteur d’État. La restructuration se traduit également par une diminution de la part des entreprises d’État dans l’emploi public ; cette part passe de 66 % en 1989 à 52 % en 1995. Les services publics et l’administration sont moins atteints par les réductions d’effectifs, hormis la santé, l’assurance sociale et le sport qui perdent 7 % de leurs effectifs entre 1989 et 1999. En 1995, alors que la moitié des employés de l’État travaille dans les entreprises publiques, un peu plus du tiers travaille dans les services publics (35,6 %) et 12,4 % travaillent dans l’administration, essentiellement locale.

L’emploi public local est plus touché que l’emploi public relevant du centre. Dans les entreprises publiques, la réforme vise essentiellement les employés administratifs. Toutefois, les départs volontaires sont plus nombreux parmi les ouvriers et les techniciens. Ceux-ci disposent de compétences plus appropriées pour changer d’activité. Les femmes ont été particulièrement touchées, ainsi que les agents les plus âgés, remplacés par des agents plus jeunes et mieux formés. Pour préserver les avantages liés à l’emploi public au sein des familles, les enfants des personnes ayant quitté volontairement leur emploi ont été recrutés.

Du fait de la réforme, une différenciation apparaît entre les employés du secteur d’État, ainsi qu’entre les actifs et les retraités101. Quoique l’échelle des

rémunérations reste serrée, l’inégalité se creuse en effet entre les salaires des agents

100 Voir pour l’ensemble de cette partie HENAFF Nolwen, 2001, op. Cit., pp. 147-158.

101 Il existait auparavant une différence minime entre le salaire et la retraite. Aujourd’hui, la faiblesse des pensions de retraite oblige à prolonger l’activité au-delà de l’âge légal de la retraite (55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes) ou à exercer une activité parallèle.

centraux ou locaux et entre les salaires des différents échelons. Il existe une différence du même ordre entre les entreprises centrales et les entreprises locales dans lesquelles les salaires sont inférieurs. Dans les entreprises publiques, différentes catégories contractuelles coexistent : des fonctionnaires, des salariés employés sous contrat à durée indéterminée, d’autres recrutés pour une durée déterminée et des employés temporaires, souvent d’anciens employés. Or, les conditions de travail offertes aux uns et aux autres diffèrent largement en matière de salaire, d’horaires, de pénibilité du travail.

L’augmentation du coût de la vie agit sur la rigueur professionnelle des employés de la fonction publique102. En compensation, les fonctionnaires s’efforcent

d’accroître leurs revenus. Certains cherchent des ressources supplémentaires dans le cadre de leur emploi. D’autres exercent une activité en dehors de leur service tout en restant dans leur domaine de compétence principale. D’autres encore exercent une activité en dehors du service et dans un domaine de compétences différents. De nombreuses méthodes collectives ou individuelles sont inventées à cette occasion selon les ressources de chacun. Les heures supplémentaires offrent une première occasion lorsqu’elles sont payées. Certains services qui ont accès à des ressources extérieures, notamment par le biais des contributions extérieures rémunérées de leurs agents, alimentent une caisse noire dont le contenu, voire une partie ou les intérêts qu’il rapporte sont répartis entre les membres du service à diverses occasions (le nouvel an par exemple), pour un événement exceptionnel (mariages, décès, etc.) ou servent à payer des vacances. Lorsque des sommes transitent par un service, celui-ci en prélève une partie. Certains agents font payer les services rendus aux usagers ou la rapidité d’exécution de leur tâche. Cette pratique peut même être

102 Le Parti communiste est touché lui aussi. Différents textes et allocutions font référence à l’inquiétude de ses dirigeants à propos des travers repérés chez certains membres qui mettent à mal l’exemplarité attendue des agents du parti : abus de pouvoir, corruption, enrichissement illégal, désunion interne. Le congrès de 1996 interdit aux membres du Parti de s’engager dans des activités de l’économie capitaliste, que ce soit sous leur nom ou sous celui de leurs parents. L’accès à l’économie individuelle ou familiale n’est toutefois pas mentionnée. Cette tolérance révèle très certainement la prise en compte par les dirigeants des besoins des agents du Parti. Le même congrès pose le principe de la déclaration des revenus et des biens pour les fonctionnaires et les membres du Parti. Parti

communiste vietnamien, 1996, VIIIe Congrès national, Documents, Éditions, Thế Giới, pp. 105-

106. Une campagne de critique et d’autocritique est adoptée de mai 1999 à mai 2001 pour promouvoir l’éthique révolutionnaire et la lutte contre l’individualisme. Elle est associée à des sanctions disciplinaires. VNA 2 février 1999, Reuters 3 février 1999, NGUYEN MANH Hung, 2000, op. Cit., pp. 102 et 103.

institutionnalisée. Les bénéfices reviennent alors au service. Des enseignants et médecins se font payer pour des services qui devraient être gratuits ou à coût réduit grâce aux subventions de l’État. Les enseignants en question tronquent les programmes de manière à obliger les élèves à participer aux cours supplémentaires et payants qu’ils organisent. Les patients doivent remettre des enveloppes aux médecins pour accéder aux consultations. Certains cadres des entreprises publiques utilisent les matières premières, le matériel et le personnel pour une production à titre privé. D’autres créent des entreprises privées en faisant jouer les appuis issus des réseaux qu’ils entretiennent dans le cadre de leur activité principale. Leur entreprise bénéficie alors des avantages des entreprises publiques. Il faut dire que les salaires sont faibles et que différents agents considèrent ne devoir que leur présence sur le lieu de travail103.

