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« Le territoire est une scène où se jouent des représentations en (plusieurs) actes ; l’acteur y est donc omniprésent » (Gumuchian et al. 2003 ; p.1). L’émergence de l’« acteur » coïncide avec l’irruption de l’individu dans la géographie sociale. Discipline marquée par un héritage d’approche marxiste, regardant l’espace au travers de rapport de classe, du groupe ou du collectif, les objets géographiques se sont progressivement orientés vers une reconsidération de l’individu. L’idée de l’« acteur » remonte aux années 50 et peut-être lisible au travers des travaux d’Henri Lefebvre (1974) sur la production de l’espace public, de ceux de Maurice Le Lannou (1949) sur l’homme-habitant ou encore d’Armand Frémont (1999) sur les espaces vécus (Gumuchian et al. 2003) etc. Il s’agit alors de reconnaitre le rôle des individus comme « actifs et pensants de leur territoire de vie » (Frémont 1999), comme le moteur des organisations sociospatiales. L’acteur serait donc l’individu en action. L’action définie par Hannah Arendt (1994) est :

« la seule activité qui mette directement en rapport les hommes sans l’intermédiaire des objets ni de la matière. [Elle] correspond à la condition humaine de la pluralité, au fait que ce sont des hommes et non pas l’homme, qui vivent sur terre et habitent le monde » (cité dans Séchet et Veschambre 2006, p.3).

En ce sens, la géographie sociale doit proposer une compréhension de la construction de la relation à l’autre dans l’espace et plus précisément dans l’espace comme construit social, soit le territoire.

L’acteur doit être considéré comme « ni homo economicus, ni idiot culturel » (Ripoll 2006) c’est-à-dire qu’il n’est pas une entité toute puissante ou indépendante des contraintes sociales ni une entité « hors-

sol » dont les ses origines ou la position sociale n’aurait pas d’importance. Il est nécessaire de produire des analyses prenant en compte le point de vue des acteurs, leurs subjectivités, de les « prendre au sérieux » (Ripoll 2006) dans ce qu’elles traduisent d’héritages, de stratégies et de spécificités d’action. De plus, l’ensemble de ces discours et modes d’action doivent se comprendre dans leurs contextes, sans pour autant faire du contexte un élément déterminant, chacun se complétant. Ainsi : « La dimension spatiale de la société ne peut s’analyser que dans et par l’action territoriale, mais [qu’] actions et territoire ne peuvent se comprendre que dans le champ de la dimension sociale de l’espace » (Gumuchian et al. 2003 p.15). En cela, on se rapproche d’une forme de constructivisme.

Ces approches poussent à adopter des approches à grandes échelles, se rapprochant du local et du point de vue des individus ou groupes sociaux acteurs, via l’application de méthodes qualitatives. Néanmoins, cela présente le risque d’ignorer d’autres échelles importantes de la structuration politique et économique (Baudelle 2006). Pourtant les dynamiques, décisions et jeux d’acteurs à ces échelles ont un rôle dans les formes qui vont se développer localement. Le travail de terrain doit se construire avec la compréhension des différentes échelles d’intervention politiques et sociales (Vieillard-Baron 2006).

La nature de l’acteur est donc variée. On retrouve des acteurs politiques, économiques, associatifs ou institutionnels, mais aussi les habitants, résidents, usagers, les professionnels d’un secteur particulier, les acteurs de la ville, du département ou de la région, etc. Une approche par le système d’acteurs gérontologiques territorialisés suppose de définir la nature ou le sens de cette territorialisation et le nombre et la nature de ces acteurs, leurs échelles respectives et leurs types de relations.

3. Vers une géographie du bien-vieillir dans les Centres

Sociaux

Introduction

Ce tour d’horizon de différentes géographies du vieillissement n’a pas pour objectif d’être exhaustif. Il propose de présenter les différents courants qui influencent l’ancrage théorique des travaux menés au cours de cette thèse. Étant donné la démarche itérative de cette thèse (voir Introduction de la Partie I), ce n’est pas une construction théorique de la problématique de recherche a posteriori, mais une présentation des différents courants qui viennent sous-tendre certaines questions de recherches inhérentes à l’objet d’étude.

