• Aucun résultat trouvé

2.1. Les DI, base d’un renouvellement de l’enseignement des sciences sciences

2.1.1. Qu’entend-on par « démarche d’investigation » ?

Nous ne prétendons pas ici faire une présentation exhaustive des travaux de recherche vu l’existence d’une vaste littérature consacrée aux DI, tant au niveau national qu’international. Néanmoins, nous nous attachons à tracer les principales perspectives qui en émergent afin de bien situer l’expression « démarche d’investigation ». Nous exposons à travers cette vue panoramique différentes définitions de cette expression proposées dans la littérature de recherche, et nous abordons des aspects didactiques et épistémologiques des DI ainsi que des déclinaisons possibles de cette expression, reflétant différentes formes de ces démarches.

De l’école au lycée, le renouvellement des programmes d’enseignement donne désormais une place importante aux DI (§ 1.2). Il est alors tout à fait naturel que ces démarches fassent aussi l’objet d’étude dans le domaine de la recherche en didactique. Dans les travaux de recherche, l’expression « démarche d’investigation » recouvre des significations diverses, associées aussi bien à des aspects didactiques qu’épistémologiques. Bien qu’il n’existe pas encore, dans la littérature de recherche en éducation, une définition qui fasse consensus, la

responsabilité accrue des élèves vis-à-vis du savoir reste le fondement de tout enseignement

basé sur les DI (Coquidé et al., 2009).

Beaucoup de définitions des DI mettent l’accent sur l’activité des élèves, et par conséquent, sur ce que devrait faire – et ne pas faire - l’enseignant. Par exemple, Millar (1996) définit une investigation dans l’enseignement comme « une tâche pratique où l'approche à suivre pour s'attaquer à une question ou résoudre un problème est ouverte : les élèves peuvent décider ce qu’ils observent ou mesurent, ce qu'ils modifient ou manipulent, quel équipement ils utilisent (dans le cadre des ressources disponibles) » (p. 11). Morge & Boilevin (2007) considèrent que cette définition est trop restrictive puisqu’elle ne retient que les situations

dans lesquelles le protocole expérimental est à inventer et exclut toute situation de recherche dans laquelle le phénomène est donné, où l’expérience n’est pas à construire. Ces auteurs proposent ainsi d’élargir cette définition. De fait, à partir d’un ensemble de situations proposées dans les recherches en didactique, ou/et en formation d’enseignants en physique et chimie, ils définissent l’investigation par un ensemble de critères, mettant notamment en évidence des tâches qui relèvent de la responsabilité de l’élève et que l’enseignant doit leur déléguer. Ces critères, comme ils le mentionnent, permettent de distinguer une séance d’investigation d’une autre séance d’enseignement :

- la séance comprend un enchaînement de tâches dont l’enseignant délègue la réalisation à ses élèves ;

- les élèves élaborent des productions en réponse aux tâches ;

- les élèves ont les moyens de participer au contrôle des productions et ils y participent ; - le contrôle des productions s’effectue par la recherche de leur validité, leur cohérence

(par opposition à la recherche de correspondance entre la production réalisée par les élèves et le savoir scientifique de l’enseignant) ;

- les élèves effectuent un apprentissage par la réalisation des tâches. Il ne s’agit pas uniquement d’un réinvestissement de connaissances ;

- des tâches d’ordre conceptuel sont à la charge de l’élève qui ne réalise pas uniquement des tâches d’ordre empirique (qui s’appuient sur des expériences).