Comme nous venons de le voir, la politique du “ renouveau ”, pour être essentiellement économique, se traduit dans le domaine politique par une réorganisation des organismes politiques. L’inscription de l’appareil étatique dans un cadre légal est l’occasion de redéfinir les répartitions des compétences entre les différents organes. Les rôles du Parlement du Gouvernement et des organes judiciaires sont revalorisés et leurs tâches sont mieux définies ce qui permet à ces organes de jouir d’une certaine autonomie. Le Parti communiste est chargé d’orienter et de contrôler les actions politiques. Il reste la force dominante du Vietnam. Bien qu’il n’impose plus ses vues au parlement mais travaille par persuasion, il dispose d’un ensemble de moyens qui lui permettent de faire primer ses orientations : une majorité parmi les élus, le monopole de présentation des candidats aux postes de député par le biais du Front de la mère patrie, des groupements au sein de l’Assemblée, et la proximité du comité permanent de l’Assemblée nationale qui est chargé d’adopter les textes importants. Les débats durant les séances sont moins une controverse entre les députés et le Parti que le fruit

103 97 % des fonctionnaires communaux, 80 % des employés du service public et la moitié des fonctionnaires de districts ont un salaire inférieur à 200 000 dôngs par mois en 1994, soit 100 FF (15,24 Euros) selon le cours de l’époque. HENAFF Nolwen, 2001, op. Cit., pp. 155-156.

du désaccord entre le Parti qui inspire les idées à inclure dans une nouvelle loi et le Gouvernement qui rédige le projet de loi.

Le Gouvernement dépend de l’Assemblée nationale. Mais dans la pratique, le Gouvernement gouverne par décrets, court-circuitant l’Assemblée nationale. Il dispose d’un moyen d’orienter les lois dont il est chargé de rédiger les projets. Le Gouvernement est l’organe principal de l’exécutif. Il dirige les ministères et les comités populaires, contrôle et guide les conseils populaires. Il gère les ressources nationales et les biens publics, assure la sécurité, la défense, l’éducation et mène les politiques sociales. Il est un acteur central en matière économique, compte tenu des tâches et des attributions qui lui sont confiées par la Loi d’organisation du Gouvernement. Il doit développer et réguler l’économie de marché multisectorielle mise en place par le Parti communiste.

L’armée, qui dépend légalement du Gouvernement, est une force à part entière. Elle peut parler d’égal à égal avec le Gouvernement et dispose d’un pouvoir suffisant pour faire entendre sa voix auprès du Parti communiste. Elle dispose de membres dans le Comité central du Parti, au Bureau politique, dans les comités exécutifs des congrès du Parti, dans le Comité de rédaction des lois. Elle est au centre des associations d’anciens combattants, même si le Gouvernement est parvenu à les fédérer pour mieux les contrôler. La plus grande taille de ses régions et districts par rapport à leurs correspondants civils du Gouvernement et du Parti permet à ses représentants locaux d’être entendus de manière certaine. L’armée dispose également de revenus propres qui lui permettent de financer une partie de ses besoins. Elle gère des entreprises qui sont devenues redoutablement efficaces. Elle joue donc un rôle économique certain.

Les ministères et leurs différents services façonnent l’environnement des entreprises grâce aux réglementations qu’ils mettent en place dans les domaines bancaire (la Banque d’État), commercial (le Ministère du commerce), industriel (le Ministère de l’industrie). Le Ministère du plan et de l’investissement établit pour le Gouvernement la stratégie de développement économique, soumet les projets de loi afférents au Gouvernement et gère les investissements étrangers et domestiques. Tous ces ministères disposent de leurs propres entreprises, dont ils contrôlent la

création et la dissolution, la nomination des dirigeants, et dont ils fixent les orientations de la production.

Les fonctions du parquet et des tribunaux ont été adaptées au fonctionnement de l’économie de marché. Le parquet ne peut procéder à l’accusation publique dans le domaine économique mais peut intervenir tout au long d’un procès et s’opposer à un verdict. Les tribunaux se sont dotés d’une chambre spécifique puis d’un tribunal spécial pour traiter les affaires économiques. Les débuts de ce tribunal sont difficiles car le Vietnam manque d’expérience dans la résolution des litiges entre agents économiques autonomes. Le parquet et les tribunaux disposent de structures locales. Ils dépendent en premier lieu du pouvoir législatif puis du pouvoir exécutif. Ils sont responsables devant l’Assemblée nationale mais dépendent aussi du Gouvernement et des ministères.

