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Cette décentralisation progressive des politiques vieillesses met en évidence l’existence d’inégalités territoriales. En 2009, la loi HPST61 (hôpital patient santé territoire) est promulguée et réorganise le

système sanitaire et social afin d’assurer une meilleure équité territoriale. Le maintien à domicile et la prévention s’insèrent dans une organisation régionale et infrarégionale. Cette loi instaure les Agences

60 Loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

régionales de santé (ARS). Elles ont en charge, à l’échelle régionale, la mise en place de la politique de santé, c’est à dire la régulation, l’orientation et l’organisation de l’offre des services de santé afin de répondre aux besoins en matière de soins et des services médicosociaux.

L’action gérontologique est de nouveau segmentée. À chaque problème correspond un secteur d’intervention. La coordination des actions sociale et médicosociale est à la charge des départements, l’action sanitaire relève de l’ARS, l’allocation de retraite relève de l’État (quand il ne s’agit pas du minimum vieillesse), etc. Or cette hypersectorisation aboutit à un découpage toujours plus fin de « l’espace de résolution des problèmes » (Blanchet 2011). Les dynamiques des décentralisations successives semblent avoir abouti à une segmentation entre les secteurs sanitaire et social. « La politique de reconversion des anciens hospices et la décentralisation de l’action sociale confiée aux départements ont renforcé la dichotomie entre le secteur sanitaire et le secteur social, contrairement aux recommandations initiales » (Henrard et Ankri 2003).

Le département, en tant que chef de file de l’action gérontologique, se retrouve à agir quasiment exclusivement sur des problématiques médicosociales : gestion de la dépendance, coordination gérontologique, gestion des EHPAD62, etc. Les dimensions sociales, voire socioculturelles, de la

prévention du vieillissement ne s’y retrouvent pas. Les politiques de la vieillesse restent centrées sur les aspects de dépendance. En effet, les aides et les programmes mis en place se concentrent sur les personnes en situation de dépendance. Si la classification en GIR63 (degrés de dépendance) permet de

sortir de critères de classification des personnes âgées en se basant sur l’âge, elle amène à considérer les besoins sur des critères uniquement sanitaires.

Les actions à destination des personnes qui ne sont pas en situation de dépendance sont, quant à elles, dominées par des préoccupations de prévention sanitaire. L’attribution aux Conseils généraux- départementaux des compétences gérontologiques et sociales a généré un repli sectoriel des caisses de retraite. Cela s’est traduit par une redéfinition de leurs rôles vers le secteur sanitaire et par une limitation de leurs compétences sociales aux fonctions d’autorisation et de contrôle (Blanc 2006 cité dans Blanchet 2011). Les actions sociales varient suivant les caisses de retraite et les régimes à l’autre. Ceux- ci étant très nombreux, il y a une grande variété des niveaux d’aide, de prise en charge, des services, etc.

L’individualisation et la proximité des différentes approches du vieillissement réussi/actif sont prises en compte dans le design des politiques publiques, mais elles restent centrées sur les aspects de dépendance. On néglige la participation sociale et la participation politique qui pourtant concourent au

62 Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes

bien-être et à la qualité de vie, donc au vieillissement réussi/actif. Les dimensions de temps libre et de loisirs sont sorties des considérations des politiques publiques et avec elles, les acteurs du social (au sens d’activités et de participation sociale) et donc les Centres Sociaux.

« Autrement dit, la reconfiguration du paysage institutionnel dans le champ médicosocial a surtout renforcé les mécanismes de gestion bureaucratiques et verticaux, réduisant d’autant la capacité des acteurs du champ social à jouer un rôle d’innovateurs périphériques surtout dans un contexte où les marges financières sont limitées » (Argoud 2016a)

Coordination

Les années 1990 marquent l’émergence des réflexions autour de la coordination gérontologique suite au constat de la séparation de plus en plus grande entre les aides informelles et les aides professionnelles, le cloisonnement des institutions d’hébergement, le sanitaire et le social. Cela va commencer par la mise en place de réseaux de soins, puis de réseaux de santé spécialisés sur des questions relatives aux personnes âgées (notamment en soins palliatifs) (Grand 2016).

La question de la coordination apparait avec l’individualisation de l’aide sociale et des réflexions autour de la place de l’usager (avec notamment la loi de rénovation de l’action sociale [dite 2002-2]). L’État passe d’une action collective à une politique d’aide individualisée qu’illustre par exemple, la création de la Prestation spécifique Dépendance (1997) remplacée par l’Allocation personnelle Autonomie (APA-200164).

« Le législateur a voulu solvabiliser des bénéficiaires qui vont recourir à des services présents sur le marché pour répondre à leurs besoins » (Blanchard 2004 p.170).

Les politiques de la vieillesse, sur les volets sociaux et médicosociaux, ont été traversées au cours des 30 dernières années par un mouvement de distanciation de l’État, de montée en importance des échelons locaux et la structuration d’un marché par la professionnalisation des structures d’aide et de maintien à domicile.

