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Caractérisation des PCK à partir du savoir : la modélisation

2.4. Travail collectif et système d’interactions des enseignants

Nous introduisons cette partie par une revue de différents travaux de recherche portant sur le travail collectif enseignant et ses effets sur le développement professionnel des enseignants concernés, en particulier dans un contexte de DI (§ 2.4.1). Nous présentons ensuite différentes formes de travail collectif (§ 2.4.2). Nous faisons le choix de la théorie de

l’activité pour l’étude des aspects collectifs du travail de l’enseignant, et nous proposons une

caractérisation des communautés, auxquelles appartient l’enseignant, à partir des concepts de

collectif de pensée et de style de pensée (§ 2.4.3). Nous proposons ensuite le concept de système d’interactions pour rendre compte de l’ensemble des interactions collectives de

l’enseignant au sein de différentes communautés et nous suggérons une modélisation de ce système (§ 2.4.4). Nous faisons l’hypothèse que les systèmes d’activité d’un enseignant sont en interaction et nous parlons d’interférence des systèmes d’activité pour mettre en évidence les liens qui les articulent (§ 2.4.5).

2.4.1 Travail collectif et développement professionnel : état des lieux

De nombreuses études réalisées à propos de l’enseignement ont montré que le travail collectif est l’un des moteurs du développement professionnel des enseignants. Nous nous attachons dans cette partie à mettre en lumière quelques-unes concernant aussi bien la formation initiale que la formation continue des enseignants.

La question des collectifs des professeurs, dans la formation initiale et continue, a donné lieu à de nombreux travaux de recherche dont certains concernent le développement des DI dans les classes. Le projet LCM (Learning Communities in Mathematics, Jaworski et al., 2007), qui associe des enseignants et des chercheurs en didactique des mathématiques, est dédié à une formation visant le développement des DI (inquiry) dans les classes des enseignants qui en sont membres. Ce projet a abouti à l’introduction du concept de « communauté d’investigation » (inquiry community) et a mis en évidence le lien entre collectifs et DI. En effet, à travers ce projet, le travail collectif s’est avéré déterminant pour le développement des pratiques professionnelles tournées vers les DI. Par ailleurs, dans le cadre d’une formation continue pour l’enseignement des mathématiques et des sciences physiques, Coppé & Tiberghien (2010) ont étudié l’impact du travail collectif au sein des groupes de recherche-développement SESAMES qui réunissent des enseignants et des chercheurs en didactique. Ces auteures soulignent que les effets du travail collectif ont porté sur les pratiques des enseignants membres de ces groupes, et sur leurs connaissances professionnelles. En fait, la majorité des enseignants affirment avoir changé leur propre pratique d’enseignement, en particulier dans leur rapport avec leurs élèves, en traitant leurs erreurs différemment, en leur laissant plus de temps de travail autonome et en tenant compte de leur niveau. Ceci rejoint donc une modification des pratiques dans le sens des DI. Gueudet

et al. (2011) mettent en évidence des résultats comparables dans le cadre du projet

Pairform@ance16, un programme national de formation continue, et montrent ainsi que le travail collectif se révèle efficace en termes d’évolution des pratiques et des connaissances professionnelles des enseignants concernés. Ces études, qui concernent des collectifs « hybrides » formés de chercheurs en didactique et d’enseignants, recoupent d’ailleurs une conclusion de Rogalski (2005) qui indique que les effets d’un travail collectif portent à la fois sur les pratiques et sur les conceptualisations.

Dans le champ de la formation initiale, Leroy (2011) aborde la question du travail collectif enseignant comme facteur du développement professionnel. Elle insiste plus particulièrement sur le rôle du conflit sociocognitif au sein d’un groupe d’enseignants stagiaires participant à un dispositif de formation visant à inciter les enseignants à mettre en œuvre des DI dans leurs classes. L’étude montre que la création d’un conflit sociocognitif entre les enseignants impliqués dans le collectif fait évoluer leurs pratiques dans la perspective de DI.

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Par ailleurs, de nombreuses études montrent que les interactions informelles entre les enseignants constituent une importante source d’évolution de leurs pratiques (Grangeat & Gray, 2007 ; Piot, 2005). A cet égard, Grangeat et al. (2009) notent : « les discussions fréquentes ou les actions communes, souvent menées de manière informelle, transforment les conceptualisations et ces dernières sous-tendent de nouvelles manières d’agir et de penser » (p. 157-158).

