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Prévention

Les actions envers un public « âgé » dans les centres remontent aux premières structures avec la trace d’un « club des anciens » au sein de la résidence sociale de Levallois Perret. Ce qu’il proposait tenait alors de l’action sanitaire et non de la proposition de loisirs, se rapprochant plus du dispensaire que des « clubs du 3e âge ». Sans renier les dimensions sociales de leur action telles que théorisées par les pionnières

(voir partie I chapitre 1 -1) avec la proposition de temps conviviaux, sur le voisinage avec la proposition de gouter ou des fêtes « des vieillards », la dimension de prévention sanitaire est toutefois prégnante.

« La santé et la prévention font partie des types d’actions menées par [la résidence sociale] et ceci dès le départ. […] En fait, le rôle du Centre Social défini ainsi est celui de conserver la santé plutôt que de la guérir. Il a essentiellement un rôle de prévention » (Fayet-Scribe 1990, p.138- 139).

Au début des années 50, 62 % des Centres Sociaux enquêtés dans le rapport de Jean-Marie Arnion et Juliette Maze (1952) proposent des services de soins et de dispensaires (voir aussi figure 3, partie I chapitre 1 – 1.1.2.a). La prévention envers ce public alors qualifié de « vieillard » se décline sur des axes tenant de l’assistance sociale, associant cette dimension sanitaire à d’autres actions tenant plus du portage de repas et de l’aide à domicile (voir partie I chapitre 2 — 2.1.4.b). La personne est alors le sujet de l’action.

Les années 60-70 marquent un tournant dans l’action des Centres Sociaux, avec une orientation plus marquée sur le socioculturel et particulièrement pour leurs actions envers le public retraité. L’action sociale vieillissement se structure avec, entre autres, la mise en place des préconisations du rapport Laroque et la structuration et la professionnalisation de l’intervention médicosociale sur le public âgé. Cette institutionnalisation et la montée du professionnalisme des pratiques médicosociales contribuent à écarter les structures non spécialisées sur le vieillissement de la construction du secteur (voir partie I chapitre 2 – 2.1). Dans le même temps, le virage des Centres Sociaux vers le socioculturel les éloigne de la prise en charge des questions de santé.

Il faut attendre les années 90 pour constater un retour de la dimension prévention. Ces années correspondent à l’approche de la retraite des baby-boomers et coïncident avec la montée de la question de la dépendance. Dans les politiques publiques, cela se traduit par une orientation plus marquée vers les approches médicosociales. La sensibilisation du public à ces questions entraine l’interpellation des Centres Sociaux sur des sujets liés à ces enjeux : le maintien à domicile, la prévention de la perte d’autonomie, etc.

Les Centres Sociaux renouent avec leur tradition de prévention, mais sous une forme différente. Ce ne sont plus des structures d’action sociale disposant de professionnels du médicosocial (assistante sociale, infirmière, etc.) comme dans les années 50. Les Centres Sociaux des années 90 sont des structures socioculturelles avec des professionnels de l’animation et développent une forme de prévention basée sur cette pratique. Ils étaient d’ailleurs déjà impliqués dans des dispositifs de prévention sur d’autres publics, notamment la prévention de la délinquance juvénile.

La proposition n’est plus une prévention « sanitaire » axée sur la santé physique, mais une prévention axée sur les comportements et la promotion d’activités et d’habitudes permettant de prévenir les risques. Dans le cas de la délinquance juvénile, la prévention de ces risques passe par l’intégration des jeunes. C’est notamment dans ce cadre que l’on va voir se développer des activités sportives dans les Centres Sociaux, à partir de la fin des années 80 (Galand 2019). Cela correspond à la convergence de deux mouvements différents. D’un côté, les Centres Sociaux font partie des structurations d’animation de la vie des quartiers HLM qui font être sujet à des dispositifs de prévention de la délinquance. D’un autre côté, le développement de « l’intégration par le sport » dans les années 80 traduit l’intégration des pratiques sportives dans les pratiques socioculturelle. Michel Koebel (2010) montre que cela passe par la compréhension de la pratique sportive comme un outil d’éducation populaire.

