• Aucun résultat trouvé

QUELLES ÉVOLUTIONS ET QUELS ENJEUX D’APPRENTISSAGE ?

POUR APPRENDRE LES SCIENCES ?

5. QUELLES ÉVOLUTIONS ET QUELS ENJEUX D’APPRENTISSAGE ?

On peut dire que cette histoire entre sciences et langage se termine bien : le couple s’affiche désormais en public dans une relation qui semble au beau fixe. Mais est-ce bien le même couple qu’au début ? D’autres personnages ne nous ont-ils pas rejoint au cours de cette histoire ? Il est peut être nécessaire de dresser un portrait d’une famille partiellement recomposée. Dans ce portrait, l’activité langagière en sciences apparaît au centre de quatre types d’enjeux d’apprentissage (Cf. figure en annexe).

Le premier enjeu est, bien entendu, un enjeu d’apprentissage scientifique. On peut considérer par exemple que l’activité langagière dans la classe de sciences est une composante d’une « activité scientifique scolaire ». Cette activité scientifique scolaire peut être analysée à la lumière d’une double référence : à l’école et à la science. En effet, de nombreux éléments de la démarche proposée aux élèves (questionnement, investigation, écriture, débat, validation…) peuvent être considérés comme une traduction pour l’école de certains aspects essentiels de l’activité des scientifiques (Bisault, 2005). De ce point de vue, il semble assez clair que les derniers programmes de sciences pour l’école ont retenu une vision sociale de la science. On peut alors dire qu’il est nécessaire de lire, écrire et parler pour apprendre les sciences car il est nécessaire de lire, écrire et parler pour faire des sciences.

Le deuxième enjeu qui est apparu très explicitement dans les derniers textes est un enjeu d’apprentissage du langage. L’activité langagière en sciences est en effet une activité sur le langage. Le langage n’est donc pas seulement un aspect d’une activité scientifique scolaire, il peut aussi être l’objet de l’apprentissage. Avec cet enjeu, l’enseignement des sciences contribue au même titre que d’autres enseignements à l’apprentissage du langage et de la langue française. On peut alors dire

que faire des sciences à l’école permet d’apprendre à parler, lire et écrire. De ce point de vue, l’évolution des programmes de sciences reflète aussi l’évolution des idées relatives au langage et à son enseignement. Le langage n’est plus considéré dans les textes actuels comme un code « transparent » ; l’activité langagière est en effet fortement liée à son contexte de production, notamment dans sa dimension dialogique (Jaubert & Rebière, 2000).

L’activité langagière en sciences est aussi une activité sociale ; cet aspect apparaît très nettement dans les derniers programmes avec l’importance accordée au débat, à l’argumentation et plus généralement aux interactions sociales. Ceci renvoie à un autre domaine d’apprentissage dénommé « vivre ensemble » dans les derniers textes ; ce domaine constitue le deuxième pôle prioritaire de l’école primaire après l’apprentissage du langage. Cet enjeu social a été présent sous des formes diverses tout au long de cette histoire de l’enseignement des sciences (Kahn, 2000) ; cet enjeu est également très prégnant dans les programmes d’histoire - géographie et d’éducation civique (Bisault & Le Bourgeois, à paraître).

Enfin, le langage peut être aussi considéré comme un outil d’apprentissage11. On peut penser que la place accordée aux interactions langagières entre élèves dans les programmes actuels - et pas seulement dans les programmes de sciences - est liée à une évolution des idées concernant l’apprentissage. En favorisant les interactions entre pairs et la co-construction de savoirs par les élèves, les démarches proposées dans les programmes actuels reposent implicitement sur des théories de l’apprentissage de type socio-constructiviste qui font actuellement l’objet d’un certain consensus dans la communauté éducative (Douaire, 2004).

