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La plupart des recommandations pour un bien-vieillir font l’impasse sur la dimension territoriale. Il s’agit pourtant de comprendre le vieillissement comme issu d’un processus inscrit dans une trajectoire et un espace de vie à travers les enjeux de l’adaptation de l’environnement.

Néanmoins, la mise en place de ces différents dispositifs privilégie de plus en plus l’échelle locale dans la réflexion portant sur le vieillissement de la population, la qualité de vie et donc le bien-vieillir. Depuis le premier plan national Bien-vieillir de 2003, les initiatives se multiplient autour de la promotion du lien social et des solidarités. Le ministère délégué aux personnes âgées impulse « un large mouvement de valorisation et de promotion des actions intergénérationnelles ». De nombreuses manifestions durant la Semaine bleue, semaine nationale des retraités et des personnes âgées, valorisent et promeuvent les actions intergénérationnelles comme le montre le thème de l’édition 2016-2017 « à tout âge faire société ». Elle vise à insérer les personnes âgées dans leur quartier, leur commune : elle invite le grand public à prendre conscience de la place et de l’importance du rôle social des ainés (Moduloo.net s. d.). C’est cette échelle qui est mobilisée dans le cadre de l’appel à projets « Vieillir dans son quartier, dans son village, des aménagements à inventer ensemble » de la Fondation de France en 2010. Cet appel à projets s’articulait autour de 3 axes : agir sur le milieu de vie, inventer ensemble de nouvelles formes d’habitat adaptées et évolutives et reconnaitre les trajectoires de vie. Ils illustrent les 2 grands principes des dynamiques du bien-vieillir : comprendre le vieillissement comme un processus, l’inscription dans une trajectoire de vie et l’importance de l’espace de vie. Parmi les organismes éligibles, on retrouve les établissements médicosociaux publics et privés non lucratifs, mais aussi les offices HLM (habitation à loyer modéré), les communes, EPCI ou groupement d’intérêt public68 (GIP) ainsi que les associations à

but non lucratif. Cela illustre l’ouverture du champ du vieillissement à des acteurs de la société civile ainsi que l’inscription locale des projets, dans des échelles allant du quartier à l’intercommunalité. C’est dans ce rapport à l’espace que s’inscrivent différents modèles opérationnels du bien-vieillir, comme le programme « Villes Amies des ainés » (VADA) développé par l’OMS à partir de 2005. Concrètement, une ville amie des ainés est censée adapter ses structures et ses services afin que les personnes âgées aux capacités et aux besoins divers puissent y accéder et avoir leur place. Ceci repose sur la mise en place de consultations et de participation des personnes afin d’agir au plus près des besoins exprimés. Si ce type de démarche permet de mettre en place des actions ciblées en se basant sur les besoins exprimés d’une population, il existe une tension entre des besoins répondant à un bien-être collectif et ceux répondant à un bien être individuel (voir partie I chapitre 3 – 3.2.1.a.). De plus, il est nécessaire de s’interroger sur la représentativité du groupe de personnes participantes effectivement à ces instances

68 « Le Groupement d’intérêt public (GIP) permet à des partenaires publics et privés de mettre en commun des moyens pour la

par rapport à la population générale, interrogation qu’il faudra prendre en compte quant au design des actions des Centres Sociaux.

Conclusion du chapitre 2

Le bien-vieillir apparait donc comme une notion à cheval entre la théorie gérontologique du succesfull aging, la norme sociale de la « seniorisation » de la perception des retraités et la structuration des politiques publiques autour de sa promotion. C’est une approche intégrée au parcours de vie de la personne, tout en essayant de promouvoir une image positive de la personne âgée. De manière générale, on peut comprendre le bien-vieillir comme un vieillissement en santé : un processus permanent d’optimisation des possibilités permettant aux personnes âgées d’améliorer et de préserver leur bien-être physique, social et mental. Autrement dit, il s’agit de conserver autonomie et qualité de vie tout en favorisant les transitions harmonieuses entre les différentes étapes de la vie… Il se définit dans un champ d’intervention entre le médicosocial, le social et le socioculturel.