La structure politique locale est divisée en trois niveaux : provinces, districts et communes. Elle se compose d’une entité législative, le conseil populaire et d’une entité exécutive, le comité populaire. Le conseil contrôle le comité, le parquet et le tribunal de même échelon. Il est lui-même contrôlé par le comité populaire de niveau supérieur. Il n’est donc pas tout-à-fait un organe législatif mais plus exactement à mi-chemin entre le législatif et l’exécutif. Le pouvoir du comité populaire est étendu. Il gère l’administration, les fonctionnaires, le budget, la sécurité, la mobilisation, l’enregistrement. Il est en relation directe avec les services ministériels. Il dépend à la fois du conseil populaire de même niveau et du comité populaire de niveau supérieur. Ce dernier lien à tendance à primer. Le Parti communiste dispose également d’une structure locale parallèle à celle du Gouvernement et de l’Assemblée nationale. Cette structure exerce un rôle important car elle contrôle les activités politiques locales et car elle permet de débloquer l’appareil lorsque les rivalités deviennent trop importantes entre les conseils et les comités. L’armée dispose elle aussi d’une structure locale parallèle et d’un pouvoir conséquent. Le Front de la mère patrie constitue, enfin, la cinquième force qui compose le tissu politico-administratif local. Ses associations membres sont présentes dans de nombreux domaines sociaux. Les conseils et les comités doivent collaborer avec lui.

Les syndicats, bien que membres du Front de la mère patrie, sont placés à part. Ils ont été rendus plus indépendants par rapport au Parti communiste et ne sont

plus impliqués directement dans la gestion des entreprises. Leur rôle de relai du Parti est redéfini et orienté vers la protection des travailleurs. Au début de la décennie, ils sont au creux de la vague. Ils disposent de moins de pouvoir et cherchent leur place. Mais, à la fin de la décennie, une impulsion du Parti communiste leur permet de mieux rentrer dans leur rôle et de reconstruire leurs réseaux sur cette nouvelle base.

Le système politique vietnamien est toujours imprégné par certains des préceptes confucéens : un État fort, centralisé et administré par une bureaucratie cimentée par une idéologie commune. Cette idéologie tire sa source dans plusieurs couches successives : mandarinale, coloniale et communiste. La centralisation a traversé l’époque coloniale puis l’époque socialiste et s’applique encore à l’appareil politique vietnamien actuel. Mais l’appareil politique tend aussi à créer des circuits parallèles pour fluidifier son fonctionnement. Les structures d’État sont contournées par ses gestionnaires au niveau local. L’influence des fonctionnaires et des membres des sections locales du parti est échangée contre des ressources, ce qui permet l’essor de réseaux de clientèles territoriaux. Cet essor va à l’encontre des tentatives de centralisation. Le Vietnam hérite par ailleurs d’une structure sociale traditionnelle de villages gérés par des familles de notables et de l’autonomie dont les localités jouissaient durant la période de lutte pour l’indépendance. Après une période de centralisation, l’autonomie s’impose dans les relations entre le gouvernement central et les échelons administratifs inférieurs.

Le Vietnam offre un étonnant contraste entre un centralisme de principe, suffisamment prégnant pour faire passer les messages principaux dans l’ensemble des organes de l’appareil politique, et une décentralisation effective de l’appareil politico-administratif. Le gouvernement central continue à fixer les priorités nationales. Il exerce son influence sur les provinces, notamment par la répartition du budget et grâce au jeu des contrôles croisés entre les conseils populaires et les comités populaires. Les provinces fixent leurs propres priorités dans le cadre général défini par le Parti et le Gouvernement. Elles sont plus impliquées dans l’économie locale. La formalisation des arrangements budgétaires entre les différents niveaux étatiques et la clarification des différentes attributions améliorent le fonctionnement interne de l’administration. La répartition des pouvoirs varie cependant de manière importante d’une province à une autre, selon l’équilibre des forces entre les organes

du Parti, les conseils et les comités populaires. La mise en place du “ renouveau ” économique dépend, quant à elle, de la bonne ou de la mauvaise grâce des autorités dominantes dans chaque localité.

L’appareil politique est occupé au cours de la décennie 90 par un vaste programme de réforme de la structure et des méthodes de travail de l’administration. Ce programme doit conduire à la mise en place de nouveaux moyens d’action sur l’économie et doit également réduire la complexité administrative.

Le programme de réforme est confronté à de nombreuses résistances, et ce d’autant qu’il remet parfois en cause le nombre de fonctionnaires et leur statut. Les résultats des formations ne sont pas toujours probants. Le nombre d’agences étatiques et le trop grand souci de précision dans le contrôle des actes nuisent aux relations avec les agents économiques.

Les adaptations du système politique sont pourtant loin d’être négligeables. Elles créent les bases qui permettent de mettre en place les nouveaux outils sociaux de gestion. Elles favorisent également le renouvellement du lien avec les agents économiques.

CHAPITRE Deuxième : TABLEAU

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