Pour Larcher et Peterfalvi (2006), l’investigation met l’accent sur le questionnement et l’important est que l’élève construise ses connaissances : « l’activité cognitive des élèves, activité incontournable pour une appropriation individuelle, y est davantage « visible », sollicitée explicitement » (p. 829). Ces auteurs considèrent aussi que la démarche pédagogique basée sur les DI est compatible avec, ou repose implicitement sur, une théorie de l’apprentissage qui postule que chacun construit ses connaissances, que l’on apprend avec d’autres. Or on peut penser que la théorie de l’apprentissage qu’évoquent ces auteurs est à mettre en perspective avec le constructivisme (Piaget, 1964), qui met l’accent sur l’activité du sujet pour appréhender les phénomènes et construire sa connaissance, ou le socio-constructivisme (Vygotsky, 1985) qui y ajoute les interactions sociales, dans la mesure où le savoir est construit par un sujet en quête de connaissance, et développé dans un cadre social à travers les interactions entre pairs et experts. D’ailleurs, Calmettes (2008) abonde dans le même sens et affirme que, d’un point de vue didactique, le constructivisme et le socioconstructivisme paraissent des références possibles pour les DI. Morge & Boilevin (2007) soulignent aussi que les situations d’apprentissage en DI reposent sur l’hypothèse socio-constructiviste. De même, Mathé (2010) précise que « la conception et la mise en œuvre dans les classes de telles démarches [DI] supposent, sur le plan pédagogique, un déplacement d’un point de vue transmission-application vers un cadre socioconstructiviste qui donne davantage la responsabilité aux élèves en termes de développement de démarches et d’élaboration de savoirs » (p. 20). Ainsi, on peut comprendre cette promotion des DI à la lumière des fondements théoriques du constructivisme et du socio-constructivisme qui ont contribué à légitimer le recours à des méthodes pédagogiques dites « actives ».

D’autres conceptualisations des DI ont rapproché celles-ci de quelques concepts de la

théorie des situations didactiques que Brousseau (1998) a développée en didactique des

mathématiques. Par exemple, Calmettes (2009) considère que les DI présentent des caractéristiques des situations adidactiques (Brousseau, 1998). Celles-ci sont vécues par l’élève comme autonome, comme chercheur d’un problème lié à un savoir « enjeu » de la situation et où le maître se refuse à intervenir comme proposeur des connaissances qu’il veut voir apparaître. Donc le rapprochement des DI de telles situations résident dans le fait que c’est l’élève qui prend en charge la responsabilité de résoudre le problème et qui construit son savoir. Par ailleurs, certains chercheurs estiment que la responsabilité attribuée aux élèves vis-à-vis du savoir en jeu, au cours des DI, tient en partie au fait que les productions de ceux-ci (intellectuelles ou matérielles) constituent l’un des points de départ du travail du professeur. En ce sens, ils envisagent les DI comme une modalité spécifique de contrat didactique que Brousseau (1998) définit comme un ensemble de règles explicites ou implicites qui partagent et limitent les responsabilités de chacun, élèves et professeur, vis-à-vis d’un savoir enseigné. La définition des DI proposée par Gueudet et al. (2009) s’inscrit dans cette perspective : les DI correspondent à une forme de contrat didactique où l’élève exerce une responsabilité importante vis-à-vis du savoir en jeu et où l’enseignant s’appuie sur les productions des élèves pour faire avancer le savoir dans la classe.

Par ailleurs, d’un point de vue épistémologique, les DI sont étudiées au regard de l’éventuelle transposition didactique des démarches scientifiques et des modalités de construction des « savoirs savants » scientifiques (Calmettes, 2010). La notion de transposition didactique a été, en effet, développée par Chevallard (1991) pour désigner l’ensemble des transformations que subissent un savoir savant (savoir produit par l’activité scientifique) jusqu’à devenir un savoir enseigné en classe, en passant par sa description dans les programmes scolaires (savoir à enseigner) et son appropriation par les enseignants. Mathé (2010), par exemple, propose de reprendre le modèle de la transposition didactique de Chevallard (1991), et de l’appliquer non pas à des concepts et des savoirs, mais à des démarches scientifiques. Elle considère, de ce fait, que les démarches scientifiques employées par les chercheurs correspondent aux « savoirs savants », que les DI telles qu’elles sont décrites dans les programmes renvoient au « savoir à enseigner », et que les DI dans les pratiques des enseignants relèvent du « savoir enseigné ». De leur côté, Morge & Boilevin (2007) notent que les DI peuvent être rapprochées de la pratique de la recherche scientifique. Ils évoquent trois éléments essentiels, communs entre une démarche scientifique et les DI, permettant de discuter cette possible transposition : une tâche à effectuer ou un problème à résoudre, un travail en équipe, et la communication des résultats des recherches aux autres équipes. Cependant, bien que les DI soient interrogées pour ce qu’elles sont sur le plan scientifique, et surtout par rapport à la transposition didactique qui peut en être faite, Calmettes (2009) affirme : « « Référence » ne signifie pas « identité » et bien évidemment, il ne peut s’agir de « reproduire » en classe un laboratoire de chercheur scientifique et bien d’autres aspects seraient à discuter de ce point de vue : durée, recherches bibliographiques, gestion des errements, contextes de production, programmes de recherche, etc. ». Pour leur part, Gengarelly & Abrams (2009) présentent une réflexion sur la distinction entre l’investigation en classe et l’investigation scientifique par les chercheurs, en pointant des différences dans les sujets

