• Aucun résultat trouvé

Hypothèses de recherche

3.1. Principes pour la conception de la méthodologie

Analyser le travail documentaire des professeurs, dans ses composantes individuelles et collectives, est sans doute une tâche complexe. Gueudet & Trouche (2010) ont développé, pour l’étude du travail documentaire d’un enseignant, une méthodologie spécifique :

l’investigation réflexive. Cette méthodologie est fondée sur l’idée d’un suivi, de façon

continue, des activités de l’enseignant sur une durée significative et sur le principe de

réflexivité où l’enseignant est étroitement associé au recueil de données. De ce fait, les outils

méthodologiques conçus pour l’étude du travail documentaire d’un enseignant doivent stimuler cette réflexivité.

La méthodologie que nous avons développée s’inspire de cette méthodologie d’investigation réflexive. Cependant, comme l’investigation réflexive est centrée sur l’étude des composantes individuelles du travail documentaire d’un enseignant, nous avons poussé cette méthodologie pour pouvoir considérer les composantes collectives de ce travail et prendre ainsi en compte les systèmes d’activité du professeur en chimie au sein de communautés diverses (§ 2.4.3). L’étude de Sabra (2011) exploite également la méthodologie d’investigation réflexive dans le cadre de collectifs et la prolonge pour inciter à une réflexivité aussi bien sur l’activité individuelle que communautaire. Si notre étude et celle de Sabra (ibidem) s’appuient sur l’investigation réflexive et l’étendent pour prendre en compte la dimension collective de la documentation des enseignants, nos manières d’approcher le travail collectif enseignant sont différentes : alors que la recherche de Sabra porte sur le travail collectif au sein d’une communauté qui joue un rôle critique, notre étude considère les interactions collectives de l’enseignant au sein de communautés diverses (la communauté est appréhendée au sens d’espaces d’interactions).

Nous présentons dans cette partie les principes essentiels qui fondent la conception de notre méthodologie. Nous procédons d’abord à une étude quantitative, à large échelle, de ce que les enseignants de SPC pensent des DI (§ 3.1.1). Ensuite nous nous centrons sur une étude

qualitative où nous visons un suivi de durée longue du travail documentaire du professeur en

chimie (§ 3.1.2), un suivi continu (§ 3.1.3), un suivi réflexif (§ 3.1.4), un recueil étendu de ressources (§ 3.1.5) et un suivi prenant appui sur la conception dans l’usage (§ 3.1.6).

3.1.1. Etude à large échelle de ce que les enseignants de SPC pensent

des DI

Les DI recommandées dans les prescriptions institutionnelles, et plus particulièrement dans le nouveau programme de SPC de la classe de seconde, constituent une nouvelle complexité du travail de l’enseignant (§ 1.3). Les travaux de recherche sur la mise en œuvre de DI (e.g. Calmettes 2008 ; 2009) ont mis en évidence des écarts entre la façon dont les DI s’incarnent dans les classes et la façon dont elles s’expriment à travers les demandes institutionnelles. Ces travaux révèlent également des difficultés rencontrées par les enseignants et provoquées par ce nouveau contexte d’enseignement des sciences. La question d’appropriation des DI par les enseignants est donc fondamentale.

Cependant, nous considérons que la façon dont l’enseignant s’approprie et met en place les DI est étroitement liée à la façon dont il pense les DI. Explorer ce que les enseignants de SPC pensent des DI et les définitions qu’ils donnent des DI est donc, à nos yeux, primordial. C’est ainsi que notre méthodologie consiste, en partie, en une méthodologie quantitative qui repose sur un principe d’étude d’un large échantillon des enseignants de SPC, au niveau national, afin de répondre à cet objectif. Ceci nous aide sans doute à mieux comprendre les difficultés et les conceptualisations des enseignants au regard des DI, ce qui est à même d’outiller la recherche.

Cette étude quantitative est articulée à une étude qualitative, dont nous présentons les principes dans la section suivante.

3.1.2. Un suivi de durée longue du travail documentaire du professeur

en chimie

Nous avons mis en évidence dans le chapitre précédent que l’analyse d’un document suppose des régularités observables dans l’activité de l’enseignant (§ 2.2.2) ; c’est un processus que nous avons modélisé sous forme d’un cycle de vie et qui se déploie sur des durées longues avec des composantes individuelles et collectives (§ 2.2.4). En effet, le temps de l’exploration, de la sélection, de la composition, de la mise en œuvre, confère aux ressources une durée de vie longue que nous devons prendre en compte dans notre étude. Il s’agit d’étudier l’activité, l’évolution du système de ressources et le développement des PCK et des orientations de l’enseignant pour les DI (§ 2.6). Ceci suppose donc de saisir des éléments de stabilité et des évolutions dans la durée, et d’attraper ainsi la continuité du développement sur un temps suffisamment long. Ajoutons aussi que le travail documentaire concerne toutes les facettes de l’activité professionnelle des enseignants : préparation de la classe, réunion avec les collègues du lycée, formation continue, etc. (§ 2.2.1). Tenir compte de

toutes ces facettes et de tous les systèmes d’activité de l’enseignant (§ 2.4.3) demande une observation sur une durée qui permette de les rencontrer aussi largement que possible. Ainsi, ces différents éléments indiquent la nécessité du temps long, rapporté pragmatiquement aux possibilités d’observations.

