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Nous nous centrons ici sur l’analyse du système d’activité de Lucien au sein de la communauté formée par ses collègues de SPC de son lycée. Dans un premier temps, nous dégageons les règles suivies par cette communauté qui nous permettent d’inférer des caractéristiques du style de pensée que porte cette communauté. Dans un deuxième temps, nous présentons les outils mobilisés par les enseignants de cette communauté. Enfin, nous montrons l’impact des interactions collectives de Lucien, au sein de cette communauté, sur sa propre documentation.

39 Conseiller Principal d’Education : il est chargé du bon déroulement de la vie scolaire et contribue à placer les élèves dans les meilleures conditions d'apprentissage.

40 P2S : Pratique Scientifique en Seconde : c’est une nouvelle organisation de l’enseignement des sciences expérimentales en classe de seconde qui privilégie l’interdisciplinarité, et l’expérimentation dans un enseignement conjoint Sciences Physiques et Chimiques / Sciences de la vie et de la Terre.

Règles régissant les interactions collectives au sein de cette communauté

Nous présentons dans cette partie les règles (§ 2.4.3) que Lucien et ses collègues de SPC de son lycée emploient pour régir leurs interactions. Ces règles ont été inférées à partir de l’analyse de l’entretien général, mais aussi à partir de notre suivi de Lucien au cours de cette année et de notre visite, à plusieurs reprises, de son lycée où nous avons croisé ses collègues soit au cours de réunions, soit au cours de discussions informelles avec Lucien. A partir de ces règles, nous dégageons ensuite des caractéristiques du style de pensée (§ 2.4.3) porté par cette communauté.

Les échanges de Lucien avec ses collègues de SPC apparaissent centraux. Ces échanges se font d’une manière informelle ou au cours de réunions formelles, ou à travers des échanges de mails. Parmi les enseignants de SPC de la communauté du lycée, Lucien précise qu’il collabore le plus souvent avec Pauline, ils co-élaborent des ressources-filles ensemble, mais il échange aussi avec d’autres collègues, notamment avec Jean : « alors après c’est plus avec elle [sa collègue Pauline] donc c’est plus avec elle au quotidien et dans la durée. Avec Jean, on échange alors peut être sur d’autres aspects, c'est-à-dire que lui il s’est intéressé à des trucs de réflexions sur l’esprit critique, donc il est en contact avec des gens qui bossent dessus, ils font des séquences là-dessus. Donc il m’en parle et ça m’intéresse et souvent c’est vrai que je suis allé regarder ce qu’il faisait dans sa classe avec intérêt en disant que j’aimerai bien m’inspirer de ça, […] voilà je suis allé voir concrètement ce qu’il faisait parce que je trouvais ça intéressant » (EG, annexe 6, phrase 154). Soulignons que ceci a été précédemment mis en évidence à travers l’analyse de la RSTC où nous avons relevé un fort degré d’interactions entre Lucien et Pauline, suivi d’un degré d’interactions plus faible avec Jean.

Les interactions collectives de Lucien semblent influer sur sa documentation comme en témoigne sa réponse : « on discute beaucoup entre collègues sur ce qu’on a fait, sur ce qui a marché, sur ce qui n’a pas marché, sur ce qu’il faudrait faire et ça c’est évident ça joue sur ce que j’envisage de faire comme cours » (EG, annexe 6, phrase 14). Plus précisément encore, sa réponse reflète un aspect collectif crucial de son travail documentaire qui est marqué par la discussion sur la mise en œuvre de ressources-filles, et par suite sur le retour et le travail des élèves au cours des séances. Ainsi, ceci montre que la communauté de son lycée intervient au niveau de la révision de la ressource-fille après usage, une étape du cycle de vie (§ 2.2.4), pour la nourrir des effets observés. Notons que ces inférences ont été aussi corroborées par l’analyse de la RSSR de Lucien (§ 5.1.1). Ajoutons aussi que nous pouvons en inférer une

règle qui régit les interactions des enseignants de cette communauté et qui met l’accent sur

l’échange et la discussion sur le travail des élèves après la mise en œuvre de la ressource-fille. En outre, nous avons inféré d’autres règles qui orientent le système d’activité de Lucien, hors classe, au sein la communauté de ses collègues de SPC du lycée. Nous résumons l’ensemble de ces règles dans le Tableau 25. Une règle qui semble déterminante réside, en effet, dans la nécessité de mutualiser l’ensemble de leurs ressources afin que chacun puisse y avoir accès. Ce système d’activité comporte aussi une autre règle qui repose sur des observations croisées par les enseignants de cette communauté afin de suivre la mise en œuvre de