abordés et dans l’engagement (il s’agit d’un investissement authentique pour les scientifiques en vue de comprendre les phénomènes naturels). Ces auteurs définissent également un objectif général pour l’investigation en classe : améliorer la compréhension des concepts scientifiques, comprendre la nature de la science (nature of science NOS), cultiver l’aptitude à trouver des réponses à des questions sur le monde naturel, et améliorer les attitudes envers la science.

Néanmoins, l’expression « démarche d’investigation » ou « inquiry » s’avère polysémique ; « il est devenu un slogan englobant de nombreux aspects de l’enseignement des sciences, mais aussi un label utile qui résume de nombreuses idées importantes et peut servir à intégrer différentes facettes de la pratique éducative » (Anderson, 2007, p. 808, notre traduction). En effet, cette expression a différentes significations dans des contextes variés. Par exemple, dans les documents de réforme de l’enseignement des sciences aux Etats-Unis (NRC, 1996), le terme « inquiry » est largement utilisé, mais suivant différentes manières. En fait, trois principales utilisations de ce terme, qui reflètent trois formes de l’investigation, en ressortent : on retrouve l’idée de l’investigation scientifique (scientific inquiry), de l’apprentissage basé

sur les DI (inquiry based learning) et de l’enseignement basé sur les DI (inquiry based teaching). Bien entendu, ces trois formes, quoique distinctes l’une de l’autre, sont aussi liées.

L’investigation scientifique renvoie, selon le NRC (1996), aux différentes manières par lesquelles les scientifiques étudient le monde naturel et proposent des explications basées sur des évidences issues de leur travail. De ce fait, le travail des scientifiques, la nature de leurs investigations, les capacités et les compréhensions nécessaires pour accomplir ce travail sont au cœur de cet usage du mot « investigation ». Quant à l’apprentissage basé sur les DI, il consiste en un processus actif de l’apprentissage : « Inquiry is central to science learning. When engaging in inquiry, students describe objects and events, ask questions, construct explanations, test those explanations against current scientific knowledge, and communicate their ideas to others. They identify their assumptions, use critical and logical thinking, and consider alternative explanations. In this way, students actively develop their understanding of science by combining scientific knowledge with reasoning and thinking skills » (p. 2). En ce qui concerne l’enseignement basé sur les DI, il renvoie aux activités dans lesquelles les élèves développent une connaissance et une compréhension des idées scientifiques et de la façon dont les scientifiques étudient le monde naturel.

En effet, une définition plus précise de l’enseignement basé sur les DI a été proposée dans le projet Mind The Gap7, reprise ensuite dans le projet S-TEAM8 : « Inquiry-based science teaching may be characterized by activities that pay attention to engaging students in: (i) authentic and problem based learning activities where there may not be a correct answer ; (ii) a certain amount of experimental procedures, experiments and "hands on" activities, including searching for information ; (iii) self regulated learning sequences where student autonomy is emphasized ; (iv) discursive argumentation and communication with peers ("talking science") » (Jorde et al., 2010, p. 3). Cette définition se situe, en effet, dans le prolongement de celle proposée par Linn et al. (2003) qui

7 Mind the Gap - Learning, Teaching, Research and Policy in Inquiry-Based Science Education - est un projet européen qui s’intéresse au développement professionnel des enseignants dans l’enseignement basé sur les DI. 8 S-TEAM : Science–Teacher Education Advanced Methods est un projet européen qui s’intéresse à améliorer l’enseignement et l’apprentissage des sciences à travers l’enseignement basé sur les DI,

soulignent : « we define inquiry as engaging students in the intentional process of diagnosing problems, critiquing experiments, distinguishing alternatives, planning investigations, revising views, researching conjectures, searching for information, constructing models, debating with peers, communicating for diverse audiences, and forming coherent arguments » (p. 518). Cette définition met, de fait, l’accent sur une façon générale de penser les DI, qui appelle une caractérisation plus spécifique appliquée au processus d’enseignement/apprentissage.