En ce sens, cette démarche correspond aux postures anglo-saxonnes quant au choix de postures théoriques se basant sur « leurs correspondances perçues avec un projet ou un problème de recherche particulier » (Robin Kearns et Collins 2010 cité dans Collins et al. 2011 p.93). Si ce positionnement semble le plus pertinent au regard de notre objet, il n’a pas de volonté généraliste.

Tableau 10 : Questions de recherche et axes de réflexions

Questions de recherche Axes

Quel est le rôle, la place du territoire dans la pratique des Centres Sociaux ? Comment la démarche de diagnostic du projet social

oriente-t-elle l’action des structures ? Dans le quotidien des

structures, existe-t-il une différence entre l’usager et l’habitant ? La question du territoire dans les

Centres Sociaux En quoi alors les actions répondent-elles à des problématiques

identifiées sur le territoire ? Comment ces problématiques sont-elles identifiées ?

Comment les Centres Sociaux, via leur action territoriale, se proposent-ils d’être des « partenaires des pouvoirs publics » sur la question du vieillissement ? Quel regard portent les pouvoirs publics en question sur les Centres Sociaux ? Quel est, ou peut-être, le rôle

des Centres Sociaux dans l’action publique autour du vieillissement ?

Les Centres Sociaux au sein d’un système d’acteur du bien-vieillir Quelle est la place que peuvent prendre les Centres Sociaux ?

Comment s’intègrent des acteurs d’animation globale et collective dans un champ historiquement structuré autour d’une intervention

sectorisée et individuelle ?

Comment se placent les Centres Sociaux entre ces différents courants, qui coexistent et positionnent les acteurs locaux ? Sont-ils

intégrés et reconnus par d’autres acteurs ? Sur quoi porte cette reconnaissance, si elle existe ? Quels peuvent être les freins à cette

reconnaissance ? Existe-t-il des différences départementales ? L’action « vieillissement » des Centres Sociaux est-elle une action

endogène ou exogène ? Par qui, comment et pourquoi est-elle définie ?

Bien-vieillir pour les Centres Sociaux En quoi la culture professionnelle des Centres Sociaux joue-t-elle un

rôle dans leur proposition en termes de vieillissement ? Quelles implications, l’intégration des Centres Sociaux a sur leurs pratiques dans un contexte prompt à l’isomorphisme institutionnel ? Evaluer l’impact de l’action des Centres Sociaux en termes de Bien-

vieillir revient à comprendre en quoi est ce qu’ils donnent la possibilité de participer.

Bien-vieillir dans les Centres Sociaux Quelle perspective doit-on alors mettre en avant pour qualifier le

bien-vieillir ?

Quelles sont ces activités ? Pour qui et par qui sont-elles pensées ? Quelles sont leurs traductions en termes de bien-vieillir ? Aux

besoins de quelles populations répondent-elles ? Sont-elles accessibles à tout type de population?

Réalisation : Juliette Michel 2019

Ce positionnement influence et est influencé par la formulation de notre problématique. Le choix de certaines approches repose sur les questions de recherche formulées dans les chapitres précédents. Cela permet de faire émerger 4 axes de réflexion principaux (tableau 10) : la question du territoire dans les Centres Sociaux, l’inscription des Centres Sociaux au sein d’un système d’acteur du bien-vieillir, le bien- vieillir pour les Centres Sociaux (la manière dont il est pensé et proposé) et dans les Centres Sociaux (l’impact sur la population). La prise en compte de ces questionnements et des liens que chacun entretient avec certains éléments de notre cadre théorique conduit à la formulation de l’approche choisie pour cette thèse (I.3.3.1) et à la réflexion autour des espaces du bien-vieillir (I.3.3.2).