Les enjeux associés à la coordination sont multiples. Un des objectifs de la coordination de professionnels est de remettre « l’usager au centre du dispositif ». Il ne s’agit pas de venir combler des manques dans les politiques publiques ou de dépasser la sectorisation, mais d’assurer une offre lisible et cohérente au « citoyen-client avec ses besoins, son projet » (Blanchard 2004), de « répondre aux attentes de la personne et la continuité de sa prise en charge » (Cour des comptes 2005). De plus, au sein d’une action gérontologique fragmentée et segmentée, l’enjeu de rationalisation est important. La coopération apparait comme un outil de gestion de cette diversité des acteurs et de lutte contre la segmentation des domaines d’intervention : « À l’heure où les coûts sont si contraignants qu’ils régulent au premier chef les

64 Loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation

dispositifs, la coordination se pose comme l’élément déterminant pour mieux associer les objectifs économiques et humains » (Amyot 2010p.27). Le manque de lien entre les différents domaines d’intervention, la difficulté de l’articulation du parcours de soin, le manque de prévention, etc. sont des éléments régulièrement cités comme concourants à l’importance des dépenses de santé pour les personnes de plus de 60 ans. Une meilleure coordination est alors présentée comme le moyen de réduire ces dépenses en combinant les deux enjeux précédant : un centrage sur la personne et une rationalisation de l’action.

Ainsi, plusieurs initiatives ont successivement été mise en place, « qui conduisent à des créations qui ne fusionnent pas, ne font pas disparaitre ce qui leur a précédé » (Amyot 2010, p.27). On arrive ainsi à la superposition de différents dispositifs, sur différents périmètres sans que ceux-ci ne soient articulés ou concertés.

« Les Centres locaux d’information et de coordination (CLIC) sont apparus dans les années 2000, sous la forme d’une expérimentation qui n’a pas débouché sur une organisation règlementaire : beaucoup ont disparu lorsque les financements se sont taris, alors que d’autres ont survécu, grâce au relai pris par les collectivités territoriales. Le Plan présidentiel de lutte contre la maladie d’Alzheimer (2007-2012) prônait la mise en place de Maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (MAIA), d’abord dévolues à la maladie d’Alzheimer, puis conçues comme des dispositifs de coordination gérontologique plus large. Les MAIA65, faute de financement, ne

concernent que des territoires limités. Au total, la superposition des dispositifs a abouti à une situation très hétérogène selon les territoires, certains bénéficiant de plusieurs structures de coordination (réseaux, CLIC, MAIA…), d’autres en étant totalement dépourvus. » (Grand 2016 p.21)

C’est donc dans ce contexte-là que le bien-vieillir fait son apparition dans les politiques de la vieillesse. Au-delà d’un effet de mode, les approches bien-vieillir poussent à changer de prisme. Elles prônent un nouveau projet de société où l’équité, la solidarité entre générations seraient hissées en tant que valeurs (Hallier-Nader 2011).

Les politiques du vieillissement au début des années 2000 distinguent 2 publics : les personnes dépendantes et les personnes non dépendantes. Les dispositifs mis en place à destination de la gestion de la dépendance deviennent de plus en plus segmentés et orientés par un référentiel biomédical et le public non dépendant devient la cible des actions de prévention. On dissocie le champ de la dépendance et le champ de la prévention (Alvarez 2014). Les programmes et des plans gérontologiques autour du bien-vieillir émergent et s’orientent sur cette dimension préventive (Martineau et Plard 2018).

65 Bien que le nom soit resté le même, les MAIA signifie aujourd’hui : méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de

3. Les enjeux de la mise en place d’une politique du bien-

vieillir

Introduction

À partir du milieu des années 2000, le bien-vieillir fleurit à tous les échelons, de l’Union européenne qui publie en 2009 « comment pouvoir le Bien-vieillir en Europe » (Plateforme européenne des personnes âgées 2009) au département, comme le montre le schéma gérontologique de Haute-Savoie intitulé : « bien-vieillir en Haute-Savoie ». Le bien-vieillir arrive comme un mot-valise, pouvant regrouper toutes sortes de considérations. Le terme est même institutionnalisé à partir de 2007, via le « Plan national Bien-vieillir ». Il sera également présent dans les rapports du gouvernement suite au grand débat national sur la dépendance de 2011 (de Ladoucette 2011). Différents acteurs gérontologiques vont s’emparer de la notion et en faire la promotion : les caisses de retraite et Santé Publique France lancent le site « pour Bien-vieillir » ; la MSA propose des « ateliers du bien-vieillir », etc. « Les discours, les recommandations politiques et les programmes gérontologiques vont donc peu à peu conforter et asseoir la stratégie préventive du “Bien-vieillir” en France. » (Martineau et Plard 2018 p.5)

La mise en place de cette vision stratégique du bien-vieillir présente certains enjeux. Le cadre institutionnel rénové laisse place à une grande variété d’initiatives, dépendant des acteurs et des moyens en présence, sans que celles-ci ne viennent s’inscrire dans un cadre global (Argoud 2016a). Cela va se traduire par deux aspects dans la mise en place d’une politique du Bien-vieillir : la coordination d’une multiplicité des acteurs et les enjeux pour le milieu associatif (I.2.3.1). Ce nouveau cadre d’action opère principalement sur le principe de l’appel à projets et l’évaluation de l’action, ce qui nécessite d’avoir une réflexion particulière sur les enjeux inhérents à la qualification du bien-vieillir (I.2.3.2). Enfin la mise en place d’une politique du Bien-vieillir assoit l’échelle locale comme échelle de réflexion et d’action privilégiée (I.2.3.3).