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3.2.1.a. La théorie des standards relatifs

La théorie des standards relatifs traite explicitement le bien-être comme étant subjectif et relatif, une construction combinée de facteurs individuels et sociaux. Elle se développe suite aux critiques adressées à une autre théorie du bien-être : la théorie des besoins d’Abraham Maslow (1954). Cette théorie se base sur l’hypothèse que la satisfaction des besoins individuels est un prérequis au bien-être. La traduction la

plus connue de cette théorie est la hiérarchie qu’elle propose des différents types de besoins. Cette pyramide classifie les besoins ainsi (ordre croissant d’importance pour le bien-être) : physique (faim, soif…), sécurité (stabilité de l’environnement), appartenance (affection, amour, famille…), estime (reconnaissance) et enfin l’accomplissement de soi, la quête de spiritualité. Cette approche a été largement critiquée. Le principal problème étant que le bien-être est perçu sous un angle de consommation et d’accomplissement d’item défini avant de se penser en termes d’expérience et de vécu. Cela pose plusieurs problèmes. L’expression des choix et la hiérarchie de ceux-ci reflètent une adaptation sur le long terme, c’est-à-dire que l’ordre des besoins est relatif, une fois que l’on a satisfait aux besoins de base. La hiérarchisation des besoins non vitaux varie selon les personnes, mais aussi selon les cultures.

Avec la théorie des standards relatifs, l’idée du bien-être évolue pour prendre en compte des indicateurs plus subjectifs. On distingue alors ce qui relève du besoin universel de ce qui relève de besoins contextuels (à un espace ou à une culture par exemple). « Pour faire court, la théorie stipule que le bonheur est relatif et qu’un changement des conditions de vie objectives ne provoque pas nécessairement un changement du niveau de bonheur (Schyns 1998 cité dans Fleuret et Atkinson 2007) ». Le bien-être est en lien avec le bonheur et il est conditionné à la perception de l’individu. Le niveau de bien-être perçu s’évalue en comparaison avec un groupe, une moyenne et exprime la manière dont on positionne ce bien-être par rapport à un standard. Or les standards de comparaison dépendent du contexte dans lequel ils s’expriment et varient d’une personne à une autre. Par exemple, dans une lecture post-marxiste, la construction de ces standards traduit des rapports de classes. Cet aspect est ici renforcé par la question de l’âge. Comment qualifier les besoins des personnes âgées quand « être âgé » ne recouvre pas la même réalité à 60 qu’à 90 ans ? Et avoir le même âge ne suppose pas non plus avoir les mêmes besoins suivant son environnement, ses capacités physiques et mentales, ses conditions de logement, ses ressources financières…

3.2.1.b La théorie des capabilités

Une autre approche identifiée est la théorie de capabilités (Capability theory). Développée par Amartya Sen, économiste et philosophe, prix Nobel de sciences économiques en 1998, cette théorie porte aussi bien sur la pauvreté que sur une conceptualisation du bien-être en dehors de considération utilitariste. Selon Amartya Sen, il s’agit de prendre en compte ce que possèdent les individus ainsi que leur capacité, leur liberté à utiliser leurs biens pour choisir leur propre mode de vie (Monnet 2007). Avec le recours aux « capabilités », on essaie de négocier le conflit entre conceptualisation objective et subjective du bien- être en combinant des indicateurs substantiels, objectifs du bien-être et des spécificités historiques, culturelles et personnelles (Fleuret et Atkinson 2007). L’égalitarisme d’Amartya Sen pose comme principe l’égalité des capabilités de base et non l’égalité des utilités comme dans l’utilitarisme. C’est-à-dire que la consommation de biens ou de service est un moyen d’exercer ou d’obtenir une faculté à faire ou à atteindre un objectif et non une finalité en soi.

La théorie des capabilités est largement débattue, que ce soit en tant que théorie philosophique (notamment autour de la place de la liberté des individus) ou économique (rapport à la théorie économique néoclassique, économie des biens communs…). Elle a donné lieu à de nombreuses controverses théoriques, notamment avec John Rawls (Terestchenko 2010) et à des travaux empiriques sur la pauvreté (notamment via la construction de l’indice de développement humain). Cette théorie a profondément inspirée de nombreuses actions ou cadres d’actions d’acteur intervenant dans les champs du développement, notamment les Millenium Development Goals de l’ONU et l’action de certaines ONG comme Oxfam.

La théorie des capabilités est souvent critiquée pour son imprécision et pour sa difficulté d’application. L’approche est critiquée dans une sorte de schizophrénie : d’un côté, pour lui reprocher un manque de proposition d’un standard universel et de l’autre pour suggérer qu’il pourrait en avoir un (Gasper 1997 cité dans Fleuret & Atkinson, 2007). La complexité de ce que regroupe une capabilité la rend difficile à traduire en terme opérationnel. L’approche la plus communément utilisée pour étudier les capabilités est celle proposée par Martha Nussbaum (2000), qui définit les capacités basiques :

- La vie (durée de vie normale),

- la santé (bonne santé, nutrition adéquate et logement), - l’intégrité du corps (mouvement, choix de reproduction…), - le sens (imagination et pensée, information par l’éducation), - l’émotion (choix de ses attachements)

- la raison pratique (réflexion critique et organisation de la vie) - l’affiliation (interaction sociale, protection contre les discriminations), - le rapport aux autres espèces (respect pour et vie avec les autres espèces), - la récréation, contrôle sur son environnement politique et matériel

Une autre traduction opérationnelle des approches de capabilités est celle proposée par Des Gasper (1997) et exposée par Sébastien Fleuret et Sarah Atkinson (2007). Des Gasper propose distinguent 3 types de capabilités : les capabilités tenant de l’opportunité « O capabilities », les capabilités relevant d’un ensemble de compétences baptisées « S (skills) capabilities » et finalement les capabilités potentielles « P capabilities ». Ce classement permet l’évolution de P en S grâce à la formation, l’éducation et l’expérience alors que ce sont des évolutions du contexte qui permettent la transformation de O dans une capacité opérationnelle.

Cette approche, transposée dans le contexte d’une réflexion sur le bien-vieillir, renvoie au modèle de vieillissement réussi de Paul Baltes et Margaret Baltes (voir partie I chapitre 2 – 1.2.1). Les auteurs exposaient la volonté des individus à exercer un contrôle sur leurs vies, ce qui peut se comprendre comme le fait d’exercer leurs capabilités c’est-à-dire leur capacité à utiliser, à mobiliser différents leviers afin de choisir leur propre mode de vie. Les trois stratégies énoncées, la sélection, l’optimisation et la

compensation sont à appréhender par le prisme des capabilités. La sélection des objectifs correspond alors à la définition des capabilités mobilisées et mobilisables dans une perspective personnelle, mettant l’individu au centre des dynamiques du vieillissement réussi. L’optimisation passe par la mobilisation des capabilités S et l’adaptation par les capabilités P. Le choix de la stratégie mise en place et de ses modalités dépendent des capabilités O.