autres font quoi. Donc je pense que, par exemple mes collègues ont vu mes élèves en train de travailler » (EG, annexe 6, phrase 70) ; « donc ça était des occasions de se croiser et que mes collègues aperçoivent ce qui se fait en classe, […] du coup on en discute peut être cinq minutes comme ça ou on en rediscute après. Et puis à l’inverse, c'est-à-dire moi aussi […], je passe voir pendant cinq minutes ce qui se passe dans sa classe [classe d’un collègue] et on en discute à ce moment là » (EG, annexe 6, phrase 72). Le suivi de la mise en œuvre de ressources-filles en classe, par observation croisée, apparaît donc comme une règle qui organise les interactions au sein de cette communauté et qui permet, entre autres, de comprendre le travail des élèves en classe. Il est intéressant, cependant, de noter que l’identification de cette règle a été également appuyée par notre observation de classe où nous avons repéré un collègue de cette communauté qui est venu suivre, pour quelque temps, ce qui se passe dans la classe de Lucien.

Règles

Discuter sur le travail des élèves après la mise en œuvre de la ressource-fille Echanger les ressources pour que chacun puisse y avoir accès

Suivre la mise en œuvre de la ressource-fille à travers des observations croisées

Tableau 25. Les règles du système d’activité de Lucien au sein de la communauté de ses collègues de SPC du

lycée

Ainsi, le repérage de ces règles nous permet d’inférer que les enseignants de cette communauté partagent leurs réflexions, leurs questions, et leurs ressources. Leurs connaissances ainsi que leurs expertises se trouvent alors partagées : plus qu’un système de ressources, ce sont des éléments de systèmes documentaires qui semblent, en effet, partagés dans cette communauté. Cette mutualisation de ressources et de pratiques porte en germe la richesse d’un réel engagement des enseignants dans les activités de leur communauté. Par conséquent, nous considérons que les règles suivies par cette communauté témoignent que celle-ci est porteuse d’un style de pensée étroitement attaché et ouvert au travail collectif entre les enseignants de cette communauté. Ceci est d’ailleurs patent dans ce que dit Lucien : « je pense que ça peut exister ailleurs où la conception du travail individualiste de l’enseignement elle existe, mais elle n’existe pas chez nous » (EG, annexe 6, phrase 80) ; « on essaie de faire des réunions d’équipe puis ça fait depuis tout le temps ici au lycée qu’on discute entre collègues, qu’on se montre ce qu’on faisait et qu’on échange nos documents à destination des élèves. Donc ça j’ai toujours connu ça ici » (EG, annexe 6, phrase 136).

On voit bien donc que la documentation de Lucien porte la marque d’imbrication de facteurs individuels et collectifs. Ce sont les règles de la communauté qui contribuent à fonder le style de pensée de cette communauté, mais c’est aussi le style de pensée ou, autrement dit, ce sont les métarègles (§ 2.4.3) qui déterminent, en retour, les règles spécifiques de cette communauté. Ces dernières qui consistent en une mise en commun de ressources, des pratiques des enseignants, et du travail des élèves apparaissent, en effet, comme un ressort essentiel du style de pensée de cette communauté qui est caractérisé par une ouverture au travail des autres et par une tendance incessante de « travailler tous ensemble ».

Outils mobilisés par cette communauté : des CD et des classeurs vers le wiki

Cette partie est consacrée à la présentation de quelques outils (§ 2.4.3) mobilisés par la communauté des professeurs de SPC du lycée de Lucien, notamment les outils qui assurent la mutualisation de ressources entre les membres de cette communauté. Ces outils ont été inférés à partir de l’analyse de l’entretien général mené avec Lucien.