Plus qu’un nouveau paradigme de l’action publique envers les publics retraités, le bien-vieillir se présente comme une nouvelle approche caractérisée par une action locale, une attention sur les personnes autonomes et l’implication de nombreux acteurs extralégaux. C’est à ce sens un nouveau champ d’action plus qu’une évolution de l’intervention gérontologique dans sa totalité. L’action gérontologique est un champ d’intervention fragmenté qui couvre de nombreux domaines allant de l’hospitalier à la question de l’environnement des personnes âgées. Elle fait également l’objet d’une forte stratification, avec des échelles emboitées et des acteurs différents à chacune d’elle : des services décentralisés (conseil départemental), déconcentrés (ARS), des acteurs des différents régimes de la Sécurité Sociale, des associations, des entreprises, etc. Ce constat est à lier à la réflexion autour de l’opposition de contenue dans la définition du bien-vieillir. Celle-ci interroge l’intégration des Centres Sociaux au contexte renouvelé de l’action sociale sur le vieillissement. La mise en place d’une politique du bien-vieillir s’ouvrant à de nouveaux acteurs, quelle est la place que peuvent prendre les Centres Sociaux ?

Comment s’intègrent des acteurs d’animation globale et collective dans un champ historiquement structuré autour d’une intervention sectorisée et individuelle ?

Il existe aussi une distinction des publics. D’un côté, les questions de la gestion de la dépendance et des soins tiennent de gériatrie. De l’autre, la question de la prévention de cette dépendance fait appel à un ancrage théorique en gérontologie sociale. Une autre tension se dessine dans le champ de l’action gérontologique, celle entre l’action sociale « solidaire » et l’action sociale « lucrative ». De manière caricaturale, il s’agit de distinguer les logiques tenant de l’innovation des services sociaux et celles de l’innovation des services marchands, soit d’un côté le bien-vieillir et de l’autre la Silver économie.

Comment se placent les Centres Sociaux entre ces différents courants qui coexistent et positionnent les acteurs locaux ? Sont-ils intégrés et reconnus par d’autres acteurs ? Sur quoi porte cette reconnaissance si elle existe ? Quels peuvent être les freins à cette

reconnaissance ? Quelles implications l’intégration des Centres Sociaux a sur leurs pratiques dans un contexte prompt à l’isomorphisme institutionnel ? Existe-t-il des différences départementales ?

La mise en place d’une politique du bien-vieillir s’accompagne d’un besoin de qualifier le bien-vieillir et la prise en compte des enjeux de cette qualification dans notre démarche induit des réflexions sur différents aspects. La proposition des Centres Sociaux en matière de vieillissement est également proche des considérations du vieillissement actif notamment dans la promotion de la participation active des personnes âgées dans la construction du bien-vieillir. Dans ce cas, évaluer l’impact de l’action des

Centres Sociaux sur le bien-vieillir revient à comprendre en quoi ils donnent la possibilité de participer (voir partie II chapitre 6). L’opposition culturelle peut se traduire en opposition de culture

professionnelle. La culture professionnelle des Centres Sociaux s’est construite sur un champ, un public et une pratique différente d’autres acteurs. En quoi la culture professionnelle des Centres Sociaux

joue un rôle dans leur proposition termes de vieillissement ?

La question de la perspective est un point important dans le développement du positionnement épistémologique et méthodologique de cette thèse (voir partie I chapitres 3 et 4). Il s’agit d’un travail de recherche portant sur une pratique d’acteurs de propositions d’activités à des personnes âgées. Quelle

perceptive doit-on alors mettre en avant pour qualifier le bien-vieillir ?

Le choix définir le bien-vieillir comme un well-aging plutôt qu’un succesfull aging a des conséquences sur le positionnement et la méthodologie de la thèse (voir partie I chapitres 3 et 4). Cela pousse à avoir une réflexion sur les critiques et limites identifiées des théories gérontologiques dans l’héritage desquelles on s’inscrit. Un point d’attention va être la question de l’homogénéisation dans la manière dont les activités vont être proposées. Plus encore que proposer des activités, les Centres Sociaux proposent d’intégrer les personnes concernées dans la proposition de ces activités. Quelles sont ces activités ? Pour qui et

par qui sont-elles pensées ? Quelles sont leurs traductions en termes de bien-vieillir ? Aux besoins de quelles populations est-ce que cela répond ? Sont-elles accessibles à tout type de population ?