Figure 22 : Exemples d'activités sportives pour les plus de 60 ans

La dimension de prévention par la pratique d’une activité sportive se retrouve pour les plus de 60 ans. Ainsi certains Centres Sociaux proposent des activités de « gym d’entretiens » ou « adaptée », ou des activités dont le titre ne présente pas cette dimension, mais qui vont être illustrées par des images de personnes de plus de 60 ans, soulignant ainsi le public visé (voir figure 22).

La prévention pratiquée par les Centres Sociaux s’inscrit dans un cadre sociétal. On essaie de travailler à renforcer les liens au sein de la société en tentant de renforcer l’intégration sociale des individus et ainsi de prévenir les situations d’isolement voire de dépression. Les risques ciblés sont à la fois physiques (e.g. ateliers de prévention des chutes) et sociaux : isolement, fracture numérique, mobilité, développement de lien social pour les jeunes retraités, etc. Cette considération de la prévention vient souligner l’un des autres axes de l’action des Centres Sociaux envers les plus de 60 ans : la participation.

Participation

L’affiliation à la CAF structure l’identité des Centres Sociaux en tant qu’acteurs de l’animation globale (voir partie I chapitre 1 -1.1.2). Durant un atelier sur les personnes âgées du Congrès de la FCSF en 1972, le constat est exprimé que les Centres Sociaux « se sont jusqu’à présent assez peu impliqués [auprès les personnes âgées] — le problème des jeunes présentant une dimension massive » (FCSF 1972). Ce n’est pas pour autant que les personnes âgées ne sont pas présentes dans les Centres Sociaux, ou qu’ils ne s’inscrivent pas dans certaines actions.

Un regard plus approfondi sur les Centres Sociaux montre que la question du public âgé émerge dans certains types de territoires notamment ruraux. L’exode rural a contribué au vieillissement de la population93 de ces territoires et les Centres Sociaux se trouvent amenés à se saisir de cette question.

C’est notamment le cas des partenariats avec les clubs d’ainés ruraux et de l’implication de l’action sociale des MSA (mutualité sociale agricole) dans les Centres Sociaux. Certains Centres Sociaux de quartier urbains populaires amorcent des réflexions sur les « économiquement faibles », parmi lesquels se trouvent les personnes âgées en situation de pauvreté (Colombani 2012).

Un des éléments d’introduction de cette réflexion est la dimension de l’habitant participant. En prônant l’association des habitants au fonctionnement des Centres Sociaux (voir partie I chapitre 1 – 1.1.2.c.), la question de l’âge de ceux-ci émerge notamment dans les milieux ruraux :

« Le troisième âge est composé de personnes qui ont bien souvent eu des responsabilités importantes au cours de leur vie active. Ces personnes peuvent apporter au Centre Social des concours inestimables, compte tenu du temps dont elles disposent et de la qualité des apports qu’elles peuvent faire » (FCSF 1974).

93 On parle bien ici de vieillissement de la population en le distinguant de la gérontocroissance. L’enjeu, à cette période, est plus la

On peut rapprocher cette valorisation des compétences et de la ressource que représentent les personnes retraitées des courants du vieillissement actif et productif qui émerge dans les mêmes années (voir partie I chapitre 2 - 1.2).

Encadré 6 : Les Centres Sociaux et la cohésion sociale

Cette question de la participation est à rapprocher de la cohésion sociale (voir encadré 6). La situation de retraité est identifiée dans ce qu’elle peut représenter de perte de rôles sociaux et la participation apparait comme un moyen de pallier cela. Cette ambition a été formulée dès le congrès de 1972 où « tous les modes de participation des personnes âgées [sont] compris comme “des actions promotionnelles” [qui peuvent] leur redonner un rôle social qui apparemment leur fait défaut » Régis Cortéséro identifie la cohésion sociale comme l’un des 4 référentiels de l’action des Centres Sociaux (avec l’intégration, l’individuation et l’équilibre conflictuel – Cortéséro 2013). L’auteur identifie l’émergence de ce référentiel à la sortie des Trente Glorieuses avec la prise de vitesse de la mondialisation, qui est vue comme « ayant rompu le lien entre solidarité sociale et progrès

