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2.2. Approche documentaire, ressources vivantes et cycle de vie d’un document vie d’un document

2.2.3. Vers les concepts de ressources-mères et de ressource-fille

Comme nous venons de l’annoncer, une dénomination des ressources combinées, qui entrent en jeu dans la construction d’un document, est nécessaire. C’est à cet objectif que cette partie tente de répondre. Nous présentons ici notre contribution à l’approche documentaire. Cette contribution réside, en effet, dans la proposition des concepts de « ressources-mères » et de « ressource-fille ». Nous explicitons dans cette partie la réflexion qui a engendré et accompagné cette proposition et nous donnons la définition de ces deux concepts.

Nous venons de présenter dans les paragraphes précédents deux notions qui constituent l’essence de l’approche documentaire, à savoir la notion de ressource et celle de document. Cependant, il nous semble important de bien distinguer ce qui relève de chacune de ces deux notions, et encore plus ce qui relève de ce qui est utilisé et de ce qui est produit au cours du

travail de l’enseignant sur les ressources. Nous avons vu d’après la définition de document (§ 2.2.2) que les régularités observables dans l’activité de l’enseignant (les usages) conditionnent la construction d’un document ; autrement dit, une seule utilisation13

d’une ressource n’aboutit pas à un document. Ainsi, un document se construit dans le temps long, c’est le temps des genèses. En outre, nous avons vu qu’une ressource renvoie à tout élément que l’enseignant mobilise pour penser et préparer son enseignement (§ 2.2.1). En exploitant ainsi l’approche documentaire, nous nous sommes posé la question suivante : comment conceptualise-t-on et définit-on ce que l’enseignant conçoit pour le mettre en œuvre dans sa classe ?

Selon notre point de vue, nommer « ressource » à la fois ce qui est mobilisé et ce qui est produit par l’enseignant pourrait induire une confusion. De plus, nous ne pouvons pas qualifier ce que l’enseignant conçoit, pour une mise en œuvre en classe, comme étant un document du fait que le document se construit dans le temps et suppose des régularités dans l’action du professeur. Ainsi, ni le mot ressource ni le mot document ne conviennent pour décrire ce que l’enseignant produit à partir des ressources qu’il exploite. La question que nous nous sommes ainsi posée et qui a déclenché cette réflexion nous a amenée à penser des termes qui permettent de rendre compte de ce que l’enseignant utilise et mobilise pour préparer son enseignement et de ce qu’il produit et développe à partir des ressources de départ. Deux concepts, à savoir « ressources-mères » et « ressource-fille », sont ainsi introduits pour répondre à notre questionnement.

Nous proposons d’introduire le concept de « ressources-mères » pour définir l’ensemble de ressources de départ que l’enseignant mobilise pour préparer un enseignement donné. Nous désignons par ressource-fille ce que l’enseignant a préparé et va mettre en œuvre dans sa classe à l’issue de l’étape de la conception ; une ressource-fille est donc le résultat finalisé, à un moment donné, pour une mise en œuvre dans la classe, le produit et le fruit de ressources-mères14. Ainsi, dans ce que nous proposons, nous considérons que la ressource-fille résulte de la mobilisation et de la recombinaison de ressources-mères.

Le professeur va, au cours du temps, recevoir et chercher des ressources que son travail rend nécessaire pour un objectif d’enseignement donné. Parmi celles-ci, certaines sont, a

posteriori repérables et explicitables par le professeur, d’autres ne le sont pas nécessairement.

En fait, le professeur est exposé, au cours du temps, à des ressources dont il ne réalise pas toujours l’effet sur son travail documentaire. Précisant la définition que nous avons donnée ci-dessus, nous considérons que les ressources-mères constituent l’ensemble des ressources, repérables et explicitables par le professeur, qui ont permis d’aboutir à la ressource-fille.