Enfin, l’évolution conjointe des théories académiques et des politiques publiques souligne une évolution de la terminologie employée pour qualifier ce public (les retraités) ou ces publics (3e et 4e âges). Chacun

de ces termes est porteur de représentations sociales particulières. Il va donc être nécessaire de choisir une manière qualifier ce public auquel nous avons indifféremment fait référence par « retraité », « personnes âgées », « ainées », etc. Le choix de la terminologie de la thèse dépend de la méthode

et des observations dans les Centres Sociaux mais il faut aussi s’interroger sur la manière dont les Centres Sociaux qualifient ce public.

Chapitre 3 : Bien-vieillir : Quelle géographie du

vieillissement ? Approche de la thèse.

Introduction

L’objet de ce chapitre est de présenter le cadre théorique et disciplinaire dans lequel s’inscrit ce travail de thèse. Le but est de comprendre la spécificité d’une approche géographique en prenant en compte le caractère polymorphe de notre objet d’étude : le vieillissement. Notamment dans la prise en compte des dimensions inter, multi et transdisciplinaires que l’étude du vieillissement et le cadre particulier de l’exercice cette thèse en TWIN CIFRE comportent (voir introduction générale). L’idée n’est pas de prétendre donner la définition d’une géographie du vieillissement, qui proposerait un cadre fixe, des référentiels épistémologiques définis et une méthode précise. L’objectif est d’interroger ce qui caractérise l’« écriture géographique » de la réflexion proposée autour de problématiques du vieillissement et plus particulièrement du bien-vieillir.

On peut distinguer 3 sens principaux au vieillissement : celui d’un processus démographique, biologique ou social. Ces trois considérations induisent 3 échelles différentes. Le vieillissement démographique porte sur les caractéristiques sociogéographiques d’une portion de la population suivant un critère d’âge. On s’intéresse aux profils statistiques (nombre, proportion, structure), sociaux et économiques afin d’obtenir des éléments de compréhension des défis inhérents au vieillissement des sociétés. Jean Pierre Thouez (2001), propose deux dimensions au vieillissement biologique, toutes deux portant sur l’individu. Il distingue le vieillissement biologique, processus de sénescence des cellules, ralentissement des organismes dû à la vieillesse, de l’« avancée en âge » où le vieillissement de l’individu est le résultat du parcours de vie individuel et collectif (générationnel). L’auteur reprend la proposition de Jean Claude Henrard (1996) de distinguer le processus (temps biologique) du déroulement, voire du résultat (avancé en âge) pour comprendre le vieillissement des individus. Enfin, le vieillissement social comprend le vieillissement comme un temps social défini par la sortie du monde du travail. Le vieillissement social dépend de la manière dont les temps de vie sociale sont organisés par une société (passage à la retraite, statut de retraité, représentation sociale de la vieillesse). L’histoire personnelle de l’individu conditionne la manière dont ce vieillissement social sera vécu (genre, groupe social d’appartenance, formation, capital social et culturel, etc.). On s’interroge ici sur le vieillissement des individus dans la société.

Le vieillissement, par la multiplicité des réalités qu’il recouvre, fait l’objet de nombreuses constructions disciplinaires. On compte de nombreuses études démographiques, donnant lieu, par exemple à la publication d’atlas (e.g. Atlas des seniors et grand âge en France, Blanchet 2017). Au sein des sciences médicales, la gériatrie est dédiée à l’étude du vieillissement biologique des individus. Les sciences humaines et sociales se sont également penchées sur le sujet : la sociologie, la psychiatrie, l’histoire, la sociologie, l’économie… Chacune de ces disciplines présentent des travaux autour de la question du

vieillissement qui recouvrent des problématiques disciplinaires relatives à l’objet (Plard 2012). Plusieurs définitions sont proposées pour délimiter ce qu’est le vieillissement et différentes approches sont proposées pour s’en saisir dnas chacun des disciplines. La plupart de ces recherches, notamment en sciences sociales, insistent sur les aspects multidimensionnels du vieillissement individuel et sociétal (Pihet et Thouez 2007 ; Caradec 2012 a ; A.-M. Guillemard 2005).

