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Verbalisation de démarches complexes

TOUCHER, OBSERVER, DIRE : CONDUITES LANGAGIÈRES ET SCIENTIFIQUES EN MATERNELLE

4. CRITÈRES D’ANALYSE

5.2. Verbalisation de démarches complexes

Quatre caractéristiques sont retenues ici : ce que nous avons appelé la hiérarchisation de la matière, les relations entre la verbalisation et la manipulation du support, la lecture de l’empreinte comme forme ou comme trace, et la production d’un récit qui élabore les prémisses d’une explication de la formation de l’empreinte.

En ce qui concerne la hiérarchisation des états de la matière, aux deux niveaux scolaires, les élèves Freinet utilisent plus que leurs camarades de l’école traditionnelle une échelle comparative. En MS, aucun élève de l’école traditionnelle ne produit une comparaison, un tiers des élèves de l’école Freinet (5 sur 14) en produit une ; en GS, un peu plus d’un tiers des élèves de l’école traditionnelle (6 sur 15) produit une comparaison contre presque les deux tiers à l’école Freinet (9 sur 15).

De la même manière, aux deux niveaux scolaires, les élèves Freinet sont plus nombreux à dire par anticipation s’il est possible ou non de faire des traces sur le bois ou l’argile sans avoir le besoin de manipuler le support pour répondre à la question. Dans l’école traditionnelle, on trouve d’avantage d’élèves qui verbalisent après avoir manipulé le support. Ainsi, en MS, les 7 élèves (sur 21) qui verbalisent sans manipuler l’objet se trouvent à l’école Freinet, un seul à l’école traditionnelle est dans ce cas. En GS, l’écart entre les deux écoles diminue mais ne s’inverse pas : 11 élèves (sur 15) à Freinet et 9 (sur 15) à l’école traditionnelle verbalisent sans manipuler. Dans l’école traditionnelle, en MS, la majorité des élèves (5/7) verbalisent après manipulation (contre la moitié, 7/14, à Freinet) ; en GS, c’est le cas encore de 4 élèves, alors qu’il n’y en a plus qu’un à Freinet5.

La lecture des empreintes est une tâche qui différencie plus nettement les niveaux scolaires que les précédentes, tout en conservant, dans les résultats, l’opposition entre les deux populations scolaires. En MS, globalement, les élèves sont plus nombreux à lire une forme, et cela quelle que soit leur école (à Freinet, 10/14 soit 71 % ; dans l’école traditionnelle 4/7, soit 57 %). Seulement 4 élèves à l’école Freinet et 2 élèves de l’école traditionnelle6 tiennent compte du contexte et du support dans leur identification de la forme. En GS, dans cette première école, pratiquement tous les élèves (14/15, 93 %) tiennent compte du contexte dans leur lecture de l’empreinte (ils disent par exemple « c’est des griffes », « c’est des traces de chat »). Par contre, dans l’école traditionnelle, s’il y a 9 élèves qui sont dans ce cas (60 %), on trouve encore 6 élèves qui répondent comme en MS, en lisant une forme seule. Sur ce critère la différenciation nette entre les écoles au niveau de la GS est

5 Les élèves qui n’apparaissent pas dans ces résultats chiffrés sont ceux qui verbalisent et manipulent simultanément. 6 Ce qui représente le même pourcentage : 28%.

intéressante à signaler. D’une part, en termes d’évolution des performances des élèves, qui est plus spectaculaire à Freinet que dans l’école traditionnelle, même s’il ne faut pas oublier l’évolution de cette dernière ; d’autre part, d’un point de vue méthodologique, c’est un critère qui change de pertinence et de valeur selon la population sur laquelle il s’applique. Il pouvait apparaître peu intéressant sur la population de MS, mais il révèle des oppositions tranchées sur la population des GS.