Il est important aussi, à nos yeux, d’expliciter la différence entre une ressource-fille et une ressource intermédiaire (version intermédiaire de la ressource-fille produite au cours du processus de conception). Comme nous l’avons avancé ci-dessus, une ressource-fille constitue le résultat finalisé, prêt pour une mise en œuvre en classe, de tout ce qui a été produit, c’est ce

13 Nous distinguons une utilisation qui peut être ponctuelle et un usage qui suppose une régularité (Lagrange et al., 2009)

14 Nous avons pensé cette métaphore mère/fille en lien avec le domaine de la chimie : une solution-mère en chimie est une solution dont on pourra faire des solutions-filles par prélèvement d’une certaine quantité, complétée par l’apport d’une quantité juste nécessaire de solvant afin d’obtenir la concentration souhaitée.

qui sera mis en œuvre en classe ; elle se distingue de ce fait de la ressource intermédiaire. Un questionnement s’impose alors : qu’est-ce qu’on considère comme ressource-fille ? Est-ce uniquement le texte préparé par l’enseignant pour une mise en œuvre en classe ? Ou s’agit-il d’autres ressources recombinées ? Pour répondre à ce questionnement, nous nous référons à Gueudet & Trouche (2007) qui suggèrent que la considération de tout ensemble de ressources, de tout système de documents nécessite de prendre en compte trois niveaux :

- le niveau des supports matériels utilisés : papiers, numérique, mais aussi les artefacts de type classeur, ordinateur, logiciel ;

- le niveau des contenus mathématiques, analysables en termes d’organisations mathématiques (OM) ;

- le niveau des éléments relatifs à l’exploitation en classe, à la planification, analysables en termes d’organisations didactiques (OD).

Nous suivons ces auteurs et nous considérons ainsi trois niveaux constitutifs d’une

ressource-fille : le niveau des supports matériels, le niveau des contenus chimiques et le

niveau des éléments relatifs à l’organisation didactique ou, autrement dit, à l’orchestration

instrumentale (Trouche, 2005) c'est-à-dire à la gestion didactique des artefacts d’un

environnement pour la mise en œuvre d’une situation donnée. Donnons un exemple qui permet d’appuyer notre argument : considérons un professeur en chimie qui a exploité un ensemble de ressources-mères dans l’objectif de préparer son enseignement sur la réaction chimique. Une ressource-fille qui sera mise en œuvre en classe en est le résultat. Cette ressource-fille comporte au niveau des supports matériels : une fiche papier pour les élèves, un logiciel de simulation de réaction chimique, et un tableur qui seront intégrés au fil de la séance de classe de cet enseignant. Le niveau des contenus chimiques réside dans les concepts qui font l’objet de la ressource-fille. Nous pouvons relever également des traces d’organisation didactique de cette ressource-fille, comme par exemple un moment de travail autonome avec le logiciel, un moment de mise en commun des propositions des élèves, et un moment d’institutionnalisation à la fin de la séance.

Ainsi, nous avons explicité dans cette partie les deux concepts de « ressources-mères » et de « ressource-fille » que nous proposons d’introduire dans l’approche documentaire. Nous avons considéré les ressources-mères comme l’ensemble de toutes les ressources qui entrent dans la composition d’une ressource-fille. Nous avons également souligné que parmi cet ensemble de ressources qui vont être mobilisées, à un moment ou à un autre, pour donner naissance à une ressource-fille, l’enseignant n’est capable de repérer et d’expliciter qu’une partie, et qu’il y aura bien évidemment d’autres ressources qui entrent comme des ingrédients « naturels ». Autrement dit, le professeur n’a pas le sentiment qu’il les a mobilisées, mais elles sont là comme supports à l’élaboration de la ressource-fille et au-delà à la construction d’un document. De ce fait, pour nous, chercheurs, il faut reconnaître que nous ne pouvons avoir accès qu’à une partie de la partie que le professeur arrive à identifier et expliciter.

Dans ce qui suit, nous situons les deux concepts de ressources-mères et de ressource-fille par rapport à la notion de document.