Ainsi, les travaux de recherche que nous venons de présenter confirment ce que souligne Tardif (2007) : plutôt que d’opposer le travail en classe et le travail collectif des enseignants, il s’agit de voir comment les pratiques et les conceptions pédagogiques développées en classe s’articulent avec le travail collectif hors classe.

2.4.2 Formes de travail collectif

Le travail collectif est varié et multiforme. Nous nous attachons dans cette partie à mettre en évidence une diversité de formes de travail collectif qui renvoie à un champ très vaste dans lequel s’inscrivent notamment les concepts de travail « coopératif » et de travail « collaboratif ».

Si Dillenbourg (1999) souligne, dans une revue de littérature, que collaboration et

coopération sont parfois utilisées de manière synonyme, il précise que certains chercheurs

fondent la différence entre les deux notions sur le degré de division du travail. Par exemple, Roschelle & Teasley (1995) considèrent que le travail coopératif implique une division du travail entre les participants, chacun étant responsable d’une partie du problème à résoudre. Dans ce cas, les sous-tâches sont accomplies de manière individuelle, et souvent de manière asynchrone, puis les résultats de ce travail sont ensuite assemblés en un produit final. En revanche, pour ces auteurs, la collaboration « est une activité synchrone et coordonnée et qui résulte de la tentative continue de construire et de maintenir une conception partagée du problème » (p.70, notre traduction). Les participants s’engagent alors tous dans les mêmes tâches, en se coordonnant, afin de résoudre le problème ensemble.

Cela recoupe la distinction établie par Rogalski (1994) entre collaboration et coopération, deux formes d’engagement différentes selon la répartition des tâches dans un travail impliquant plusieurs acteurs. Cependant, afin de pouvoir étudier le travail collectif, Rogalski (ibidem) ajoute, à ces deux formes, une autre dimension du travail collectif, à savoir la coaction. De fait, elle montre que le travail collectif s’organise selon trois modalités, reprises ensuite par Grangeat (2011c) :

- la collaboration : elle intervient dans les situations où les sujets partagent la même tâche. Il s’agit ici, pour les acteurs, de coordonner leurs actions. Dans l’enseignement, c’est le cas, par exemple, des professeurs en chimie d’un même établissement puisqu’ils enseignent le même programme avec des objectifs et des démarches spécifiques à leur discipline ;

- la coopération distribuée : elle intervient dans les situations où les sujets effectuent des tâches différentes, cependant leurs activités concourent à atteindre un même objectif. C’est le cas, par exemple, des enseignants de différentes disciplines d’un même établissement qui coopèrent entre eux ;

- la coaction : elle intervient dans les situations où les sujets partagent un espace de travail ou un ensemble de matériels. Ici les activités des sujets s’effectuent en parallèle et sont indépendantes, mais aussi en forte interaction du fait des contraintes matérielles. C’est le cas, par exemple, des enseignants de différentes disciplines qui partagent le même laboratoire ou la même salle informatique.

Tout en maintenant comme modalité du travail collectif, l’activité coopérative orientée vers un même but à atteindre, Gronier (2006), dans le champ de la psychologie ergonomique, introduit deux nouvelles formes de ce travail : la coordination et la communication. Il considère de ce fait trois processus, intimement liés, qui régissent le travail collectif :

- la coopération : elle n’implique pas obligatoirement l’exécution de tâches en commun, même si celles-ci convergent toujours vers un objectif unique. La manière de concourir à l’atteinte du même but laisse à la coopération plusieurs manières d’y arriver (sous forme d’activités parallèles, d’activités conjointes, etc.) ;

- la coordination : elle constitue le complément indispensable de l’activité de coopération. Elle est l’ordre par lequel la coopération s’assure d’être efficace, et apparaît donc comme une condition du processus de coopération ;

- la communication : elle est décrite comme indispensable à la dimension collective du travail. Plus précisément, ce sont les communications verbales qui sont privilégiées dans le cadre de l’étude du travail collectif.