Face aux objets décontextualisés qui leur étaient présentés, les élèves devaient produire un récit qui reconstituait l’histoire de la fabrication des empreintes. Sur ce critère, on retrouve les mêmes phénomènes que sur les deux premiers critères ci-dessus : la différence de niveau scolaire est moins signifiante que la différence entre les écoles. Quel que soit le niveau, c’est à Freinet que l’on formule un récit d’hypothèse ou un récit évolutif : c’est le fait de 9 élèves sur 14 en MS et de 9 élèves sur 15 en GS. Dans l’école traditionnelle, ou bien les récits sont présentés comme vrais (c’est net surtout en GS où 8 élèves sur 15 sont dans ce cas, un seul formulant un récit d’hypothèse) ou bien, les élèves sont en difficulté et ne produisent rien (6 élèves)7. Par ailleurs, on trouve souvent chez les élèves de GS à Freinet des formules qui renvoient aux transformations de la matière (« ça a séché »), ce qui s’approche de l’explication scientifique attendue.

En conclusion on peut dire que certains de ces résultats traduisent les effets du développement langagier de l’enfant entre 3 et 5 ans (augmentation de la quantité de langage et du lexique disponible, entrée dans des tâches cognitivo-langagières complexes, comme la lecture des empreintes). En même temps, la comparaison entre ces deux écoles met en évidence des différences dans le traitement des tâches langagières qui modulent le seul effet du développement. Dès la MS, les élèves Freinet sont caractérisés, comparativement, par l’abondance de leurs productions langagières et leur capacité à verbaliser dans des tâches complexes (hiérarchisation, verbalisation par anticipation, récits explicatifs). Les élèves de l’école traditionnelle progressent dans ces domaines, de la MS à la GS, mais ne dépassent pas les élèves Freinet. En effet, entre les 2/3 et la quasi-totalité des élèves Freinet manifestent des compétences de haut niveau en GS, y compris dans la tâche de lecture d’empreinte d’où ils étaient presque absents en MS. Ainsi,

- presque les 2/3 (60 %) d’entre eux utilisent une échelle comparative et produisent un récit explicatif

- plus des 2/3 (73 %) verbalisent sans manipuler

- presque tous (93 %) lisent l’empreinte en tenant compte du support et du contexte (alors que moins d’un tiers (28 %) le faisait en MS).

Comparativement, le développement lexical semble caractériser l’école traditionnelle, qui dépasse sur ce plan les élèves Freinet : la production moyenne d’adjectifs s’inverse entre les écoles de la MS à la GS. Ceci doit être cependant pondéré par le fait que, pour l’identification des compétences lexicales, nous n’avons relevé que les adjectifs, à l’exclusion des autres ressources langagières (énoncés verbaux, par exemple). Ce choix focalise l’observation sur une zone lexicale et restreint donc la portée de nos conclusions sur l’évolution du développement lexical de ces élèves.

La double focalisation sur niveaux scolaires et pédagogies différentes permet de mettre en évidence un effet de la pédagogie Freinet, telle qu’elle est pratiquée dans cette école, sur le développement langagier des élèves, surtout en ce qui concerne l’entrée dans des démarches complexes de raisonnement scientifique. Ces résultats recoupent d’autres observations réalisées sur les mêmes écoles mais dans d’autres domaines : les pratiques d’écritures en sciences à l’école primaire (Cohen-Azria, 2004) et les apprentissages langagiers effectués dans les rituels à l’école maternelle (Delcambre, 2005).

BIBLIOGRAPHIE

COHEN-AZRIA C. (2004). Sciences à l’école : diversité des pratiques, diversité des écrits. In Actes du 9e colloque international de l’AIRDF, www.colloqueairdf.fse.ulaval.ca/.

DELCAMBRE I. (2005). Apprendre à prendre la parole en petite section de maternelle. Spirale. 36, 77-86.

REUTER Y. (ss la direction) (2005). Démarches pédagogiques et lutte contre l’échec scolaire. Rapport de recherche non publié, ERTé 1021, Théodile EA 1764, Université de Lille 3, 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SÉANCE  PLÉNIÈRE  3