Comme nous venons de le préciser, le style de pensée porté par la communauté des professeurs de SPC du lycée de Lucien est ouvert au travail collectif. Celui-ci apparaît une pratique naturelle dans le lycée où la conception du « travail individualiste » (EG, annexe 6, phrase 80) de l’enseignement ne semble pas dominante. Bien que les enseignants de cette communauté aient partagé chaque année leurs ressources sur des CD et qu’ils aient également mis les ressources-filles que chacun produit dans un classeur à disposition de tous les collègues au laboratoire, Lucien souligne une difficulté qui a freiné l’exploitation de ces ressources : la difficulté à trouver du temps pour fureter dans le CD et le répertoire de chacun et examiner ce qu’il a fait. Si ces outils de mutualisation, notamment les CD et les classeurs du laboratoire, ont permis d’enrichir le système de ressources de chacun au sein de la communauté, ils présentaient toutefois des limites d’usage induits par des contraintes de temps. Ainsi, comme le rapporte Lucien, cette espèce de dialectique entre la mise à disposition des ressources pour qu’elles soient consultables et la nécessité d’interactions entre les enseignants pour favoriser l’exploitation de ces ressources n’a pas été complètement atteinte au sein de la communauté ; les enseignants n’ont pas réussi, faute de temps, à tenir les deux à la fois. D’où la mise en place, par Lucien, depuis deux ans, d’un nouvel outil, le wiki, conçu comme un espace qui accueille le travail collectif, mais aussi le travail individuel de chacun pour le rendre immédiatement accessible à celui qui voudrait se pencher dessus. Par la construction de ce wiki, Lucien avait pour objectif de rendre le travail collectif avec ses collègues plus rentable, plus efficace et plus fructueux comme en témoigne sa réponse : « pour moi ça fait un travail en permanence c'est-à-dire comment on fait pour arriver à mutualiser efficacement […], comment s’y prendre pour casser ce cercle vicieux où au final parce qu’on est dans l’urgence, parce qu’on va chacun refaire notre cours dans notre coin quoi […], on travaille tous comme ça, et en gros on arrive pas à casser à la fin cette habitude dont on est prisonnier du travail individuel. Alors moi c’est pour ça que je suis raccroché à cette histoire du wiki parce que le wiki m’a semblé un outil pertinent pour essayer bah de briser ce cercle vicieux et mettre en place des mécanismes de collaboration efficaces » (EG, annexe 6, phrase84).

Cependant, le wiki est essentiellement renseigné par Lucien d’une manière volontariste. Il y met les comptes-rendus des réunions de la communauté ainsi que ses propres ressources à destination de ses collègues ; il leur envoie un mail pour les informer des traces qu’il a laissées sur le wiki et il leur fait un lien vers les pages alimentées. Sa collègue Pauline a aussi joué le jeu et le wiki a été également nourri par sa contribution individuelle, d’une part, et sa contribution collective avec Lucien à travers la co-production de ressources-filles, d’autre part. Toutefois, Lucien mentionne qu’il est actuellement en attente de refaire une nouvelle version du wiki qui permettra de mutualiser beaucoup plus de ressources et qui aidera ainsi ses collègues à s’approprier davantage cet outil. C’est pour cela qu’il a arrêté de solliciter ses

Par ailleurs, Lucien a une conviction très forte quant à l’utilité du wiki pour le travail collectif et il essaie ainsi de « contaminer » ses collègues par cette conviction : « j’ai la conviction que cet outil pourrait être utile et donc moi j’ai une conviction très forte, j’essaye de la faire partager aux collègues » (EG, annexe 6, phrase 94). Il considère également le wiki comme une ressource personnelle pour son propre travail documentaire, c’est un complément de ses classeurs et de ses fichiers informatiques. Notons que nous avons identifié, à travers l’analyse de la RSSR (§ 5.1.1), que le wiki est considéré comme étant une ressource pour Lucien. Cependant, pour faire de cet outil un lieu de mutualisation et de réflexion propice au développement d’un travail collectif efficace, il faut, comme le mentionne Lucien, creuser les conditions favorables qui permettent de le faire vivre : le temps, c’est le temps pour apprendre à et avoir l’habitude de l’utiliser ; une dynamique du collectif suffisante et des réunions régulières ainsi qu’une conviction de son intérêt et de son utilité pour faire des efforts et le remettre en route. Par ailleurs, Lucien pointe une condition psychologique nécessaire à la mise en place d’un travail collectif : c’est la confiance qu’on a dans ce qu’on produit, qui est, bien entendu, une condition nécessaire pour proposer des ressources et initier donc un travail collectif.

D’après tout ce qui précède, nous pouvons mettre en évidence plusieurs constats : Lucien témoigne d’une volonté réelle de développer et de renforcer le travail collectif au sein de sa communauté du lycée, ce travail qu’il considère comme essentiel pour avancer et développer sa propre documentation. L’histoire de la création et de l’usage du wiki ne peut que refléter le rôle central joué par Lucien au sein de sa communauté en ce sens qu’il participe au développement d’outils de cette communauté. Le wiki est ainsi apparu pour répondre à des besoins liés aux genèses d’un travail collectif ; cela traduit bien l’intérêt fort de Lucien pour l’utilisation et le développement de ressources communes. On voit d’ailleurs qu’il essaie de « contaminer » ses collègues pour qu’ils partagent eux aussi cet intérêt et qu’il vise à instaurer ainsi une dynamique du collectif, une condition du développement d’un répertoire de ressources partagées et d’un travail collectif fructueux.

Impact des interactions collectives de Lucien au sein de cette communauté sur sa documentation

En nous basant sur l’entretien général, nous analysons ici l’impact des interactions collectives de Lucien, au sein de la communauté formée de ses collègues de SPC du lycée, sur sa propre documentation. Nous mettons également cette analyse en relation avec ce que nous avons inféré à travers l’analyse de la RSSR (§ 5.1.1) où apparaît aussi l’effet des échanges de Lucien avec ses collègues membres de cette communauté.