3.1.3. Un suivi continu du travail documentaire du professeur en

chimie

La classe est un lieu important de travail documentaire, où une ressource-fille conçue est mise en œuvre, et où des interactions directes avec les élèves amènent des adaptations, des révisions, des improvisations… Cependant, une part importante du travail du professeur a lieu en dehors de la présence des élèves. Il s’agit, en effet, d’effectuer un suivi permettant d’appréhender le système d’interactions de l’enseignant, l’évolution de son système de ressources et le développement de ses PCK et de ses orientations pour les DI. Il nous semble donc indispensable de prendre en compte les systèmes d’activité de l’enseignant au sein de communautés variées : les communautés de classe ainsi que les communautés professionnelles auxquelles l’enseignant appartient (§ 2.4.3). D’une part, ceci suppose un suivi continu de recueil de données. D’autre part, comme ces systèmes d’activités prennent place dans un ensemble de lieux dispersés (à domicile, en classe, dans la salle des professeurs, dans des établissements scolaires, dans des associations, au sein d’autres communautés, etc.), il est nécessaire de considérer directement le travail du professeur, en classe comme hors classe. Ainsi, un suivi continu autant que possible, dans une variété de lieux, s’impose.

3.1.4. Un suivi réflexif du travail documentaire du professeur en

chimie

Nous avons précisé dans la partie précédente que nous voulons concevoir une méthodologie permettant un suivi autant que possible continu des systèmes d’activité de l’enseignant au sein de communautés diverses, aussi bien en classe qu’hors classe (§ 3.1.3). Cependant, nous ne pouvons pas toujours avoir accès à l’ensemble de ces systèmes d’activité qui mettent en jeu des interactions collectives de l’enseignant avec plusieurs acteurs et en plusieurs lieux. Ceci suppose donc que les professeurs eux-mêmes collaborent avec le chercheur pour participer au recueil de données. Il s’agit alors de solliciter le regard réflexif du professeur sur sa propre activité. En effet, seul le professeur a accès à l’ensemble de son activité, hors classe et en classe ; son regard réflexif est indispensable au chercheur, y compris pour identifier ce que sont ses ressources. Il nous semble alors nécessaire de mettre en place des outils méthodologiques incitant la réflexivité. Certains sont propres à la méthodologie d’investigation réflexive, d’autres en constituent un prolongement (§ 3.2).

Néanmoins, il ne s’agit pas d’affirmer que le professeur peut décrire exactement la structure complexe et évolutive de son travail documentaire. Comme le notent Sensevy & Mercier (2007), il existe une distance irréductible entre la sémantique familière de l’action et le langage des modèles : les descriptions fournies par les professeurs ne sont pas toujours

considère que « la description et l’analyse de l’action humaine supposent la prise en compte du sens de leur action pour les acteurs » (p. 41). De ce fait, nous retenons, comme Gueudet & Trouche (2010), une posture générale de notre recherche qui stimule une réflexivité du professeur en chimie sur son travail documentaire en l’impliquant activement dans le recueil de données. Ainsi, dans le contexte de notre étude, le regard du professeur sur son propre travail et celui du chercheur se complètent et s’enrichissent mutuellement.

3.1.5. Un recueil étendu des ressources du professeur en chimie

Nous considérons les interactions du professeur en chimie avec les ressources comme des éléments majeurs de son activité professionnelle (§ 2.2.1). Le professeur exploite des ressources-mères, il effectue un travail de conception produisant des ressources-filles pour son enseignement (§ 2.2.3). Ces ressources constituent des données essentielles pour l’étude du travail documentaire et sont révélatrices de la pratique et des connaissances professionnelles de l’enseignant.