6. CONCLUSION

On ne peut donc pas comprendre la place actuelle du langage dans les programmes de sciences sans prendre en compte ces différents enjeux. Nous sommes au point de rencontre de plusieurs types de problèmes renvoyant à des champs théoriques différents (didactique des sciences, épistémologie, didactique du français, linguistique, didactique de l’éducation civique, sociologie, psychologie des apprentissages…). On assiste actuellement à une certaine convergence de ces différents champs, notamment autour du débat et des interactions sociales. Cette convergence n’est pas seulement visible dans les textes des programmes ; elle se manifeste aussi par un rapprochement entre les chercheurs des différents domaines. Je pense en particulier à une recherche nationale sur

l’argumentation à laquelle j’ai participé12 ou à différents colloques récents qui ont réuni des chercheurs de domaines très variés13. Cette convergence est sans doute une force sur le plan pédagogique pour inciter à changer les pratique14. Elle peut aussi constituer une difficulté car il n’est pas certain que les postulats des différents champs théoriques soient totalement compatibles entre eux.

L’existence de ces différents enjeux rend assez difficile l’analyse de certaines activités scolaires. Par exemple, la lecture documentaire semble avoir traversé sans changement apparent les différents programmes successifs de sciences pour l’école. Comme nous l’avons montré, ces différents textes reposent pourtant sur des postulats radicalement différents. La lecture de documents est également présente dans d’autres domaines disciplinaires, l’histoire par exemple. S’agit t-il d’apprendre à lire ou d’apprendre en lisant ? Cette activité a-t-elle un intérêt « transversal » ou est-elle ancrée dans des préoccupations disciplinaires spécifiques15 Est-elle imposée par des considérations

épistémologiques16 ou par des considérations strictement scolaires 17. Il s’agit là de questions complexes qui mériteraient d’être examinées de façon précise. Pour conclure, je dirais que j’ai surtout exploré dans mon exposé le travail par les mots et sur les mots dans l’enseignement des sciences et que j’ai laissé de côté le travail par les choses et sur les choses. Cette question a été déjà abordée par ailleurs (Coquidé & Lebeaume, 2003) et je pense que d’autres intervenants aborderont ce sujet dans cette table ronde.

BIBLIOGRAPHIE

BISAULT J. (2005). Le langage en sciences à l’école : quelles références et quels enjeux pour quelles pratiques scolaires ? In Colloque « didactiques : quelles références épistémologiques », Bordeaux - mai.

12 Recherche associative IUFM-INRP, (2000-2003) « Argumentation et démonstration dans les débats et discussions en classe » coordonnée par J. Colomb et J. Douaire.

13 Par exemple, le colloque international « Faut-il parler pour apprendre ? » organisé à Arras en Mars 2004. par l’IUFM Nord-Pas de Calais. Ce colloque a réuni en particulier des linguistes, des psychologues et des didacticiens de nombreuses disciplines.

14 Joël Lebeaume a évoqué dans cette table ronde l’idée d’un « réseau de pratiques cohérentes ». 15 Par exemple, le travail sur les sources en histoire.

16 On peut par exemple considérer que la lecture de documents est un aspect du travail des scientifiques qu’il s’agit de traduire à l’école.

17 Par exemple, la nécessaire confrontation des travaux des élèves avec les savoirs de référence disponibles dans les manuels scolaires ou les ouvrages de vulgarisation scientifique.

BISAULT J., LE BOURGEOIS R. Argumenter en sciences et en histoire à l’école : des pratiques sociales de référence aux pratiques scolaires. In Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, (à paraître).

COQUIDÉ M., LEBEAUME J. (2003). Découverte de la nature et des objets à l’école élémentaire : hier et aujourd’hui. Grand N, 72, 105-114, Grenoble : IREM.

DELON C. (1887). La leçon de choses, théorie et pratique. Paris : Hachette.

DOUAIRE J. (coord.) (2004). Argumentation et disciplines scolaires. Paris : INRP.

JAUBERT M., REBIÈRE M. Observer l’activité langagière des élèves en sciences. Aster, 31, 173- 195.

KAHN P. L’enseignement des sciences de Ferry à l’éveil. Aster, 31, 9-35.

ANNEXE : les enjeux de l’activité langagière en sciences

Activités sociales Activités sur le langage Activités par le langage