L’analyse de l’entretien général fait apparaître un intérêt fort de Lucien pour le travail collectif. Cet intérêt l’amène toujours à aller voir ce que font ses collègues et à maintenir un contact avec eux et une envie de travailler ensemble. C’est d’ailleurs cet intérêt qui l’a conduit, comme nous venons de le voir, à mettre en place le wiki. En effet, Lucien souligne la nécessité de savoir ce que produisent ses collègues et comment ils fonctionnent afin de fortifier ses échanges avec eux et d’entretenir ainsi le travail collectif : « il faut que je sache ce qu’ils [ses collègues] font, il faut que j’arrive à comprendre comment ils fonctionnent pour pouvoir toujours conserver la possibilité de tous travailler ensemble […]. Je trouve le fait de toujours garder

un contact vivant de qui fait quoi, comment ça se passe, c’est ça qui permette de maintenir une cohésion d’équipe et une possibilité de travailler ensemble » (EG, annexe 6, phrase 154). Il ajoute

que dès que ce contact se perd, la tendance de l’enseignant à travailler tout seul dans son coin revient très forte et, de ce fait, il faut toujours, selon lui, se battre contre cette tendance. Cependant, cet intérêt vis-à-vis du travail collectif s’explique par le fait que Lucien perçoit son travail collectif avec ses collègues comme indispensable voire incontournable pour avoir un enseignement de meilleure qualité, plus efficace auprès des élèves et qui arrive à mieux les faire réussir. Il affirme que « pouvoir mutualiser donc c’est être plus efficace » (EG, annexe 6,

phrase 140). Il considère d’ailleurs que son développement professionnel est en liaison étroite avec son travail collectif : « parce que j’ai envie de changer mes pratiques, en termes de travail, de production, etc., moi j’ai la conviction que ça passe par un travail de mutualisation, c'est-à-dire je m’en sortirais jamais si je prétends tout faire tout seul, […] c’est hors de portée d’une personne donc il faut mutualiser et pour mutualiser bah ça veut dire qu’on est capable de mutualiser des ressources »

(EG, annexe 6, phrase 80). Il précise aussi que quand il travaille avec ses collègues, il s’aperçoit qu’ils se motivent tous pour produire ensemble des ressources-filles et ils y prennent plus goût, ce qui n’est pas toujours le cas quand ils travaillent seuls, chacun dans son coin. Outre l’efficacité dans l’enseignement, un autre aspect lié à la motivation est donc engendré, selon lui, par le travail collectif.

Lucien relève également l’importance de l’apport de son travail collectif, au sein de la communauté de ses collègues de SPC du lycée, pour le développement de sa propre documentation : son travail collectif avec ses collègues lui permet de nourrir sa réflexion pédagogique générale et de partager des expériences d’enseignement et des idées de méthodes d’animation de la classe. Ceci a d’ailleurs été mis en évidence à travers l’analyse de la RSSR (§ 5.1.1) où nous avons repéré une réaction réversible entre les échanges de Lucien avec ses collègues et sa réflexion générale. Plus précisément encore, nous avons identifié à travers la RSSR que le travail collectif de Lucien au sein de cette communauté intervient au niveau de deux étapes du cycle de vie d’un document : la conception de ressources-filles et la révision de celles-ci après usage en classe. Nous avons aussi relevé une interférence, qui s’effectue au niveau des ressources, entre le système d’activité de Lucien au sein de cette communauté et son système d’activité au sein de la communauté de classe. Ainsi, le travail collectif de Lucien semble alimenter non seulement la conception de son enseignement, mais aussi sa réflexion générale ou, en d’autres mots, ses connaissances professionnelles.

En outre, Lucien souligne qu’en échangeant, en prenant du recul, et en confrontant ses idées et ses productions avec celles de ses collègues, il a envie et ressent le besoin d’évoluer sa pratique et arrive à avoir les idées assez claires pour le faire. Les effets de son travail collectif apparaissent aussi dans ce qu’il dit : « en mutualisant, on gagne du temps et on arriverait à atteindre les objectifs qu’on se fixerait et en se confrontant tous ensemble eh ben on est plus intelligent et donc du coup on va faire évoluer nos conceptions pédagogiques, gagner plus de richesse et de complexité » (EG, annexe 6, phrase 156). Bien que Lucien considère que les aspects collectifs de son travail documentaire soient coûteux en temps, il précise qu’ils pourraient le faire gagner du temps dans la mesure où il pourrait réutiliser le travail d’un autre collègue et