Par ailleurs, en ce qui concerne le travail collectif des enseignants, Barrère (2002) en identifie trois modalités, à partir d’une enquête qualitative menée auprès de quarante enseignants de collèges et de lycées : le travail obligatoire des réunions pédagogiques, le travail sur projets et les échanges informels. La première forme de travail collectif correspond aux « conseils d’enseignement » et surtout aux « conseils de classe » prescrits par l’institution. La deuxième forme de travail collectif, le travail sur projets, illustre l’engagement de plusieurs enseignants dans un projet collectif interdisciplinaire. Enfin, la dernière forme de travail collectif concerne les échanges informels en dehors de la classe.

Ainsi, les manières d’aborder le travail collectif s’avèrent multiples, mais complémentaires. Cette revue de littérature met en évidence la variété des termes employés pour décrire une activité collective, reflétant la variété des formes que peut prendre cette activité. La distinction entre travail coopératif et collaboratif paraît même délicate, en particulier pour une activité qui alterne des phases synchrones et asynchrones, et, très souvent, mixe ces deux aspects selon la tâche considérée. C’est pourquoi, d’autres auteurs (George, 2001 ; Jermann & Dillenbourg, 1999) optent pour un terme plus général, le terme « collectif ».

Dans notre travail, nous employons le terme générique « travail collectif ». Toutefois, sous cette appellation générique, le travail collectif peut revêtir, comme nous venons de le présenter, plusieurs formes pour que soit accompli un but en commun. Parmi ces formes, nous portons une attention spécifique à la collaboration et à la coopération qui nous permettent, en fonction de la division du travail, de caractériser et de décrire plus finement le travail collectif

Nous considérons, en adoptant la définition du travail collectif proposé par Grangeat (2011c), que « le travail collectif n’implique pas nécessairement une équipe, une communication en face-à-face ou même une régularité : il est déterminé par l’existence d’une mission ou d’un projet commun ou par la nécessité de partager des connaissances ou des ressources » (p. 80). C’est l’existence d’un but commun à l’ensemble des acteurs engagés dans le travail collectif qui est donc le déterminant de l’occurrence de ce type de travail. Ceci suppose une manière particulière pour les acteurs d’organiser les interactions et d’intégrer leurs actions en vue d’atteindre un but commun.

Dans ce qui suit, nous présentons la théorie de l’activité (Engeström, 1999) qui est susceptible de rendre compte des caractéristiques déterminant cette manière particulière, et de l’existence d’un but commun aux acteurs concernés par le travail collectif.

2.4.3 La théorie de l’activité

Nous introduisons ici la théorie de l’activité que nous exploitons pour l’étude des aspects collectifs du travail de l’enseignant, puis nous nous centrons sur un concept de base de cette théorie, à savoir le système d’activité. Enfin, nous proposons de caractériser la communauté, une composante du système d’activité, par des concepts issus de la philosophie des sciences : le style de pensée et le collectif de pensée.

Comme nous venons de le voir, l’existence d’un but commun est un des critères les plus importants de l’occurrence du travail collectif. C’est la base, la condition sine qua non de ce type de travail. Afin de prendre en compte cette condition, la théorie de l’activité (Engeström, 1999) nous semble particulièrement adaptée puisqu’elle permet de définir l’activité en fonction de ses buts. En effet, les questions centrales de la théorie de l’activité restent l’objet (le but), c’est ce qui lie les actions individuelles à l’activité collective.

La théorie de l’activité propose de décrire et de comprendre une activité comme un processus social de développement. Issue de l’approche fondatrice (perspective historico-culturelle) de Vygotsky (1920), développée ensuite par Leontiev (1978) et élargie par Engeström (1987) aux situations de travail complexes et collectives, cette théorie permet de décrire l’activité humaine dans son contexte réel et d’examiner toutes les relations qui l’influencent. Elle situe l’activité, les apprentissages et la conscience dans une matrice sociale composée d’individus et d’artefacts, gorgés de culture. Dans cette approche, l’étude des interactions est essentielle. De nombreux auteurs ont, en effet, exploité cette théorie pour analyser les situations d’apprentissage en classe (e.g. Bellamy, 1996 ; Cerulli et al., 2008). D’après cette théorie, les actions des sujets sont orientées par des buts afin d’atteindre des résultats. Un système d’activité peut être défini pour chaque but.