Afin d’aborder la variété de systèmes d’activité du professeur en chimie et les différentes facettes de son travail documentaire, il convient donc de recueillir de manière aussi étendue que possible ces ressources matérielles pendant la durée du suivi. De ce fait, notre méthodologie se base sur un principe de recueil de ressources matérielles mobilisées ou produites dans le travail documentaire de l’enseignant et à travers ses interactions collectives au sein de communautés variées. Nous nous attachons donc à collecter les ressources matérielles des professeurs : celles qu’ils ont utilisées (les ressources-mères), et celles qu’ils ont élaborées, au fil de leur travail (les ressources-filles). Nous nous intéressons aussi à toutes les ressources issues d’échanges, avec les élèves comme avec les collègues. Ainsi, nous tâchons de recueillir, autant que faire se peut, les ressources matérielles engagées dans les étapes du cycle de vie d’un document.

3.1.6. Un suivi prenant appui sur la conception dans l’usage

L’ensemble des choix méthodologiques dépend, certes, de notre problématique d’étude et de nos choix théoriques. En effet, notre méthodologie est conçue a priori en fonction de nos questions de recherche et de nos outils théoriques. Elle est donc conçue pour l’usage, en particulier pour le suivi de la documentation et du système d’interactions de l’enseignant. Par ailleurs, nous avons mis en évidence dans le chapitre précédent qu’une ressource-fille, conçue pour l’usage en classe, peut être adaptée in situ en fonction du retour des élèves (§ 2.2.4). Nous avons noté que ces adaptations sont une manifestation de la conception dans l’usage (Rabardel, 2005) : les processus de conception de la ressource-fille se poursuivent dans l’usage, la ressource-fille est modifiée, recombinée et ajustée au fil de son utilisation.

La méthodologie que nous nous attachons à mettre en place sur le terrain expérimental se veut être une méthodologie adaptable qui, comme une ressource-fille, adhère au principe de la conception dans l’usage. Outre la prise en compte des choix liés à notre problématique d’étude et à notre cadre théorique, la conception de notre méthodologie s’effectue au regard des conditions du terrain expérimental. Elle se poursuit ainsi a posteriori en fonction de ses effets et des modifications qui peuvent avoir lieu dans le contexte spécifique dans lequel elle

se met en place. De ce fait, un travail de régulation et d’adaptation de la méthodologie se déroule en permanence. Ceci explique donc le fait que la conception de notre méthodologie se poursuit dans l’usage, au cours de plusieurs mises en œuvre. Suivant cette perspective, nous pensons alors des outils méthodologiques flexibles, pouvant être adaptés, selon les besoins, aux conditions du travail du professeur.

Ainsi, au cours de la mise en place de notre méthodologie, nous (chercheur) réorganisons constamment la structure de la méthodologie et nous nous attachons à développer les potentialités des outils méthodologiques afin d’apporter des éléments de réponse à nos questions de recherche. Les processus de conception pour l’usage et dans l’usage s’articulent donc dans un même mouvement de développement des outils méthodologiques.

3.1.7. Conclusion

Nous avons présenté dans l’ensemble de cette partie les principes essentiels qui fondent la conception de notre méthodologie. Nous avons mis en évidence que le suivi du travail documentaire individuel et collectif est une tâche complexe qui suppose la prise en compte de plusieurs paramètres : la durée du suivi afin de mettre en lumière des régularités et des évolutions ; un suivi de l’activité de l’enseignant dans sa globalité en classe et hors classe ; un suivi associé des activités et des ressources. Il s’agit donc d’aller au-delà d’une observation temporelle isolée et de prendre en compte à la fois le travail en classe et hors classe ainsi que les ressources exploitées ou élaborées au cours de ce travail.

En outre, le suivi du travail documentaire, dans ses composantes individuelles et collectives, ne peut être réalisé seulement par un observateur extérieur du fait que ce travail habite tous les aspects de l’activité professionnelle de l’enseignant, tous les lieux, toutes les communautés fréquentées par l’enseignant. Notre méthodologie suppose donc le recours aux professeurs eux-mêmes pour que ceux-ci assurent une partie de ce suivi. Les enseignants sont ainsi des acteurs essentiels du recueil de données si l’on veut avoir accès à la continuité de leur travail documentaire, hors classe et en classe ; leur regard réflexif sur leur propre activité est sollicité.

Notre méthodologie se construit dans un ensemble de choix liés à la problématique de notre étude, au cadre théorique mobilisé et aux questions de recherche. Elle tisse également des liens avec le terrain expérimental. En effet, une adaptation au contexte spécifique dans lequel elle se met en place est, certainement, nécessaire. Les outils méthodologiques que nous avons développés sont ainsi conçus pour et dans l’usage. Nous avons également relevé que nous visons à travers notre méthodologie un suivi, à large échelle, de ce que les enseignants de SPC pensent des DI.

Dans ce qui suit, nous explicitons notre méthodologie de recueil de données, et plus particulièrement les différents outils méthodologiques que nous avons exploités dans le cadre de notre étude.