économique » (Paugam 2005) et le creusement des inégalités, avec notamment, l’idée d’une société à

plusieurs vitesses (s’illustrant notamment dans les milieux urbains avec, par exemple, l’émergence de la figure de la banlieue). Les politiques publiques doivent alors se saisir de la question du « délitement » du lien social, et se tournent, « non plus, dans les structures macro sociales, mais dans

la consistance, le volume et la qualité des liens que développent les individus »

(Cortéséro 2013 p.38). Progressivement, cette idée de cohésion va venir remplacer celle de solidarité prégnante dans l’action sociale depuis 1945. L’action sociale change donc de nature. Il ne s’agit plus d’intégrer l’individu via l’éducation à des normes sociales, mais de s’appuyer sur la subjectivité des individus. Ils sont responsables d’eux-mêmes et de leur envie de s’investir, de s’engager, d’adhérer à la société. À cela, il convient d’ajouter la dimension de la participation civique (entendue ici comme la participation à la vie de la communauté). Dans la conceptualisation de Robert Putman (2000), la participation favorisant la confiance, la responsabilité et de sens du bien commun est un moteur de création et de maintien du capital social. C’est dans cette lignée que l’on va retrouver la promotion de la participation dans les politiques de la ville. Elle y vise à créer un sentiment de solidarité en s’appuyant sur la confiance et le lien social.

Ce référentiel de la cohésion sociale est prégnant dans les Centres Sociaux aujourd’hui. Comme le souligne Régis Cortéséro, la définition des objectifs du Centre Social dans la circulaire CNAF de 1995 est à relier directement à ce référentiel :

« Le Centre Social se caractérise par son rôle d’animation globale, sociale et locale, comme

un lieu ouvert de rencontres et d’initiatives, par l’offre de services et d’activités coordonnés, par la concertation locale pour faciliter le développement social. » (CNAF 1995 p.11)

La vocation sociale globale des centres est définie comme « la participation du plus grand nombre à la

vie locale ». C’est également par l’affirmation de la solidarité comme valeur de référence dans la

Charte fédérale des Centres Sociaux et socioculturels de France (FCSF 2000) que s’exprime l’importance du référentiel de la cohésion sociale dans les Centres Sociaux. Celle-ci définit la solidarité ainsi :

« Les individus deviennent des acteurs solidaires qui s’engagent dans des rapports sociaux

qu’ils contribuent à constituer, tels que les liens familiaux, les relations de voisinage, les convivialités, les solidarités de groupe, les rencontres interculturelles, les participations associatives, les rapports de travail, les engagements citoyens… ».

La cohérence et l’unité de la société s’obtiennent via les relations entre les individus. L’intégration de la notion de Développement social local (DSL) comme élément de définition du Centre Social vient encore renforcer le lien avec ce référentiel. Le DSL et la cohésion sociale partagent en effet un héritage proche et mobilisent les mêmes concepts (participation, capital social…) (Cortéséro 2013.)

(FCSF 1972, p.29). En 1984, la fédération des Centres Sociaux du Rhône met en place une commission « retraités » qui formule que « le Centre Social, lieu de rencontre ; par ses activités spécifiques permet aux retraités de rester dans la vie sociale et par ses activités inter-âges de jouer un rôle social. » (cité dans Galand 2019). La personne de plus de 60 ans n’est donc plus seulement un sujet mais un participant de l’action et c’est par cette participation que le Centre Social permet de répondre aux problématiques identifiées autour de la perte de rôles sociaux. Dans ce cadre, les Centres Sociaux proposent des activités qui permettent aux individus d’endosser des rôles sociaux et de détenir, à travers les échanges, un véritable capital social (voir partie II chapitre 6 – 1.2.3.b). Cela nous conduit à nous intéresser au 3e et dernier axe de développement de l’action des Centres Sociaux envers les plus de 60

ans : Le Centre Social comme vecteur de lien intergénérationnel.