Par ailleurs, les DI laissent apparaître des confusions dans les prescriptions ou dans les pratiques puisqu’elles se révèlent à la fois comme objet d’enseignement et moyen d’enseignement (Boilevin & Brandt-Pomares, 2011). A cet égard, Abd-El-Khalick et al. (2004) soulignent la différence entre l’enseignement des sciences au moyen de l’investigation (teaching science through inquiry) et l’enseignement des sciences comme une investigation (teaching science as inquiry). Dans le premier cas, les DI se présentent comme un moyen d’enseignement (inquiry as means). Elles sont donc utilisées comme une stratégie d’enseignement dont l’objectif est de faire apprendre aux élèves un contenu scientifique. Alors que dans le deuxième cas, ce sont les DI qui apparaissent comme un objet, un résultat d’apprentissage (inquiry as ends). « “Inquiry as means” (or inquiry in science) refers to inquiry as an instructional approach intended to help students develop understandings of science content (i.e., content serves as an end or instructional outcome). “Inquiry as ends” (or inquiry about science) refers to inquiry as an instructional outcome: Students learn to do inquiry in the context of science content and develop epistemological understandings about NOS [nature of science] and the development of scientific knowledge, as well as relevant inquiry skills (e.g., identifying problems, generating research questions, designing and conducting investigations, and formulating, communicating, and defending hypotheses, models, and explanations) » (p. 398). De ce fait, d’un point de vue didactique, les enjeux d’apprentissage à travers les DI en classe sont questionnés suivant qu’il s’agit d’acquérir des notions scientifiques ou des méthodes, d’apprendre de la science ou de faire de la science.

Ainsi, nous avons reconstruit dans cette partie notre interprétation de ce que recouvre l’expression « démarche d’investigation » en embrassant des perspectives nationales et internationales ainsi que les divers aspects et facettes de l’enseignement qu’englobe cette expression. Nous avons aussi mis en évidence que le consensus autour de ce que sont les DI est incomplet. D’ailleurs le projet S-TEAM corrobore ce constat dans la mesure où aucune définition claire de ce que sont les DI n’a émergé suite à la série de séminaires organisés dans les quinze pays participant au projet : « the seminars showed that no common definition currently exists at a European level. In many of the participating countries appropriate translations of the term in the national language were not found » (Jorde et al., 2010, p. 3). Cependant, dans ce qu’on appelle DI en France ou inquiry à l’étranger avec ses multiples déclinaisons et acceptions didactiques ou épistémologiques Inquiry Based Science Education (IBSE), Inquiry-Based

Science Learning (IBSL), Inquiry-Based Science Teaching (IBST), l’accent est toujours mis

sur le rôle actif de l’élève dans la construction de son savoir.

Comme notre objet d’étude se centre sur les DI, il nous semble primordial de préciser ce que nous envisageons de mettre derrière cette expression. Bien entendu, il ne s’agit pas de figer une définition qui enfermerait l’enseignant et les élèves dans une procédure rigidifiée car cela va à l’encontre des fondements même des DI. Notre conceptualisation des DI tisse évidemment des liens avec celles que nous avons présentées dans cette partie, mais aussi avec

le point de vue institutionnel qui se traduit dans les programmes scolaires (§ 1.2) ; cependant, elle se centre davantage sur le point commun entre ces conceptualisations, à savoir la nécessité d’autonomie et d’activité cognitive des élèves. Ainsi, dans notre étude, seront appelées DI tout type d’enseignement/d’apprentissage de la chimie laissant à l’élève une responsabilité importante vis-à-vis des savoirs en jeu. Celui-ci est censé travailler en autonomie et construire des savoirs scientifiques en développant par lui-même la méthode et la démarche appropriée, prenant en compte l’interaction avec les pairs et avec l’enseignant, pour résoudre le problème posé.

2.1.2. Le modèle de l’enseignement scientifique fondé sur les