Le vieillissement peut être étudié avec des concepts issus de disciplines variées. C’est pourquoi il est pertinent de s’intéresser aux approches et définitions proposées par la gérontologie sociale. L’orientation de la gérontologie sociale vers la compréhension des dimensions physiologiques et psychologiques du vieillissement de l’individu (Tibbitts 1963) contribue à faire de la gérontologie une science de la santé (au sens « Health science », compris différemment d’une science médicale, qui serait la gériatrie). La gérontologie sociale devient un champ important des études du vieillissement, incluant des approches variées provenant de différents champs disciplinaires : sociologie, anthropologie, science politique, etc. pour interroger la santé des personnes âgées, les systèmes de soins, la vie sociale, etc. (Andrews et al. 2009 ; Hummel 2005). Chacun de ces angles disciplinaires apporte de nouveaux éléments et enrichit les perspectives de la gérontologie sociale. Elle apparait comme une « notion toit » (Rosenmayr 1984) sous laquelle différentes approches et disciplines débattent du problème commun du vieillissement sous différents aspects.

Quel est l’apport, la spécificité d’une approche géographique en gérontologie, ou comment des approches géographiques contribuent ou ont contribué à de nouvelles orientations de la gérontologie sociale ? Pour répondre à cette interrogation, nous faisons le choix de distinguer l’approche anglo-saxonne (I.3.1.) de l’approche francophone (I.3.2.) avant de présenter l’approche retenue pour la thèse (I.3.3.) et la formulation de la problématique (conclusion du chapitre 3).

1. Gérontologie et géographie : l’approche anglo-

saxonne

Introduction

Les liens entre la gérontologie (comme discipline du vieillissement) et la géographie ont fait l’objet de plusieurs réflexions au sein de la littérature anglophone. Celles-ci identifient différent « temps » d’intersection entre ces deux disciplines, allant la considération spatiale en gérontologie à l’émergence d’une geographical gerontology, courant principalement discuté dans la littérature anglophone (il ne semble pas avoir d’équivalence dans la littérature francophone).

Dans un article sur la conceptualisation du rôle du lieu (place) dans le soin (care) aux personnes âgées, Janine Wiles (2005) identifie 6 manières dont l’espace et les lieux (places) ont été abordés en gérontologie (Wiles 2005 dans Andrews, Evans et Wiles 2013) :

- Un processus qui est une part essentielle des relations sociales, notamment la vie de famille et les relations de « care ».

- Un sujet en évolution constante et sujet à une négociation continue (« on-going négociation ») à mesure que les personnes âgées déménagent ou que leurs besoins changent in situ.

- L’ensemble des expériences et différentes interprétations d’un même lieu par différentes personnes ou groupe de personnes (pouvant être concurrente et conflictuelles).

- L’expression de relations de pouvoir entre différents acteurs.

- Le résultat d’interactions avec d’autres espaces, à différentes échelles, à différents moments - Une construction simultanément physique, sociale et symbolique.

Cette synthèse illustre les orientations qu’a données « le tournant spatial » en gérontologie. Ce « tournant spatial » a touché toutes les sciences humaines et sociales dans les années 80. Il se comprend comme un mouvement transdisciplinaire reportant l’attention sur l’espace dans l’étude des phénomènes sociaux et humains (Puget 2015). Ce tournant spatial va avoir des répercussions sur les thématiques abordées en gérontologie et sur la manière de les aborder (I.3.1.1). Il se développe ensuite une réflexion autour de l’intersection, des échanges entre la gérontologie et la géographie (I.3.1.2). Au-delà d’une réflexion sur la construction des lieux comme un phénomène social, il apparait des réflexions autour des relations entre ces lieux (I.3.1.3).