Intergénérationnel

Un autre élément concourant à l’introduction de la question des âges dans les Centres Sociaux est la question de l’intergénérationnalité de leurs actions.

La circulaire CNAF de 1984 relative aux orientations des Centres Sociaux les définit comme « un équipement à vocation familiale et pluri-générationnelle » accordant une place aux personnes retraitées au sein de l’action sociale familiale. L’agrément CAF formule cette volonté d’inscrire l’animation sociale dans des démarches d’animation locale.

Dans ce cadre, il s’agit, pour l’intervention auprès des publics retraités, de promouvoir une vie sociale « active, relationnelle et d’utilité sociale, puis des relations positives entre générations » (Colombani 2012). Malgré une orientation « famille » marquée, cette circulaire conduit les Centres Sociaux à adopter une démarche d’ouverture à toutes les générations. Elle leur confère un rôle de mise en relation de ces générations, allant au-delà de la simple mise en présence de générations différentes pour faire du lien entre les générations (voir partie II chapitre 6 – 2.3).

Poursuivant leur ambition de « mieux vivre ensemble », les Centres Sociaux cherchent à mélanger les générations dans des activités communes. L’action n’est donc plus uniquement une transversalité des publics et des interventions (dimension illustrée par la dimension globale de l’animation), mais aussi de l’âge de ses publics, l’ouvrant aux personnes de plus de 60 ans.

Cette dimension est particulièrement mise en avant dans les années 90. Dans un contexte d’investissement important des Centres Sociaux dans des dispositifs de politiques publiques, qui développent une intervention sectorisée et spécialisée sur certains publics, l’argument de la transversalité devient un élément majeur du discours des Centres Sociaux sur leurs pratiques. Le discours sur la transversalité vient se superposer à des pratiques des publics dans les financements (voir partie I chapitre 1 – 1.1.3).

La transversalité intergénérationnelle des publics est présente tout en s’inscrivant dans une intervention sectorisée, centrée sur l’enfance ou la jeunesse. C’est ce qu’illustrent les exemples de fiches « action » issues de projets sociaux présentés dans la figure 23. Les deux actions ont pour ambition d’être intergénérationnelles et les deux ont pour public cible principal les jeunes. Le ciblage particulier de cette tranche d’âge pose d’autant plus question dans le cas de la première action qui repose sur le constat de l’importance de la population de plus de 60 ans sur le territoire.

Figure 23 : Exemples de fiche action intergénérationnelle

Sources : Espace Grain de Sel (2016); Centre Lavallois d’éducation populaire (2015)

Il faut prendre la présentation de cette action dans le contexte du Centre Social et de ces ambitions. Dans ce projet social, la dimension intergénérationnelle est traitée avec la dimension familiale dans un point nommé « Agir pour rapprocher les générations et positionner l’espace grain de sel comme un lieu

ressource pour les familles » (Espace Grain de Sel 2016, p.39). Le projet social associe clairement la dimension intergénérationnelle de l’action avec la fonction familiale. Plus encore, le développement de l’action intergénérationnel a pour but l’obtention de l’agrément collectif famille auprès de la CAF.

« Le Centre Social souhaite poursuivre en ce sens plus que jamais en donnant à ces échanges, une dimension intergénérationnelle. Il marque également sa volonté de s’ouvrir réellement aux familles en formulant pour la première fois, dans le présent projet, une demande d’agrément Animation collective Familles. » (ibid.p.39)

Le lien entre « intergénérationnel » et famille se présente de manière similaire pour la seconde fiche action où l’un des constats est l’adhésion familiale au sein du Centre Social. Dans les deux cas, la dimension intergénérationnelle des actions, la transversalité des publics, est présentée au sein de grille d’intervention sur un public sectorisé.

De l’action à ses principes : les précautions du discours